Dimitrios Valkanas - Le Délit https://www.delitfrancais.com/author/dimitrios-valkanas/ Le seul journal francophone de l'Université McGill Wed, 27 Oct 2021 11:52:37 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.7.2 L’exigence d’une preuve de vaccination à McGill https://www.delitfrancais.com/2021/10/26/lexigence-dune-preuve-de-vaccination-a-mcgill/ Tue, 26 Oct 2021 23:56:22 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=45086 Faut-il brûler la forêt pour sauver un seul arbre?

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Je voudrais commencer cet article en clarifiant que je suis vacciné et que je soutiens l’effort d’immunisation générale contre la COVID-19. Cependant, je me sens obligé de m’opposer aux recommandations faites par un groupe de professeurs de mon école, la Faculté de droit de l’Université McGill, dans une lettre ouverte qu’ils ont récemment adressée à la direction de l’Université. Essentiellement, selon la thèse centrale des douze professeurs ayant signé la lettre, McGill serait légalement obligée d’exiger une preuve de vaccination sur son campus afin d’éviter que des étudiants en situation de vulnérabilité élévée par rapport à la COVID-19 entament des procédures juridiques contre elle.

«Il n’est pas du tout évident que McGill ait la capacité légale d’imposer un passeport vaccinal» 

En contradiction avec les autorités juridiques compétentes

Tout d’abord, il n’est pas du tout évident que McGill ait la capacité légale d’imposer un passeport vaccinal. Même si je n’oserais pas contredire des juristes de tel renom en vertu de mon seul avis, je me réfère à un avis juridique publié par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ), l’agence gouvernementale québécoise établie dans le but de faire respecter la Charte des droits et libertés de la personne (Charte québécoise). La CDPDJ note que l’exigence d’une preuve de vaccination pour accéder à un service constitue une atteinte à l’intégrité de la personne – un droit protégé par l’article premier de la Charte québécoise – en privant ladite personne de toute vraie liberté de choix concernant une procédure médicale intrusive.

Dans leur lettre, les professeurs remarquent que des universités dans d’autres provinces canadiennes et aux États-Unis exigent déjà une preuve de vaccination. Néanmoins (hormis le fait que ces juridictions ont un système judiciaire fondamentalement différent du nôtre), le Québec se distingue de ces États en ayant institué un système de passeport vaccinal depuis longtemps. Il faut ainsi noter que l’éducation supérieure est exclue de l’application de ce système, étant considérée comme service essentiel. Assurément, McGill ne peut pas être légalement tenue de contrevenir à une décision légale et légitime des autorités provinciales concernant l’accès aux services essentiels.

«L’éducation universitaire, comme la plupart des choses que fait notre espèce fondamentalement sociale, n’est pas juste une question d’accréditation ; au contraire, elle consiste en l’apprentissage pratique et en l’interaction sociale avec les gens autour de soi» 

Une atteinte évitable aux droits de la personne

Toutefois, en considérant l’expertise supérieure des professeurs, je dois quand même reconnaître la possibilité que l’exigence proposée par ces derniers soit légale. Cela me mène à mon deuxième argument : ce n’est pas parce qu’une restriction de nos droits et libertés est légale qu’elle devrait néanmoins toujours être adoptée. Les droits et libertés sont des choses délicates et précieuses sur lesquelles repose en grande partie notre civilisation contemporaine ; par conséquent, les lois qui les restreignent ne sont justifiables qu’en l’absence de toute alternative raisonnable. Sinon, le droit devient abusif en ce sens qu’il limite la liberté et les droits de ses sujets pour aucune autre raison que sa simple capacité de le faire.

Ici, une alternative raisonnable à l’exigence proposée par les professeurs de droit existe : la distanciation sociale, le port du couvre-visage et le respect des autres directives sanitaires. Après tout, c’est sous ces conditions que certaines classes en présentiel ont eu lieu l’année dernière, sans toutefois avoir conduit l’Université à des batailles juridiques avec des étudiants. Je ne vois aucune bonne raison pour laquelle des étudiants non vaccinés ne pourraient pas se présenter en classe sous ces restrictions, tout en étant exclus des activités non essentielles, dont l’athlétisme et les activités sociales. Pourquoi exclure nos collègues non vaccinés si l’on peut protéger autrement nos collègues les plus vulnérables?

Ayant certainement considéré cela, les professeurs offrent leur propre solution : limiter les étudiants non vaccinés aux activités d’apprentissage en ligne. Pourtant, cette seconde alternative démontre une incompréhension fondamentale du caractère essentiel de l’éducation supérieure. L’éducation universitaire, comme la plupart des choses que fait notre espèce fondamentalement sociale, n’est pas juste une question d’accréditation ; au contraire, elle consiste en l’apprentissage pratique et en l’interaction sociale avec les gens autour de soi. Attendu que plusieurs activités d’apprentissage (dont les laboratoires, les groupes de discussion et les exercices de plaidoirie) ne peuvent pas être complètement reproduites en ligne – comme nous avons pu collectivement le constater l’an passé –, comment pourrait-on prétendre que limiter certains étudiants à l’instruction virtuelle ne constituerait pas une forme d’exclusion?

