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Libre de penser ce que je dois pour le centenaire

Né d’un désir de donner une tribune aux Canadiens-français de façon indépendante, le Devoir célébrait ses 100 ans le 10 janvier dernier.

Le début du 20e siècle au Québec a été marqué par le controversé effort de guerre pendant le conflit dit des Boers et celui qui se préparait pour la première guerre mondiale. Les Canadiensfrançais, pas forcément emballés à l’idée de se battre pour l’empire britannique, revendiquaient de plus en plus leur droit de parole dans les débats qui les concernaient.

C’est dans ce contexte qu’Henri Bourrassa a ressenti le besoin de créer une tribune à laquelle s’exprimeraient ceux qui désiraient s’impliquer dans les débats d’idées du pays. Son journal allait donc avoir comme mission de défendre les droits des Canadiens-français et, littéralement, de se battre pour l’indépendance. Comme nous le rappelle Jean-Robert Sansfaçon, éditorialiste invité au Devoir et ex-rédacteur en chef, l’indépendance à l’époque était celle « du Canada par rapport à l’Angleterre et non du Québec par rapport au Canada ». L’indépendance, que prônait Henri Bourrassa, n’était pourtant pas seulement celle vis-à-vis du trône britannique, mais plutôt au sens large ; une indépendance des idées, libre de l’élite bourgeoise anglophone et des lignes de partis.

En ce qui a trait à la langue française et à l’écriture indépendante, notre propre journal francophone de McGill, Le Délit, en a aussi beaucoup à raconter. Même si « on ne peut pas mettre Le Délit sur un pied d’égalité avec Le Devoir, il y a certainement des parallèles à faire entre les deux journaux, particulièrement quant à la volonté de donner une plate-forme d’expression aux francophones » estime Stéphanie Dufresne, rédactrice en chef du Délit. Créé en 1977, en pleine crise linguistique, Le Délit a généré une véritable onde de choc, et ce, d’un océan à l’autre. En effet, CBC qualifiait la création d’un tel journal comme un « scandale national ». Aujourd’hui, Le Délit n’a plus à se battre au quotidien pour exister, mais il tente toujours d’être une voix pour la communauté francophone de McGill, québécoise ou non.

Le Devoir d’aujourd’hui…

Malgré les temps difficiles, en témoigne sa dernière crise financière en 1993, le journal Le Devoir est aujourd’hui non seulement toujours en vie, mais « fait des profits au moment où les autres comme La Presse et The Gazette ont fait des mises à pied » souligne M. Sansfaçon. Selon lui, l’indépendance de la publication, ses analyses approfondies et sa capacité à « être au diapason de la réalité » (les mots sont de Louise-Maude Rioux Soucy, journaliste à la section santé et services sociaux) explique sa bonne santé financière. Qui plus est, Le Devoir, qui tire près de 28 000 exemplaires en semaine et 45 000 pour l’édition de la fin de semaine, semble entretenir une « connexion » avec ses lecteurs. En effet, Louise-Maude Rioux Soucy parle de lui comme d’un journal qui voit ses lecteurs « comme des citoyens et non des consommateurs ». Pour Jean-Robert Sansfaçon, il s’agit d’une publication « solidement enracinée dans sa communauté ». Un atout qui expliquerait vraisemblablement la longue vie du quotidien.

Les 100 prochaines années

Avec Internet qui prend de plus en plus de place dans les habitudes d’information des citoyens, il est normal de se questionner quant à l’espérance de vie des journaux papiers. Bien que Le Devoir ait été un des premiers journaux à offrir une version numérique de sa publication, sa version papier est « encore prisée par ses lecteurs », nous confirme Jean-Robert Sansfaçon. Stéphanie Dufresne, elle-même abonnée, nous dit comment un journal papier est une merveilleuse occasion « de faire changement de notre ordinateur, si présent dans nos vies d’étudiants ». Le petit moment « café et Devoir » du samedi matin est donc un rituel que même la jeune génération a adopté. Voilà qui est de bon présage pour un journal qui est peu réputé pour attirer les jeunes lecteurs…

Mais Le Devoir a‑t-il vraiment de la difficulté à rejoindre ce public plus jeune ? « Cela manque de nuances », nous dit Louise- Maude Rioux Soucy. Elle ajoute que Le Devoir « a beaucoup de jeunes lecteurs, principalement des cégépiens et des universitaires, qui sont friands d’analyses et qui désirent jeter un regard plus serré sur la société ».

Reste donc à espérer que Le Devoir puisse continuer à « faire ce que doit » pour achever le combat qu’a mené Henri Bourrassa pour défendre les droits des francophones, et que Le Délit demeure une bonne école pour ce faire. Nous ne pouvons donc que souhaiter longue vie au Devoir… et au Délit !


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