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Éthique=Médias Corporatistes ?

Nos sociétés industrielles permettent aujourd’hui une circulation effrénée de l’information. Les pamphlets électoraux, quotidiens
indépendants et spéciaux de la semaine s’impriment et s’expriment, se déversent l’un dans l’autre dans un courant tempétueux et perpétuel. Les industries médiatique et publicitaire sont vassales du capital. L’éthique, quant à elle, s’impose comme compromis nécessaire pour repenser la publicité. 

Mangez de la pub et gardez l’éthique pour la fin

Du 26 au 31 janvier derniers s’est déroulée à Montréal La Semaine de la Publicité, l’occasion  de célébrer en grande pompe la rétrospective 50 ans de pub au Québec et de lancer le site Internet Montréal.ad. Cette nouvelle plateforme Internet espère devenir un nouvel outil de rayonnement pour l’industrie publicitaire québécoise en affirmant les compétences stratégiques et créatives qui la caractérisent et en positionnant les firmes de communication marketing sur la scène internationale. Au programme, une multitude de conférences sur les nouveaux outils et enjeux de la publicité, et notamment sur celui de l’intégration de la notion de « l’éthique » dans le contenu des messages publicitaires.

L’éthique propose une réflexion sur les comportements à adopter afin de rendre la société dans laquelle nous vivons et à laquelle nous participons tout simplement meilleure. C’est un des enjeux majeurs qui inspire déjà la publicité de demain. Son intégration dans le message publicitaire semble désormais incontournable, et se trouvait d’ailleurs au centre du débat lors d’une conférence présentée par M. John Della Costa, président du Centre d’Orientation Éthique [Center for Ethical Orientation].

M. Dalla Costa y exposait les conclusions de son étude In Trust : Ethics in Advertising, véritable enquête sur le rôle, de plus en plus crucial, que joue l’éthique au sein de l’industrie canadienne des communications marketing.

Avant sa présentation, M. Andrew Grenville, chef de la recherche pour la firme Angus Reid Strategies, présentait les résultats surprenants d’un sondage portant sur le regard des consommateurs sur la publicité. Ainsi, 52 p. cent des Canadiens pensent que « toutes les publicités déforment la vérité », alors que 69 p. cent pensent que « la publicité joue un rôle important dans la promotion de la conservation ou d’autres solutions à nos problèmes environnementaux ».

De cette étude, il est permis d’inférer que les Canadiens conçoivent la publicité à la fois comme un outil de communication divertissant et instructif et comme un instrument de  propagande, ennuyeux et mensonger.

Ne s’agit-il pas là d’une situation quelque peu paradoxale ? Si la confiance des gens envers les messages publicitaires est altérée, comment la publicité peut-elle espérer parvenir à influencer nos préférences et, ultimement, nous convaincre d’acheter ? Quels que soient les moyens de persuasion qu’elle utilise, il n’en reste pas moins que le but premier de la publicité commerciale est d’ordre mercantile.

Selon M. Dalla Costa, les publicitaires auraient tout à gagner à travailler sur la sincérité et sur la transparence en intégrant l’éthique à leurs discours. La notion de confiance est essentielle aux publicitaires. Elle est un argument de vente, par essence.  Ne pas inspirer la confiance reviendrait donc à terme à mettre en péril la crédibilité des publicitaires, des produits qu’ils défendent et des valeurs qui s’y rattachent.

Depuis quelques décennies, de nombreuses législations nationales préviennent les dérives potentielles de la « planète pub ». Les produits dangereux pour la santé, tels que le tabac, se voient refuser le privilège que représente l’annonce publicitaire. La règlementation protège également certaines catégories de personnes, comme les enfants, en prohibant notamment la publicité à caractère pornographique.

Toutefois, pour M. Dalla Costa, si certaines publicités canadiennes intègrent des valeurs éthiques dans leur message, elles le font en réponse aux exigences d’une norme juridique quelconque et non pas en fonction des besoins véritables des gens. Le Canada se retrouve ainsi dernier des vingt-six pays membres de l’OCDE à avoir précisé la valeur nutritive des aliments sur les emballages. Toujours selon M. Dalla Costa, les publicitaires canadiens ne cherchent pas à aller à la rencontre des besoins de leur clientèle cible. Ils ne représentent que les intérêts des compagnies pour lesquelles ils travaillent.

