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Mats Sundin et les poivrons

Rebecca est une Montréalaise de Toronto. Arrivée il y a trois ans pour son bac, elle arpente désormais les rues de notre belle métropole les yeux fermés, traverse au feu rouge sans se soucier de la jungle automobile du centre-ville et suit certainement en secret les performances de nos Canadiens. Une vraie pure laine, en fait.

Mais que les plus puérils de mes concitoyens lissent calmement leurs poils de jambes dressés d’horreur. L’attribution du statut de Montréalais à une voisine de notre éternelle ville rivale n’a rien de blasphématoire. Tant que Mats Sundin ne chante pas le Go Habs Go avec son hideux sourire édenté, il n’y a pas de quoi téléphoner à sa mère, comme on dit.

Donc, voilà, le temps d’un café petit format, une crème deux sucres, je suis un étudiant en échange, fraîchement débarqué coin McGill et Sherbrooke et assoiffé de découvertes. Rebecca, elle, est priée de jouer la citoyenne de Montréal, qu’elle décrit à la fois « chic, tendance et hippie. » Ma chère collègue semble bien maîtriser son sujet. Mon chauvinisme en ronronne déjà de plaisir.

Mise au fait du sujet de la discussion à la dernière minute, Rebecca roule trois fois des yeux et se gratte furtivement le menton lorsque je lui demande de me vendre son endroit préféré à Montréal. Puis, un éclair jaillit dans son esprit et traverse alors son regard. « Le marché Atwater ! », s’exclame-t-elle, sourire de satisfaction en coin, fière de sa trouvaille.

Je suis perplexe. En bon spécimen mâle urbain que je suis, j’ai du mal à imaginer comment un bête rayon de légumes de supermarché, version extérieure, mériterait sa place dans le « top 10 » étudiant des bons plans montréalais. Enfin, en grand professionnel, je reste de glace et adopte l’air curieux et vaguement intéressé du parfait néophyte montréalais.

Comme pour répondre du tac au tac à mes a priori silencieux, Rebecca me précise que son amour de marché n’a rien du rayon poivrons-concombres du Maxi du coin. « C’est un marché à ciel ouvert, planté au bord d’un canal au cœur d’un îlot de verdure urbain, et on y trouve des produits frais comme nulle part ailleurs ! En plus, il symbolise la double personnalité montréalaise. On y croise le chic des jeunes professionnels et l’attitude relax des étudiants. » Elle me le répétera trois fois plutôt qu’une, le marché Atwater est à l’image d’un Montréal « a‑c-c-e-s-s-i-b-l‑e ! »

Bon, je ne suis pas encore conquis. Mon air dubitatif m’ayant certainement trahi, Rebecca s’empresse de me vanter les magnifiques couleurs du marché, dont elle se régale pratiquement toutes les fins de semaine ensoleillées. Mon cœur de pierre ne bronche pas.

Sentant l’importance de l’opération, mon interlocutrice s’emballe. Elle me parle de fleurs, de pique-niques au bord du canal, d’une pizzeria extraordinaire. « Des pizzas, vraiment ? » Rebecca plonge dans l’ouverture. « La meilleeeeure pizza que j’ai mangée de ma vie ! » Les yeux brillants et l’eau à la bouche, je demande des précisions sur un ton qui dissimule mal mon excitation. « Montréal a beaucoup de bonnes pizzerias, je le sais, ajoute-t-elle. Mais celle-là, c’est ma préférée, et de loin ! » Un mélange fleurs-canal-pizza, « Real good ! J’aime, j’adore ! », s’exclame-t-elle.

Cette fois, c’est échec et mat. Je suis déclaré vaincu et inscris à mon agenda un samedi fleurs et pizza. Il ne manquait plus qu’elle entonne le Go Habs Go et toutes mes fins de semaine du semestre auraient été bookées.


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