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Récit biblique dans un stationnement

Le Théâtre à corps perdus revisite le récit biblique de Judith et Holopherne. 

L’Art regorge d’œuvres qui s’inspirent de récits tirés de la Bible, et le livre de Judith en a inspiré plusieurs. Il n’est pas surprenant alors que le Théâtre à corps perdus tienne à présent à revisiter cet épisode légendaire, mais c’est le lieu dans lequel est joué la pièce qui rend le tout particulièrement original.

C’est donc dans le second sous-sol du stationnement du marché Jean-Talon que la metteure en scène Geneviève L. Blais a voulu raconter l’histoire de Judith, une belle et jeune veuve qui séduit le général Holopherne et lui tranche la tête pendant son sommeil pour sauver Béthulie de l’invasion assyrienne.

Maxime Côté

L’espace est habilement utilisé. En utilisant la pente qui relie le premier sous-sol au second, la scène se voit ingénieusement approfondie. De petites statuettes occupent cette pente. Holopherne les dispose, comme tant de corps assassinés lors de sa conquête de la Judée, pendant que les spectateurs prennent place. Le sol bétonné est couvert de tapis persans, et la scène est minimalement constituée d’une plate-forme surmontée d’une chaise. Côté cour, un trou sépare l’espace principal du lit où le général sera sauvagement assassiné. Le cadre rectangulaire du trou fait ainsi écho aux différents tableaux illustrant ce récit biblique, surtout à celui du Caravage.

L’éclairage est brillamment exploité. De petits projecteurs à peine perceptibles sont disposés à l’avant-scène pour créer un éclairage frontal auquel s’ajoutent quelques lumières accrochées au plafond du stationnement. L’avant-scène s’assombrit par moments pour ne laisser que la pente éclairée d’une lumière fuchsia pour les scènes plus passionnées.

La scénographie (Angela Rassenti) et l’éclairage (Stéphanie Raymond) contribuent donc bien à l’exploration de cet effacement des frontières entre le corps et l’esprit, la barbarie et l’héroïsme. C’est malheureusement le jeu des acteurs qui empêche le saut complet dans ce récit poignant.

La pièce débute dans le noir avec Holopherne seul à côté de son lit, face à son armure. Il vient de se laver les mains, couvertes de sang. Le tourment du général se fait bien sentir pendant ces courtes minutes ; pourtant, Pierre-Antoine Lasnier perd rapidement le spectateur dont il semble fuir le regard. Il incarne un Holopherne excessivement affligé dont il est difficile de se représenter le pouvoir et les conquêtes passées.

Catherine de Léan (qu’on a pu voir dans les émissions Les hauts et les bas de Sophie Paquin et dans Trauma) interprète une Judith trop exaltée. La veuve de Béthalie, accablée par ses sentiments et par le projet qui l’amène au pied du général, rend la montée dramatique pénible. Enfin, la complicité entre les comédiens est factice lorsqu’elle est présente, et la scène d’amour, suivie du meurtre semble alors précipitée et maladroite, en plus de laisser le spectateur indifférent. Cette scène est toutefois présentée de façon sublime en théâtre d’ombre derrière les rideaux de chambre tirés.

Élizabeth Chouvalidzé, dans la peau d’une servante aux multiples facettes –un peu docile, un peu fourbe– sauve un peu la pièce, mais accentue également l’inégalité dans le jeu des comédiens.

Les mots, d’une violence gratuite par moments, sont à la mesure d’une mise en scène qui assomme le spectateur. À force de vouloir exposer la complexité de l’Homme, capable autant de compassion que de cruauté, le squelette de la pièce –prometteur en lui-même–  souffre d’une lecture mystique du récit de Judith et Holopherne.


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