Madeline Tessier - Le Délit https://www.delitfrancais.com/author/madelinetessier/ Le seul journal francophone de l'Université McGill Tue, 15 Mar 2022 13:19:02 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.7.2 Penser la poésie hors du quotidien https://www.delitfrancais.com/2022/03/16/penser-la-poesie-hors-du-quotidien/ Wed, 16 Mar 2022 13:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=47791 La réflexion sur la littérature chez Virginia Woolf.

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Dans son Orlando, Virginia Woolf écrivait: «La vie est un rêve, c’est le réveil qui nous tue.» Écrits en 1928, les mots de ce roman semblent laisser leurs traces sur les textes woolfiens, essayistiques et poétiques, qui succèdent sa parution. On en retrouve les échos dans Une chambre à soi (1929), essai féministe, mais aussi dans Les Vagues (1931), roman polyphonique qui suit l’évolution de six ami·e·s, de l’enfance jusqu’à la vieillesse. Dans ces ouvrages, l’autrice constate, à la fois de manière très concrète et plus métaphorique, les bienfaits de la solitude sur l’écriture ainsi que sur l’authenticité. Si «la vie est un rêve» et que le réveil «tue», le rêve devient cet espace où l’on pénètre seul·e, où l’on peut se séparer du monde extérieur et exister sans jugement. Le «réveil», au contraire, nous tue en ce qu’il nous ramène vers le réel, nous forçant à considérer le regard que l’on pose sur nous. Le rêve, dans Une chambre à soi, c’est ce lieu où la femme pourrait écrire sans distractions. Dans Les Vagues, ce sont les images poétiques qui permettent à Rhoda ou à Louis de s’évader d’une réalité trop prosaïque.

Une chambre à soi est d’abord un essai qui rassemble les propos que Virginia Woolf proclame lors d’une conférence donnée en mai 1928 au Newnham College de l’Université Cambridge. Comme elle le rappelle dans l’incipit de son texte, on lui avait «demandé de parler des femmes et du roman». Divisé en six grands chapitres, Une chambre à soi mélange des éléments du réel et de la fiction afin de montrer comment les femmes, dont le corps et la pensée sont toujours accaparées par le monde extérieur, ont été privées des conditions nécessaires au travail d’écrivain.  Dès les premières pages de son essai, Woolf constate que les femmes, contrairement aux hommes, sont constamment réduites à leur condition féminine. Si l’homme peut être professeur ou étudiant, la femme ne peut qu’être femme. L’ouvrage se penche sur le discours que tiennent les hommes sur le sexe féminin. L’autrice y remarque que plusieurs «savants» minimisent la femme dans leurs écrits afin de faire valoir la supériorité masculine. Les  hommes accordent à la gente féminine une «fonction protégée»: ils la voient comme incapable des mêmes prouesses et du même courage qu’eux. Woolf réclame alors que l’on donne aux deux sexes les mêmes opportunités. 

«Divisé en six grands chapitres, Une chambre à soi mélange des éléments du réel et de la fiction afin de montrer comment les femmes, dont le corps et la pensée sont toujours accaparées par le monde extérieur, ont été privées des conditions nécessaires au travail d’écrivain»

Or, même des écrivaines telles que Jane Austen, les sœurs Brontë ou bien George Eliot n’ont pas eu les mêmes chances que leurs homologues masculins. «Si une femme écrivait [au 19e siècle], elle écrivait dans le salon commun. Et sans cesse on interrompait son travail» écrit Woolf.  Il n’est donc pas étonnant que, plongées comme elles l’étaient dans la sphère domestique, leurs romans portent sur «l’analyse des émotions» plutôt que sur la guerre ou l’aventure. Et l’autrice estime que c’est toujours à travers cette lentille de l’intime qu’écrivent encore les autrices de son temps. Pour que les jeunes écrivaines créent d’autres types de textes, elles doivent cesser d’être influencées par le jugement extérieur. C’est pour cette raison que Woolf insiste sur l’importance d’un lieu à elle et d’un peu d’argent. Ces éléments accordent l’indépendance et rendent possible le décloisonnement de l’écriture. Une chambre à soi nous encourage à ne plus taire la poésie qui se cache en nous toutes. L’ouvrage nous invite enfin à rendre hommage aux poétesses qui n’ont jamais pu s’exprimer en prenant nous-même la parole. 

