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Rencontrer l’ailleurs

Le voyage nous enseigne autant qu’il implique une part de renoncement.


Différents motifs poussent les hommes à franchir les frontières de leur pays natal : la réussite économique, l’ouverture à l’autre, ou encore simplement l’accomplissement d’un rêve. Qu’ils soient contraints par des évènements ou qu’ils le fassent par choix, ils découvrent autant qu’ils abandonnent une partie d’eux-mêmes lors de chaque voyage.

 

Voyager pour s’évader

Alors que la technique se développe et démocratise les transports, le voyage se fait de plus en plus accessible. Le nombre de déplacements à l’échelle mondiale a doublé dans les 40 dernières années.Parmi ces flux humains, 1 milliard d’entre eux sont motivés par des intentions touristiques. Qui n’a jamais songé à des paysages où n’éclosent que rareté et exotisme ? Des cadres teintés de rose et d’or nous sont aujourd’hui vendus comme des icônes, retouchés en coulisses à l’ordinateur. Nous dépeignant des horizons infinis, les agences de voyage fleurissent.

Il y a, c’est sûr, une idéalisation de ce qui nous est inaccessible. « N’importe où hors du monde » est là où aimerait se trouver Baudelaire, lui bel et bien désillusionné. Le réel voyage serait, en un sens, la vision que nous nous en faisons. Cet attrait mystique d’autres contrées lointaines est peut être en réalité une illusion : nous ne les cherchons pas pour elles-mêmes mais c’est l’évasion qui est une fin en soi.

 

À la rencontre de l’autre

Pourtant derrière ce mirage, il y a dans l’expérience du voyage aussi une rétribution sur le plan humain. Aller au-delà de son paysage quotidien, c’est s’affranchir des limites qui nous sont posées par le cloisonnement de nos habitudes. « J’ai rencontré à l’île d’Orléans (Québec) un adolescent de mon âge qui a arrêté d’aller en cours bien avant l’université. C’est l’une des personnes les plus cultivées et intéressantes avec qui j’aie jamais parlé. De l’auberge qu’il gère j’ai dû marcher 45 minutes pour arriver au supermarché le plus proche. Il n’y a pas de restaurant dans les environs », témoigne Eva, étudiante à McGill.

Sortir du système de pensée formaté de nos métropoles, d’un parcours académique qui s’impose à nous par culture presque comme une obligation, c’est alors découvrir qu’il y a un univers hors du nôtre. Dans ce dernier il est bon de se perdre pour mieux s’y retrouver. « J’ai passé un mois dans un orphelinat au Vietnam. Je ne parlais pas la langue. On communiquait comme on pouvait. J’y ai redécouvert ma patience », raconte Marie-Alix. Voyager, c’est aussi échapper à soi-même et remettre en question notre rapport à l’humain. C’est libérer notre regard et du même coup réduire la distance qui nous sépare des autres.

L’abandon nécessaire

Conscient de cette réalité, de plus en plus nombreux sont ceux qui refusent de continuer à fouler la terre de leur région natale. À ce jour, plus de 210 millions d’êtres humains, ‑soit 3% de la population mondiale- résident hors de leur lieu de naissance. Parmi eux, une minorité d’étudiants. « Je viens d’une petite ville. Tout le monde y connaît tout le monde. Ça devenait étouffant », confie Julia, une étudiante de la faculté de Gestion.

Plus de 20% des élèves de McGill proviennent d’un autre territoire que le Québec, et parmi ceux nés dans la région, 25,5% sont d’un autre endroit que Montréal. Du Québec, beaucoup sont venus chercher un cadre éducatif à la renommée mondiale. Du reste, nombreux cherchent un tremplin international. « McGill, c’est le juste compromis entre un modèle américain, bilingue, ouvert sur l’international, avec, dans la ville de Montréal, la possibilité de continuer à parler et écrire en français », confie Hugo, venu de Paris. Étudier à l’étranger peut être une façon de mieux réussir, donc, en se confrontant à de nouveaux horizons.

L’étudiant abandonne aussi une partie de sa personne en quittant le domicile familial. L’attachement s’amplifie de manière rétrospective. Nous sommes alors plus enclins à chérir le confort du foyer quitté. C’est un candide déracinement que celui de l’étudiant, mais il implique de réels enjeux personnels. Parfois, par ambition, nous tournons le dos à un être particulièrement cher et malgré les réseaux sociaux, les Skype, Facebook, Twitter, Whatsapp, Viber et Facetime, il est impossible de combler par un contact immatériel le vide spatial qui laisse place à un creux sentimental. Chacun laisse loin de lui un proche avec un brin d’amertume.

 

Partir pour vivre

Pour beaucoup, par ailleurs, l’exil est forcé par des réalités géo-politiques. En effet, plus d’un dixième des 210 millions mentionnés plus haut sont des réfugiés, qui fuient de chez eux les guerres ou les répressions politiques. Près des deux-tiers d’entre eux partent vers des pays disposant de meilleurs moyens économiques, que ce soit de l’Égypte au Qatar, ou encore en direction de l’Europe. Ceux-là sont arrachés à leur culture, à leur famille et à leur patrie.


« Ne reviens jamais », dit sa mère à l’auteure et cinéaste iranienne Marjane Satrapi dans Persepolis, « l’Iran n’est pas pour toi. » Le public entend ces mots avec un amer pressentiment, après avoir vu l’héroïne du film dépérir en Autriche, perdue sans ses attaches culturelles. La marginalisation, la stigmatisation, et les douleurs qui en résultent sont indéniablement liées, elles aussi, à la mobilité humaine.

L’individu alors tangue à la croisée des chemins qu’il trace. Cette instabilité humaine engage la notion même d’identité. Nous portons nos empreintes génétiques et généalogiques, certes. Mais restent nos origines sociales, culturelles, et familiales. C’est la remise en question de celles-ci qu’engagent nos aventures.


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