Le Délit https://www.delitfrancais.com/ Le seul journal francophone de l'Université McGill Sat, 13 Apr 2024 23:27:43 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.4.4 Superposition multiculturelle https://www.delitfrancais.com/2024/03/27/superposition-multiculturelle/ Wed, 27 Mar 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55394 Hybrid Condition par Tam Khoa Vu au centre MAI.

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Dès que le visiteur pénètre dans la salle de l’exposition du MAI (Montréal, arts interculturels), il est immédiatement plongé dans l’obscurité, accueilli par une odeur d’encens, une musique entraînante et un imposant cube lumineux au centre de la pièce. Cette première exposition individuelle de l’artiste Tam Khoa
Vu, basé à Tio’tia:ke/Montréal, explore de manière saisissante l’hybridité culturelle vietnamo-canadienne à travers une installation unique. L’artiste cherche à mettre en lumière les images qui évoquent les identités et la diaspora vietnamiennes, permettant ainsi une plongée dans les racines culturelles et ethniques des identités nationales pour remettre en question l’hégémonie occidentale et son impact sur le Vietnam, ses habitants et l’identité vietnamo-canadienne. Cela l’amène à naviguer dans un « tiers espace » entre le Vietnam et le Canada.

« Nous sommes absorbés par le cube, mais les vidéos elles-mêmes essaient d’en sortir et occupent l’espace au complet »

L’installation se présente sous forme d’un cube sur lequel sont projetées diverses vidéos. Ce cube est réalisé dans un tissu transparent, qui permet une projection nette des images, mais également une superposition de chacune de ses faces. Nous sommes invités à l’observer sous tous ses angles.

La première face, celle par laquelle nous sommes accueillis dès l’entrée, est chaotique. C’est une superposition de clips tirés des réseaux sociaux, notamment Instagram, qui représente l’identité vietnamienne (et asiatique en
général) à travers Internet. Les vidéos s’enchaînent très rapidement, nous sommes absorbés par ces images. La plupart ont pour but de nous faire rire. C’est une vision certes positive de la culture asiatique, mais pourtant, pas réellement représentative. Bien que les vidéos soient réalisées par la communauté elle-même, elles ne reflètent qu’un aspect divertissant et humoristique du Vietnam.

La deuxième face entre directement en contraste avec la première. Les vidéos sont cette fois-ci tirées majoritairement de films et de séries occidentales qui représentent les asiatiques sous un regard « blanc ». Les extraits sont profondément racistes et stéréotypés. Il y a également de nombreuses vidéos provenant de films américains, qui mettent en scène la guerre du Vietnam. Nous voyons le pays se faire injustement bombarder tandis qu’un épisode des Simpsons, dans lequel un personnage laotien se fait humilier, est projeté juste à côté. C’est la seule face du cube qui est accompagnée d’une bande sonore, nous permettant d’entendre les acteurs et leurs commentaires racistes. Cela a pour effet de nous attirer vers cette face et d’être confronté à la réalité que vit Tam Khoa Vu en tant qu’immigrant vietnamien.

Les deux autres faces présentent des scènes du Vietnam sous deux angles différents. Les vidéos sont beaucoup plus lentes et calmes. La troisième face présente des moments en famille et des scènes du quotidien vietnamien. La vidéo d’une trentaine de minutes est la plus longue, elle nous invite à prendre le temps de la regarder. C’est touchant, accueillant et intime. On pénètre dans des instants doux, réalistes de la vie au Vietnam. Cette face représente les racines de l’artiste et un retour aux traditions. Elle est directement superposée avec les vidéos racistes ou stéréotypées, à la fois par le montage et par la transparence du cube, permettant une représentation intéressante de la « condition hybride » de Vu. Enfin, la dernière face représente elle aussi le Vietnam, mais d’une façon idéalisée, romancée. Ce sont des images de drônes survolant les rizières et la côte vietnamienne. Bien que
ces vidéos soient belles à regarder, ce n’est que l’idée que s’en font la plupart des occidentaux.

Dans une seconde salle, se trouve une sculpture réalisée par Nguyen Vu Tru et Dennis Nguyen du collectif d’art VUTRU. Cette sculpture, mise en valeur sous un éclairage rouge, est un autel traditionnel composé d’un miroir, d’un cadre en bois orange et de deux pots dans lesquels des grains de riz permettent de maintenir des bâtons d’encens qui brûlent doucement. Tam Khoa Vu a voulu, à travers son exposition personnelle, donner l’opportunité à ces deux jeunes artistes de présenter leur création, qui elle-aussi, est un hommage à la culture vietnamienne. L’inspiration principale (qui explique notamment la couleur orange utilisée) vient des baumes et des huiles Siang pure, des remèdes à base de plantes populaires en Asie. Cet autel est volontairement placé juste au-dessus d’une fontaine à eau, mise à la disposition des visiteurs. Ainsi, ces derniers sont forcés de se pencher pour boire, tout comme certaines personnes le feraient lors de prières. Inconsciemment, par le simple fait de boire, nous faisons preuve de respect et reproduisons des rituels religieux.

Dominika Grand’Maison | Le Délit

« Le cube attire et rejette. Le cube choque et apaise. Le cube est chaos, peu importe l’angle, peu importe la face
que l’on regarde. Le cube est une représentation d’une condition hybride »

L’exposition est particulièrement réfléchie. Différents endroits pour s’assoir sont prévus : des fauteuils au sol, un banc peint en jaune et blanc (symbole de ce mélange d’identités), et même des tabourets en plastique rouge que l’on retrouve notamment dans des scènes de street food au Vietnam. Ainsi, nous sommes invités à observer le cube sous tous ses angles. Chaque façon de s’asseoir nous offre une perspective différente sur l’installation. Cette
idée de perspective est importante pour comprendre le message de l’artiste et son hybridité culturelle. Des poutres en béton se dressent d’ailleurs à travers la pièce, nous forçant à se rapprocher, à tourner autour du cube
et à mieux le regarder. Le choix d’avoir positionné le cube avec un angle et non une surface plane dès que l’on pénètre la pièce a aussi pour but de créer cette impression de chaos et d’ajouter à la superposition. Enfin, les images semblent sortir de la boîte, car les couleurs sont projetées au sol et sur les poutres. Nous sommes absorbés par le cube, mais les vidéos elles-mêmes essaient d’en sortir et occupent l’espace au complet. C’est la réalité que vit un immigrant asiatique au Canada : simultanément accepté et rejeté. L’exposition a pour but d’être un endroit sûr, un refuge pour chaque immigrant asiatique, qui peut entrevoir son expérience à travers celle de Vu. C’est
presque comme si l’espace était conçu pour rendre inconfortable les personnes blanches, forçant ces dernières à se mettre dans la peau d’un asiatique constamment exclu au sein d’une communauté canadienne. Le cube attire et rejette. Le cube choque et apaise. Le cube est chaos, peu importe l’angle, peu importe la face que l’on regarde. Le cube est une représentation d’une condition hybride.

L’exposition est présentée jusqu’au 30 mars à MAI (Montréal, arts interculturels) au 3680 rue Jeanne-Mance. L’entrée est gratuite.

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Dans la tête d’une écolo https://www.delitfrancais.com/2024/03/27/dans-la-tete-dune-ecolo/ Wed, 27 Mar 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55389 Réflexions personnelles quotidiennes et prise de liberté.

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7h30 : mon réveil sonne. Il annonce le début d’une nouvelle journée sur cette planète où nombreux sont ceux
qui mènent un rythme de vie effréné. Dans la rue, tout le monde se presse pour se rendre à son lieu de travail, à l’école… Sur la route, voilà déjà les klaxons qui s’emballent à l’heure de pointe, produisant un véritable tintamarre de si bon matin. Et si nous ralentissions un peu la cadence, et réclamions le silence? Serait-ce possible d’obtenir une trêve de quelques instants pour aller à contre-courant d’une société dont chaque atome aspire à toujours plus?

Bienvenue dans la tête d’une écolo en herbe, qui, loin de prétendre mener une vie vertueuse, cherche du mieux qu’elle peut à vivre plus simplement. Laissez-moi vous permettre de naviguer le long du fil tortueux de mes pensées. Surtout ne cherchez pas de structure logique à cet article : il n’y en a pas. Après tout, s’affranchir des règles, c’est la première étape pour repenser tout un système. Et puis, qui a le pouvoir de contrôler ses pensées?

En me promenant dans la rue, je prends le temps d’observer l’environnement qui m’entoure : les débris de la dernière neige d’un hiver exceptionnellement chaud, les poubelles pleines à craquer qui débordent de déchets, au
point où elles se mettent à les cracher sur les trottoirs et la chaussée, les fumées grises des pots d’échappement des voitures qui grondent d’impatience, reflétant la frustration de leurs conducteurs ; mais aussi le chant des oiseaux qui virevoltent au-dessus des habitations, ou encore une brise d’air frais qui fait frémir les narines et nous fait nous sentir vivant.

On imagine souvent que les écologistes sont des personnes tourmentées dans leur quotidien, qu’ils vivent une vie de moine et font des sacrifices tous les jours. Mais plutôt que de parler de sacrifices, ce sont des changements d’habitude. Il existe des substituts à tout, et ils ne sont pas moins attrayants. C’est même souvent plus facile d’être écolo pour les prises de décision du quotidien, en suivant la doctrine de toujours faire le choix le plus éco-responsable. Et puis, il y a moins de rangement à faire quand on n’accumule pas plein de babioles au fond des placards!

« Être responsable implique un devoir d’agir pour répondre au problème auquel on fait face, tout en partageant une part de culpabilité »

Avez-vous déjà entendu parler du concept suédois de lagom? Il provient d’une tradition viking qui consiste à se passer autour d’une table une chope de bière, qui contient « juste la quantité suffisante pour que chacun puisse en avoir un peu ». Il signifie : « Ni trop, ni trop peu. » Le penseur grec Épicure suggérait déjà dans l’Antiquité qu’il fallait se contenter de peu pour être heureux. Quels beaux principes sur lesquels fonder une nouvelle ère écologique! Ce serait vous mentir, que de ne pas avouer ressentir à certains moment de la culpabilité, voire parfois même de l’éco-anxiété – ce sentiment d’appréhension causé par la menace environnementale. Vous souvenez-vous de ce jour de février où il faisait si chaud que tous les montréalais flânaient en t‑shirts dans la rue? J’en ai encore la chair de poule. Pourtant, après y avoir beaucoup réfléchi, j’ai compris que la culpabilité est un sentiment qu’il est nécessaire de dépasser. Culpabiliser, c’est s’appitoyer sur son sort, et rester passif face à un sentiment d’impuissance, car on se sent confronté à un problème bien plus grand que soi. Il faut plutôt se sentir responsable, car être responsable implique un devoir d’agir pour répondre au problème auquel on fait face, tout en partageant une part de culpabilité. Ce n’est que trop facile de dire que l’on ne peut rien faire parce que c’est le système qui va mal. Puisqu’on y participe, nous avons une responsabilité collective de faire bouger les choses.

J’espère avoir réussi à vous offrir un espace tranquille, pour que vous puissiez, comme moi, vous questionner, laisser vagabonder votre esprit le temps d’un article, et peut-être vous avoir convaincu qu’il n’est jamais trop tard pour passer à l’action.

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Feux de forêt au Québec https://www.delitfrancais.com/2024/03/27/feux-de-foret-au-quebec/ Wed, 27 Mar 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55383 La Société de protection des forêts contre le feu prépare l’été 2024.

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En 2023, le Québec a connu un malheureux record en ce qui concerne les feux de forêt, avec 4,3 millions d’hectares brûlés sur le territoire. Cette saison marquée par la sécheresse a nécessité des efforts disproportionnés de la part de la Société de protection des forêts contre le feu (SOPFEU) et de l’aide internationale, afin de limiter les dégâts. À quoi peut-on s’attendre en 2024?

2023 était une exception

Karine Pelletier, porte-parole de la SOPFEU, souligne l’une des raisons pour lesquelles la saison 2023 de feux de forêt a été d’une intensité jamais vue auparavant : « Après une période de sécheresse, [le 1er juin, ndlr] il y a eu plus de 3 000 coups de foudre sur la province [québécoise, ndlr] et ses environs, ce qui a créé 182 feux en une journée. » En temps normal, 80% des feux de forêt sont déclenchés par des causes humaines (souvent des feux de camp mal contrôlés ou mal éteints), alors que seulement 20% sont déclenchés par la foudre. Au cours de l’exceptionnelle saison 2023, les incendies causés par la foudre ont été responsables de 99,9% de la superficie brûlée, selon le bilan officiel de la SOPFEU. « La différence entre les feux de cause humaine et les feux de foudre, en règle générale, c’est que les feux de foudre vont couvrir une plus grande superficie […], parce qu’ils arrivent plus tard dans l’été, qu’ils se passent plus au nord, qu’il y a moins de population pour se rendre compte
qu’il y a un feu et sonner l’alerte avant que ça devienne trop gros, et parce que les conifères [qui sont plus abondants au nord, ndlr] sont très combustibles », explique Karine Pelletier en entretien avec Le Délit.

La SOPFEU est prête à attaquer 2024

Le budget 2024–2025 du gouvernement du Québec, présenté le 12 mars 2024, réserve 29 millions de dollars sur cinq ans afin d’« accroître la capacité de la Société de protection des forêts contre le feu à combattre les feux de forêt ». Cette somme va permettre l’embauche et le perfectionnement des effectifs de la SOPFEU, ainsi que l’acquisition de nouveaux équipements, en prévision de la saison 2024 et des années à venir. Selon Karine Pelletier, « on ne peut pas vraiment éviter les feux de cause naturelle, parce que c’est à cause de la sécheresse. On n’a aucun contrôle là dessus, malheureusement. Maintenant, on essaie de mieux se préparer. Comme il y a un budget qui est confirmé, on essaie d’avoir le plus de pompiers possible, mais aussi plus de gens pour les encadrer, pour avoir une capacité opérationnelle plus grande, une force d’attaque de plus de feux en même temps. C’est ce qu’on peut faire de mieux ».

« L’été 2023 a été d’une intensité jamais vue auparavant : ‘‘Après une période de sécheresse, [le 1er juin, ndlr] il y a eu plus de 3 000 coups de foudre sur la province [québécoise, ndlr] et ses environs, ce qui a créé 182 feux en une journée’’ »

En temps normal, la SOPFEU possède suffisamment d’effectifs pour faire face aux défis des saisons de feux de forêt. En temps de débordements, comme cela a été le cas en 2023, le Québec doit faire appel à l’aide internationale et interprovinciale pour combattre les incendies. Karine Pelletier met l’accent sur l’importance grandissante de ce type de coopération : « Ce n’est pas rare qu’on emprunte des pompiers aux autres provinces canadiennes, et vice-versa. Vu que [le Canada, ndlr] est un très grand pays, les provinces canadiennes n’avaient jamais [avant récemment, ndlr] leur pic de saison au même moment. Donc, si le sud-est canadien était au plus
fort de saison, mais dans l’ouest, c’était plus tranquille, on pouvait s’emprunter des ressources. [Maintenant, ndlr], dans l’ouest, la saison des feux ne se termine jamais. Pour mieux se préparer, il faut alors faire plus d’ententes à l’international. »

La SOPFEU ne fait pas seulement de l’intervention sur le terrain, mais aussi de la prévention au sein de la population. Puisqu’en temps normal la majorité des feux sont de cause humaine, il est primordial de mener des campagnes de prévention. « On [en, ndlr] fait pour les feux de printemps, parce qu’il y a chaque année en moyenne 275 feux qui sont déclenchés [par des Québécois, ndlr] avant le début de l’été. Les gens ne réalisent pas le danger [d’incendies, ndlr] qu’il y a, même s’il reste un peu de neige, même si le sol a l’air humide. Il y a tellement de végétaux morts au sol et avec quelques heures d’ensoleillement et un peu de vent, ça devient extrêmement combustible », souligne la porte-parole.