Avec Les Vagues, Woolf s’éloigne de l’écriture essayistique pour replonger dans le monde du romanesque. Son roman donne à lire l’histoire de Rhoda Jinny, Suzanne, Neville, Louis et Bernard, six ami·e·s dont on suivra l’évolution de la jeunesse jusqu’à la vieillesse. Cette progression de leur existence est d’ailleurs figurée dans le texte par les passages en italiques où une voix narrative «autre» note la progression du soleil dans le ciel. Ces passages, plus poétiques, permettent d’introduire les nouveaux chapitres de l’histoire, mais aussi ceux de la vie des personnages. Le reste du récit s’articule toutefois autour de monologues qui nous donnent un accès privilégié à l’intimité des protagonistes qui nous découvrent, en prenant la parole, le déclin de leurs ambitions. Ce que nous donne à lire Les Vagues n’est pas un récit calme et paisible. Au contraire, le roman de Woolf est brutal: il met à nu la désillusion et la nostalgie qui accompagnent la vieillesse. 

Le message que traduit Une chambre à soi est évidemment tout autre. L’essai est déjà beaucoup plus ancré dans le réel. Cet ancrage est d’autant plus nécessaire qu’il sert à défendre une véritable liberté pour les écrivaines. Mais cet aspect du texte ne l’empêche pas pour autant de converger avec Les Vagues. Si ces deux œuvres woolfiennes se rejoignent, c’est bien à travers la pensée littéraire particulière qu’elles partagent avec le lectorat. Tout s’y passe comme si Woolf croyait que, pour créer un récit authentique, l’écrivain·e devrait pouvoir se soustraire du rythme quotidien; comme si les meilleures œuvres se constituaient à l’extérieur du monde social, presque dans la solitude. 

«Ce que nous donne à lire Les Vagues n’est pas un récit calme et paisible. Au contraire, le roman de Woolf est brutal : il met à nu la désillusion et la nostalgie qui accompagnent la vieillesse»

C’est ce que je retiens, entre autres, de ce passage d’Une chambre à soi: «Le sexe d’un romancier mettrait-il obstacle à l’intégrité que je considère comme l’épine dorsale d’un écrivain?» Le genre semble demeurer, même dans notre monde actuel, un repère social qui continue de nous enfermer dans des cases contraignantes. Si une écrivaine ne peut être intègre et authentique, comment peut-elle écrire de la «bonne» poésie? Le seul moyen d’atteindre cet objectif semble être de posséder un lieu qui échappe aux contraintes quotidiennes et où l’on est libre d’explorer sa pensée dans la solitude. Cette solitude, notons-le, ne vise pas un renfermement sur soi. Au contraire, il s’agit plutôt d’un moyen de s’explorer soi-même afin d’acquérir une certaine confiance en nos opinions, de découvrir tout le potentiel et la beauté d’une poésie qui est irrévocablement nôtre. 

À travers ses personnages, Les Vagues réitère la leçon que Woolf nous enseigne dans son essai: tout·e écrivain·e qui tente de plaire à autrui ne peut qu’échouer et produire des textes qui ne lui ressemblent pas. Bernard lui-même en est conscient: «Une phrase bien construite me semble néanmoins posséder son existence indépendante. Et je me rends bien compte que les meilleures phrases sont probablement fabriquées dans la solitude». Les Vagues n’est pas un roman que l’on pourrait décrire comme «facile». Son écriture est beaucoup moins accessible que ne l’est celle d’Une chambre à soi. On y retrouve ce courant de conscience dont l’exploration caractérise fortement les textes romanesques woolfiens, mais qui peut alourdir la lecture. Il s’agit néanmoins d’une œuvre des plus magnifiques. Sa poésie et ses images nous bercent et nous enveloppent. Si aucune revendication féministe n’est clairement défendue dans Les Vagues, on ne peut que voir dans la maîtrise du langage que possède Woolf une manière de contredire les critiques misogynes qui croiraient en la bassesse des voix féminines. Entre les lignes de son roman, on a l’impression de pouvoir lire: voyez comment une femme peut écrire si vous lui en laissez seulement la chance. 

