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HALTE-LÀ !

Que l’on aime ou pas le hockey, il faut se rendre à l’évidence : le Canadien est un phénomène social majeur au Québec. Il rend les gens heureux (et dépressifs). Il contribue à l’intégration des immigrants. Il unit les Francos aux Anglos. Il fait partie de nos vies.

En 1998, Frank Trovato de l’Université de Calgary publie un article au titre pour le moins intriguant : The Stanley Cup of Hockey and Suicide in Quebec, 1951–1992. Lorsque la Sainte-Flanelle est éliminée au début des séries éliminatoires, la tendance aux comportements d’autodestruction augmente. Explications : les séries éliminatoires renforcent le tissu social. Des inconnus se parlent, on aborde nos voisins, les chauffeurs d’autobus nous saluent, les contacts informels sont plus fréquents. Une élimination hâtive du Canadien provoque l’éclatement de cet éphémère tissu. Le Délit enquête sur le Canadien, pour le bien public.

MATHIEU DARCHE

Le grand numéro 52, Montréalais d’origine et ancien joueur des Redmen de McGill.

Gracieuseté du Canadien de Montréal

Le Délit (LD): Mathieu, tu joues maintenant pour le Grand Club, comment peut-on être certain que tu es un vrai fan des Habs ?

Mathieu Darche (MD): Je suis un fan du CH depuis que je peux m’en rappeler. J’ai grandi en adorant les Canadiens, en lisant sur le Canadien

LD : On te croit sur parole. Que penses-tu des fans du Canadien ? La passion pour l’équipe n’est-elle pas exagérée ? 

MD : Moi j’adore ça, c’est quelque chose de spécial de jouer à Montréal. Y’a rien de comparable. Quand je jouais à Tampa Bay, il y avait deux journalistes qui couvraient l’équipe. Ici, le vestiaire est toujours plein. C’est tellement différent. Tu va avoir une ovation parce que tu bloques un lancer ! Les amateurs de Montréal sont des connaisseurs de hockey. Même certains pensent en connaître un peu trop…

LD : Est-ce qu’il y a des mauvais fans ?

MD : 98% des fans à Montréal sont d’excellents fans. C’est seulement une petite minorité qui s’en prend personnellement à un joueur, à la famille d’un joueur. C’est pas correct. Les fans ont droit de manifester leur mécontentement. Mais c’est une minorité de fans qui va insulter ta famille et ainsi de suite.

LD : Comment expliquer que certains joueurs, par exemple Steve Bégin, se soient attirés un respect inconditionnel des partisans alors que d’autres se font huer dès qu’ils remettent les pieds au Centre Bell ?

MD : À Montréal y’aiment beaucoup les travaillants. Tsé, l’expression « manger les bandes », les fans montréalais aiment ça. Steve était comme ça. Il faut donner tout ce que tu as à donner. Des fois, le joueur fait des mauvais commentaires sur l’équipe ou la ville quand il est échangé. Ça les fans ne l’oublient pas.

LD : Tu as joué quatre ans pour McGill. Selon toi, pourquoi personne ne suit les performances des Redmen ?

MD : Si c’est pas les Canadiens, c’est dur de créer un engouement. Dans la culture québécoise et canadienne le monde aime le junior majeur. Dans le circuit universitaire c’est souvent des gars pour qui ça a pas marché le junior. C’est du très bon hockey quand même.

LD : Price ou Halak ?

MD : (…) On a deux très bons gardiens.

LD : Arghhh !

DOMINIC PERAZZINO, alias Ménick

Barbier constructeur de liens sociaux

Photo : Frédéric Faddoul

LD : Ménick, tu gères un salon de barbier depuis maintenant 50 ans. Tu as reçu chez toi René Lévesque et Chuck Norris mais surtout à peu près tous les amateurs de sports de la ville et d’ailleurs. Pourquoi les fans du Canadien viennent chez toi ?