La cigarette qui donnait à nos acteurs un air plus intense, le grille-pain devant lequel la ménagère s’extasiait…Tous ces clichés, véritables fonds de commerce sur lesquels la pub s’appuyait autrefois, ont laissé place à la vision d’un autre monde : aujourd’hui, hommes et femmes sont à parité dans l’hyper-sexualisation des pubs, mais on ne saurait plus vendre une automobile sans en vanter les mérites écologiques !

M. Dalla Costa, ravi d’avoir été invité à Montréal pour parler d’un sujet qui l’anime d’une manière dont l’on n’est que rarement témoin, souligne cependant une légère différence entre l’univers de la pub du Canada anglophone et celui du Québec. Selon lui, les publicitaires québécois assurent un lien plus direct entre les besoins des compagnies et ceux de la société. Les publicités canadiennes se contentent, quant à elle, d’adapter les publicités américaines aux réalités, somme toute très similaires, du Canada anglais.

Pour lui, il faudrait que les publicitaires se concertent et soient convaincus de leur rôle dans la promotion d’un monde meilleur ou, à tout le moins, différent.

La publicité peut devenir un véritable instrument de promotion de valeurs éthiques, déontologiques, citoyennes, équitables, environnementales… Elle peut servir de stimulus à la société au lieu de se contenter d’en être le reflet. En ces temps où il semblerait que l’on en vienne progressivement à une évolution du paradigme selon lequel « money rules the world », une nouvelle manière de faire la publicité pourrait permettre de développer un autre regard, une autre vision du monde qui nous entoure. Parce que, après tout, la planète elle aussi « le vaut bien » !

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L’or. J’adore.

James McGilvray est professeur au Département de philosophie à l’Université McGill. Il est l’auteur du livre, Chomsky : Language, Mind, and Politics, et a publié plusieurs ouvrages ayant trait aux théories chomskyennes. Ses recherches s’articulent autour de la nature de l’esprit humain et de la philosophie du langage.

La linguistique est le point de départ de l’étude, pour le moins étendue, de Noam Chomsky. Il confère la capacité, comme le souligne le professeur McGilvray, « de penser et réfléchir, de communiquer avec ceux qui partagent une même langue et, par extension, de construire différentes stratégies de coopération. » De cette manière, le langage fournit les outils nécessaires à l’articulation d’institutions « qui nous aident et nous servent en satisfaisant nos besoins et nos intérêts », par le biais de gouvernements et de sociétés civiles. Il semble ainsi y avoir un lien, tacite à tout le moins, entre le langage et nos institutions démocratiques.

Des institutions inefficaces

Le problème avec les institutions démocratiques existantes, poursuit monsieur McGilvray, est qu’elles ne servent pas tout le monde. C’est dans le but de le montrer que Chomsky développe le « modèle de propagande ». Il stipule que l’industrie médiatique au cœur des véritables démocraties a pour mission d’émettre l’information nécessaire à la prise de toutes les décisions ayant trait aux intérêts individuels.  Or, les institutions qu’ont construites les « démocraties capitalistes » sont inefficaces,  dans la mesure où l’information diffusée n’arrive pas à servir les intérêts de ses destinataires puisqu’elle est notamment « filtrée, de travers [skewed] et, de cette manière, contrôlée. » Il soutient que « l’industrie médiatique répond aux intérêts des « élites » qui détiennent entre leurs mains les ressources et le pouvoir financier. » Il en va de la pérennité de leur hégémonie, essentiellement économique, de faire en sorte que leur autorité ne soit jamais défiée, ni remise en cause.

L’effet Pareto

L’analyse de la structure sociétaire à laquelle s’adonne le professeur McGilvray, fidèle aux théories de son homologue du Massachusetts Institute of Technology, parvient à ce constat : une large proportion de la richesse se retrouve entre les mains d’un faible pourcentage de la population. Les données semblent, en effet, coller aux « principes de la loi de Pareto ».