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« Les filles vont sauver la poésie » https://www.delitfrancais.com/2021/10/05/les-filles-vont-sauver-la-poesie/ Tue, 05 Oct 2021 14:52:50 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=44838 L’Anthologie de la poésie actuelle des femmes au Québec performée à la BAnQ.

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Ce vendredi 1er octobre, nous sommes entrées dans l’auditorium de la Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ), fébriles d’y trouver des poètes que nous connaissions et d’autres qu’il était impératif de découvrir. Daria Colonna, Carole David, Lorrie Jean-Louis, Roxane Desjardins, Catherine Lalonde, Sina Queyras et Claudine Vachon : ce sont là des noms qui font frémir, des personnes aux voix fracassantes, toutes désignées pour porter sur scène la récente Anthologie de la poésie actuelle des femmes au Québec 2000–2020 conçue par Vanessa Bell et Catherine Cormier-Larose, puis parue aux Éditions du remue-ménage en 2021. La lecture de leurs œuvres respectives constituait donc le spectacle littéraire bruits textures – reprenant lui-même l’Anthologie – présenté dans le cadre du Festival international de la littérature (FIL). 

Le livre de Bell et de Cormier-Larose regroupe et présente la pratique de 55 poètes œuvrant toujours de 2000 à 2020 et classé·e·s par ordre alphabétique. Cette nouvelle anthologie s’insère en continuité de l’Anthologie de la poésie des femmes au Québec, préparée par Nicole Brossard et Lisette Girouard et publiée en 1991 au Remue-ménage. L’idée de filiation est primordiale et constitue le cœur de l’anthologie de Vanessa Bell et de Catherine Cormier-Larose, laquelle se fait un point d’honneur de célébrer l’héritage et la diversité dans « une approche intersectionnelle et intergénérationnelle ». L’Anthologie souligne la mouvance du milieu poétique féminin en ce début de siècle, son essor, son bouillonnement, sa diversité, tout en célébrant le travail de celles dont les voix portent les poètes de la relève. « Mon éditeur me l’a dit, les filles vont sauver la poésie », proclame Maude Veilleux en exergue.

« Cette anthologie ne pouvait être pensée autrement que dans les possibilités qu’évoque le mot ‘‘femme’’ en 2020 », écrivent les éditrices de l’Anthologie. En effet, le mot « femme », dans les imaginaires, se doit de convoquer la pluralité infinie d’existences du féminin impossible à réduire à une vision univoque et patriarcale de sa nature. Et c’est pour cette raison que le projet de l’Anthologie de la poésie actuelle des femmes du Québec nous semble crucial. Le livre de Bell et de Cormier-Larose a en effet suivi la mouvance pluri-elle – pour reprendre un néologisme forgé par Nicole Brossard – de notre réalité contemporaine, mettant de l’avant des styles, des voix et des narrativités provenant d’horizons différents. Ce n’est qu’en prenant conscience de ce multiple du féminin, en témoignant de l’intersectionnalité qui en est à la source, qu’il est possible pour l’écriture poétique de forger un véritable « nous » sororal. Mères, filles, sœurs sont alors au rendez-vous ; les textes lus lors du spectacle reflètent particulièrement cette filiation qui est au cœur de la poésie des femmes au Québec. 