Pour ce qui est des feux d’été, la SOPFEU peut prévoir les zones à risque en se basant sur les rapports des scientifiques. « Les scientifiques s’entendent pour dire qu’au Québec, c’est plus l’ouest [qui est à risque, ndlr],
comme l’Abitibi et même près de la Baie James. C’est là où [les feux ont été, ndlr] très intenses l’an dernier. C’est un secteur qui est plus à risque que les autres climatiquement, parce qu’il est plus vulnérable à la sécheresse », explique Karine Pelletier. Afin de détecter les feux le plus tôt possible, la SOPFEU bénéficie beaucoup des alertes du public. On peut signaler un incendie directement en appelant le 1–800-463-FEUX (3389). Un autre moyen de détection consiste en des patrouilles quotidiennes menées par l’équipe des opérations aériennes de la SOPFEU. « [Elle, ndlr] va décider où elle va aller en fonction du danger d’incendie, de la pluie qui est tombée à certains endroits et des coups de foudre enregistrés », précise la porte-parole. « Il y a aussi des satellites qui vont détecter les points chauds. Si des points chauds ont l’air louches, on peut ajuster la patrouille pour aller voir. »

« S’il y a un point positif de la saison dramatique qu’on a connue l’été dernier, c’est [que ça, ndlr] conscientise les gens à l’impact concret du changement climatique, au danger réel des feux de forêt »

Karine Pelletier, porte-parole de la SOPFEU

Comment éteindre un feu de forêt

Entre la détection d’un incendie et son extinction, plusieurs étapes se déroulent et plusieurs acteurs entrent en jeu. Tout d’abord, le triage : « Il y a trois priorités. La première, c’est les vies humaines. La deuxième, c’est les infrastructures stratégiques, comme les lignes d’Hydro-Québec, les routes, les ponts. Puis, en troisième, il y a la forêt. Normalement, dans la zone de protection intensive, qui est plus ou moins au sud du 51ème parallèle, on va attaquer systématiquement tous les incendies ». Karine Pelletier ajoute qu’en 2023, à cause des débordements, certains feux qui ne menaçaient pas de communauté ou d’infrastructure stratégique ont été gardés en vigie uniquement, du jamais vu dans l’histoire de la SOPFEU.

Rendus à l’étape de l’attaque du feu, les pompiers font appel à des appareils technologiques, dont d’impressionnants avions-citernes. Contrairement à ce qu’on peut penser, le rôle de ces avions, qui relâchent en moyenne chaque année 65 mégalitres d’eau sur les brasiers, n’est pas d’éteindre les feux. C’est plutôt de faire la première attaque, soit de baisser l’intensité de l’incendie pour permettre aux pompiers de le combattre à partir du sol. Karine Pelletier décrit les objectifs opérationnels de la SOPFEU : « Une fois que le feu est détecté, on veut être sur le terrain en moins d’une heure pour commencer l’attaque, avant qu’il n’atteigne un demi-hectare [de superficie, ndlr]. Puis, on veut le maîtriser, c’est-à-dire faire les contours et s’assurer qu’il ne progresse plus, avant dix heures le lendemain, parce que le feu suit un cycle de 24 heures : quand le soleil se couche et que l’humidité remonte un peu, c’est rare que le feu soit très actif. Ça recommence à s’intensifier vers dix heures chaque matin. Enfin, on veut l’éteindre avant qu’il n’atteigne trois hectares. »

Juliette Elie | Le Délit

La sirène est déclenchée

Ce ne sont pas seulement les populations des régions incendiées qui ont fait face aux conséquences des feux de 2023. Les populations des villes au sud aussi ont été touchées autrement : Montréal était étouffée par la fumée, le soleil avait pris une teinte rougeâtre apocalyptique et New York est devenue en quelques jours seulement, la ville la plus polluée du monde. Les incendies records de 2023 ont certainement joué un rôle dans une prise de conscience environnementale chez certaines personnes. « S’il y a un point positif de la saison dramatique qu’on a connue l’été dernier, c’est bien ça », partage Karine Pelletier. « Ça conscientise les gens à l’impact concret du changement climatique, au danger réel des feux de forêt, [et au fait, ndlr] que même s’ils n’habitent pas dans le nord au milieu de la forêt, même en ville ils peuvent être beaucoup affectés, au niveau de la santé. »

« Les scientifiques sont assez clairs : [le réchauffement climatique, ndlr] va avoir un impact, pas nécessairement sur la quantité de feux, mais sur l’intensité des feux »

Karine Pelletier

Des situations intenses comme celle de la saison 2023 se feront de moins en moins rares dans les années à venir, en raison des changements climatiques. « Les scientifiques sont assez clairs : [le réchauffement climatique, ndlr] va avoir un impact, pas nécessairement sur la quantité de feux, mais sur l’intensité des feux. C’est lié au fait que la sécheresse va devenir plus fréquente, de plus longue durée. Des épisodes de haute température, de manque de pluie, c’est ça qui va rendre la forêt plus vulnérable à des feux plus intenses », conclut la porte-parole.

On ne sait pas exactement à quoi s’attendre pour la saison 2024. La SOPFEU, comme à chaque année, reste vigilante et réactive, et compte faire tout son possible pour limiter les dégâts des feux sur les communautés,
les infrastructures et la forêt. La coopération de la population pour la prévention reste primordiale pour limiter le nombre d’incendies actifs et ainsi alléger un peu la charge de travail de la SOPFEU. Enfin, un conseil pour les adeptes de camping : il vaut mieux éteindre son feu de camp adéquatement avant d’aller se coucher et prendre le temps de le rallumer le matin que de risquer de causer un incendie.

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Chroniques en collaboration avec le Centre d’enseignement du français de McGill https://www.delitfrancais.com/2024/03/27/chroniques-en-collaboration-avec-le-centre-denseignement-du-francais-de-mcgill/ Wed, 27 Mar 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55359 Cette semaine, Le Délit vous présente le fruit de la deuxième édition de son projet collaboratif avec le Centre d’enseignement du français à McGill (CEF). Dans le cadre du cours « FRSL 449 – Le français des médias », les étudiant·e·s en apprentissage du français comme langue seconde ont été invité·e·s à soumettre des chroniques… Lire la suite »Chroniques en collaboration avec le Centre d’enseignement du français de McGill

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Cette semaine, Le Délit vous présente le fruit de la deuxième édition de son projet collaboratif avec le Centre d’enseignement du français à McGill (CEF). Dans le cadre du cours « FRSL 449 – Le français des médias », les étudiant·e·s en apprentissage du français comme langue seconde ont été invité·e·s à soumettre des chroniques qui portent sur des faits marquants de l’actualité, culturelle ou politique, d’ici ou d’ailleurs. Ayant pour thème commun « Une image vaut mille mots », les chroniques développent les points de vue personnels des auteur·rice·s sur les enjeux sociaux illustrés dans des œuvres d’art ou des photos journalistiques qui ont attiré leur attention. Ces textes, préalablement révisés dans un contexte académique par la professeure Élisabeth Veilleux, ont par la suite été sélectionnés pour être publiés dans Le Délit. Nous vous présentons donc notre sélection des deux meilleures chroniques.


** Les illustrations qui figurent ci-dessous ont été créées par les illustrateur·ice·s du Délit et s’inspirent librement des images originales.

Lorsque le Deepfake n’est plus amusant

« Quand le pape est-il devenu si stylé? » C’était la question qui tournait dans toutes nos têtes lorsque nous avons vu circuler cette image du pape dans son manteau blanc. Nous avons vite réalisé que l’image n’était pas véritable, mais quand même, nous avons été choqués par le réalisme de cette photo générée par Mid-journey, un programme d’intelligence artificielle (IA) générative. Même Chrissy Teigen, célébrité américaine, a tweeté qu’elle pensait que le manteau du pape était vrai, sans avoir pris un moment pour y réfléchir. « Il n’y a aucune chance que je survive au futur de la technologie », a‑t-elle écrit. Alors, Chrissy, le sentiment est partagé.

L’année 2023 est sans aucun doute l’année de l’IA. On a assisté à l’émergence de nombreuses applications et sites web d’IA tels que DALL‑E et Mid-journey, qui ont la capacité de créer des images selon des instructions. Cette fonction a fasciné le monde entier, et tous veulent maintenant tester cette créativité facile. Il suffit d’entrer une description simple et l’IA fera le travail pour vous.

Néanmoins, l’IA est également apte à estomper la frontière entre la réalité et la fiction, ce qui a été le cas pour l’image du pape. Bien que celle-ci ait été destinée à faire rire, il y a plusieurs risques et dangers liés à l’usage de l’IA générative. D’abord, il y a le risque d’une réécriture de l’histoire. Selon William Audureau, journaliste pour Le Monde, depuis le lancement de la cinquième version de Mid-journey en mars 2023, et avec la démocratisation de l’IA générative, il n’a jamais paru aussi facile de changer l’histoire à travers des illustrations factices. Audureau a illustré son propos avec une photo de Rosalind Franklin générée par l’IA. La photo montre Franklin recevant le prix Nobel, alors qu’en réalité, elle ne l’a jamais reçu. Que se passet-il quand on ne se souvient plus de l’histoire? Cette question devient plus importante lorsqu’on parle des pays autoritaires dans lesquels le gouvernement tente de falsifier l’histoire pour son propre bénéfice.

« Bien que celle-ci ait été destinée à faire rire, il y a plusieurs risques et dangers liés à l’usage de l’IA générative »

De plus, on a le problème des hypertrucages modernes (« deepfakes » en anglais), qui sont des images,
des vidéos, ou des audios comportant une modification de l’apparence ou de la voix d’êtres humains. Peut-être avez-vous déjà vu les hypertrucages de Taylor Swift sur X qui montrent la chanteuse soutenant Donald Trump? Les hypertrucages sont aussi beaucoup utilisés en pornographie. Par exemple, pendant une diffusion en continu, Brandon « Atrioc » Ewing, un streamer sur la plateforme Twitch, a accidentellement révélé qu’il regardait une vidéo pornographique « deepfake » d’une streameuse. À cause de la facilité à créer un hypertrucage, de plus en plus de personnes sont devenues victimes de cette technologie, et beaucoup d’entre elles sont des femmes.

À l’inverse, les gens sont également de plus en plus susceptibles de voir une image réelle (par exemple, de la guerre) sans pour autant y croire. Cette tendance deviendra plus évidente à mesure que nous nous habituons à la désinformation. Cela peut être dangereux, car nous mettrons beaucoup de temps à reconnaître les personnes qui ont besoin d’aide.

« Il n’a jamais été aussi important d’avoir un raisonnement analytique et de vérifier la source des informations qu’on lit »

En conclusion, l’ère de l’IA en est une qui suscite l’enthousiasme, mais représente aussi un moment où il faut être plus prudent. Il n’a jamais été aussi important d’avoir un raisonnement analytique et de vérifier la source des informations qu’on lit. En même temps, quand on voit des hypertrucages qui circulent en ligne, il faut les signaler. Je suis certaine que nous allons avoir plus de lois pour nous protéger contre la désinformation. Pendant ce temps, restez vigilants et assurez-vous d’utiliser l’IA avec prudence et bienveillance!

Clément Veysset | Le Délit

Coupe du monde féminine de football : comment une publicité a permis de revoir les points de vue biaisés du grand public

Le football est un sport largement connu qui compte des millions de supporteurs à travers le monde. Par contre, ce sport adoré est sujet à beaucoup de misogynie. En juillet 2023, une vidéo publicitaire a fait sensation dans les médias lors de la Coupe du monde féminine de football. Celle-ci a été diffusée par l’entreprise française Orange FR avec le but de briser les barrières de la misogynie. Elle consistait en une compilation de vidéoclips impressionnants de l’équipe masculine de football française, les Bleus, incluant le joueur Kylian Mbappé, et terminait avec le message « Il n’y a que les Bleus pour nous procurer ces émotions ». La vidéo publicitaire disait ensuite « Et pourtant, ce n’est pas eux que vous venez de voir », et a fait la transition vers les éditeurs, qui utilisaient l’intelligence artificielle, pour montrer que ces vidéoclips étaient en réalité des moments de jeu exceptionnels de l’équipe féminine de football de France, les Bleues, incluant la joueuse Wendie Renard. En faisant cela, ils ont voulu démontrer que les filles sont aussi bonnes que les garçons.


Les médias sociaux sont fréquemment utilisés de nos jours, et les équipes féminines de football ont une présence importante sur les réseaux comme Instagram. Quand vous regardez les commentaires, il est fréquent de retrouver des commentaires négatifs comme « Qui va regarder cela? » ou « C’est meilleur chez les hommes ». Pour appuyer mon argument, Cristiano Ronaldo, joueur de l’équipe de football portugaise, a remporté le titre du plus grand nombre de buts marqués au niveau international, avec 110 buts. En réalité, sept femmes, dont Christine Sinclair de l’équipe canadienne avec 190 buts marqués, avaient déjà remporté ce titre, mais n’ont pas reçu de reconnaissance publique.

Après la création de cette vidéo publicitaire, beaucoup de choses ont changé. L’équipe d’Orange FR a créé la vidéo pour montrer son soutien à la Coupe du monde féminine de football, mais elle n’avait pas imaginé que cette vidéo allait avoir de telles répercussions. La publicité a attiré l’attention d’environ cent millions de spectateurs à travers le monde, et une pluie de réactions positives. « C’est bon! », a tweeté en français l’ancien capitaine de football anglais Gary Lineker. De plus, une station de radio australienne, le Sydney Morning Herald, a affirmé que la vidéo publicitaire avait aidé à « déconstruire les stéréotypes de genre ». Avec d’autres réactions positives de joueurs professionnels, les joueuses de football ont finalement eu un important moment de reconnaissance.

« En réalité, sept femmes, dont Christine Sinclair de l’équipe canadienne avec 190 buts marqués, avaient déjà remporté ce titre, mais n’ont pas reçu de reconnaissance publique »

Je joue au football depuis mon enfance, mais j’ai toujours été très sensible aux commentaires négatifs et au traitement de faveur reçu par les garçons. Des actes aussi simples qu’acheter des uniformes de garçons, qui ne vont pas aux filles, ou empêcher les filles de jouer au football avec les garçons mettent en relief les perceptions biaisées d’un grand nombre d’individus. La vidéo m’a vraiment touchée et je sais que je ne suis pas la seule. J’espère qu’il y aura d’autres vidéos comme celle-là, et que les femmes et les hommes seront un jour vus comme égaux dans le monde du sport.

Pour conclure, cette publicité a brisé les barrières de la misogynie, et pour preuve, la Coupe du monde féminine de football a attiré près d’un milliard de spectateurs en 2023, dépassant les niveaux atteints les années précédentes. On continue à combattre la discrimination de genre, mais malheureusement, il y a des expériences négatives tous les jours envers les footballeuses et d’autres sportives. Cependant, les vidéos publicitaires de ce genre ont, et continueront d’avoir un grand impact sur ce sport magnifique!

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Notre Père https://www.delitfrancais.com/2024/03/27/notre-pere/ Wed, 27 Mar 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55352 Lorsque la vieillesse s’invite dans notre intimité.

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Jeudi dernier avait lieu la première représentation de la plus récente création du Théâtre du Nouveau Monde : Le Père. Annoncée par une campagne publicitaire inondant le métro, cette pièce écrite par Florian Zeller débarque de ce côté de l’Atlantique en réponse à l’appel de la société québécoise ; les nombreux baby boomers vieillissants, les affiches luxuriantes qui invitent aux résidences privées pour aînés, et le traumatisme des centres d’hébergement et de soins de longues durées (CHSLD) dont nous venons tout juste de sortir témoignent de la force de la vieillesse au Québec. Le Père est une invitation à cette dernière : on l’invite simultanément chez soi et sur scène, pour lui parler et en parler, pour en rire et la craindre, pour en discuter et la comprendre.

Ingénieur à la retraite, vivant seul dans son appartement, André reçoit des visites quotidiennes de sa fille Anne. Voilà le premier tableau qui nous est dressé : un salon bien décoré, une peinture impressionniste au mur, des étagères garnies de romans et une armoire à alcool à envier. Comme tous ceux qui rencontrent André pour la première fois, l’auditoire ne peut qu’être charmé par le personnage de Marc Messier. C’est avec une aimable courtoisie et un humour auto-dérisoire qu’André gagne la bienveillance du public : beau parleur qui ne manque pas l’occasion de complimenter, il n’hésite pas non plus à frôler le ridicule lorsqu’il commence à danser les claquettes. Comme il le dit lui même, André n’est pas de ces vieux qui sont tous ramollis, incapables de parler, de marcher ou de se nourrir seuls. Lui est encore en forme, est assez autonome pour vivre seul et n’a besoin de personne. C’est la subtile ironie de paroles comme celles-là qui font le tragique de cette farce.

Anne nous révèle bientôt qu’une nouvelle proche aidante sera engagée, décision qu’elle a prise au vu du fardeau trop imposant pour elle seule qu’était le soin de son père. La nature de l’incapacité d’André, à l’inverse du préjugé qu’il porte sur ceux de son âge, n’est pas physique, mais bien mentale. Oublis, pertes, changements de décors et d’apparence des personnages : la neurodégénérescence d’André se témoigne d’abord et avant tout par la décadence du temps. Symbolisé par sa montre disparaissante, et représentée dans l’enchaînement asynchrone des tableaux, l’oubli du temps est l’élément déclencheur de la manie névrosée qui se propage autant à l’intérieur d’André que dans les décors et chez l’auditoire. Nous suivons le père dans l’étourdissement temporel provoqué par les dialogues qui se contredisent d’une scène à l’autre : Anne n’avait-elle pas déménagé avec son mari? N’avons-nous pas déjà préparé le poulet du souper? Suis-je chez moi, chez ma fille ou dans une résidence? La finesse d’Édith Patenaude et l’habileté de la distribution artistique est à louer pour l’immersion dans laquelle sont plongés les spectateurs. Alors qu’on témoigne d’Anne qui change de visage et de cheveux, et de son ami Pierre, qui change de nom et de couleur de peau ; les manières, les attitudes, la diction et la contenance sont révélateurs d’une identité qui ne change pas. Le spectateur se pose les mêmes questions qu’André : est-ce ma mémoire ou mes yeux qui me trahissent? S’ajoute à ce jeu d’acteur envoûtant une scène qui se transforme discrètement et se vide. L’image de ses deux filles devient une peinture morne et abstraite, la table à manger devient une petite table basse, et l’étage du duplex tombe au sous-sol. Autant de détails qui mènent à la confusion et la frustration partagée entre tous dans la salle. Tout au long de la représentation, l’auditoire est plongé dans l’intimité d’André. À la fin de l’heure et demie, ce ne sont pas les médecins, la travailleuse sociale, ni même sa fille qui connaissent le mieux André, mais bien le public, qui a vécu ses tourments avec lui. Par sympathie, les spectateurs commencent à ressentir, comme André, qu’il y a quelque chose qui leur échappe, qu’on leur cache : une vérité qui est connue de tous sauf nous. Sur des scènes qui s’éteignent abruptement à leur climax, Florian Zeller construit le suspens de la révélation tragique.