«On ne doit pas, dans nos efforts pour sauver un seul arbre, immoler toute la forêt qu’est le cadre juridique des droits de la personne souhaité par notre société» 

Un de mes professeurs avait une fois dit que le droit doit avoir une certaine cohérence interne pour être quelque chose de plus que le simple « droit du plus fort ». Alors, la question se pose : est-ce logiquement cohérent d’exiger une preuve de vaccination pour un service essentiel même si des solutions moins draconiennes existent? En tout respect, je dirais que non. En plus, j’ajouterais que le coût moral et humain d’une telle mesure est beaucoup plus grave que tout bénéfice potentiel qui pourrait en découler. On ne doit pas, dans nos efforts pour sauver un seul arbre, immoler toute la forêt qu’est le cadre juridique des droits de la personne souhaité par notre société.

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La Révolution tranquille ne visait pas à détruire, mais à bâtir https://www.delitfrancais.com/2021/01/12/la-revolution-tranquille-ne-visait-pas-a-detruire-mais-a-batir/ Tue, 12 Jan 2021 14:09:11 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=40413 Une réponse à l’article «Quand “Speak white” resurgit en 2020».

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Le 1er décembre dernier, Le Délit a publié un article dans lequel une étudiante allophone, qui a fait la majeure partie de son éducation en français, se plaignait de la difficulté que plusieurs étudiants francophones éprouvent à s’adapter à une institution anglophone comme McGill. L’étudiante en question, Lysa Bélaïcha, a perçu cette difficulté comme une discrimination de la part de l’Université envers les francophones, qu’elle a comparée à la situation des Canadiens français avant la Révolution tranquille. Même si je sympathise avec sa situation, je dois constater que son interprétation ne reflète pas la réalité. 

Une mauvaise représentation des politiques linguistiques de l’Université

L’autrice commence son article en se disant déçue que McGill ne soit pas aussi accessible à une allophone francotrope qu’elle l’aurait cru. Elle explique qu’en arrivant à l’Université, elle ne pouvait ni faire ses lectures ni comprendre les paroles de ses professeurs, car elles étaient en anglais. Cependant, le site de McGill destiné aux aspirants étudiants énonce clairement: «Bien qu’il soit nécessaire de bien comprendre l’anglais pour étudier à McGill, il n’est pas essentiel d’être parfaitement bilingue pour bien réussir». Comment une personne qui ne peut comprendre l’anglais, de surcroît à un niveau universitaire, pourrait-elle satisfaire cet énoncé? Et pourquoi une telle personne choisirait-elle d’étudier dans une université dont la langue d’instruction lui est incompréhensible?

De plus, ce même site mentionne que des cours d’anglais subventionnés sont disponibles aux étudiants francophones dès leur admission à l’Université. Si une personne qui ne comprend pas la langue d’instruction d’une université a l’option de l’apprendre gratuitement, peut-elle vraiment se plaindre d’être exclue? Si elle refuse de le faire, est-ce que sa difficulté à s’y adapter est vraiment imputable à l’université? En tout respect, je pense que non. On se dit souvent que les institutions doivent s’adapter aux personnes qui les constituent, ce qui est à mon sens tout à fait raisonnable. Mais il est également vrai que les individus ont un devoir de s’adapter aux institutions auxquels ils se joignent.

« Pourquoi une personne qui ne peut comprendre l’anglais choisirait elle d’étudier dans une université dont la langue d’instruction lui est incompréhensible? »

Le site énonce plus loin la politique de bilinguisme de McGill, qui donne aux étudiants le droit de faire tous leurs travaux en français. Mme Bélaïcha affirme aussi cette politique accorde également aux étudiants un droit «rarement mentionné», soit celui d’intervenir en français en classe, mais cela n’est pas mentionné dans les règlements de l’Université. En fait, je crois que l’Université est plus accueillante, mais moins bilingue, que l’autrice l’affirme. 

Une mécompréhension des buts de la Révolution tranquille

Mme Bélaïcha considère qu’il est discriminatoire que les étudiants anglophones soient plus à l’aise que leurs homologues francophones dans une université anglophone. Étant donné que toute distinction ou différence ne constitue pas une discrimination, je ne comprends pas comment des francophones unilingues pourraient réussir aussi facilement que les francophones bilingues ou les anglophones à McGill, à moins que cette université soit francisée. Néanmoins, une telle francisation mettrait fin à l’institution et à sa culture académique. Je ne pense pas que l’on doit expliquer pourquoi la langue est inextricablement liée à la culture, surtout dans un contexte québécois. Évidemment, la francisation de McGill la divorcerait de toute son histoire et des pratiques qui l’ont conduite au statut prééminent dont elle jouit aujourd’hui.