«Cette anthologie ne pouvait être pensée autrement que dans les possibilités qu’évoque le mot ‘‘femme’’ en 2020»

Vanessa Bell et Catherine Cormier-Larose

L’un·e à la suite de l’autre, les poètes se sont donné la parole dans une succession lente, pleine de douceur et de force tranquille – lenteur nécessaire pour absorber les mots, les laisser se déposer en soi, s’en imprégner. La trame sonore composée par Ylang Ylang (Catherine Debard), tout comme les vidéos conçues par Sonya Stefan et projetées derrières les poètes, poussaient un peu plus l’auditoire dans une sorte de transe. Un grand écran, des chaises dépareillées, quelques plantes ; toute en sobriété, la scène ne s’encombre pas de fioritures inutiles. Les poètes entrent s’y asseoir mais ne sont pas statiques – iels se déplacent parfois pour mieux voir telle ou telle performance, se tournent vers quiconque prenant parole et semblent boire les mots des autres. Leurs corps habitent la scène et la poésie qu’iels déclament tout naturellement, sans artifice – iels existent, authentiques, et occupent l’espace de toute la grandeur de leurs identités.

Cette authenticité ressort encore plus à travers les lectures elles-mêmes. Elle est essentielle, puisque les poètes livrent leurs propres mots au public et se doivent d’incarner leur performance. Chacun·e est unique, chaque lecture est pleine de le·a poète qui la livre : Daria Colonna est grande, digne, Sina Queyras transmet la fracassante douceur qu’iel irradie, Catherine Lalonde livre un discours tempétueux et chirurgical à couper le souffle et Claudine Vachon déclame en faisant la planche et des sit-up. Les traditions et les normes sont mises de côté pour poser une lumière sur les poètes, sur leurs singularités, sur leurs manières uniques et diverses d’être et de dire, dans un esprit de rencontre, de célébration et de filiation. 

«Qui, avant elles a écrit pour qu’à leur tour, elles puissent écrire si rageusement, si librement?»

Vanessa Bell et Catherine Cormier-Larose

La musique accompagne merveilleusement les lectures. La trame sonore douce et enveloppante berce la poésie et la fait flotter dans une forme de bruit blanc. Sans faire de l’ombre aux voix des poètes, la musique donne avant tout une texture supplémentaire à la poésie de chacun·e. Lors de la performance de Catherine Lalonde tout particulièrement, elle fait ressortir le rythme aiguisé des poèmes, découpant le souffle retenu du public.  Du côté des spectateur·rice·s, la musique assourdit la salle. Elle donne à toutes et à tous l’impression de s’immiscer profondément dans la scène et même d’y trouver résidence, au même titre que les mots.   

Le spectacle s’est terminé sur quelques discours notables, donc celui de Vanessa Bell, cocréatrice du spectacle, et celui de Stanley Péan, directeur du conseil d’administration du FIL. Leur émotion rejoignait la nôtre tandis qu’il·elle·s soulignaient le travail des poètes présent·e·s, leur poids dans le champ poétique québécois – le tout dans un esprit de sororité et de fierté, dans une atmosphère légère, familiale. Bien plus que de simplement « constater l’étendue de la poésie des femmes au Québec », bruits textures a surtout su mettre de l’avant un répertoire poétique varié et envoûtant qui dépasse la simple essentialisation du féminin. Il a d’autant plus mis l’accent sur l’importance d’une telle anthologie pour déconstruire les dynamiques de pouvoir au sein du milieu, pour défaire l’hégémonie et pour porter les voix des femmes au premier plan.

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Délier la poésie https://www.delitfrancais.com/2020/12/01/delier-la-poesie/ Tue, 01 Dec 2020 15:08:52 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=40016 Sélection de poèmes pour conclure la première édition du concours.