Le Père tel qu’il a été mis en scène par Édith Patenaude est un ressuscitation du rôle de catharsis qu’a le théâtre. Alors que d’autres Québécois font danser des ombres sur les grands écrans à travers le monde, l’équipe du Théâtre du Nouveau Monde saisit les passions qui animent notre société et les incarne, leur donne vie et les fait mourir afin que nous puissions en rire, en pleurer, pour les comprendre dans l’espoir d’ultimement les aimer.

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« La seule chose que j’ai toujours su, c’est que l’appareil ment » https://www.delitfrancais.com/2024/03/27/la-seule-chose-que-jai-toujours-su-cest-que-lappareil-ment/ Wed, 27 Mar 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55347 L’héritage artistique de Cindy Sherman.

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Sur cet autoportrait vous voyez mon corps, mais je suis introuvable. Car je ne m’incarne pas moi, Harantxa, mais deux femmes représentées dans l’art visuel au fil des ans. Pour réaliser Contrapposto, je me suis inspirée de Cindy Sherman, une artiste ayant révolutionné le médium du portrait. S’il y a bien quelqu’un qui soit maître de cette approche, soit celle de réaliser des autoportraits sans se représenter en tant que sujet, c’est bien elle.

En sachant qu’à l’accoutumée, « faire un autoportrait, c’est se représenter soi-même », Sherman, par son génie artistique, a lancé un défi audacieux à cette norme. Son œuvre révolutionnaire a déclenché un débat enflammé au sein de la communauté artistique : ses compositions peuvent-elles vraiment être considérées comme des autoportraits, et quelles sont les limites de cette définition? Examinons en détail l’ascension fulgurante de cette icône et son héritage artistique.

Exploration de l’énigme de l’autoportrait chez Cindy Sherman
Il faut d’abord comprendre son œuvre : contrairement aux autoportraits classiques ayant pour objectif de se représenter de manière réaliste et fidèle (pensons à Frida Khalo ou Van Gogh par exemple), Cindy Sherman s’affranchit du statu quo en créant des oeuvres qui défient les conventions. Elle est une artiste protéiforme : elle joue le rôle de photographe, mannequin, maquilleuse, coiffeuse, styliste et plus encore. Son œuvre globale est marquée par sa capacité à incarner différents personnages et identités dans ses photographies, en utilisant son corps et son visage comme support artistique pour créer des mises en scène.

Alors qu’elle commence les autoportraits au début de sa vingtaine, le désir de modeler son identité n’est pas anodin : depuis son enfance, elle adore se déguiser. « J’essayais de ressembler à quelqu’un d’autre – même à des vieilles dames… Je me maquillais en monstre, des choses comme ça. […] (tdlr) », dit-elle. Malgré sa volonté de ressembler à quelqu’un d’autre, ses déguisements avaient pour but de montrer une autre version d’elle-même, et non un personnage à part entière. Lorsqu’on lui a demandé si se déguiser était pour elle un moyen d’évasion, elle a répondu que « pour être vraiment psychologique à ce sujet, [c’est] en partie, si tu ne m’aimes pas de telle manière, m’aimeras-tu de cette manière? » Malgré ses différentes apparences, Sherman s’associe aux personnages qu’elle incarne en montrant différentes facettes d’elle-même lorsqu’elle se déguise. Cette habitude continue jusqu’à l’université et lorsque son entourage lui dit de faire de ce passe-temps un art, une autoportraitiste naît en elle.

Issue de la première génération d’Américains ayant grandi avec la télévision, elle est largement
influencée par la culture de masse. Elle atteint donc un large public en utilisant et en se référant à des codes esthétiques qui lui sont familiers. Tantôt critiques, tantôt satiriques, Sherman explore les thèmes du genre, de l’identité, de la sexualité et de la classe sociale, en remettant en question les normes établies par la société contemporaine à travers ses photographies.

« Tantôt critique, tantôt satirique, Sherman explore les thèmes du genre, de l’identité, de la sexualité et de la classe sociale, en remettant en question les normes établies par la société contemporaine à travers ses photographies »

La série emblématique Untitled Film Stills (1977–1980) catapulte Sherman sur la scène artistique internationale. Dans ses clichés évocateurs, elle se glisse dans la peau de personnages féminins, défiant les clichés et les stéréotypes de genre véhiculés par le cinéma hollywoodien des années 50 et 60. Ces images intemporelles évoquent un sentiment d’aliénation et de désillusion, et questionnent les attentes sociétales imposées aux femmes. Un autre exemple poignant est Centerfolds (1981), une série dans laquelle Sherman incarne des mannequins exposés sur une couverture de magazine. Les femmes sont représentées dans diverses poses, comme on peut l’observer dans Untitled #96, où Sherman est couchée par terre, vêtue d’une jupe d’écolière légèrement relevée. Cette série confronte le regard masculin (le male gaze) qui influençait la manière dont les femmes étaient représentées dans les magazines érotiques du style Playboy, « en amenant les spectateurs à remettre en question leurs hypothèses et leurs impulsions conscientes ou inconscientes lorsqu’ils regardaient une page centrale pornographique », (sachant que la photo était le médium pornographique principal dans les années 80), explique Gwen Allen, une historienne d’art contemporain.

Bien que Sherman ne donne pas de titre à ses œuvres pour ne pas influencer notre jugement de celles-ci, elle a admis, des années après sa création, que le but d’Untitled #96 était de choquer : « Je voulais qu’un homme ouvrant le magazine le regarde soudainement dans l’attente de quelque chose de lascif et se sente ensuite comme [l’agresseur] qu’il serait, en regardant cette femme qui est peut-être une victime… »

On peut donc voir que les œuvres de Sherman, bien qu’elles soient visuellement attrayantes, dépassent le domaine de l’esthétisme en dénonçant certaines normes et conventions. Mais où est Cindy dans tout ça?

« Bien que Sherman apparaisse dans la plupart de ses photographies, ce ne sont jamais des autoportraits. Elle a le parfait visage de ‘‘madame tout le monde’’ – et parfois de ‘‘monsieur tout le monde’’ – un visage qui absorbe tous nos désirs. »
— Auteur et journaliste américain Craig Burnett

Pour certains critiques, ses autoportraits sont davantage une performance ou un acte d’imagination qu’un véritable reflet de son identité personnelle. En revanche, elle se défend en disant qu’il n’est pas question de devenir un personnage : « Quand je [pose], je n’ai pas l’impression d’être le personnage. C’est l’image reflétée dans le miroir qui devient le personnage – l’image que l’appareil fixe sur la pellicule. Et la seule chose que j’ai toujours su, c’est que l’appareil ment. »

Pour Sherman, ses œuvres représentent une partie d’elle-même. Lorsque l’appareil photo prend le cliché, il cristallise le personnage, sans que celle qui l’incarne ne devienne personnage pour autant. Elle redéfinit l’autoportrait à même son corps : à partir du moment où elle figure dans la photo, c’est un auto-portrait. Pas besoin de se montrer sans artifices, car « au bout du compte, plus elle se cache derrière ses portraits, plus elle se révèle en tant qu’artiste », et être artiste, c’est le noyau de son identité. Nous ne la voyons peut être pas elle, sans maquillage, mais il reste que Cindy Sherman a toujours fait de son apparence protéiforme une part de son identité. La limite des autoportraits de Sherman semble alors se restreindre à l’usage de son corps dans ses photographies. Cela dit, une œuvre comme Untitled #263 (1992) où elle utilise des prothèses en plastique d’un sexe masculin et féminin pour recréer L’Origine du monde (1866) de Courbet semble être une exception à la règle franchie, car elle troque son corps pour des objets.

En redéfinissant le genre à l’usage de son corps et non de son apparence à nu, l’influence de Sherman sur l’art contemporain perdure. Son approche de l’autoportrait a été adoptée par une nouvelle génération d’artistes explorant les questions d’identité et de représentation. Son œuvre est la raison pour laquelle ma série d’autoportraits, voire celle de Nadia Lee Cohen, HELLO My Name Is (2021) , peuvent se faire qualifier comme tels aujourd’hui. Comme l’a noté l’artiste Laurie Simmons, «le travail de Cindy a ouvert beaucoup de territoire que […] beaucoup de femmes artistes en particulier ont exploré depuis ».

Entre costumes, maquillage et décors élaborés, Cindy Sherman émerge comme figure pionnière en surpassant les limites de l’art avec une audace et une créativité inégalées. Son approche novatrice perdure jusqu’à maintenant, façonnant ainsi un héritage dans le monde artistique. Merci, Cindy.

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Écocide en temps de guerre https://www.delitfrancais.com/2024/03/27/ecocide-en-temps-de-guerre/ Wed, 27 Mar 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55340 L’environnement, une victime silencieuse et collatérale des guerres.

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Entre 1961 et 1971, pendant la guerre du Vietnam, 80 millions de litres d’un « agent orange », puissant herbicide, sont envoyés depuis les avions militaires américains sur les forêts vietnamiennes pour y décimer les végétaux et les ennemis Vietcong qui s’y dissimulent. Trois générations plus tard, les enfants des régions touchées naissent encore avec de lourds handicaps, et l’ensemble de la chaîne alimentaire de la zone est contaminée. Depuis la prise de conscience des effets extrêmes des crimes écocides dans le temps d’une guerre, l’article 55 de la convention de Genève, traité qui régit le droit international de la guerre, établit que « la guerre sera conduite en veillant à protéger l’environnement naturel contre des dommages étendus, durables et graves ». La Convention entend prévenir, par exemple, la pollution de puits nécessaires à la survie des populations comme stratégie militaire. Ni les États-Unis, ni la Russie n’ont signé cet article. Les guerres menées contre les populations en Ukraine et à Gaza comptent déjà des victimes humaines par dizaines de milliers et des millions de déplacés qui se logent et se nourrissent dans des conditions humanitaires alarmantes. Alors que le risque sanitaire de la pollution du territoire expose la population d’un pays en guerre à d’importants dangers, il est nécessaire de comprendre et prévenir les impacts transgénérationnels des bombardement et des destructions massives infligés pendant une guerre.

Intoxication par la terre et l’eau
Comme les images de la guerre l’illustrent, les dommages sur l’environnement sont multiples. Les émissions militaires, dont les émissions de gaz à effet de serre de leurs outils (avions, tanks, bombes) et la destruction des sites touchés (puits de pétrole, industries chimiques et infrastructures des eaux usées) formeraient le quatrième plus gros pollueur mondial, derrière les ÉtatsUnis, la Chine et l’Inde – soit près de 5.5% des émissions globales. La pollution aux métaux lourds est particulièrement alarmante, puisqu’ils se dégradent très mal et polluent les nappes phréatiques. Cela met en danger la biodiversité de la région, la santé des populations qui en consomment l’eau, et la contamination des champs qui en sont irrigués.

À Gaza, le territoire est très urbanisé et dépend d’infrastructures souterraines pour son approvisionnement
en eau potable. En voulant stratégiquement démanteler le réseau souterrain du Hamas, Israël a bombardé
toutes les infrastructures de traitement des eaux usées, de l’eau potable et des égouts, touchant près de 55% des infrastructures hydrauliques dans l’enclave palestinienne après un mois de guerre, selon l’ONU. Au moins 100 000 mètres cubes d’eaux usées sont déversés chaque jour sur la terre ferme ou dans la mer Méditerranée à cause des dommages infligés aux infrastructures. Comme les installations qui permettent de traiter les ordures ont elles aussi été endommagées ou détruites, les déchets solides sont déposés un peu partout, ce qui accroît le risque que des substances dangereuses s’infiltrent dans le sol poreux et éventuellement dans l’aquifère. « Même si l’on survit aux bombardements, à la malnutrition, on ne survivra pas à la pollution de l’eau et de la mer », explique Bisan, une journaliste de Gaza.

Gestion des déchets
Il faudra des années pour évacuer les 23 millions de tonnes de débris après la destruction d’immeubles résidentiels et autres propriétés dans la bande de Gaza, a indiqué vendredi l’Agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens (UNRWA). Les composantes des bâtiments détruits, telles que les peintures au plomb et l’amiante qui vont se dégager des débris auront des répercussions sur le long terme, notamment la pollution des nappes phréatiques et de la mer.

Les bilans de l’Ukraine
Plusieurs chercheurs se sont penchés sur les conséquences des offensives russes en Ukraine, et ont estimé des chiffres alarmants : 20% des aires naturelles sont détruites ou impactées par la guerre, et plus de 600 espèces animales sont mises en danger. La plus grande centrale hydroélectrique du pays à Zaporijia a été touchée par les bombes russes dans la nuit du 20 au 21 mars 2024. La catastrophe environnementale de la destruction du barrage de Cacova le 6 juin 2023 peut valoir à Moscou une plainte pour écocide devant les juridictions ukrainiennes et internationales. Bien que ces tribunaux n’aient pas d’impact sur les décisions politiques et judiciaires russes, le terme écocide aura peut-être pour conséquence de condamner plus justement un pays pour les destructions et abus de temps de guerre.

Centre d’excellence pour le changement climatique et la sécurité à Montréal
La Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) tente de contrôler l’impact des écocides en temps de guerre. Depuis l’Accord de Paris, elle n’oblige pas, mais recommande fortement aux pays de déclarer leurs émissions dûes à leurs activités militaires. Seulement une poignée de pays publient le strict minimum requis par les directives de l’ONU en matière de rapport. De nombreux pays avec de grandes armées ne publient rien du tout. L’OTAN (Organisation du Traité de l’Atlantique Nord) ouvrira un Centre d’excellence pour le changement climatique et la sécurité à Montréal, qui réunira des acteurs militaires et civils pour « mettre en place les capacités requises et les pratiques exemplaires et contribuer à l’objectif de l’OTAN de réduire l’incidence de nos activités militaires sur le climat ». L’OTAN entend sensibiliser ses États membres, s’adapter aux changements climatiques et en limiter les effets. Étant donné le manque de transparence militaire des États-Unis, plus gros acteur de l’OTAN, l’écocide ne semble pas encore être pris en considération à la juste valeur de ses conséquences désastreuses

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Aux femmes de ma vie https://www.delitfrancais.com/2024/03/27/aux-femmes-de-ma-vie/ Wed, 27 Mar 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55334 Pour la Journée internationale des droits des femmes, je fais l’éloge des femmes qui m’inspirent.

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Le 8 mars dernier, nous avons célébré la Journée internationale des droits des femmes. À une époque où les inégalités basées sur le genre sont toujours présentes et où les droits des femmes sont constamment menacés, il y a autant de choses à souligner en cette journée qu’il y a de femmes sur la Terre. En tant qu’homme cisgenre, bien évidemment que j’ai une relation différente avec cette journée, mais loin de moi l’idée de faire du mansplaining sur son importance. Cependant, j’ai réfléchi à ce que cette journée signifiait pour moi. J’ai voulu comprendre ce qui rendait cette occasion si importante à mes yeux, et ce pourquoi j’avais eu autant envie d’en faire la promotion, de crier sur tous les toits que le 8 mars était la Journée internationale des droits des femmes.

D’abord, j’ai pensé aux suffragettes, à celles qui se sont battues pour faire reconnaître les droits politiques et sociaux des femmes. Je me suis dit que leur combat acharné était assez inspirant pour expliquer mon attachement au 8 mars. Leur courage, leur force de caractère, ainsi que leur détermination étaient monumentaux. C’était une partie de la réponse, mais pas toute.

Ensuite, j’ai pensé aux icônes féminines présentes dans la culture populaire, aux femmes artistes, politiciennes et athlètes. Celles qui nous font rêver, celles qui nous inspirent. Encore là, c’était un bout de la réponse sous-tendant
ma connexion à cette journée, mais il manquait toujours un morceau à ma réflexion.

