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Quand s’unissent le glauque et le ludique

Du 30 septembre au 18 octobre 2008, la Caserne Létourneux reçoit la troupe du Théâtre des Ventrebleus, qui reprend la pièce qu’elle avait présentée deux ans plus tôt. Ayant, à cette époque, ravi critiques et public, la pièce Poe, écrite et mise en scène par Jean-Guy Legault, plaît toujours autant, sans qu’il soit cependant tout à fait possible de clamer sa perfection.

La pièce s’ouvre sur un décor sobre mais bien pensé, qui représente à la fois Central Park et le musée Edgar Allan Poe. Vicky Lafurcale, interprétée par Geneviève Bélisle, se trouve emmurée. Son monologue, donnant le coup d’envoi à cette pièce, laisse perplexe quant à la suite des choses. Sans savoir si la faute va au jeu de la comédienne ou encore aux directives du metteur en scène, sa première réplique manque de vigueur et sonne faux. L’impeccable prononciation de l’emmurée dérange, la rend trop peu authentique. Son discours est truffé de citations de Poe qui brisent son rythme déjà vacillant. Heureusement, ce monologue est rapidement interrompu par un changement de scène dynamique. Le ton de Geneviève Bélisle s’ajuste, et  elle le gardera pour le reste de la pièce.

Passé les premiers moments, on apprend que Vicky Lafurcale travaille comme guide au musée Edgar Allan Poe. Alors que Manhattan s’est dépeuplé, plusieurs personnages tirés de diverses nouvelles de Poe la visitent, lui font la conversation, la poursuivent, la hantent. Stéphane Breton incarne un écrivain qui voit en la souffrance de l’agonie un moment d’écriture ultime. Éloi Cousineau, quant à lui, interprète tour à tour le mari de Vicky, quelques inspecteurs, William Wilson et un noyé souffrant d’«hypercompassion ». Évelyne de la Chenelière, pour sa part, joue les rôles d’une aristocrate décédée tragiquement ainsi que d’une ancêtre française de Vicky. Tous ces personnages qui « à force de mourir […] fini[ssent] par bien le faire » connaissent une partie de l’énigme que Vicky doit résoudre pour comprendre son propre meurtre.

Cousineau, Breton et De la Chenelière livrent réellement une performance à en couper le souffle. Leur jeu est sans faille et remarquablement juste. Chacun des personnages qu’ils incarnent a sa personnalité propre, qu’ils réussissent à rendre vivante et attachante. À côté d’eux, Geneviève Bélisle ne fait pas toujours le poids. Elle passe souvent à côté de l’émotion juste en optant soit pour une neutralité trop fade, soit pour une hystérie démesurée.
La scénographie de Jasmine Catudal, pour sa part, est tout à fait adéquate, tout comme les éclairages. Elle est dosée et exacte, mais, de surcroît, elle peut être franchement impressionnante quand l’espace qui lui est réservé prend de l’expansion.

Bien que la pièce soit somme toute réussie, l’humour de Jean-Guy Legault peut parfois déranger. Si les jeux de mots sont souvent appropriés, la vulgarité et les insultes gratuites le sont moins. Ses blagues attaquant les Américains sont de mauvais goût, surtout dans une pièce prenant place à New York et s’inspirant de la vie et de l’œuvre d’un auteur américain. Ce manque de cohérence fait décrocher le spectateur et nuit totalement à la trame narrative. Heureusement, Legault s’en tient à un échange de propos assez succinct. Cependant, il aurait été possible, et même souhaitable, de s’abstenir.

L’intrigue de Poe est bien ficelée et l’organisation des intertextes est créative et personnalisée. Le dénouement final est quant à lui nébuleux et continue, même après la représentation, à hanter le spectateur qui doit revisiter et décortiquer chaque tableau dans l’espoir de mieux comprendre. La pièce présente une série de mises en abyme dont il est difficile de sortir. Toutefois, l’expérience est agréable et vaut le coup !


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