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Le concours de poésie Délit et la poésie termine sa première édition en force avec près d’une vingtaine de soumissions de la part de ses participants et participantes. Nous tenons à remercier chaleureusement toutes les personnes qui ont pris part au concours. La réponse poétique de chacune et de chacun d’entre vous a dépassé nos attentes! Merci énormément à tous et à toutes pour vos contributions! Le jury délibérera dans les prochains jours afin de vous transmettre l’identité de la personne gagnante du concours, en espérant que la prochaine édition du concours soit un aussi grand succès que cette année. Donc, sans plus attendre, pour la dernière édition du Délit cette session, voici les poèmes retenus pour clore cette première édition du concours signées de la main de Laura Doyle Péan, Alexandre Bellemare, Marilou LeBel Dupuis, Ariane Labrèche et Madeline Tessier. À la session prochaine!

***

Laura Doyle Péan
Des siècles avant ma naissance

avril dernier
j’ai reçu une visite pendant la nuit

je ne savais de qui ni pourquoi
l’être n’a pas laissé sa carte
et j’ai la mémoire courte


je me suis réveillé·e en pleurs
le souffle court
ai eu une pensée pour grand-mère
qui se battait alors encore pour le sien

étrange sentiment de déjà-vu
mes rêves sont des films en reprise à TVA
je n’ai plus fermé l’œil


le visiteur n’a pas laissé d’instructions
rien qu’une boule d’angoisse existentielle
matière brute poétique

ici n’est pas mon appartement
ici n’est pas mon lit
je ne suis que de passage
vous m’avez prise pour la mauvaise personne


je jalouse souvent la foi de mes sœurs
l’assurance de ceux qui savent
retracer leur lignée
dessiner ses branches millénaires

je ne connais pas mes ancêtres
je ne connais pas ma langue
je n’appartiens à aucune terre

j’ai été déraciné·e des siècles avant ma naissance
arraché·e de chez moi
connu vents connu marées
enfoui mes secrets dans les profondeurs de l’océan
aux côtés des trésors qu’ils nous ont volés

je me suis rebellé·e des siècles avant ma naissance
armes aux mains sous le soleil des Antilles
j’ai rallié mes sœurs mes frères mes cousin·e·s
affirmé comme Christophe
Je ne vous livrerai la ville
que lorsqu’elle sera en cendre
sur ces mêmes cendres
je combattrai
encore
et j’ai survécu
vaincu l’armée du petit homme
déclaré mon indépendance
sur cette terre que j’ai fait mienne
des siècles avant ma naissance


J’ai fui des années avant ma naissance

et je fuis encore aujourd’hui

repêcher cette sagesse
quelque part au creux de mes reins
sous mes ongles peut-être
dans les battements de mon cœur

suffit-il de prendre le temps
d’y penser bien fort

je ne me souviens que des sueurs froides
de l’ombre des arbres
du vent

je ne me souviens que du désir de fuir
de tout rebâtir ailleurs
d’une vie meilleure

je ne me souviens que du désir de retourner à la maison
d’appartenir à une terre
d’en prendre soin

je ne me souviens que du désir de dire
C’est assez.

j’aurais aimé que le visiteur m’apporte la bravoure de mes ancêtres
me rappelle ce que c’est d’appartenir

je m’en veux de lui en vouloir
peut-être m’a-t-il dit tout ça
j’ai la mémoire courte