Et j’ai compris. Ce qui rend cette journée si spéciale pour moi, ce qui me donne tant envie de parler de cette journée, ce sont les femmes de ma vie, celles qui marquent mon quotidien. Depuis tout jeune, les femmes de mon
entourage ont été mes plus grandes alliées. De par leur expérience de la vie, elles m’ont façonné, épaulé, et fait de moi qui je suis aujourd’hui. Sans les femmes de ma vie, il n’y aurait pas d’Elliott. Elliott George Grondin serait moins curieux, moins conscient du monde qui l’entoure, moins drôle, moins heureux, plus fade. Il faut dire que j’ai grandi entouré de modèles féminins inspirants, des personnes brillantes, fortes, des femmes d’opinion qui ne demandaient pas avant d’agir : elles le faisaient tout simplement. Des modèles pour moi et le monde entier. D’aussi loin que je me souvienne, j’ai bénéficié de leur compagnie, de leurs conseils, de leurs histoires et de leur écoute. Aujourd’hui c’est à mon tour de leur rendre hommage et de les remercier pour le grand impact qu’elles ont eu et qu’elles continuent d’avoir sur ma personne.

« De par leur expérience de la vie, elles m’ont façonné, épaulé, et fait de moi qui je suis aujourd’hui. Sans les femmes de ma vie, il n’y aurait pas d’Elliott »

Premièrement, il y a mes deux grands-mères. Aussi différentes soient-elles, toutes les deux sont féministes sans même le savoir. Elles sont féministes à leurs dépens, car tout au long de leur existence, elles auront repoussé les limites, elles se seront battues de manière différentes, mais leurs victoires auront bénéficié à toutes les femmes.

Ma grand-mère paternelle s’est divorcée à une époque où les divorces étaient peu communs. Avec deux fils à sa charge, elle a quitté le foyer pour trouver un emploi afin de subvenir aux besoins de la famille. Je ne crois pas qu’être une mère sans spécialisation professionnelle qui retourne sur le marché du travail a toujours été facile pour elle, mais elle ne s’en est jamais plaint. Elle a gardé la tête haute, relevé ses manches et fait le travail qui devait être fait. Elle ne s’est pas contenté d’offrir à ses enfants le minimum, elle leur offrait le meilleur, elle leur offrait le mieux d’elle. Encore aujourd’hui, ma grand-mère est une de ces femmes humbles, qui serait gênée de savoir que je parle d’elle. Non pas par fausse modestie, mais bien parce qu’elle me dirait qu’elle ne se considère pas comme étant particulièrement forte. Pour moi, ma grand-mère m’aura appris la force et la résilience. Merci.

Ma grand-mère maternelle est une femme qui s’est toujours impliquée dans le monde politique. Elle aura milité pour toutes les causes sociales. Elle a toujours refusé de voir les femmes comme des choses fragiles qui doivent être câlinées. Elle est entrée dans l’arène et a récupéré son dû, et par extension, celui de toutes les femmes. C’est le genre de femme qui me dit souvent : « Le monde actuel va mal Elliott, mais il a pourtant été créé par des hommes. Et si on essayait de voir comment les femmes s’y prenaient pour une fois? Ça peut difficilement être pire! » Elle est persuadée que le monde se porterait mieux avec des femmes à sa tête. Elle est devenue l’une des premières femmes élues au Conseil municipal de ma ville natale et elle en est fière, avec raison. J’en suis fier aussi, comment ne pas l’être? Ma grand-mère maternelle m’a montré la force des convictions et la conviction dans la force. Merci.

Ensuite, il y a ma mère. Mon premier grand amour, celle qui est devenue mère à seulement 21 ans parce qu’avoir des enfants était son plus grand rêve. C’est celle qui aura tout donné à ma fratrie et à moi-même : l’amour, la présence et tout son temps. Elle a même ouvert une garderie en milieu familial pour nous garder près d’elle, pour nous voir grandir, pour nous aimer du plus près possible. Tout tourne autour de la famille avec ma mère. J’ai longtemps eu de la difficulté à comprendre ses choix. Pour moi, le fait de rester à la maison était antiféministe ; une femme ne devrait pas rester à la maison comme dans les années 1950. Pour moi, c’était trop réducteur à l’égard des femmes et de la lutte pour l’égalité des genres. Pourtant, je crois que ma mère aura su me prouver le contraire. Le féminisme c’est l’égalité des genres et la possibilité de jouir de ses propres choix. Ma mère nous aura choisis. Toujours. C’est aussi le genre de mère qui a entamé et terminé un diplôme universitaire à distance, juste pour nous montrer que c’était possible, afin de nous prouver qu’elle en était capable, qu’on en était tous capables. Ma mère m’aura montré l’amour inconditionnel. Merci.

Il y a aussi ma petite sœur. Elle me fait beaucoup penser à moi, et parfois c’est dur de se voir comme dans un miroir. Pourtant, elle n’est pas exactement comme moi, ni comme mon frère. Elle est la meilleure version de nous deux. Elle a le meilleur de mon frère et le meilleur de moi. Elle est plus drôle, plus intelligente, plus fonceuse. Elle est tout simplement plus. Ma sœur m’aura appris l’art de la finesse. Merci.

Finalement, mes amies, mes plus vieilles alliées. À mon plus bas, tout comme à mon plus haut, elles ne se seront pas contentées d’être à mes côtés, elles m’auront guidé. Elles ont été les premières à me savoir perdu dans ma vie
pendant une époque plus tumultueuse, et les premières à me montrer un futur plus simple. Architectes de mes joies, elles sont l’épaule sur laquelle je peux me poser et la raison pour me relever. Ma plus grande tragédie c’est d’être incapable de les aimer comme je le voudrais ; romantiquement. Mes amies m’auront montrer comment aimer. Merci.

Ce que je vous souhaite, c’est d’avoir des femmes dans votre vie comme celles qui sont dans la mienne. Denise, Françoise, Marie, Sandrine, Valérie, mes amies : je vous souhaite une joyeuse Journée internationale des droits des femmes.

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L’actualité 2024 n’est pas finie https://www.delitfrancais.com/2024/03/27/lactualite-2024-nest-pas-finie/ Wed, 27 Mar 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55332 Quatre événements à suivre au cours des prochaines semaines.

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Cette session la section Actualités vous a tenu au courant d’événements tant locaux qu’internationaux. La grève des travailleurs du secteur public, le désinvestissement de McGill en ressources fossiles, la hausse des frais de scolarité pour les non-Québécois et tant d’autres sujets qui ont modelé la session d’hiver 2024 et occupé les pages de notre journal. Au nom de l’ensemble de la section, nous vous remercions de nous avoir lus et espérons vous retrouver en août prochain! En guise d’article pour la dernière édition du semestre, la section Actualités fait paraître la liste de quatre événements sur lesquels il faut garder l’œil, qui se dérouleront au cours des prochaines semaines et mois, et qui impacteront le campus, Montréal et le monde.

Grève des TA’s

Date : 25 Mars – 25 mai


Depuis le 25 mars, tous les auxiliaires d’enseignements communément appelés TAs, sont en grève à McGill. Cela signifie que les TAs n’exercent plus aucune de leurs responsabilités, notamment la tenue des conférences, la correction des examens et les heures de bureau. L’Association des étudiant·e·s diplômé·e·s employé·e·s de McGill (AÉÉDEM), syndicat qui regroupe plus de 1 600 auxiliaires d’enseignement, mettra aussi en place des lignes de piquetages devant différentes entrées du campus afin d’exercer une pression sur l’administration de McGill. Cette grève a pour but de faire prévaloir une nouvelle convention collective pour les auxiliaires d’enseignement, qui comprendrait une augmentation de salaire de 40%, une introduction des services de santé, l’ adaptation au coût de la vie et l’indexation des heures de travail en fonction du nombre d’étudiants. Dans les prochains jours et semaines, la décision de l’administration mcgilloise d’apaiser les tensions en proposant une offre satisfaisante à l’AÉÉDEM. Si McGill décide de ne pas céder, cela aura pour effet de faire perdurer la grève jusqu’à la fin des cours et des examens finaux, créant une perturbation de la fin du semestre pour tout le corps étudiant à McGill.

Vous pouvez suivre le compte Instagram de l’AÉÉDEM pour rester au courant des avancées de la grève : @agsem.aeedem

L’éclipse solaire


Date : 8 Avril


Dans un peu plus de deux semaines aura lieu une éclipse totale dans l’est de l’île de Montréal, qui aura pour effet de plonger la ville dans l’obscurité totale pendant quelques minutes. Ce phénomène astronomique extrêmement rare a lieu lorsque la lune s’aligne parfaitement entre le soleil et la Terre. La dernière fois qu’un tel évènement a eu lieu au Québec remonte à l’été 1972 et ce n’est qu’en 2106 (dans 80 ans!) que nous pourrons y assister de nouveau. Pour beaucoup, le 8 avril offrira donc l’opportunité d’une vie d’assister à ce phénomène rare. L’Institut Trottier de recherche sur les exoplanètes de McGill organise une soirée d’observation sur le campus et propose d’équiper les étudiants de lunettes de protection. L’événement se tiendra de 13h à 16h30 sur le Lower Field du campus du centre-ville. L’éclipse devrait débuter vers 14h et atteindre l’obscurité totale vers 15h20, pour une durée d’une minute et demie environ. Attention! Étant donné que Montréal se trouve parfaitement à la limite entre l’éclipse totale et l’éclipse partielle, votre position sur l’île aura pour effet de vous faire vivre différemment l’évènement. Afin d’en profiter le plus possible, il est donc conseillé de se diriger vers l’est de l’île et ainsi se rapprocher du Vieux-Port et du fleuve Saint-Laurent. Il est à prévoir que la majorité des étudiants manquera leurs cours afin de regarder l’éclipse, donc nous pouvons dire qu’il y aura aussi une éclipse scolaire qui se passera au même moment…

Attention : si vous souhaitez assister directement à l’éclipse solaire, il est impératif de porter des lunettes de protection. Même caché par la lune, le soleil pourrait vous brûler la rétine.

Les Jeux olympiques de Paris


Date : 26 juillet – 11 août


Dans quatre mois, les Jeux olympiques d’été débuteront à Paris, auxquels 206 pays et 10 500 athlètes participeront. La majorité des disciplines se joueront dans la capitale française, mais certains sports seront aussi organisés ailleurs en France : le surf à Tahiti, le soccer à Marseille au fameux vélodrome de l’Olympique de Marseille, ou encore le handball et le basket à Villeneuve‑d’Ascq dans le nord de la France. La France entière sera le théâtre d’une frénésie sportive au cours de laquelle des athlètes de haut niveau viendront représenter les couleurs de leurs pays et tenteront d’établir de nouveaux records mondiaux. Avec un décalage horaire de six heures, les Canadiens seront contraints de se lever plus tôt pour visionner toutes les compétitions sportives et soutenir les athlètes du pays, notamment au soccer, en nage synchronisée, en escalade ou encore en athlétisme. Ne manquez donc pas le rendez-vous, du 26 juillet au 11 août prochain!

La hausse des frais de scolarité


Date : dès la rentrée 2024


Le 23 février dernier, dans un communiqué envoyé aux étudiants de l’Université, l’administration de McGill a annoncé sa poursuite légale contre le gouvernement québécois suite aux nouvelles mesures d’augmentation des frais de scolarité annoncées le 13 octobre. En octobre dernier, le gouvernement Legault annonçait une augmentation de 50% des frais de scolarité pour les étudiants non-québécois dès la rentrée d’automne 2024. Cette mesure affecte principalement les universités anglophones québécoises, c’est-à-dire McGill, Concordia et Bishops. Depuis octobre, les manifestations étudiantes, grèves et messages de mécontentement des recteurs des universités se sont multipliés. Suite à ces soulèvements, le gouvernement québécois a annoncé une baisse de l’augmentation à 33% des frais, passant de 9 000$ à 12 000$. S’ajoutant à ces mesures, le gouvernement oblige désormais les universités anglophones au Québec à franciser 80% de leurs étudiants de premier cycle lors de leurs études. L’Université McGill estime que les mesures gouvernementales « constituent une forme de discrimination sous la Charte canadienne et québécoise des droits et libertés ». McGill prédit ainsi une baisse de ses revenus de 42 à 94 millions de dollars dès septembre en raison de ces mesures gouvernementales. La poursuite légale de McGill contre le gouvernement québécois débutera dans les prochains mois, mais les effets de ces mesures se feront ressentir dès l’automne 2024.

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Terreur en Haïti: la diaspora s’exprime https://www.delitfrancais.com/2024/03/27/terreur-en-haiti-la-diaspora-sexprime/ Wed, 27 Mar 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55320 Une entrevue avec Carl-Henry Désir et Garnel Augustin.

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Le lundi 4 mars 2024, le gouvernement haitien a déclaré l’état d’urgence, suite à la prise d’assaut de deux prisons par les gangs de Port-au-Prince, la capitale, ainsi que la libération de plus de 4 700 prisonniers au cours de la journée précédente. La métropole haïtienne s’est alors retrouvée engouffrée dans la violence, alors que les gangs menaient des attaques contre les institutions de l’État (notamment les stations de police), semant la pagaille à travers la capitale. Pour mieux comprendre la perspective de la diaspora haïtienne à Montréal sur les récents développements, Le Délit s’est entretenu avec Carl-Henry Désir, ancien enseignant de français à la Secrétairerie d’État à l’Alphabétisation en Haïti et présentement enseignant en francisation au Centre de services scolaire de Montréal, ainsi qu’avec Garnel Augustin, pasteur à l’Église Baptiste Nouvelle Jérusalem, située dans Montréal-Nord.

Contexte et développements

Depuis 1900, la politique haïtienne est marquée par d’innombrables interventions indirectes de la communauté internationale, notamment pendant la guerre froide. Haïti subit aussi trois interventions directes, dont une occupation militaire américaine entre 1915 et 1934. Ces interventions, combinées au régime dictatorial de François Duvalier (1957–1971), ont donné lieu à l’émergence d’une violence endémique, alimentée par les gangs. Le pays est ainsi victime d’une violence extrême depuis plusieurs décennies et témoigne d’une intensification marquée de cette dernière depuis le début du mois.

Suite au 4 mars 2024, Jimmy « Barbecue » Cherizier, chef de gang, a averti les autorités que sans la résignation du président intérimaire, Ariel Henry (nommé suite au décès du président Jovenel Moïse), la capitale nationale subirait une guerre civile et un « génocide ». Henry devait en effet quitter ses fonctions présidentielles en février mais a conservé son poste au-delà de son mandat, causant une escalade de la violence menée par les gangs dans Port-au-Prince. Ces derniers, historiquement engagés dans des guerres de territoire à travers la capitale, se sont unis autour de cette demande de démission et refusent depuis toute intervention internationale.

Les deux principaux gangs concernés, le G9, mené par Cherizier, et le GPep, sont pourtant des rivaux de longue date. Le 11 mars 2024, leur décision de s’unir mène finalement à la démission de Henry et à la mise en place d’un conseil transitoire, composé de sept représentants de partis politiques et deux observateurs issus de la société civile et de la communauté religieuse. Le conseil est formé par les Haïtiens, sous les auspices de la Communauté caribéenne (CARICOM), un organisme international comprenant les nations caribéennes. Le conseil a cependant été rejeté par Cherizier, qui affirme que seuls ceux vivant en Haïti sont en mesure de prendre de telles décisions. Au cœur de cette instabilité gouvernementale, le climat socio-politique demeure largement incertain.

« Le plus gros problème, c’est l’insécurité. Il faudrait une commission d’enquête pour trouver ceux qui ont armé les gangs. D’où viennent leurs munitions? Sans analyse plus profonde, un conseil transitoire est une solution éphémère »

Pasteur Garnel Augustin

Perspective de la diaspora

Le succès potentiel d’un conseil transitoire organisé par la CARICOM semble être un sujet contentieux. Le pasteur Augustin affirme qu’une telle mesure pourrait en partie résoudre la violence mais que l’enjeu réel est plus profond : « Le plus gros problème, c’est l’insécurité. Il faudrait une commission d’enquête pour trouver ceux qui ont armé les gangs. D’où viennent leurs munitions? Sans analyse plus profonde, un conseil transitoire est une solution éphémère. » Il identifie également l’enjeu de corruption et explique que l’aide internationale n’est pas acheminée là où elle devrait l’être : « Les politiciens s’approprient l’argent et ceux qui devraient en bénéficier ne reçoivent rien. Ils n’ont pas de vision pour le peuple. » M. Désir, quant à lui, exprime une ambivalence par rapport à l’utilité de la CARICOM, et perçoit l’organisme comme le défenseur des intérêts américains. « La solution ne devrait pas être introduite par la communauté internationale. Celle-ci devrait écouter les demandes du peuple, et non celles des politiciens corrompus », explique-t-il. La question de l’intervention internationale fait également débat. M. Désir explique que les Haïtiens à travers la diaspora montréalaise ont envie de voir leur pays s’épanouir mais qu’il y a des désaccords quant au rôle du Canada dans le processus. Le pasteur Augustin spécule que la volonté politique du Canada de s’impliquer dans les affaires haïtiennes n’existe simplement pas. « Le Canada est plus préoccupé par ce qui se passe en Ukraine ou au Moyen-Orient. On laisse les Haïtiens à leurs propres soins. C’est pourquoi le gouvernement canadien demeure à l’écart. » Il poursuit : « certains pensent que le Canada devrait envoyer des troupes en Haïti, mais je comprends pourquoi ce n’est pas le cas. Une telle intervention pourrait être mal interprétée, et cela nuirait à l’image du Canada. »

M. Désir, pour sa part, souligne l’importance de différencier « le discours officiel du discours officieux », c’est-à-dire, de comprendre qu’une intervention canadienne serait à l’avantage du Canada. Il soutient que l’intervention internationale est en réalité à la base du problème en Haïti : « Certains pensent qu’Haïti n’arrive pas à s’en sortir à cause de la pauvreté, qui serait en quelque sorte inhérente. Selon moi, le problème, au contraire, est qu’Haïti est riche en ressources, et donc que les pays comme le Canada, les États-Unis et la France, auraient intérêt à rester étroitement impliqués dans les affaires du pays. » Les multiples intérêts, selon lui, font donc compétition, et la vision d’Haïti comme pays indépendant s’efface.

