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Flou non villageois

Il est de bon ton, avant de se lancer dans un sujet et de perdre son lecteur dans les méandres d’un bavardage obscur ou frivole, de définir son sujet. La ville en est un vaste. Grandes villes, petites villes, villes nouvelles, villes poubelles… il est déjà difficile de mener un discours sensé sur un sujet propre et frais comme le yogourt ; qu’en serait-il pour cette chose insalubre et emberlificotée qu’est une ville ? La tâche est d’autant plus difficile pour celui dont les pieds ont rarement foulé terres agrestes et frais pâturages. On est tenté de se dire que quiconque a toujours été un urbain, un pur, un vrai, serait bien en peine de vous définir ce qui fait de lui un être « urbain ». Sans mentionner l’angoisse qu’inspirent aux citadins les paysages bucoliques où font défaut l’asphalte, les moteurs et le Starbucks du coin.

Comme je suis de ceux-là, je me lance dans une petite recherche, me disant qu’il suffit de mettre le mot entre les mains de Google pour être instruite de la chose. Nenni. Mes deux premières trouvailles prêtent à confusion. La première est la page Wikipédia consacrée à l’étalement urbain. Inutile de préciser le côté troublant de ce résultat, puisqu’il s’agit d’un phénomène destructeur d’urbanité que véritablement urbain. La deuxième page à apparaître est celle d’un fabricant de mobilier soi-disant urbain, dont les produits relèvent plus de l’ameublement de jardin qu’autre chose. À l’évidence, le concept est mal défini.

« Tape donc ‘ville’», me direz-vous ! Aussitôt dit, aussitôt fait, et c’est avec une lueur d’espoir que je tombe sur la définition, toujours par Wikipédia (car le savoir public est précieux), du mot « ville » : « Une ville est une unité urbaine étendue et fortement peuplée (par opposition aux villages)». Eh bien ! Nous voilà éclairés. Une ville est définie par ce qu’elle n’est pas, le village (mais le village alors, c’est quoi ? –c’est pas une ville. –ah!).  Surtout, elle est un fabuleux pléonasme. Car, de fait, si une ville est une entité urbaine, c’est qu’une ville est une entité de ville ! Judicieux. Me voilà prête à écrire une chronique urbaine. Ou pas.

Pour faire simple, une ville réussie, grande ou petite, belle ou pas, ça vous prend aux tripes. Une banlieue pas. Même le très bétonné et inhumain boulevard René-Lévesque doit, chez n’importe quel individu sain d’esprit, inspirer plus de surprise que les rues sans trottoirs et les maisons identiques de Pierrefonds. Laissons-nous aller à un petit plaisir et jargonnons dans la joie : la ville est un écosystème dominé par l’homme. Ça veut dire, grosso modo, que si un jour vos pas vous mènent dans un lieu où il y a plus de moutons que d’habitants et plus de foin que de béton, votre intuition vous dira poliment que vous êtes en pleine cambrousse, et vous la croirez.

La ville est objet de fascination. Les urbanistes la scrutent comme un objet scientifique. Une ville se planifie, avec des professionnels de la ville, des spécialistes dont le prétendu génie est difficile à gober lorsqu’on regarde la première version de l’échangeur des Pins (et la seconde). Les artistes l’arpentent, la capturent, sur n’importe quel support, dans ses divers états, avec la même ardeur qui jadis inspirait (pour des raisons obscures) un peintre devant des nymphéas ou des étendues de blé. McGill a suivi la tendance en ouvrant l’année dernière son premier programme de design urbain, domaine dont les contours sont encore plus flous que ceux de l’urbaniste, coincé entre l’ingénieur et le politicien, l’architecte et l’investisseur. Et nous, citadins, nous la vivons, nous nous en plaignons, nous l’exaltons.

Pour résumer ce cheminement, cette chronique est désormais destinée à parler de la ville, qui est quelque chose d’urbain (une ville, quoi), qui n’est donc pas un village, où il y a beaucoup de gens et qui peut être un objet artistique, administratif, politique, planifié, négligé, et souvent fascinant. À suivre.


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