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Le petit frère de Basquiat

L’exposition Insula : Réflexions de Jérôme Havre, présentée au MAI, explore les conceptions occidentales de l’art noir.

Au rez-de-chaussée du Montréal, arts interculturels, une petite salle sombre abrite la plus récente exposition de l’artiste parisien Jérôme Havre, intitulée Insula : Réflexions. À l’entrée de la pièce, un bruit de vagues s’échouant sur le sable se fait entendre. Le titre de l’exposition laisse croire que ce bruit est destiné à nous plonger dans une atmosphère insulaire. La notion d’insularité est parfois associée à celle de vacances. Or, l’installation de Havre n’a rien à voir avec un séjour au Club Med.

Gracieuseté de MAI

Au premier abord, l’exposition semble un peu étrange, mais le visiteur comprend assez rapidement de quoi il est question. Les murs, peints par l’artiste lui-même en plusieurs semaines, affichent des coloris noir, gris et blanc. Quelques couleurs vives –jaune, rouge et indigo–, ornent discrètement le bas des murs. L’éclairage contribue également à l’étrangeté des lieux. Une faible lumière provient des ampoules au plafond, mais ce sont les forts néons disposés sur le sol, face aux murs, qui constituent la principale source de luminosité. Cinq affiches disposées sur les cloisons de l’installation mettent en relation questions et images, telles « When will we be beautiful ? », « Et si Marcel Duchamp avait été noir ? » et une famille de gens de couleur dont les visages ont été remplacés par des masques blancs aux motifs tribaux.

Au centre de la salle, des figurines brunâtres sont suspendues au plafond par un fil transparent. Ces humanoïdes pendent à la hauteur du visage des visiteurs. Le message est clair : Havre critique l’attitude occidentale envers l’artiste noir. Les huit figurines de nylon de la série Hybride (2009) semblent être la représentation de la perception occidentale de l’homme noir : lèvres et dents surdimensionnées, oreilles immenses, yeux exorbités, pustules, corps difforme, comportant même parfois des traits animaux. L’ombre de ces poupées à l’aspect vaudou, produite par les tubes fluorescents sur le plancher, renforce l’angoisse du visiteur.

Un habit arborant les mêmes teintes et les mêmes textures que les statuettes de tissu est exposé sur un cintre (Contour Subjectif, 2010). Ce costume paraît apporter une suite logique aux figurines ; il illustre l’idée que l’artiste noir doit mettre un uniforme, se déguiser afin de pénétrer le monde de l’art et y être accepté. De ce fait, Havre s’inscrit directement dans le sillage de l’œuvre de Basquiat. Ce dernier avait été critiqué, notamment par bell hooks (Gloria Jean Watkins),  pour avoir épousé des stéréotypes raciaux liés aux Africains-Américains dans le but de plaire aux artistes blancs, tel Andy Warhol, ainsi qu’aux critiques d’art ethnocentriques.

Même si la démonstration de Jérôme Havre est assez efficace, le son doux et apaisant des vagues contredit, néanmoins, l’aspect monstrueux, agressif et inquiétant des figurines, des deux masses sculpturales difformes et des pancartes aux commentaires éloquents.

Au lieu de causer une angoisse supplémentaire, ce bruit « insulaire » désamorce la portée de l’œuvre.

Encadré : Depuis 2000, le MAI (Montréal, arts interculturels) est un lieu de rencontre, d’échanges et de partage pour l’art émergent contemporain créé par des artistes aux origines ethniques multiples. Le MAI s’engage ainsi à accompagner et à appuyer les artistes dans leurs démarches artistiques, le multiculturalisme y étant vu comme une source de création intarissable et génératrice de nouvelles pratiques artistiques. Le MAI présente pièces de théâtre, concerts, performances et expositions. Le conseil d’administration y est tout aussi éclectique : il est constitué d’un pianiste, d’un membre du clergé et d’une sociologue analyste, ainsi que d’autres figures aux parcours tous plus originaux les uns que les autres.


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