« Les Haïtiens ont une mentalité influencée par les intérêts de la communauté internationale […], il faut construire une mentalité haïtienne unie, et c’est un processus qui commence avec l’éducation »

Carl-Henry Désir

C’est pourquoi M. Désir voit comme seule solution un processus de rééducation, par lequel les Haïtiens pourraient développer leur propre mentalité : « Les Haïtiens ont une mentalité influencée par les intérêts de la communauté internationale, axée vers l’extérieur plutôt que vers leur peuple, leur pays. Il faut construire une mentalité haïtienne unie, et c’est un processus qui commence avec l’éducation », affirme t‑il. Cette rééducation serait donc, pour M. Désir, la clé de la solution.

Pasteur Augustin émet une idée similaire : « Ce qu’il faut, c’est avoir une vision collective du pays, le voir grandir et s’épanouir. » Il souligne que le manque d’unité au sein de la communauté crée un obstacle considérable. « On avait discuté de mettre quelqu’un issu de la diaspora haïtienne dans le conseil transitionnel, mais la personne suggérée a été contestée, et le manque de consensus a fait halte au projet. » Selon lui, ce manque d’unité est également visible dans la diaspora haïtienne : « Il y a énormément d’organismes communautaires haïtiens dans la diaspora, mais ils sont divisés et impersonnels. » Il attribue cela à un manque d’organisation, et affirme que les récents déroulements politiques en Haïti n’ont pas fait trop de bruit dans la communauté haïtienne à Montréal. « On se pose des questions, on prie pour que le problème se résolve, on en discute de manière philosophique, mais de manière pratique, on n’est pas très impliqué. »

Cependant, M. Désir et le pasteur Augustin soulignent la capacité du peuple haïtien à surmonter l’adversité. Le pasteur note qu’un organisme au sein de son église couvre la totalité des dépenses d’une école en Haïti, qui accueille plus de 200 élèves. « Nous payons les salaires des employés et des professeurs, les uniformes, et les matériaux, pour faciliter l’accès à l’éducation gratuite. Nous voulons investir dans l’avenir des jeunes haïtiens,
pour qu’ils puissent obtenir une formation et devenir utile dans la communauté. » M. Désir affirme : « Les Haïtiens sont attachés à leur pays, le peuple est fier et cherche l’autodétermination. La diaspora rayonne partout dans le monde. » Il note également la mobilisation en masse de la communauté haïtienne en soutien à la construction d’un canal d’irrigation à la frontière entre Haïti et la République dominicaine. « L’armée dominicaine a été déployée, et malgré cela, les Haïtiens se sont unis et mobilisés pour que le projet avance. » Le pasteur Augustin conclut : « On devrait se réunir pour faire des actions concrètes pour aider le pays, mais sur le plan politique, ce n’est pas évident. »

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Être libraire, ça consiste en quoi? https://www.delitfrancais.com/2024/03/27/etre-libraire-ca-consiste-en-quoi/ Wed, 27 Mar 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55310 Entrevue avec Mario Laframboise, libraire à la librairie Gallimard de Montréal.

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Cette semaine, Le Délit a pu s’entretenir avec Mario Laframboise, libraire à la librairie Gallimard de Montréal. Il a répondu à nos questions sur son parcours, les responsabilités de son métier et les défis du quotidien auxquels il doit faire face.

Le Délit (LD) : Tout d’abord, peux-tu me parler un peu de toi et de ton parcours en tant que libraire?

Mario Laframboise (ML) : J’ai commencé par faire des études de théâtre à l’École Nationale de Théâtre du Canada (ENT) en écriture dramatique. J’ai obtenu mon diplôme en 2016. Dans le contexte de la pandémie, le théâtre, ça devenait compliqué pour moi, mais j’avais besoin de sortir de chez moi. J’avais déjà de l’expérience en vente, et lorsque j’ai eu l’opportunité de travailler pour la librairie Monet, j’ai sauté sur l’occasion. Je lisais beaucoup, j’ai toujours été un littéraire. Cet intérêt pour les arts m’a poussé à travailler chez eux. J’ai commencé dans l’entrepôt, avant de devenir libraire. Dès lors, j’ai commencé à avoir un gros coup de cœur pour ce métier. Alors que j’étais très intimidé par les libraires à l’époque, travailler dans ce domaine m’a incité à poursuivre sur cette voie. Après près d’un an et demi, un poste s’est libéré à Gallimard et j’ai postulé. C’est chez Gallimard que je me suis retrouvé comme à la maison. C’est là où je me suis dit : « Je veux faire carrière ». Cela fait maintenant trois ans et demi que je suis libraire.

« On est constamment confronté à nos angles morts de nos savoirs en tant que libraire. Plus on en sait, plus on se rend compte qu’on ne sait rien »

Mario Laframboise, libraire chez Gallimard à Montréal

LD : Qu’est ce qui te plait le plus dans ton métier?

ML : Le rapport aux clients, mais pas que. On a tendance à réduire le métier à ça, mais ce n’est pas seulement le cas. Ce que j’aime, c’est pouvoir apprendre quotidiennement sur la littérature et le monde de l’édition. On se rend compte qu’on ne peut jamais tout lire, car la quantité de livres publiés chaque jour est immense. Malgré cela, on rencontre des auteurs, des lecteurs, des éditeurs. Je suis baigné dans cette culture et c’est très enrichissant humainement. En plus, j’aime les tâches quotidiennes que nous devons effectuer, comme réceptionner les livres, les répertorier, les emballer… Le métier de libraire est riche.

LD : Quel est le plus gros défi auquel tu es confronté?

ML : La chose principale sur laquelle je travaille, c’est ma confiance en moi. On est constamment confronté aux angles morts de nos savoirs en tant que libraire. Plus on en sait, plus on se rend compte qu’on ne sait rien. Ça demande beaucoup d’humilité de dire à un client qu’on ne sait pas, mais qu’on va se renseigner. C’est une opportunité pour apprendre, mais gagner en confiance en soi, c’est le plus dur. Ça ne me diminue pas en tant que personne de ne pas savoir quelque chose. Je suis aussi épaulé par des co-directeurs qui m’aident à me développer, tout comme mes collègues. Il y a souvent des clients qui sont étonnés qu’on ne connaisse pas tel auteur ou tel livre. La beauté de la chose, c’est qu’on en apprend tous les jours !

LD : En quoi consiste la journée type d’un libraire? Quelles sont les tâches que tu dois effectuer?

ML : Ce n’est pas pareil dans toutes les librairies, mais chez Gallimard, on s’occupe de tout. La journée type varie, car on a des rotations. Généralement, le matin, quelqu’un s’occupe de réceptionner les livres que nous recevons. Il y a aussi une personne qui traite les commandes en ligne. En plus, nous devons répondre quotidiennement aux courriels que l’on reçoit. Durant la journée, on doit également répertorier les livres et aider les clients, évidemment. Enfin, nous sommes aussi chargés de créer du contenu pour nos réseaux sociaux, d’écrire des notes de lecture, de gérer les stocks, et de s’informer de l’actualité pour être au courant de ce qui se passe dans le monde littéraire. Les gens ne s’en rendent pas toujours compte, mais en réalité, le métier de libraire c’est à peu près 15% de service à la clientèle et 85% de gestion de stock.

LD : Plus spécifiquement par rapport à Gallimard, pourquoi avoir choisi d’y travailler? Qu’est ce qui rend cette librairie unique?

ML : Je dirais que c’est leur vision. La librairie Gallimard forme une toute petite équipe par rapport à d’autres. Ils ont un désir de former des libraires de carrière et la volonté d’offrir une formation à long terme avec des libraires qui connaissent leur métier en profondeur. C’est dans cette vision que je me suis reconnu. Je veux viser l’excellence, pas du jour au lendemain, mais petit à petit essayer de devenir meilleur. Chez Gallimard, je suis entouré de personnes qui m’inspirent, notamment mes co-directeurs, et qui ont beaucoup d’expérience. De plus, il y a évidemment le prestige associé avec la maison d’édition Gallimard, comme avec les collection « la Pléiade », « la Blanche », « Du monde entier », « Folio ». C’est une maison d’édition qui contribue depuis plus de cent ans au rayonnement de la littérature. Beaucoup de personnes viennent nous voir pour acheter des classiques parce que nous sommes une librairie qui travaille sur le fond. On propose aussi de la nouveauté, mais ce fond, c’est important de le connaître. Enfin, quelque chose que je trouve important de souligner, c’est la proximité avec les universités et les milieux culturels. Chaque jour, je fais face à une clientèle qui me pousse intellectuellement et me stimule malgré les difficultés que je rencontre. C’est une clientèle très variée : certains viennent pour me parler d’actualités, d’autres sont très cultivés et ont besoin de recommandations précises.

« Les gens ne s’en rendent pas toujours compte, mais en réalité, le métier de libraire c’est à peu près 15% de service à la clientèle et 85% de gestion de stock »

Mario Laframboise, libraire chez Gallimard à Montréal

LD : Quels genres de livres proposez-vous à la librairie?

ML : On ne travaille pas seulement avec Gallimard, mais aussi avec d’autres maisons d’édition. On propose vraiment de tout à la librairie et on essaie de mettre la littérature québécoise en avant. En littérature du monde, on classe les livres par groupe linguistique ou par pays. Chaque librairie va proposer un classement un peu différent. Ce que j’apprécie dans cette façon de faire, c’est que ça met de l’avant la diversité littéraire. Ce n’est pas « la » littérature, mais « les » littératures du monde. Cette catégorisation nous invite à apprécier la langue et les cultures différemment.

LD : Peux-tu me parler du rapport avec le client? As-tu des anecdotes?

MD : Les clients ont beacoup d’attentes lorsqu’ils viennent chez Gallimard. Ils sont parfois intimidés par les libraires – d’autres fois, c’est nous qui le sommes par eux – mais aussi par le prestige de la maison d’édition. Pourtant, plus les gens nous parlent, plus ils sont surpris de voir que nous sommes des gens faciles d’accès et que notre métier est simplement de promouvoir la lecture. Ils constatent que l’on peut parler de tout et qu’on est ouvert d’esprit. Il nous arrive de ne pas viser juste lorsqu’on fait des recommandations, mais les clients reviennent nous voir pour en parler, et nous arrivons à mieux les comprendre. Le métier de libraire nous demande de faire preuve de beaucoup d’humilité et d’accepter le fait qu’un livre ne peut pas plaire à tout le monde. On lit toujours avec subjectivité. Même lorsqu’on essaie de créer une connexion avec le client, la lecture reste un voyage solitaire. J’ai deux anecdotes que j’aime partager. Je me souviens d’un client qui m’a demandé des conseils pour trouver un roman policier. Je lui avais conseillé un livre et il m’a avoué par la suite que ça allait être son premier livre en tant qu’adulte. Je lui ai dit de ne pas être gêné et j’espérais que ma recommandation allait lui donner l’envie de lire. Je trouve ça beau comme histoire, surtout le fait qu’il ait eu le courage de venir à la librairie. La deuxième, c’était un professeur au cégep qui a été forcé d’arrêter de lire après un problème de santé. Il m’avait expliqué qu’il n’arrivait plus à lire de longs chapitres. Je lui ai donc conseillé un livre avec de courts chapitres, en espérant qu’il puisse l’apprécier. Il est revenu me voir deux semaines après pour me dire qu’il avait pu le lire au complet et que ça l’avait complètement reconnecté à la lecture. C’est ce genre de situations qui valorisent notre métier.

Portrait de Mario Laframboise par Dominika Grand’Maison | Le Délit

LD : Quels sont les événements ou les activités que vous organisez régulièrement à la librairie pour engager la communauté?

ML : Au sein même de notre librairie, on a une personne chargée de la coordination des évènements. Parfois, les éditeurs que nous recevons nous proposent des lancements, parfois la diffusion, ou parfois c’est nous qui les approchons. Il n’y a pas vraiment de règles. Les lancements et les autres événements promotionnels, ça permet aussi aux éditeurs de connaître le goût, le style des différentes librairies. On organise aussi régulièrement des causeries avec des auteurs étrangers, ou des discussions autour des thématiques du livre. Cela permet en quelque sorte d’abattre les barrières entre l’auteur et les lecteurs, de les démystifier. Les lecteurs sont toujours surpris de pouvoir discuter librement avec des écrivains. Enfin, on organise des événements en collaboration avec les festivals (par exemple FIKA(S) ou Métropolis Bleu) ou d’autres événements autour de la littérature, comme notre participation cette année à la Nuit Blanche avec des lectures à la librairie. Nous communiquons de trois façons : sur nos réseaux sociaux (Facebook et Instagram), notre site Internet, ainsi que notre infolettre. Il est possible de s’inscrire à cette dernière sur notre site afin de recevoir les informations concernant les événements à venir.

« Le métier de libraire nous demande de faire preuve de beaucoup d’humilité et d’accepter le fait qu’un livre ne peut pas plaire à tout le monde. On lit toujours avec subjectivité. Même lorsqu’on essaie de créer une connexion avec le client, la lecture reste un voyage solitaire »

Mario Laframboise, libraire à la librairie Gallimard de Montréal.

LD : Enfin, je suis curieuse de connaître tes goûts personnels. As-tu un livre à me recommander?

ML : Au niveau de mes lectures personnelles, je lis de tout pour apprendre davantage, mais j’aime beaucoup les polars et la littérature étrangère, plus largement. Je suis également attiré par la science-fiction. Même si, pour moi, c’est très important d’acheter de la littérature québécoise, je trouve que la littérature étrangère nous permet de continuer à aiguiser notre empathie sur le monde. Je promouvoie beaucoup cette catégorie. Enfin, si je devais recommander un livre, ce serait Fungus : Le Roi des Pyrénées d’Albert Sánchez Piñol. C’est l’histoire d’un petit diable alcoolique qui se réfugie dans une grotte et qui réveille par accident d’énormes champignons. Il décide de créer une cellule révolutionnaire anarchiste avec eux et tient des discours sur la classe prolétaire, mais agit en réalité comme despote. Ce que j’aime, c’est le décalage entre le ton épique et la situation niaiseuse. C’est aussi une réflexion intéressante sur les enjeux de pouvoir. Je ne peux que le conseiller, c’est mon livre préféré!

La librairie Gallimard se situe au 3700 Boul. Saint-Laurent, Montréal. Plus d’informations sur leur site https://www.gallimardmontreal.com/

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Vers une mode plus durable https://www.delitfrancais.com/2024/03/27/vers-une-mode-plus-durable/ Wed, 27 Mar 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55306 La France propose une loi contre la mode éphémère.

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Le 14 mars 2024, l’Assemblée nationale française a adopté à l’unanimité la proposition de loi présentée par Anne-Cécile Violland, députée du groupe politique Horizons, visant à limiter la pollution engendrée par l’industrie de la mode éphémère (fast fashion). Cette initiative vise à freiner la croissance des entreprises liées à la mode éphémère et à promouvoir une consommation responsable et éthique de la mode.

Qu’est-ce que la mode éphémère?

La mode éphémère, aussi connue sous les appellations de « fast fashion », « mode éclair » ou encore « mode express », est un phénomène qui a révolutionné l’industrie textile au cours des dernières décennies. Cette tendance consiste à constamment produire de nouveaux vêtements en grande quantité et à renouveler sans cesse les collections. Cependant, derrière cette effervescence commerciale se cachent des conséquences sociales, économiques, et surtout environnementales majeures, comme l’a récemment souligné la proposition de loi nº258 en France, ayant pour objectif de diminuer l’empreinte écologique de l’industrie textile.