Ménick (M): Je sais pas. Ça a commencé tranquillement. Au début, j’étais pas connu comme LE barbier des sportifs. J’ai joué au hockey jusqu’à midget. C’est là que j’ai connu Michel Bergeron (ancien coach des Nordiques, ndlr) et Ghislain Delage. Pis j’ai ouvert mon salon de barbier mais eux ils ont continué à jouer. C’était ma gang. Le monde venait au salon pour jaser. Moi, je dis toujours oui. Pis le monde me le rend. À date, j’ai eu la Coupe Stanley trois fois dans mon salon.

LD : Ton salon c’est un peu un refuge pour ceux qui veulent parler de hockey ?

M : Écoutes, quand Michel Thérien (ancien coach du Canadien, ndlr) s’est fait renvoyer, sa première sortie publique ça a été ici. Moi j’accueille tout le monde. Le monde y vient ici, je leur offre un café, on jase. C’est pas compliqué.

LD : Te rappelles-tu la dernière fois où tu as passé une journée sans parler du Canadien ?

M : C’est jamais arrivé. Pis ça arrivera jamais. Tsé, en ce moment y’a une crise économique. Y’a du monde qui perdent leur job, qui ont pas beaucoup d’argent. Ils viennent parler de sport. C’est un baume sur leur plaie pendant la crise. Ça les tient occupés.

LD : Donc, chialer fait du bien aux gens.

M : Chialer c’est thérapeutique ! Pis quand on gagne, ben on est fier.

LD : Mais ça fait presque 20 ans que le Canadien n’a pas gagné. Il passe même pas proche. Pourquoi les partisans continuent d’idolâtrer les joueurs et l’organisation ?

M : Le hockey c’est notre sport national. C’est pas le soccer, pas le baseball. On aime le Canadien pis le Canadien nous le rend bien. Il prend soin de son public. Regarde la tension que les séries suscitent, l’intérêt. Quand Canadien fait une conférence de presse, tout s’arrête. 17 ans qu’on a pas gagné mais c’est toujours sold-out. Les gens espèrent encore. C’est l’espoir.

LD : Est-ce que les partisans du Canadien sont trop fanatiques ?

M : On applaudit Kovalev, un Russe, pis on hue Daniel Brière. C’est comme dans le temps de la rivalité avec les Nordiques. Michel Bergeron, on l’haïssait. On l’haïssait pour de vrai. Mais en même temps on l’aimait. On écoute notre coeur, c’est ça la beauté du sport.

FAITS D’HIVER

En 2009, le sport a occupé un poids médiatique 25 fois supérieur à celui de la pauvreté des aînés et des autochtones réunis.

Le poids médiatique de 3,7 parties du CH équivaut à l’ensemble des nouvelles publiées au Québec sur l’Afrique en une année.

Google référence 48 800 articles pour « Carbonneau, cravate ».

Le 24 mai 1986, le Canadiens, mené par Patrick Roy, remporte une 23e coupe Stanley. Des émeutes éclatent… à Roberval.

Le 9 juin 1993, le CH élimine Wayne Gretzky et boit du champagne dans sa 24e coupe Stanley. Résultat : 168 blessés dont 49 policiers.

ANN-SOPHIE BETTEZ

Joueuse de 5’4’’ des Martlets l’équipe féminine de hockey de McGill

LD : Les Canadiens ont conquis six victoires de suite et la ville est devenue folle. Les Martlets ont réussit l’exploit d’atteindre 86 victoires de suite et personne n’en a parlé. À cause ?

Ann-Sophie Bettez (ASB): Comparé à des universités dans des petites villes comme St.Lawrence (où a joué Jacques Martin, ndlr) ou Clarckson, Montréal c’est une grande ville où le monde peut faire d’autres choses que d’aller voir des matchs de hockey universitaire. Au hockey féminin, il y a moins de partisans qu’au masculin. Le jeu masculin est plus physique, il y a plus de batailles. Nous, c’est pas la même chose. On a plus de temps pour préparer des jouer, pour faire circuler la rondelle.

LD : Quand tu étais plus jeune, suivais-tu déjà le hockey professionnel masculin ?