Le mandat des médias de masse, au sein d’une organisation semblable, est de célébrer l’organisation économique existante. Ce mandat se traduit par différents endoctrinements, à commencer par celui des 80 p. cent de la population que l’on n’a pas intérêt à voir jouer dans les plates-bandes politiques. La stratégie consiste à les distraire et à gonfler l’importance des questions qui désintéressent ceux qui se trouvent au sommet de la hiérarchie pyramidale économique. C’est dans ce but qu’ils font notamment exister les sitcoms populaires et le Super-Bowl. Le rôle des médias est également celui de leur faire croire qu’il est possible pour eux de s’articuler autour de causes substantielles et de faire en sorte que le vent souffle dans leurs voiles, même s’il en est généralement rien.  La création d’«illusions impératives [Necessary Illusions]» c’est ce que, entre autres choses, Noam Chomsky entend par ces moyens d’endoctrinement. C’est aussi le titre d’un des plus importants ouvrages de Chomsky, celui que le professeur McGilvray avait entre les mains au moment de l’entrevue.

Si le mandat de l’industrie médiatique implique effectivement, comme le suggère le modèle de propagande, d’assurer le statu quo en ce qui a trait à la concentration de l’autorité, des capitaux et du pouvoir, il est crucial de s’assurer que les 20 p. cent restants de la population y travaillent aussi. Ces 20 p. cent représentent « la classe politique », celle qui alimente les systèmes électoral et éducatif, et occupe des professions qui influencent , directement ou indirectement, la manière dont s’arrime le système politique démocratique : bref, ceux qui s’intéressent et travaillent à l’agenda politique national. Il peut sembler plus délicat de les convaincre d’assurer leur collaboration en ce qui a trait à l’engrenage de l’appareil politique. Pourtant, au contraire, en s’assurant qu’ils profitent aussi du système, quoique de façon moins substantielle que les 1 ou 2 p. cent les mieux nantis, ces derniers peuvent généralement compter sur leurs collaboration. Par exemple, souligne M. McGilvray, les journalistes qui occupent des postes confortables n’ont pas intérêt à remettre en question la légitimité de la mission lucrative de la corporation pour laquelle ils travaillent. Ainsi l’industrie reproduit-elle précisément le modèle de propagande.

Omniprésence de la publicité

L’industrie publicitaire est un exemple criant de ce qxwu’occasionne le modèle de Chomsky. « Elle a toujours existé », assure M. McGilvray, mais il est permis de croire qu’elle est utilisée à mauvais escient sous le présent régime capitaliste. La capacité de produire des manufactures ayant crû de manière exponentielle au cours des derniers siècles, il était dans l’intérêt des décideurs de développer en parallèle les marchés. Il s’agit donc de faire croire à la majorité de la population que « la meilleure attitude réside dans la consommation massive de biens et de services ».

Des alternatives, s’il-vous-plaît !

Il ne s’agit ni pour Noam Chomsky ni pour James McGilvray de discréditer les régimes démocratiques, mais plutôt de s’assurer qu’ils fonctionnent de manière à garantir la réalisation de buts déjà maintes fois explicités : servir les intérêts de tous les citoyens, et non pas exclusivement ceux de l’infime portion de la population, investie de pouvoirs et de ressources. Il s’agit de rendre l’État garant d’une diffusion d’informations qui assure la rationalité des prises de décisions économiques et politiques, et ce, pour la totalité de la population.

Au XIXe siècle, quelques-uns des journaux les plus « illustres et progressifs » ont vu le jour au sein d’organisations de travailleurs, du textile notamment. L’exercice, qu’ils  faisaient « par et pour eux-mêmes », n’est pas sans lien avec leur gain de pouvoir au sein de leur organisation professionnelle. En veillant à leurs propres intérêts, il va sans dire qu’ils représentaient une menace pour l’ordre établi qui agit contre eux. Les médias alternatifs sont-ils alors une solution valable ? « Assurément. Une parmi un large éventail. » Monsieur McGilvray propose les pages électroniques, notamment celles qui offrent un système de blogs, et les journaux indépendants. Le « Z Magazin » chez nos voisins du Sud en est un exemple notable. Les journaux tenus par les étudiants universitaires, un autre qu’il énonce au passage. « Pourtant, prévient-il, les mêmes problèmes se posent s’ils sont tributaires des revenus que représentent l’université, ou des annonces publicitaires. » Puisqu’ils sont indispensables dans de nombreux cas, l’empire corporatiste ne sera pas facilement contourné.

Pour en savoir plus
N. Chomsky. Necessary Illusions. South End Press, 1989, 422 pages.
Manufacturing Consent : Noam Chomsky and the Media. Documentaire réalisé par M. Achbar et P. Wintonick, 167 minutes.


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