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Big Hanna : le début d’un règne

Le Délit fait le point sur le compostage à l’échelle collective, les implications pour le citoyen et l’avancement de ce projet sur l’île de Montréal et sur le campus de McGill. Saurons-nous abandonner le sac vert pour le sac brun ?

Webmestre, Le Délit | Le Délit

Gare à vos sacs poubelle, car le gouvernement québécois a annoncé ses intentions de gestion des matières résiduelles. En effet, d’ici 2020, l’enfouissement de toute matière organique sera officiellement banni. À plus court terme, d’ici 2015, le Québec vise un objectif de traitement de « 60% de la matière organique putrescible résiduelle » selon le Ministère du Développement Durable, de l’Environnement et des Parcs (MDDEP). Cela chamboulera nécessairement les habitudes de vie des Québécois, dont la production de matières organiques monte à 4,24 tonnes par année.
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Pourquoi composter ?

 

Les objectifs du compostage à grande échelle ayant motivé la politique de gestion des matières résiduelles du MDDEP sont multiples. D’abord, il s’agit d’éviter les difficultés liées au développement et à l’entretien des décharges, dont la gestion écologique et des sous-produits s’avère souvent complexe (par exemple les écoulements de lixiviat, une sorte de « jus de poubelle »). Il est aussi question d’éviter la décomposition anaérobique, responsable de l’émission de méthane, un gaz à effet de serre extrêmement nocif. Somme toute, l’implantation d’une collecte des matières organiques résiduelles s’insère parfaitement dans une logique de développement durable en permettant même d’obtenir un produit final –le compost– ayant une utilité évidente pour l’agriculture et le jardinage.
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Un exemple de succès

 
Quant à la collecte du compost, la ville de Gatineau est la première au Québec à avoir tenté l’expérience il y a de cela presqu’un an. L’objectif ? « La municipalité […] souhaite détourner 29 000 tonnes de déchets du site d’enfouissement chaque année » grâce à cette nouvelle collecte, explique Alain Riel, président de la Commission consultative sur l’environnement et le développement durable de la ville de Gatineau. Pour ce faire, la ville a livré de nouveaux « bacs bruns » à pas moins de 80 000 foyers l’an dernier. « On avait un objectif de 9000 tonnes en 2010 pour la période de mai à décembre et on a atteint 12 000 tonnes, [soit] 15% de plus ». Le projet a donc démarré avec le vent en poupe.

Si de telles initiatives peuvent avoir tant de potentiel, c’est d’abord dû à la composition de nos sacs à ordures. Comme l’indique M. Riel, « 45% [du] sac noir est composé de matières organiques ». Michel Tanguay, chargé des communications de l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal, renchérit en ajoutant que « l’on peut valoriser jusqu’à 30% d’un sac à ordures grâce au compostage ». Du côté gatinois, on met l’accent sur l’importance de la campagne éducative qui a permis de lancer la nouvelle collecte. Des patrouilleurs verts ont donc « frappé à 45 000 portes entre mai et décembre pour expliquer le processus » aux citoyens. La réponse fut positive, à tel point que la collecte des ordures se fait maintenant toutes les deux semaines, alors que le compost est ramassé de façon hebdomadaire.

Plus près de chez nous

 

Sur l’île de Montréal, les collectes périodiques de résidus de jardins sont déjà en place depuis quelques années. Ceux-ci sont compostés au Complexe environnemental St-Michel, ancien et dernier dépotoir de l’île de Montréal, qui abrite également une usine de tri de recyclage et dont la majeure partie du site sera convertie en parc dans les années à venir. Par contre, en ce qui concerne les résidus alimentaires, l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal est l’un des premiers à en avoir fait la collecte à Montréal, soit depuis 2008. D’après Michel Tanguay, c’est parce que ses citoyens sont sensibilisés au développement durable que l’arrondissement a été choisi comme terrain d’essai de ce nouveau type de collecte. En 2008, la collecte a rejoint 2000 des 3000 portes visées, ce qui a permis la valorisation de « 300 tonnes de résidus qui ont été détournés du dépotoir ». Si l’on n’a pas atteint l’objectif de logements desservis par la nouvelle collecte, c’est que « certaines personnes ne sont pas intéressées » par cette nouvelle tendance, qui requiert une réorganisation des habitudes de vie et que la gestion d’un nouveau bac, notamment pour les personnes âgées dans certains types de logements, peut poser problème.

Depuis décembre dernier, le projet est entré dans sa deuxième phase et a été étendu à 2500 autres foyers. Monsieur Tanguay précise que l’arrondissement « n’utilise pas le terme de projet-pilote puisque la collecte s’inscrit dans une volonté de l’arrondissement de détourner les matières résiduelles du site d’enfouissement ». La collecte des résidus alimentaires ne représente pas une simple expérience, mais vise plutôt à « s’élargir à un plus grand territoire dans les prochaines années, selon la capacité de traitement disponible ». Quant au sort de ces résidus alimentaires, l’arrondissement se charge de leur transport jusqu’à un centre de transbordement dans l’est de Montréal, d’où ces mêmes résidus sont transportés jusqu’à Saint-Thomas-de-Joliette pour leur traitement. Les installations de l’entreprise EBI, à Saint-Thomas, sont équipées pour traiter les résidus alimentaires, tels que la viande, qui nécessitent d’être soumis à une chaleur plus intense pour que leur décomposition produise un compost de qualité.

