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Loi C‑94 : les voix mésentendues

Les femmes et les communautés musulmanes ont un rôle central à jouer dans le débat public sur la pratique des accommodements dans les espaces publics.

Comme en a témoigné le colloque sur la « Démocratie dévoilée » tenu à l’Université Concordia, du 18 au 22 novembre, la présence féminine au sein de la recherche académique sur les accommodements, la laïcité et les modèles d’intégration de société est majoritaire. Pourquoi ne faisons-nous pas affaire à la même formule dans le discours politique ?
Le débat public au Québec est aux yeux d’une académicienne française « extrêmement poli ; vu de France c’est vraiment dépaysant ! » Cela ne signifie pourtant pas qu’il en est plus juste.
Comme le fait remarquer Corrine Torrenkens, membre du Groupe d’études sur l’Ethnicité, le Racisme, les Migrations et l’Exclusion à l’Université Libre de Bruxelles, la loi C‑94 –comme d’autres lois sur les signes religieux dans les espaces publics– dans sa logique, bien que non explicitement, vise le port de la burqa et du niqab dans les espaces publics, notamment les écoles, et, par extension, a pour objet sous-jacent la femme musulmane. La femme musulmane représente donc l’«autre », muet et uniforme.
Dans l’histoire du Québec, la laïcité a subi deux transformations ; une « dissociation entre laïcité et langue », qui a permis au Québec de s’épanouir culturellement, et une « jonction entre le débat pour la laïcité et celui pour la souveraineté », note Yvan Lamonde auteur de « L’Heure de la vérité. La laïcité québécoise à l’épreuve de l’Histoire ». C’est bien cette dernière lutte commune qui fait de l’exemple québécois, non un exemple unique mais bien un exemple aux extrêmes qui permettait aux journalistes en mars dernier de parler de crise d’identité du Québec, quand le débat sur les accommodements raisonnables a repris, à la proposition du projet de loi.
Daniel Weinstock, un des initiateurs du manifeste pour un Québec pluraliste, note qu’une des oppositions à la position pluraliste qui le touche le plus est la position féministe. Les principes d’accommodements religieux risquent « d’accorder plus de pouvoir à certaines autorités religieuses qui sont par tradition plutôt patriarcales ». Cette position est bien celle articulée par la Fédération des Femmes du Québec dans son mémoire sur la loi C‑94 : « Être pour la laïcité ne veut pas dire nécessairement être pour le droit des femmes. Le féminisme cible notamment le patriarcat ». Le problème est la peur du « pouvoir coercitif de l’État », note M. Weinstock, qui est vraisemblablement exacerbée par une pratique d’accommodements au cas par cas. La Fédération des Femmes du Québec (FFQ) est donc en faveur d’une « règle générale » comme la loi C‑94, encourant quelques changements, bien que critique de ses prémisses.
La FFQ recommande donc « que le gouvernement prépare un livre vert sur la laïcité et tienne une commission parlementaire à cet égard ». Bien sûr, la laïcité reste problématique au Québec, car, comme en France, « que serait la laïcité sans le catholicisme français (ou québécois)?», se demande Narcira Guénif Souilamas, auteur de « La République mise à nue par son immigration » et « Des Beurettes ». Puisque notre majorité laïque se forme en opposition à l’autre, le religieux, elle ne peut être composée de néant. Qu’on le mette sous couvert de tradition ou de culture, il n’empêche que les vestiges de l’époque pré-révolution tranquille n’ont pas tous été anéantis pour faire place à une neutralité pure de l’État. Le Québec ne peut donc pas être pris comme exemple idéal d’égalité, d’autonomie et de réalisation individuelle des femmes. C’est bien ce qui préoccupe la FFQ. La fédération s’émeut aussi du fait que du débat public « résulte une vision des femmes musulmanes réduites à des victimes sans libre arbitre ».
Justement, Mme Torrenkens notait que lors du débat à propos des signes religieux dans l’espace public en Belgique –débat maintenant clos– les organisations musulmanes n’avaient pas pris part au débat en masse. Elle expliquait qu’en entretien avec certains chefs musulmans du pays, ils ont témoigné avoir en quelque sorte « d’autres chats à fouetter », des préoccupations plus importantes. Ce n’est pas le cas chez nous : le Conseil Canadien des Femmes Musulmanes (CCMW) présentait aujourd’hui un mémoire sur la loi C‑94 dans le cadre des audiences publiques. Le CCMW est opposé à une loi qui ancrerait une limite des pratiques d’accommodements raisonnables dans le système légal canadien. Il réitère les craintes souvent formulées que « les femmes qui portent le niqab deviennent isolées et marginalisées » et pensent que « le rôle de ces femmes comme mère serait grandement compromis et toute la famille serait indûment affectée ». On ne peut qu’observer que les inquiétudes des féministes québécoises et des femmes musulmanes se reflètent, même si leurs positions quant à la loi sont opposées.
Qu’en est-il des autres groupes musulmans ? Les autres associations contactées n’ont pas donné de réponse quant à leur position sur le projet de loi.
Les deux jeunes françaises, auteures de la vidéo « Niqabitch », grandement visionné sur YouTube, ont utilisé l’humour pour « dédramatiser la situation » autour de la loi visant à interdire la dissimulation du visage dans l’espace public. Indépendamment de tout discours religieux ou laïc en fait, ces deux protagonistes en niqab version mini-jupe ont simplement passé le message qu’il était temps qu’on arrête de faire abstraction de la voix des femmes musulmanes. 


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