ASB : J’ai toujours été une partisane des Canadiens. Moi et mon frère. Mon grand-père, lui, prenait pour les Nordiques. Ça a donc toujours été une compétition entre nous et notre grand-père. Quand le CH faisait des buts on criait. C’était drôle. Quand j’étais plus jeune, je n’aimais pas ça écouter le hockey quand ce n’était pas le Canadien qui jouait. Je ne connaissais pas les autres joueurs. Maintenant, je peux regarder Vancouver contre Ottawa et quand même apprécier le match.

LD : Au sein des équipes nationales, ou même chez les Martlets, il y a des filles d’un peu partout au Canada. C’est possible de vivre avec des partisanes de d’autres clubs s’en s’arracher la tête ?

ASB : Haa ! (Rires). C’est sûr qu’il y a une grosse rivalité avec les filles qui aiment les Leafs. Parfois dans le vestiaire il y en a qui nous demandent si les Maple Leafs ont gagné la veille. Nous, on répond « sûrement pas ! » (Rires). J’habite avec deux filles d’Ontario. Quand il y a un match de Toronto et de Montréal en même temps à deux postes de télé différents, on a des conflits pour savoir qui va regarder qui. On s’ostine. Mais on va pas commencer à se battre non plus pour ça. C’est pas comme une religion, « je dois absolument regarder les Canadiens ». Si j’ai un travail à faire pour le lendemain, je vais sauter le match. C’est pas plus grave. Je vais juste regarder les highlights.

LD : Price ou Halak ?

ASB : Les deux ont leurs forces et leurs faiblesses.

LD : Arghh!!!

MARTIN SASSEVILLE

Fan de hockey, auteur über-geek du blogue Puck ta vie et sociologue qui travaille dans un organisme de défense des droits des personnes handicapées. Rencontre avec un maniaque de hockey capable de citer Roland Barthes et Maxime Lapierre dans la même phrase.

Photo : Frédéric Faddoul

LD : Comment expliques-tu que le Canadien soit si populaire au Québec ?

Martin Sasseville (MS): Il y a trois ans, le lock-out a fait réaliser aux gens qu’ils s’ennuyaient du hockey. Le département de marketing du Canadien a fait le reste. Tsé, c’est pas très subtil mais La ville est hockey, c’est majestueux. C’est un peu étrange au Québec de s’enorgueillir d’être un peuple de hockey. C’est pas vrai. C’est le Canadien et c’est tout.

LD : Certaines personnes dénoncent le hockey professionnel comme étant un spectacle de masse.

MS : Mais c’est dénonciable ! Mais moi j’embarque dans la game. Quand j’y vais au Centre Bell je l’achète la bière à 12$. Et ça me fait vraiment chier de voir le salaire de Scott Gomez. Le hockey ça fait avoir des trips stupides. T’es avec tes chums, tu prends un verre de trop : ça te rend heureux. C’est une belle satisfaction et ça fait pas de mal à personne. C’est pas si sérieux, c’est juste du hockey.

LD : C’est pas sérieux mais tu es en train d’écrire un livre sur le hockey et ça fait maintenant deux ans que tu animes un blogue sur le hockey…

MS : J’aime ça le savoir stupide. Je retiens des petits détails anodins. C’est pas sérieux mais c’est ça le fun. C’est mieux que de parler de la météo. Moi quand je rencontre quelqu’un, avant de lui dire que je fais un doctorat, j’aime mieux dire que je trippe sur le Canadien. Le hockey tu peux en parler avec quelqu’un de n’importe quel statut social. Au pire, la personne te dit que c’est un sport de cons. Pis elle a raison.

LD : C’est pas exagéré toute cette attention ?

MS : Ça reste qu’on est tous, à l’intérieur, le petit cul qui joue au hockey. Ici, dans Côte-des-Neiges, je trouve ça beau de voir des flos de pleins de nationalités. Un petit Indien qui échange des cartes de hockey avec un petit Chinois ça me rend heureux. D’un autre côté, les gens connaissent mieux l’actualité du Canadien que la politique. Le PQ vient de virer à droite : c’est grave. Les gens s’en fouttent. Le seul débat de société qu’on a c’est : Price ou Halak !


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