M. Tanguay prend aussi bien soin de préciser que l’éducation des citoyens est la clé pour le succès de l’implantation de la nouvelle collecte. Ainsi, le taux de participation dans les secteurs actuellement desservis est important, bien « qu’il y ait des périodes de l’année où les gens compostent moins ». « Il est possible, mentionne-t-il, qu’on ait à rappeler aux gens d’utiliser leur bac lorsqu’ils arrêtent de l’utiliser, par exemple pour éviter d’avoir à laver leur bac ». Bref, grâce à la sensibilisation des citoyens ainsi qu’à l’implantation d’une collecte des matières résiduelles à grande échelle en 2014, la ville de Montréal espère réduire drastiquement la quantité d’ordures générée annuellement sur l’île. Objectif louable s’il en est un, mais pour lequel il restera encore beaucoup de chemin à parcourir afin d’obtenir la participation citoyenne, de même que permettre la collecte et le traitement de grandes quantités de résidus de manière efficace.

Sur le campus

 

Sur le front de la valorisation des matières organiques, McGill n’est pas en reste, notamment grâce à l’action du groupe Gorilla Composting. Peut-être avez-vous déjà aperçu leur mascotte de gorille sur le campus, ou bien croisé un de leurs kiosques au Farmers’ Market. Toujours est-il que le club, présent depuis quelques années, vise à réduire la quantité de déchets générés sur le campus grâce au compostage des matières organiques. Leurs efforts ont débuté avec un service de collecte des résidus alimentaires offerts à tous leurs membres et dont la matière amassée était acheminée à une ferme à proximité de Montréal. Toutefois, la réduction des gaz à effets de serre qu’auraient émis ces résidus au dépotoir était pratiquement nulle en raison des émissions liées au transport de la matière. Depuis mai dernier, leur mission a évolué avec l’achat par l’université (et grâce aux fonds qu’ils avaient amassés) de Big Hanna, un composteur pour déchets organiques. Big Hanna pourra recevoir quelques soixante-deux tonnes de résidus organiques annuellement en provenance des services alimentaires des résidences Royal Victoria College, New Residence ainsi que du bâtiment de l’AÉUM. Les résidus y sont exposés à des températures de 55 oC à 65oC pendant une cinquantaine de jours avant de ressortir sous forme de compost.

Comme l’explique David Morris, coordonnateur de Gorilla Composting, « quinze à vingt tonnes de matières organiques ont étés collectées depuis mai dernier ». La décision de se concentrer sur un partenariat avec les services alimentaires et les résidences universitaires est une évolution logique, explique David Morris : « il y a des enjeux logistiques reliés à la collecte des résidus alimentaires des étudiants, notamment au niveau de la contamination ». On a fait le pari de sensibiliser les étudiants en résidence dans l’espoir que ceux-ci prendront l’initiative de composter lorsqu’ils déménageront.

Un autre progrès dans la collecte des résidus organiques verra bientôt le jour avec l’installation de broyeurs alimentaires dans les cuisines. « Les broyeurs permettront de faciliter la tâche des cuisiniers, qui doivent réduire la matière à composter en petits morceaux avant la collecte », explique David Morris. « Ils permettent également de réduire la proportion d’eau présente dans les résidus, ce qui permettra de traiter de plus grandes quantités à la fois dans le composteur. »

À ce jour, Big Hanna a donc contribué à l’effort de développement durable du campus en traitant quelques dizaines de tonnes de déchets. Pourtant, comme le mentionne David Morris, il reste du chemin à parcourir pour l’université dans la réduction de ses déchets, puisque « la majorité des déchets générés sur le campus provient des tasses de café » ! Afin de réduire cette importante part d’ordures, l’université devra peut-être se pencher sur le recyclage possible de certains types de tasses ou bien sur les fameuses tasses biodégradables (faites à base de maïs), de même que sur la participation des étudiants.

Il reste de toute évidence beaucoup de chemin à parcourir avant que Montréal ne se soumette aux exigences de réduction des déchets de la politique québécoise de gestion des matières résiduelles sur l’ensemble de son territoire. Toutefois, des exemples concluants tels que l’expérience de la ville de Gatineau, démontrent qu’il est possible d’obtenir des résultats grâce à la collaboration des citoyens et à la mise en place d’infrastructures adaptées. De même, McGill et le groupe Gorilla Composting, grâce à la collaboration précieuse des services alimentaires, sont autant d’exemples de l’évolution des habitudes de vie, notamment en matière de gestion des déchets. Tout cela avec l’espoir de boucler la boucle du cycle de production humain en faisant de nos déchets une matière première pour la production alimentaire.

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Montage photo : Raphaël Thézé


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