***

Alexandre Bellemare

J’en mets ici, puisque je peux pas en mettre ailleurs, & ta chute reste une chute même dos à nous-même, & tes agressions qui pleurnichent sans cesse m’ont coupé l’herbe en dessous des pieds du cœur, à partir du moment où tes corneilles se sont ankylosées et lui ont gratté la plaie jusqu’à saignement de silence désormais fleuve, un tas de paysage à jeter à la poubelle, & quand je contourne tes mots durs, j’y trouve de quoi abriter mes décès antérieurs, & dis-toi que je meurs trop souvent par le feu dernièrement, oui, la nature de cette lumière qu’est le feu & moi, où la chandelle brûle l’appartement du revers de son feu, où ma table de cuisine flambe, sous peu, dans les mots brûlants, & autour de la table s’asperge tranquille à mi-chemin de mon plancher en reste : le chemin. Celui où repose la table & certes juste est ce passage obligé vers mes natures mortes de cachette pudique. Embaume celle qui date de hier, comme pour chauffer le dehors de mon intérieur, que s’enivre mon passé, kyste d’idée confuse, quand tout brûle, j’éternise le moment, assume le fantasme pour le rendre réel, engendrée par une suite de synchronicité passé/présent. Les frondaisons alarmistes du corps s’émondent, sans guérir ce qui pleure par la poésie puisqu’en dessous d’improbables armures, je reste fictif dans le vivre d’aujourd’hui, pour des raisons étrangères à la logique du cœur achevé sans pitié & sans pour autant que perdure le contexte de nos villes respectives; le palindrome ressassé. J’ai préféré tout brûler.

***

Marilou LeBel Dupuis

Résilience nom féminin mot de neuf lettres dix pardon mot que t’entends dans un bureau un salon après les confidences les catastrophes mot prononcé en réconfort et qui traduit I acknowledge what happened to you was shitty I’m glad you made it through mot que seulement certaines crowds utilisent la tienne une communauté de gens scarifiés par des traumas qui prennent des figures d’hommes de vautours aux masques d’humanité mot compensatoire mot mantra répété répété répété pour s’assurer que tu connaisses ta force que tu câlices pas toute là mais ultimement c’est plus fort que toi tu penses toujours à des bas résille quand tu l’entends.

***

Ariane Labrèche

La peur est accroupie
Sur les branches des sapins
Siffle dans les asclépiades
Je ne connais pas son nom

Sais-tu ce qu’il en coûte
De pousser entre des craques de béton
Une canopée de franchises
Le néon pour seules vitamines
Un #4 en trio pour emporter

C’est moi qui avale la bourrasque
L’ouragan des roues sur Taschereau
J’envie la luciole j’aimerais
Moi aussi brûler sur les phares des voitures

Les arbres n’ont pas de nom ils ne sont
Que des arbres
J’ai mis la forêt dans des pots
L’asphalte est mon mycélium

***

Madeline Tessier
Chers masculins

le soir…

votre fureur
pleuvait sur nos têtes

dehors
gisaient mes lèvres
façonnées en hématome

j’étais vide
j’étais pleine
j’étais ma mère, ma sœur
j’étais la fluidité
du sang qui coule

entre mes veines éclatées
des larmes sans nom


mais…

j’ai ouvert les yeux
regardé à l’intérieur

j’ai vu les ronces
glisser sur ma gorge
poreuse
la voix noyée dans la bile
les cris avalés

j’ai tendu les mains
senti vos visages
assoiffés
vos langues, vos bras en flèches
pointés sur moi

les yeux ouverts
j’ai mémorisé vos gestes
pour que rampe sur vos cous
la moiteur de ma vengeance


puis…

j’ai sculpté ma chair
dans le marbre froid

à l’image des déesses

j’ai recousu l’acier
sur ma peau


enfin…

sur une toile neuve
je récolte mes songes
rêve de roses
qui murmurent mon nom

je vis de la brise
repose sur des nuages
de soie
ma peau blanchie
pour respirer

je suis loin
de vos mots acides
des morsures
qu’infligent vos blâmes

seule
je fonds dans la douceur
le temps d’un regard


finalement…

vous lirez mes mots
lorsque je serai partie
lorsque je basculerai d’un côté
peu importe lequel
vieille de cœur ou de peau

vous lirez mes mots
les invoquerez dans vos prières

vous me ferez sainte
espérant l’envol de vos fautes
en rêve inutile

et
à l’ombre du tournant
je vaincrai

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Ligne de fuite https://www.delitfrancais.com/2020/01/21/ligne-de-fuite-28/ Tue, 21 Jan 2020 19:44:15 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=35388 L’article Ligne de fuite est apparu en premier sur Le Délit.

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