En effet, l’industrie de la mode est responsable de 10% des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES), soit plus que les secteurs maritimes et aériens réunis. Avec ses « 7 200 nouveaux vêtements par jour », la marque de mode éphémère Shein incarne parfaitement les excès de la production de masse à bas coût. Cette production excessive est justifiée par les compagnies de mode express en réponse à une demande constante de nouveaux produits. Pourtant, 85% des textiles initialement produits pour le marché se retrouvent au dépotoir la même année. En plus des graves retombées écologiques de cette industrie, leurs méthodes éthiques et sociales, comme le travail des enfants et les rémunerations extrêmement basses, sont souvent critiquées.

Une loi ambitieuse

Pour contrer ces effets néfastes, la France a récemment adopté une proposition de loi visant à réguler l’industrie de la mode éphémère. Cette loi comprend plusieurs mesures clés, notamment une interdiction de la publicité pour les textiles les moins chers, ainsi qu’une taxe environnementale sur les articles à bas prix. Cette taxe, qui sera progressivement mise en place à partir de l’année prochaine, vise à sensibiliser les consommateurs aux impacts écologiques de leurs achats. Les revenus seront utilisés pour subventionner les producteurs de vêtements durables, favorisant ainsi une transition vers une industrie de la mode plus respectueuse de l’environnement. Une des dispositions les plus notables de cette loi est l’obligation pour les producteurs de mode éphémère d’informer les consommateurs quant à l’empreinte environnementale de leurs produits à l’aide d’un éco-score. L’interdiction de la publicité, la promotion de compagnies et l’affichage d’enseignes pour les produits de mode éphémère sera renforcée, avec des amendes allant de 20 000 à 100 000 euros, applicables en cas de non-respect de cette réglementation. Cette transparence permettra aux acheteurs de prendre des décisions plus éclairées et de soutenir les marques qui s’engagent pour la durabilité.

« L’industrie de la mode est responsable de 10% des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES), soit plus que les secteurs maritimes et aériens réunis »

Sera-t-elle efficace?

Malgré ces mesures encourageantes, des défis subsistent. La mode éphémère est profondément ancrée dans les habitudes de consommation et les pratiques commerciales, ce qui rend difficile sa régulation. L’application et l’impact réel de cette loi restent à être évalués, notamment en ce qui concerne la capacité à réduire significativement les émissions de carbone et la production de déchets textiles. La proposition de cette loi française contre la mode éphémère marque une étape importante dans la lutte contre les pratiques néfastes de l’industrie textile. En mettant l’accent sur la sensibilisation des consommateurs, la transparence et la taxation écologique, la France montre la voie vers une mode plus durable et éthique. La promulgation de cette loi au Sénat français est toujours en attente.

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Rendre le monde indisponible https://www.delitfrancais.com/2024/03/27/rendre-le-monde-indisponible/ Wed, 27 Mar 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55302 Lire Hartmut Rosa pour réfléchir au sens de la vie.

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Vous etes vous déjà questionné sur le sens de vos actions? En tant qu’étudiants, on a souvent le nez dans les livres, parce qu’on se dit toujours dit qu’il fallait « travailler dur pour pouvoir choisir ce qu’on fera plus tard », comme si travailler dur et « réussir » était une promesse de l’accomplissement de nos désirs, et donc, d’accès au bonheur. Mais s’est-on déjà réellement posé la question quant à la raison pour laquelle on s’obstine à vouloir toujours « réussir »? Dans son livre Rendre le monde indisponible, le sociologue et philosophe allemand Hartmut Rosa s’intéresse à cette idée selon laquelle la réussite et le progrès sont la source du bonheur. Voici quelques applications de sa pensée, à notre société, et à notre quotidien d’étudiant.

La modernité tardive [le monde contemporain, ndlr] a fait de cette logique productiviste son mantra. Elle est aujourd’hui ancrée à peu près partout, et conditionne nos actions et nos modes de pensée. En tant qu’étudiants, nous n’y échappons pas, et nous subissons de plein fouet ce déterminisme social qui régit nos actions. Dès l’enfance, nous sommes conditionnés par la nécessité d’avoir les meilleures notes possibles à l’école, et de s’améliorer au fil des ans, afin de s’assurer cette « réussite » et un avenir prospère.

Aujourd’hui encore à l’université, bien que nous étudions quelque chose qui nous intéresse (enfin, je l’espère pour vous), il est facile de se perdre dans cette course à la performance et d’en oublier le but premier : s’épanouir par l’apprentissage. Dans cette course effrénée, on veut toujours aller plus loin, avoir de meilleures notes pour s’assurer d’atteindre des maîtrises encore plus prestigieuses par la suite. En effet, poursuivre son parcours dans une institution moins prestigieuse que l’actuelle s’avérerait un échec cuisant.

La course à la disponibilité

Pour Hartmut Rosa, cette course effrénée atteste de l’accélération de notre monde, et de notre culture capitaliste, qui pose la nécessité de toujours croître, d’approprier et maîtriser davantage. Tout comme la croissance économique est perçue comme nécessaire au bonheur des sociétés contemporaines, accéder à plus de choses et progresser [selon la même logique que la croissance économique, ndlr] est présenté comme une promesse, si ce n’est une condtion au bonheur individuel. Dans son livre, Rosa explique que cette accélération a pour motif de rendre toujours plus de choses « disponibles », c’est-à-dire appropriables, maîtrisables.

Cette logique a su convaincre toute la société, et nous aussi les étudiants. Animés par cette idée selon laquelle la « réussite » est une promesse au bien-être parce qu’elle rend les choses disponibles (notamment par l’argent qu’elle procure), nous souhaitons toujours faire plus, en moins de temps possible : si j’ai écrit une dissertation en deux jours la semaine dernière, je veux maintenant l’écrire en un jour aujourd’hui, tout en maintenant la même qualité, voire améliorer mon texte. Pourtant, si nous présentons souvent la réussite comme le fait d’avoir les meilleures notes possibles, il nous est néanmoins difficile de la définir clairement (si vous aussi vous souhaitez « réussir », posez-vous d’abord la question : c’est quoi réussir?).

« Cette course effrénée atteste de l’accélération de notre monde, et de notre culture capitaliste, qui pose la nécessité de toujours croître, d’approprier et maîtriser davantage »

Hartmut Rosa considère que cette course effrénée visant à « rendre le monde disponible » a entraîné l’aliénation de nos sociétés. Elle n’est plus un moyen pour aboutir à une fin (le bonheur), mais une fin en tant que telle. Pour Rosa, ce phénomène cause des dommages importants sur nos sociétés toutes entières ; à travers cette logique qui dirige leurs vies, les individus deviennent étrangers à eux-mêmes et semblent « ne plus se reconnaître », ce qui donne parfois naissance à des crises identitaires et professionnelles, comme le burn-out.

L’indisponibilité du bonheur

Si la réussite nous permet d’accéder à plus de choses en les rendant plus « disponibles », pourquoi ne promet-elle
pas un accès au bonheur? Pour répondre à cette question, Rosa nous appelle à ne pas confondre « disponibilité » et « résonance ». Ce qui nous rend réellement heureux, c’est-à-dire les sentiments de bonheur et de bien-être, ne sont ni contrôlables, ni appropriables. Ce n’est pas parce que les choses nous sont disponibles qu’elles éveillent en nous un sentiment de bonheur. Par exemple, ce n’est pas parce que vous voyagez à Tokyo ou à Venise que ces villes vous toucheront et créeront en vous un sentiment particulier. Selon lui, pour vivre de telles émotions, l’accès et la disponibilité ne suffisent pas, il faut aussi « entrer en résonance ». Rosa décrit cette résonance comme l’entrée en relation cognitive, affective, ou corporelle entre un sujet et son environnement, son prochain, ou son action. Ce phénomène n’est pas contrôlable et demande davantage qu’une simple disponibilité. Elle demande à l’individu d’être suffisamment ouvert pour pouvoir se laisser « toucher » émotionnellement par son expérience du monde.

Rosa concède que son concept de « résonance » est opaque. En revanche, il en donne un exemple tout à fait parlant dans son livre : l’amour. Une relation amoureuse est une relation de résonance entre deux êtres humains. C’est une relation qui « touche » les individus. Si une personne peut mettre le plus de choses en œuvre afin d’accroître ses chances de tomber amoureuse le plus vite possible, en se rendant « disponible » lors des moments où elle rencontre une autre personne, la création de la relation amoureuse en tant que telle reste pour elle tout à fait indisponible : ses propres sentiments ne sont pas contrôlables, ni ceux de l’autre personne concernée. Nous ne pouvons pas savoir si la relation se créera, et c’est justement pour cela qu’elle a de la valeur pour nous. Une relation aurait-t-elle de la valeur si elle était pleinement prévisible et contrôlable? Selon Rosa, ce qui est « rendu calculable et maîtrisable [disponible, ndlr], ne perd pas seulement sa magie et sa couleur, mais aussi son sens ». Pour revenir à notre idée principale, la réussite et la mise à disposition du monde ne sont donc pas une promesse au bonheur. Ce dernier découle plutôt d’une relation de résonance, qui elle-même appelle à l’indisponibilité.

«Ne voyons pas le bonheur comme quelque chose de futur, faisons en plutôt quelque chose du présent. »

Une solution : ralentir

Rosa nous fait donc comprendre que notre obstination à toujours réussir et accomplir plus de choses n’est pas, contrairement à ce que nous pensons, la voie d’accès au bien-être et au bonheur. En réalité, la résonance nous est fondamentalement indisponible : on ne peut la contrôler. Cela ne veut pas pour autant dire qu’on ne peut rien faire pour s’ouvrir des voies vers le bien-être. Sans forcément s’assurer d’entrer en résonance, on peut garder des portes ouvertes pour se laisser toucher par notre monde. Rosa montre que c’est d’ailleurs pour cela que les gens vont au musée, pour potentiellement être marqués par une œuvre, sans pour autant en être certains.

Si Hartmut Rosa pouvait nous donner un conseil à nous les étudiants, ce serait sans doute de ne pas gâcher nos études en nous obstinant à avoir des bonnes notes, dans un but très vague de réussite. Il nous conseillerait de profiter de nos études pour faire ce que l’on aime, et d’utiliser cette période pour s’ouvrir à la discipline que l’on étudie. Si nous pouvions définir clairement ce qu’est la réussite, elle s’apparenterait sans doute à cette capacité à profiter du moment présent, et à se laisser toucher par son environnement, ses proches, et ses intérêts. Ne voyons pas le bonheur comme quelque chose de futur, faisons en plutôt quelque chose du présent.

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Poutine : le président roi https://www.delitfrancais.com/2024/03/27/poutine-le-president-roi/ Wed, 27 Mar 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55299 Retour sur les élections présidentielles en Russie.

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Du le 15 au 17 mars derniers, les électeurs russes se sont rendus aux urnes pour les élections présidentielles. Vladimir Poutine, au pouvoir depuis 2000, a été réélu sans grande surprise, remportant plus de 87% des suffrages exprimés. Alors que dans les années 90, la Russie pouvait être qualifiée de démocratie émergente, avec un certain degré de compétition entre les différents acteurs politiques, aujourd’hui le pays s’enfonce toujours plus dans l’autocratie.

Les élections russes sont loin de rebattre complètement les cartes du paysage politique Russe, tant au niveau national qu’international. Ces élections, qui placent Poutine au pouvoir jusqu’en 2030, ont été largement manipulées par le régime : les estimations du journal d’opposition Novaïa Gazeta et de l’ONG Golos varient entre 22 et 31,6 millions de votes volés, soit environ un tiers à la moitié de l’électorat russe. Bien que le degré de falsification des votes cette année soit inédit, un constat similaire avait pu être fait au cours des précédentes élections. En entretien avec Le Délit, Juliet Johnson, professeure de science politique à McGill et spécialiste de la politique russe, explique que les techniques de manipulation des élections ont bien souvent lieu avant les élections elles-mêmes : « Certains candidats viables n’ont pas été autorisés à se présenter pour diverses raisons, et cette fois-ci, il n’y a pas eu d’organisme indépendant pour surveiller les élections. Précédemment, il y avait des observateurs indépendants, ou du moins des organisations capables de réaliser des sondages à la sortie des bureaux de vote. Lors des élections présidentielles, il y avait des caméras dans les bureaux de vote qui permettaient de détecter de nombreuses manipulations. Aujourd’hui la majorité des caméras ont été retirées. (tdlr) »

Le régime crée donc un environnement dans lequel la surveillance et l’impartialité des élections sont compromises avant même de passer aux techniques plus directes de fraude électorale. Johnson nous explique que cette année le bourrage d’urnes, au travers duquel les autorités électorales ajoutent illégalement un grand nombre de votes en faveur d’un certain candidat dans l’urne, a été particulièrement utilisé. Si la fraude électorale n’est pas nouvelle, Johnson relève néanmoins d’importants changements : pour elle, le fait que Poutine ait obtenu plus de 87% des voix, un score inédit, révèle des failles au sein de l’organisation du régime. «Un score de 87% semble même trop élevé, ce qui montre que les agents de Poutine qui s’occupent de la manipulation électorale ont sûrement “trop” bien accompli leur mission d’augmenter le score de Poutine par rapport aux années précédentes. » Johnson développe : « Cela met en lumière une potentielle faiblesse. Le fait que lui et les personnes qui l’entourent aient ressenti le besoin d’utiliser les élections comme un moyen de montrer un soutien populaire massif est révélateur. Je pense que cela montre un peu d’inquiétude de leur part. »

« Le niveau d’intimidation provenant du régime est aujourd’hui très fort. Les gens ont peur, certes, mais je pense que ce qui est encore pire, d’une certaine manière, c’est la croissance d’un sentiment de désespoir »

Juliet Johnson, professeure de science politique à McGill et spécialiste de la politique russe

Les élections sont un élément clé pour légitimer le pouvoir des dictateurs à la tête de régimes autoritaires. Les élections sont une sorte de façade qui permet de normaliser un pouvoir souvent abusif et brutal, car elles sont censées correspondre au choix du peuple. Pour Poutine, elles sont un point de passage clé afin qu’il puisse continuer à dire qu’il représente le peuple russe.

Les élections permettent également de solidifier les dynamiques de pouvoir au sein même du pays, en mettant en action le clientélisme entre Poutine et ses « fidèles », qui pénètre toutes les sphères de la société russe. Johnson révèle que « les élections sont un moyen pour les dirigeants régionaux russes de démontrer à la fois leur loyauté envers Poutine et leur capacité à matérialiser des votes en sa faveur, mais également un moyen de mesurer le degré de conformité des citoyens avec le régime. Ainsi, si vous êtes fortement encouragés à voter, que vous savez pour qui vous êtes encouragés à voter et que tout le monde autour de vous va voter, ce petit acte de conformité a un effet sur l’ensemble de la société. Ce n’est donc pas seulement la peur qui empêche les gens de voter. Ce n’est pas seulement la peur qui maintient Poutine au pouvoir. C’est tout ce système. »

La professeure nous a confié qu’aujourd’hui en Russie l’espoir semble se tarir. Les citoyens s’habituent de plus en plus à ce système répressif qui les encourage à voter pour Poutine. Pour beaucoup, le processus électoral a été l’illusion d’un choix. Même s’ ils ne voulaient pas de Poutine, les alternatives crédibles qui auraient pu le mettre en danger politiquement ont une à une été réduites au silence. Comme le dit Johnson: « Le niveau d’intimidation provenant du régime est aujourd’hui très fort. Les gens ont peur, certes, mais je pense que ce qui est encore pire, d’une certaine manière, c’est la croissance d’un sentiment de désespoir. »

La société civile s’essouffle et le régime devient de plus en plus répressif. La mort d’Alexeï Navalny en février dans une prison de haute sécurité du cercle arctique a été largement attribuée au régime, que cela soit par négligence de son état de santé ou par réel assassinat. Il était la principale figure de l’opposition, et un fort symbole d’espoir pour beaucoup de Russes. Malgré la situation, un mouvement de contestation s’est quand même organisé lors des élections : « Il y a eu un grand mouvement pour que les gens aillent voter à midi pile le 17 mars. C’est un signe clair d’opposition au régime. L’idée était soit de voter nul, soit de voter pour un autre candidat. Mais le message important, c’était la présence d’une foule nombreuse. L’intérêt c’est qu’on ne peut pas désigner un individu en particulier, parce qu’il peut y avoir aussi beaucoup de gens qui votent aussi pour Poutine dans la file. C’est donc un moyen de montrer son désaccord sans que le régime puisse identifier des individus précis. Et les files d’attente étaient bien plus longues que d’habitude. En ce sens, la stratégie a fonctionné, surtout dans des endroits comme Moscou ou d’autres grandes villes comme Ekaterinbourg. »

Ce genre de mouvement reste limité, notamment à cause du climat de peur qui règne actuellement en Russie. Par ailleurs, ces évènements ne sont pas relayés par les médias gouvernementaux russes, qui sont largement censurés par le régime. Il est aussi important de rappeler que Poutine reste une figure très populaire auprès d’une grande partie de la population : « Certains ont également l’impression que Poutine a remis la Russie sur la carte en tant que grande puissance et qu’il parle au nom des intérêts internationaux de la Russie et des Russes, ce qui est une grande source de respect. » Il a émergé notamment en opposition à la figure de Boris Eltsine, son prédécesseur, qui est aujourd’hui encore reconnu par beaucoup de Russes comme responsable de la période de déstabilisation financière et politique des années 90. En quelque sorte, Poutine a réussi à remettre la Russie sur les rails.

