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Pâquerettes et sémantique

Il est de bon ton de suivre une campagne électorale,  d’en agrémenter les conversations, d’ordinaire un peu lasses, de nos repas de famille dominicaux, et d’en alimenter cette voie de communication privilégiée qu’est Facebook en bombardant d’hyperliens les news feed d’âmes paisibles qui se désintéressent de la cause citoyenne. Ce délicieux divertissement qu’est la joute politique a du moins le mérite de nous offrir un condensé de ce qui se fait de mieux dans le répertoire de l’embrouille politicarde. Car c’est sous la lumière modérément flatteuse que jette sur elles la nécessité d’attirer le citoyen dans leurs urnes, que se dessinent, entre les lignes des programmes imprécis, les lacunes des équipes qui jouent leurs sièges.

Il plane sur cette élection le sentiment quelque peu blasé d’une campagne « au ras des pâquerettes », sans grand intérêt, et qui pâlit devant celle que viennent de vivre nos voisins américains. Couverte à la légère par les médias, et traitée avec guère plus d’envergure par les candidats eux-mêmes, l’élection provinciale est d’un ennui qui en soi fait l’objet de discours médiatiques. C’est pourquoi, en complément de notre dossier, il semblait qu’un petit survol de la sémantique élusive des plateformes pourrait s’avérer divertissant.

Le Parti libéral du Québec, dont le Délit n’a guère pu recueillir les commentaires pour son dossier, accorde une brève section de sa plateforme à l’éducation postsecondaire, en des termes qui entretiennent un flou artistique. Il est question d’«augmenter le nombre de professeurs dans les universités », mais nous ne saurons pas comment. Il est aussi impératif de « développer une expertise de calibre mondial » et de recruter « des professeurs de calibre international ». À ce rythme, c’est à se demander si les libéraux ne sont pas plutôt enclins à se calibrer une balle dans le pied, car on reste sur notre faim devant un argumentaire aussi vague. La cerise arrive en dernier point : « Nous allons continuer d’indexer les principaux paramètres du régime d’aide financière aux études. » Ce propos, joliment incomplet, nous laisse le soin de trouver quels sont ces principaux paramètres, à quoi on les indexe, et pourquoi on n’a pas envie de nous en conter plus.

Pauline est un peu plus claire sur ce point et nous indexera l’aide financière au coût de la vie. Pour faciliter l’accès aux études supérieures, les péquistes écrivent vouloir « réinvestir de façon significative dans l’enseignement supérieur ». Pauline aurait été mal inspirée de nous dire à quoi s’élève le montant « significatif », car on pourrait un jour avoir le mauvais goût de lui demander des comptes. Du reste, il est vrai qu’en ne promettant rien, on ne s’engage à rien. Le reste de la plateforme a toutefois le mérite d’être plus détaillé. On nous annonce cependant un gel des frais de scolarité, mais seulement « jusqu’à la tenue » d’un sommet québécois sur le financement des études postsecondaires. Vraisemblablement, après, on verra.

L’Action démocratique du Québec (ADQ) qui nous livre une plateforme de non moins de 171 pages où elle martèle la nécessité d’autonomie, élabore peu sur son désir de « libérer les universités du carcan étatique ». S’ensuit un paragraphe concis  ou se côtoient une série de mots clés —flexibilité, concurrence, avant-garde, responsabilisation—joints les uns aux autres pour faire une phrase complète. Concrètement, rien.

Le Parti vert souhaite quant à lui investir 700 millions en éducation, et le texte dit ceci : « Encore faut-il les investir au bon endroit. » Mais encore faudrait-il informer le lecteur de l’emplacement de ce « bon endroit ». Sans cela, notre imagination nous le dira. Québec Solidaire n’est pas bien plus clair lorsqu’il écrit vouloir « réaliser la gratuité scolaire » en commençant par « éliminer les frais de scolarité ». Le texte nous dit, en d’autres termes, que Québec Solidaire veut atteindre la gratuité scolaire en atteignant la gratuité scolaire. Concrètement, des pâquerettes…


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