Au vu des élections de 2024, l’invasion de l’Ukraine qui dure depuis maintenant deux ans continuera très probablement, mais les possibilités que Poutine adopte une approche plus agressive reste peu probable. Cette élection laisse à Poutine une marge de manœuvre sur le plan interne. Néanmoins, Juliet Johnson rappelle qu’il doit tout de même faire attention à ne pas trop créer d’opposition à travers des politiques qui peuvent s’avérer dures, comme la conscription obligatoire de jeunes pour alimenter les effectifs de soldats en Ukraine. Johnson ajoute : « Il faudrait beaucoup de choses pour qu’une grande partie de la société se retourne contre Poutine. Mais si un grand nombre de jeunes hommes russes finissent non seulement par aller en Ukraine, mais aussi par y mourir, cela peut créer pas mal de problèmes. Poutine est très conscient des précédents de la première guerre de Tchétchénie, au cours de laquelle de nombreux conscrits russes sont morts. […]Tout dictateur donne l’impression d’avoir un contrôle énorme, mais ce genre de système est également fragile. Poutine a beaucoup de pouvoir entre les mains, un pouvoir que d’autres personnes aimeraient avoir. »

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Capturer le dynamisme https://www.delitfrancais.com/2024/03/20/capturer-le-dynamisme/ Wed, 20 Mar 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55243 Entrevue avec Siphan Lê, photographe sportif.

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Pour cette édition spéciale sur le sport, Le Délit a eu la chance de discuter avec Siphan Lê, un photographe passionné qui s’est spécialisé dans la photographie sportive en parallèle de son métier d’ingénieur. Il a pu répondre à nos questions et nous a également partagé certains de ses clichés favoris.

Le Délit (LD) : Tout d’abord, d’où te vient cet intérêt pour la photographie?

Siphan Lê (SL) : Cette passion me vient principalement de mon père, qui amenait toujours avec lui son appareil photo Nikon FE ainsi que deux ou trois objectifs. Lorsque j’ai commencé mes études, je me suis inscrit au club de photographie de mon école. C’est là que j’ai appris à manipuler ce boîtier ainsi que les techniques de développement argentique en salle noire. J’ai alors fait mes premiers pas en photographiant la ville dans laquelle j’étudiais, ainsi qu’en documentant les événements qui avaient lieu dans mon école d’ingénieur à Angers. À cette époque, j’étais l’un des rares étudiants à posséder un appareil photo et j’étais donc celui qui documentait les événements du quotidien universitaire, dont de nombreux événements sportifs. Cet intérêt pour la photographie ne m’a jamais quitté et j’ai continué ce hobby après mes études.

LD : Pourquoi le sport en particulier?

SL : Pratiquant moi-même de nombreux sports, comme le triathlon – discipline mêlant course à pied, vélo, et natation – j’ai été amené à photographier les différentes activités et compétitions auxquelles participait mon club. D’amateur, je suis passé au statut de professionnel, bien que cela reste une pratique que j’effectue en parallèle à mon travail principal. Mon réseau de connaissances m’a amené à être souvent sollicité pour photographier des événements sportifs. Ce même réseau m’a aussi permis d’obtenir les accréditations nécessaires pour accéder à des compétitions plus prestigieuses

LD : En quoi la photographie sportive est-elle un exercice différent de la photographie de paysages ou de portraits? Comment arrives-tu à capturer le dynamisme de tes sujets?

SL: La particularité de la photographie sportive vient du fait que nous ne pouvons pas répéter les poses. Les photos sont prises au 1/1000 de secondes : nous pouvons considérer que nous disposons d’un millième de secondes pour pour prendre le cliché qu’il nous faut. Pour ce faire, la partie repérage est essentielle. Il faut savoir anticiper quels seront les mouvements des athlètes, où ils passeront, et aussi prédire la lumière à ce moment-là. Il faut aussi parvenir à se placer en conséquence pour les épreuves de course à pied, qui sont parfois étendues sur plusieurs kilomètres, pour avoir un maximum de photos exploitables. Bien entendu, les réglages de l’appareil doivent être prêts et je dois pouvoir me fier entièrement sur les capacités du focus automatique, bien plus efficace que l’œil humain.

LD : Quelles sont les difficultés particulières associées au fait de photographier des athlètes?

SL : Il faut garder à l’esprit que les athlètes gagnent leur vie en partie grâce au Prize-Money (primes) de la compétition, mais aussi beaucoup grâce à leur image. Ces derniers sont donc très pointilleux sur les clichés que l’on publie d’eux et demandent souvent un droit de regard. Par ailleurs, il faut savoir gérer avec les commanditaires et leur club, qui veulent souvent pouvoir gérer la communication autour des athlètes et embauchent parfois un photographe officiel avec qui on se retrouve parfois en compétition indirecte.

LD : Enfin, peux-tu me parler des projets sur lesquels tu as travaillé ces dernières années?

SL: Récemment, j’ai découvert de nombreuses courses à pied et autres compétitions de natation. Plus particulièrement, j’ai travaillé sur un projet qui me tenait à cœur : la composition d’un ouvrage documenté regroupant une vingtaine d’athlètes et d’entrevues, dont l’objectif était de mettre en avant l’intégration des communautés LGBTQ+ dans le sport. Dans le cas de ce livre, nous avons non seulement fait des entrevues avec des athlètes homosexuels, mais un ensemble d’athlètes de haut niveau, quelle que soit leur orientation sexuelle, afin de leur demander quel était leur regard sur la difficulté d’être queer dans le monde sportif. L’ancienne ministre des sports, Roxana Maracineanu (voir photo 5), a également pris part à ce projet et était très enthousiaste à l’idée de contribuer à cet ouvrage et de communiquer à ce sujet. L’ensemble des photos prises a ensuite été exposé dans le hall de la mairie de Paris ainsi que dans le cadre d’ une exposition itinérante. Cet ouvrage était la commande de la fondation FIER, qui organise notamment les Gay Games à Paris.

Siphan Lê | Le Délit Paris Eiffel jumping 2018
Sandra Dodet (triathlète française) s’échauffant avant le triathlon de Paris 2018
Siphan Lê | Le Délit
Siphan Lê Tiger Woods lors de la Ryder Cup 2018 au Golf national de Saint-Quentin-en-Yvelines (France)
Siphan Lê | Le Délit Roxana Maracineanu (médaillée d’argent aux Jeux olympiques de Sydney et ancienne ministre des Sports en France) posant pour la cause LGBTQ+ dans le monde sportif

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Dune : deuxième partie – une odyssée visuelle https://www.delitfrancais.com/2024/03/20/dune-deuxieme-partie-une-odyssee-visuelle/ Wed, 20 Mar 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55237 Critique du nouveau chef d’oeuvre cinématographique de Denis Villeneuve.

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Le 1er mars dernier, Dune : deuxième partie a pris l’affiche, deux ans et demi après la parution de la première partie. Alors que le premier opus réalisé par le réalisateur québécois Denis Villeneuve avait fait un carton en remportant six Oscars [notamment pour les aspects techniques comme la photographie, le son ou encore les décors, ndlr], la sortie du deuxième film était plus qu’attendue.

Tout comme la première partie, le casting ne déçoit pas. On y compte évidemment Timothée Chalamet et Zendaya ; mais on retrouve aussi des acteur·ice·s de renom comme Florence Pugh, Léa Seydoux, Javier Bardem, ou encore l’excellente Rebecca Ferguson… Vous l’aurez compris, impossible de tous·tes les lister.

Synopsis
Au cas où vous n’auriez pas encore entendu parler de ce film (peut-être vivez-vous vous aussi dans les souterrains d’Arrakis?) Dune est une série de six romans de science-fiction, parus entre 1965 et 1985, et écrits par l’auteur américain Frank Herbert. En 1986, alors que la saga n’est pas terminée, l’auteur décède, et son fils décide de reprendre le flambeau. Brian Herbert écrira plus d’une dizaine de livres poursuivant la saga. Cette série renferme une histoire longue et complexe, mêlant romance, politique, drame et action. Dune est le surnom de la planète Arrakis, caractérisée par sa chaleur, son sable, et sa population native : les Fremen. Paul Atréides est le personnage principal, qui va devoir affronter son destin pour rétablir la paix dans la galaxie. À la fin de Dune : première partie, Paul et sa mère sont parvenus à rejoindre les Fremens après qu’une attaque orchestrée par les Harkonnens ait décimé l’entièreté des Atréides, leur « maison » [qui s’apparente d’ailleurs davantage à une « lignée », ndlr]. Dune : deuxième partie correspond à la suite linéaire du premier opus.

Chef d’œuvre cinématographique ?
Denis Villeneuve a encore su impressionner : visuellement, le film est un chef‑d’œuvre. Que ce soit pour représenter l’immensité et l’hostilité du désert, la cruauté des Harkonnen ou la violence des combats, le cadrage et le jeu de lumières transforment le visionnement du film en une réelle immersion dans le monde fictionnel de Herbert. Aux plans saisissants s’ajoutent les costumes majestueux et resplendissants des personnages, qui donnent vraiment à l’univers de Dune son intemporalité poétique, mêlant éléments technologiques du futur, et reliques du passé.

Si une chose peut décevoir, c’est l’utilisation un peu limitée de la musique. Alors que la musique du premier opus berçait les plans de paysages et rythmait l’entièreté du film – ce qui contribue d’ailleurs beaucoup à sa qualité – ce deuxième opus laisse nettement moins de place à la bande sonore composée par Hans Zimmer, ce qui est regrettable. En revanche, ne nous désolons pas, le peu de musique que nous pouvons entendre reste tout à fait superbe.

En profondeur
Lors du visionnement, impossible de rester indifférent face à la place prépondérante qu’occupe la religion dans le film. Alors que la première partie s’intéressait davantage à l’environnement de d’Arrakis, le scénario du film est cette fois-ci davantage rythmé par sa culture et particulièrement par la religion. Tout au long du film, la « prophétie » pousse Paul, inévitablement, à devenir le meneur d’une guerre sainte, d’un jihad armé [Herbert utilise cette expression dans son livre, alors qu’elle n’avait pas le même poids qu’aujourd’hui, ndlr]. Ce film nous montre l’établissement d’un radicalisme religieux fondé autour de la figure de Paul. Ce film dresse d’ailleurs une très bonne critique du radicalisme et des croisades, entre autres grâce au personnage de Chani, interprété par Zendaya. Tout au long du film, c’est elle qui questionne la réelle nature de cette « prophétie », et fait le constat de l’impact de cette dernière sur ses pairs.

Enfin, impossible de ne pas être époustouflé par les scènes de combats – dont les chorégraphies sont particulièrement réussies – qui transmettent la tension jusque dans l’estomac du téléspectateur.

Pour nuancer, l’adaptation de Denis Villeneuve est dans l’ensemble très, voire trop, fidèle au livre original de Frank Herbert, et c’est justement ce qui rend le film un peu déséquilibré. Dans le livre, les personnages changent assez rapidement en fonction des évènements, mais dans le film ces évolutions drastiques sont exacerbées, ce qui rend la compréhension parfois un peu complexe, lorsqu’on observe des personnages faire l’inverse de ce qu’ils prétendaient quelques minutes plus tôt. On pardonnera Villeneuve, puisque dans un film d’un peu moins de trois heures, ce sont plusieurs centaines de pages qui sont condensées en quelques minutes : l’évolution des personnages est donc naturellement accélérée.

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Effort et solitude https://www.delitfrancais.com/2024/03/20/effort-et-solitude/ Wed, 20 Mar 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55222 La randonnée comme philosophie.

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Cinq heure du matin. La montagne commence à s’embraser et des bruits résonnent dans le refuge. L’ascension se prépare. Les sacs sont soigneusement pliés et les corps encore fourbus de la veille peinent à effectuer les étirements matinaux. Le matériel maintes fois vérifié subit une ultime inspection : crampons, piolets, lunettes de glacier, couverture de survie, chaque oubli pouvant mettre en péril le randonneur et son groupe. À travers la petite fenêtre du dortoir, une bande de lumière se déploie derrière la montagne.

Silencieux, cheveux ébouriffés et lunettes sur la tête, les premiers prêts font leur apparition dans le réfectoire. Pendant le petit-déjeuner, pas un mot n’est échangé. Tous les regards sont dirigés vers l’immense fenêtre centrale, à travers laquelle le sommet tant craint mais tant désiré se dessine. À mesure que le soleil se lève, le flanc est de la montagne s’illumine, et le pic se teinte de rose. Le glacier reflète alors les premiers rayons du soleil et brille de mille feux. Surplombant la vallée toujours baignée dans l’obscurité, la montagne rayonne comme un phare. Patiemment, les marcheurs se redessinent le chemin dans leurs pensées tout en sirotant leur café. Certains se lèvent même pour inspecter la carte du massif affichée au fond de la salle, mais ceux-là sont rares. Peu échappent au pouvoir d’attraction ressenti à la vue de la montagne. Pour l’avoir étudiée, tous connaissent la voie : aujourd’hui la longue marche d’approche et le bivouac au pied de la montagne, demain l’escalade de l’arête sud- ouest, le sommet, puis la descente dans le glacier et la marche du retour vers la vallée. Deux journées d’efforts, coupées du monde. Deux journées simples, avec une seule idée en tête : le sommet. En dehors de ça, plus rien. La vie semble s’arrêter une fois la porte du refuge franchie. Il faut marcher, courir, grimper. L’esprit se concentre sur chaque pas, sur chaque inspiration. Le reste n’existe plus. Seule préoccupation, comme une véritable obsession, la masse écrasante et immortelle qui se dresse devant le randonneur.

Dans nos villes, peu de choses subsistent de la nature. Nos sociétés combattent inlassablement l’effort et la souffrance et détestent l’imprévu. Fini la nuit, le froid et la faim. Sous la lumière des lampadaires, dans des salles climatisées ou chauffées, la nature a disparu, le danger aussi. C’est tout ce que le randonneur recherche au contact de la montagne. Il épouse l’effort comme une rédemption, aime la faim, le froid et la pluie, comme autant d’épreuves qui le rapprochent de cette masse rocheuse qui l’ensorcelle et lui octroie le droit de gravir le sommet. Passé la porte du refuge, après le premier virage du chemin, le randonneur quitte la civilisation à la recherche de l’imprévu. La montagne a des odeurs, des bruits, elle vit et le randonneur vit avec elle. Couché à 21h avec les étoiles et levé à 7h avec le soleil, il renoue avec le cycle naturel, avec lui-même.

Face à l’effort et au danger, il est seul. Sur la paroi, seul un nœud sur son baudrier et un piton dans la roche le rattache à la vie. Dans son ascension, chaque geste compte, chaque erreur aussi. Seules sa propre dextérité et une force mystérieuse le séparent du vide. Alors qu’il s’approche du sommet de l’arête, une roche dégringole et le frôle. L’incident lui rappelle son impuissance et pourtant il n’a pas peur, il faut avancer vers le sommet, toujours plus haut. Son ascension est comme un condensé de sa vie, il se bat contre quelque chose d’imprévisible, de plus fort. Il se dépasse pour voir au-delà, pour pénétrer au plus profond de lui-même, pour atteindre le sommet.

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Le marathon optimiste https://www.delitfrancais.com/2024/03/20/le-marathon-optimiste/ Wed, 20 Mar 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55218 Cinq films qui éveillent les consciences environnementales à leur manière.

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Quoi de mieux, en cette période de battement entre les examens de mi-session et les finaux, qu’un marathon de films? Quoi de mieux, plus précisément, qu’un marathon de films qui touchent au sujet de l’environnement, en ordre du plus cynique au plus optimiste? C’est ce que je vous propose cette semaine, avec les cinq films suivants, auxquels j’ai attribué une note sur l’« Optimiscore » selon leur degré d’optimisme par rapport à l’avenir climatique de la Terre : Déni cosmique (Don’t Look Up), Dans une galaxie près de chez vous, La Sagesse de la pieuvre (My Octopus Teacher), Le Lorax et L’homme qui plantait des arbres.

Déni cosmique (Don’t Look Up)

Optimiscore : ⭐
Cette salade de vedettes du cinéma (Leonardo DiCaprio, Jennifer Lawrence, Timothée Chalamet, Cate Blanchett, etc.), assaisonnée d’un fort message environnemental, a su créer une onde de choc dès sa sortie, en décembre 2021. Dans cette satire politique et sociale, deux scientifiques sont confrontés à l’apathie générale lorsqu’ils tentent d’avertir la population qu’une comète destructrice se dirige vers la Terre. Les thèmes abordés sont la désinformation, la cupidité, mais aussi l’amitié. Sans divulgâcher la fin, je peux vous dire qu’un film n’a pas besoin de bien se terminer pour être réussi.

Dans une galaxie près de chez vous

Optimiscore : ⭐⭐
Tirée la télésérie culte homonyme, cette comédie québécoise suit l’équipage du vaisseau spatial Romano Fafard dans sa quête pour trouver une nouvelle planète où déménager les « quatre milliards de tatas » – les humains – qui ont pollué la Terre au point de la rendre inhabitable. Sorti il y a 20 ans, Dans une galaxie près de chez vous réunit des comédien·ne·s québécois·e·s important·e·s : Claude Legault, Didier Lucien, Sylvie Moreau, Réal Bossé, Mélanie Maynard, Guy Jodoin et Stéphane Crête. Entre humour absurde et critique sociale, le film fait passer un message touchant sur l’écologie et l’amitié, tout en offrant un divertissement original, pour ne pas dire parfois politiquement incorrect.

La Sagesse de la pieuvre (My Octopus Teacher)

Optimiscore :⭐⭐⭐⭐
Se rappeler que nous, les êtres humains, faisons aussi partie de la nature, est un pas important dans la prise de conscience environnementale. Ce film, élu meilleur documentaire aux Oscars en 2021, suit la formation d’une relation émouvante entre un plongeur, Craig Foster, et une pieuvre, dans les eaux froides d’une forêt d’algues en Afrique du Sud. À travers cette amitié improbable, le documentaire ouvre à des réflexions profondes sur l’empathie, la connexion avec la nature, et ce que celle-ci a à nous apprendre. Tout comme la vie d’une pieuvre, rien n’est éternel. Il faut prendre soin de ce que l’on a pendant qu’on l’a encore.

Le Lorax

Optimiscore : ⭐⭐⭐⭐
Ce film classique pour enfants a marqué une grande étape dans ma prise de conscience environnementale personnelle, à l’âge de sept ans. Dans une ville où la nature est artificielle et l’air respirable est vendu en bouteille, Ted, 12 ans, découvre l’histoire du Lorax, le gardien de la forêt autrefois rasée par un entrepreneur avide. Le Lorax explore les conséquences de la cupidité humaine sur l’environnement, avec une touche d’humour et de poésie caractéristique de Dr. Seuss, qui a écrit le livre à l’origine du film. Ce long-métrage musical et coloré parvient encore à amuser les plus grands et à les replonger dans ce que l’enfance a de plus beau à offrir : l’espoir en l’avenir.

L’homme qui plantait des arbres

Optimiscore : ⭐⭐⭐⭐⭐
Pour couronner ce palmarès, je vous propose le gagnant de l’Oscar du meilleur court métrage d’animation de 1988, un film québécois basé sur la nouvelle du même nom écrite par Jean Giono en 1953, et illustré par Frédéric Back. Le film raconte l’histoire d’un berger solitaire qui, par son travail de plantation d’arbres pendant des décennies, transforme une région désolée en un lieu paradisiaque où il fait bon vivre. Cette œuvre est une ode
à la nature et à la puissance de l’engagement envers l’environnement et la communauté, dont le message peut être encapsulé par la citation suivante : « […] on comprenait que les hommes pouvaient être aussi efficaces que Dieu dans d’autres domaines que la destruction. »

Bon visionnement!

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Sport : bon ou mauvais élève en matière d’environnement? https://www.delitfrancais.com/2024/03/20/sport-bon-ou-mauvais-eleve-en-matiere-denvironnement/ Wed, 20 Mar 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55215 S’interroger sur le rôle du sport dans la transition écologique.

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Le sport est souvent présenté comme quelque chose d’essentiellement positif. Non seulement, il est bénéfique pour la santé, physique comme mentale, mais il fait également vibrer les communautés toutes entières au cours de compétitions internationales en particulier. Si l’on questionne parfois les compétitions sportives quant à leur impact sur les droits humains des populations locales – la dernière Coupe du monde de soccer au Qatar avait notamment suscité la controverse –, on se pose moins, ou du moins pas assez, de questions sur leur impact sur l’environnement. On est tous à peu près d’accord pour dire que le sport est bon pour la santé mentale et physique, mais l’est-il pour la planète?

Aujourd’hui, Le Délit souhaite soulever et discuter ce point négatif qui peut accompagner les pratiques sportives : la dégradation de l’environnement. Mais, plus que de critiquer, nous avons aussi souhaité réfléchir aux potentielles alternatives pour rendre le sport un peu plus vert, en rappelant qu’il peut être une source de bonheur en harmonie avec l’environnement lorsqu’il s’affranchit d’une logique de performance et de profit.

Les infrastructures sportives


Les sports prennent souvent place dans des milieux naturels, comme les forêts, les mers et océans, ou encore les montagnes. La création de gigantesques infrastructures sportives comme des terrains de golf, des stations de ski ou des stades pouvant accueillir des milliers de spectateurs détruit des écosystèmes naturels et met en péril la biodiversité. À titre d’exemple, une nouvelle tour des juges en aluminium a été construite pour l’épreuve de surf des Jeux olympiques de 2024, qui se déroulera sur l’île polynésienne de Teahupo’o, connue pour sa vague mythique. Cette tour, qui remplace l’ancienne, construite en bois, menace les coraux du lagon.

« La plupart du temps ce ne sont pas les sports en eux-mêmes qui dégradent l’environnement, mais plutôt leur organisation, les infrastructures qu’ils nécessitent, ainsi que les déplacements des joueurs »

Un autre exemple assez simple sont les stations de ski. Si on y réfléchit bien, pour construire une station de ski, il faut prendre une montagne, y raser les forêts, bétonner, et construire des immeubles, installer des remontées mécaniques et produire de la neige artificielle pour ensuite attirer des touristes et des sportifs qui effectuent des voyages (parfois depuis l’autre bout du monde), pour venir dévaler les pentes enneigées. Les stations de
ski françaises émettent 800 000 tonnes de CO2 par année, selon l’étude réalisée en 2009 par l’Association Nationale des Maires des Stations de Montagne (ANMSM) et l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie (ADEME). Par ailleurs, l’empreinte carbone individuelle d’une journée de ski s’élève à 48,9 kg de CO2, ce qui équivaut à un trajet de 250 km en voiture.

Rose Chedid | Le Délit

Les déplacements des sportifs

D’immenses quantités de gaz à effet de serre sont émises lors des déplacements des sportifs. Dans un monde ou les compétitions et championnats de sport sont mondialisés, les sportifs doivent se déplacer sur de très longues distances de manière très fréquente. Si déjà en 2022, l’empreinte carbone de la Coupe du monde de soccer au Qatar s’élevait à six millions de tonnes de CO2, le soccer semble aujourd’hui s’obstiner à poursuivre une direction diamétralement opposée à la protection de l’environnement.

Alors que les Coupes du monde ont toujours été organisées par un unique pays, permettant parfois aux équipes de se déplacer en train ou en bus, elles seront désormais organisées sur des distances beaucoup plus grandes. Par exemple, la Coupe du monde 2026 se déroulera au Canada, aux États-Unis et au Mexique, et la coupe du monde 2030 sur d’encore plus grandes distances, entre l’Afrique, l’Amérique du Sud et l’Europe… Difficile de traverser les océans en bus.

En revanche, si nous pouvons dénoncer ces grands événements sportifs comme les Jeux Olympiques ou les Coupes du monde, il est aussi intéressant de s’intéresser à l’impact environnemental des compétitions dites « de tous les jours ». Par exemple, à la NBA (National Basketball Association), les équipes jouent 82 matchs par saison, dont 41 à domicile et 41 à l’extérieur. Chaque saison, pour une durée d’environ six mois, une seule équipe parcourt en moyenne une distance de 80 000 kilomètres en avion à travers les Étas-Unis.

Les sports en eux-mêmes


Comme nous avons pu le montrer, la plupart du temps ce ne sont pas les sports en eux-mêmes qui dégradent l’environnement, mais plutôt leur organisation, les infrastructures qu’ils nécessitent, ainsi que les déplacements des joueurs. Toutefois, certains sports sont automatiquement et nécessairement accompagnés d’une dégradation de l’environnement. Nous pouvons entre autres penser à la Formule 1, qui correspond, dans l’absolu, à voir des voitures tourner en rond pendant deux heures à chaque semaine, et ce, sur différents pays et continents. Chaque saison, ce serait 250 000 tonnes de CO2, soit l’équivalent des émissions carbones du Burundi sur une année, qui seraient générées par les courses, surtout émises par l’organisation de ces dernières (déplacements, visiteurs, installations, etc.).

Bien souvent, le sport s’inscrit dans la course à la croissance, se traduisant par la recherche de toujours plus de performance et de matériel à la pointe de la technologie. Cet état d’esprit reflète le sentiment de domination que l’humain a longtemps porté sur la nature, voulant à tout prix maîtriser son environnement. Pourtant le sport en lui-même ne semble pas causer du tort à la planète. Au contraire, sa pratique nous détourne de la consommation matérielle, tout en nous procurant un bonheur plus authentique. Le sport peut-il avoir un rôle positif dans la transition écologique?

« Il y a beaucoup de choses très belles dans le sport qu’on pourrait préserver, mais hors monde industriel et hors professionnalisation, hors marchandisation »

Yves-Marie Abraham, professeur à HEC Montréal

Le sport sans industrie


« Dès que vous sortez d’une logique industrielle, vous avez résolu une grande partie des problèmes », explique Yves-Marie Abraham interrogé par Le Délit. Professeur à HEC Montréal, il mène des recherches sur le thème de la décroissance. « Il y a beaucoup de choses très belles dans le sport qu’on pourrait préserver, mais hors monde industriel et hors professionnalisation, hors marchandisation », ajoute-t-il. « C’est faux de dire qu’on a besoin d’un grand stade de soccer pour y jouer. Tout ce dont on a besoin, c’est d’un terrain à peu près plat, où il n’y a pas trop de trous. On est tous capable de trouver des endroits comme ça. »

Selon Yves-Marie Abraham, il faudrait « intégrer davantage dans notre vie quotidienne un usage du corps qui fasse qu’on ait moins besoin de faire du sport pour préserver sa santé ». Aujourd’hui, nous passons nos journées à travailler dans des bureaux devant des ordinateurs, pour essayer d’être toujours plus productifs. En fin de journée, exténués, le sport devient un mode de défoulement nécessaire à notre survie, permettant d’évacuer le stress accumulé. Pour lui, « il faut une vie active, dans laquelle on sollicite le corps ». C’est donc notre quotidien qu’il faudrait repenser. « Si on sort de la logique de croissance, on va toujours devoir travailler, mais plus avec notre corps. C’est-à-dire produire une partie de notre nourriture, entre autre choses. Cela va supposer de passer du temps dans des champs, par exemple. […] L’idée, c’est de dépenser de l’énergie intelligemment, parce qu’aujourd’hui, nos machines en dépensent beaucoup, mais nos corps pas suffisamment, ce qui nous force le soir à aller courir sur un tapis dans une salle de sport pour brûler nos calories en trop. » Ainsi, le sport ne pourrait-il pas nous aider à réinventer nos sociétés et nos modes de vie en nous orientant vers des activités qui nous procurent du bonheur de manière plus sobre et moins destructrice de l’environnement?

« Dans une future société n’étant plus à la poursuite d’une croissance illimitée et de toujours plus d’accumulation matérielle, le sport pourrait occuper une place plus centrale dans nos vies »

Le sport comme source de bonheur

Plutôt que de regarder le sport à la télévision, il faut le pratiquer pour en ressentir les bénéfices sur notre santé mentale et physique. Dans une future société n’étant plus à la poursuite d’une croissance illimitée et de toujours plus d’accumulation matérielle, le sport pourrait occuper une place plus centrale dans nos vies. La pratique du sport est une source de bonheur authentique, produisant des sensations de dépassement de soi et d’adrénaline uniques. « Cela m’a permis de prendre plus confiance en moi », nous confie Gabrielle, étudiante à McGill, avant d’ajouter : « Quand je finis de faire du sport, je suis vraiment heureuse. » Le sport nous permet de nous concentrer sur le moment présent, ce qui n’est pas toujours facile quand on est soumis aux stimulations perpétuelles de la société.

Le sport peut également permettre une meilleure connexion à la nature. Favorisant le temps passé à l’extérieur et en nature, il peut participer à nous inciter à vouloir mieux la protéger. D’ailleurs, le sport peut aussi transmettre des valeurs pouvant nous rendre plus sensibles à l’environnement et à la lutte pour sa protection. Selon Nathan, étudiant à l’UdeM, le sport lui a transmis « le goût de l’effort, l’humilité, le respect d’autrui et la simplicité dans [sa] façon de vivre en cherchant à utiliser [son] corps pour faire une activité, comme le vélo ou la marche. » Dans nos sociétés très individualisées, le sport est aussi le moyen de créer un lien social. C’est l’occasion de se réunir et de passer du temps ensemble. Ainsi, dédier plus de temps au sport dans notre quotidien, sans chercher à s’équiper de manière exagérée et en s’affranchissant des infrastructures polluantes peut être une première étape dans la création de nouvelles habitudes de vie plus simples et plus respectueuses de l’environnement. L’unique descente de ski de randonnée est d’autant plus belle qu’elle récompense les nombreuses heures de montée passées à gravir la montagne plutôt que d’avoir utilisé une remontée mécanique.

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Le Mont Analogue : épopée à l’Espace Go https://www.delitfrancais.com/2024/03/20/le-mont-analogue-epopee-a-lespace-go/ Wed, 20 Mar 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55208 Une exploration interdisciplinaire du conte de René Daumal.

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Le Mont Analogue, spectacle faisant partie de la dernière programmation de Ginette Noiseux, était présentée à l’Espace Go – théâtre contemporain et féministe au coeur de Montréal, du 27 février au 10 mars.

Tirée du roman d’aventures alpines du français René Daumal, adaptée pour la scène par l’artiste et chorégraphe canadienne Wynn Holmes, cette pièce a su captiver le public par son mélange de danse, de musique et de théâtre, offrant une exploration envoûtante de thèmes philosophiques et mystiques.

Écrite entre 1939 et 1944, en pleine seconde guerre mondiale, l’histoire fictive raconte l’ascension du Mont Analogue, une montagne mythique et symbolique, censée être la plus haute au monde et ne pouvant être aperçue que par ceux prêts à la voir. Ce mont est inspiré par plusieurs montagnes sacrées de différentes mythologies comme le mont Kailash, le mont Fuji ou le mont Olympe ; et abriterait des animaux étranges et symboliques tels que les griffons ou les sphynx. La gravir constituerait un voyage initiatique, capable de nous transformer spirituellement.

La pièce de théâtre se déroule trois mois après la publication d’un article sur le Mont Analogue dans la Revue des Fossiles. Malgré la difficulté de son ascension, les écrits suggèrent que son escalade révélera les secrets spirituels les plus profonds de l’humanité. Motivés par cette promesse ou par l’envie d’éprouver le mythe, une équipe hétéroclite d’alpinistes, composée de scientifiques, de linguistes et d’artistes, se lance dans une expédition vers cette montagne légendaire à bord du navire L’Impossible. Situé quelque part au coeur du Pacifique, le Mont Analogue est invisible, caché derrière une coque d’espace courbe – un phénomène physique inventé qui courbe l’espace autour du Mont Analogue pour le rendre invisible à tous ceux qui ne sont pas conscients de sa présence. Cependant, le soleil crée à son lever et son coucher l’ouverture d’un passage, grâce auxquels le groupe va pouvoir entrer.

Pour atteindre leur objectif d’ascension de la montagne, les membres de l’équipage doivent se défaire de leurs
doutes et idées préconçues pour se laisser guider par leur intuition et leur imagination. Cette quête vers le sommet mystérieux promet une aventure poétique dont la magie peut nous rappeler les mondes imaginaires de l’enfance.

Cette production est le fruit d’une collaboration entre BOP Ballet Opéra Pantomime, LFDT Lo-Fi Dance Theory – une troupe de danse performative – et Espace Go. La pièce est à la croisée de plusieurs disciplines artistiques, offrant une expérience immersive où musique, danse et théâtre s’entremêlent pour créer un univers captivant. La direction artistique est prodigieuse, les jeux de lumière et d’ombre permettent au public de vivre pleinement avec les personnages ce voyage initiatique. Au vu de l’ovation debout qui a salué le spectacle, le Mont Analogue a été chaleureusement accueilli par le public. Ce qui rend ce spectacle émouvant c’est avant tout le portrait très juste
qu’il fait de notre relation à l’absolu, et la manière dont cela impacte nos relations interpersonnelles. Les relations se font et se défont au cours du périple, ce qui pose les questions de la place des quêtes individuelles au sein d’un groupe ou plus largement de la nature humaine confrontée aux mystères de l’univers et de la conscience. À travers cette exploration théâtrale, Wynn Holmes et son équipe ont réussi à capturer l’essence du roman de René Daumal. Ils ont offert au public une expérience artistique inoubliable, témoignant du pouvoir de l’art pour éveiller nos questionnements existentiels et notre imagination.

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