Mme Bélaïcha prétend que la difficulté d’adaptation de certains francophones à McGill «reproduit exactement ce que la Révolution tranquille a tenté d’effacer» en rendant le succès des francophones plus difficile que celui des anglophones. Ainsi, elle compare cette situation à la discrimination que les Canadiens français, peuple conquis et réduit au statut de porteurs d’eau dans leur propre pays, ont dû subir avant la Révolution tranquille. En tout respect, je ne vois pas en quoi cette comparaison est raisonnable. Je ne suis ni francophone ni Québécois de souche, tout comme l’autrice. Toutefois, de ce que j’ai lu et compris de la Grande Noirceur, les problèmes des Canadiens français ne se résumaient pas en une plus grande difficulté à réussir dans une institution anglophone que leurs compatriotes anglophones; il s’agissait plutôt d’un manque total d’accès à de telles institutions, principalement en raison de l’inexistence d’institutions francophones comparables ou de l’exclusivité de ces dernières. 

L’objectif de la Révolution tranquille n’était pas de déboulonner les institutions anglophones, mais de permettre aux Québécois de se doter de leurs propres institutions comme peuple mature et émancipé. Cette révolution visait à libérer les Québécois de la tutelle d’une petite élite fermée qui dirigeait le Québec comme un fief, en gardant son peuple ignorant et isolé. C’est pour cette raison que, à la suite des émeutes du mouvement McGill français, le gouvernement a choisi d’accélérer la création des «Universités du Québec», particulièrement l’UQAM, au lieu d’abolir (ou de «franciser») McGill. Une telle abolition aurait tout simplement privé la province d’une des meilleures universités au monde, sans évidemment faire quoi que ce soit pour améliorer la situation éducative de la classe ouvrière francophone. 

L’objectif de la Révolution tranquille n’était pas d’enfermer les Québécois dans un cocon linguistique. Cet isolationnisme est exactement ce que ses intellectuels avaient dénoncé dans Cité Libre, où l’un d’entre eux a écrit en 1962: «L’ère des frontières linguistiques est finie, au moins en ce qui concerne la science et la culture; et si les clercs québécois refusent de maîtriser une autre langue que la leur, s’ils n’avouent de fidélité qu’à la nation, ils peuvent renoncer pour toujours à circuler dans l’orbite des élites intellectuelles du monde» (Pierre Elliott Trudeau, «La nouvelle trahison des clercs»). 

Le vrai défi d’une génération étudiante postrévolutionnaire tranquille

À mon humble avis, au lieu de s’attaquer au fait que McGill est anglophone, les étudiants qui se disent exclus devraient profiter de l’éducation qu’une université anglophone de calibre internationale leur offre. Ainsi, ils pourraient utiliser les connaissances qu’ils y gagneront pour faire avancer leur nation dans les forums internationaux culturels, scientifiques, économiques et politiques. Ceci donnerait au Québec l’aise nécessaire pour se tenir debout dans le monde. Cette démarche passe par nous, les jeunes, et l’on n’y arrivera pas en réanimant les vieilles batailles linguistiques et ethniques. Certes, il y a plusieurs réformes que l’on pourrait effectuer pour améliorer l’intégration des étudiants francophones; mais prétendre que l’absence de ces mesures additionnelles est une discrimination comparable à celles subies durant la Grande Noirceur est injuste. Il s’agit d’une proposition inflammatoire, diviseuse et contre-productive. 

De nos jours, Montréal dispose de deux universités francophones qui sont ouvertes à tout étudiant qui n’est pas à l’aise dans un milieu anglophone. En revanche, je ne recommanderais pas à ces étudiants de s’y transférer. Comme Mme Bélaïcha l’a justement admis, McGill est considérée comme la meilleure université au Québec; ce statut est inextricablement lié à sa culture institutionnelle unique, dont fait partie la langue anglaise, tout comme la culture du Québec est inextricablement liée à la langue de Molière. Dans un monde où l’anglais est inéluctable, j’inviterais plutôt mes collègues à prendre le courage de se familiariser avec lui. Comme on l’a vu il y a soixante ans, le modèle de l’isolement ne fonctionne pas, surtout pour ceux qui visent le plus haut possible, comme l’autrice.

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Définancement des institutions anglophones : un remède pire que le mal https://www.delitfrancais.com/2020/11/03/definancement-des-institutions-anglophones-un-remede-pire-que-le-mal/ Tue, 03 Nov 2020 13:58:31 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=38905 Une réponse à la proposition de PSPP à propos du réseau d’éducation postsecondaire anglophone.

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À peine une semaine après son élection comme chef du Parti Québécois, Paul St-Pierre Plamondon se lance déjà dans une charge contre le réseau anglophone d’éducation supérieure, en proposant la diminution de son financement afin qu’il réfléchisse le «poids démographique de la minorité historique anglophone». En tout respect, une telle proposition me semble contre-intuitive pour un mouvement dont le but est censé être l’émancipation et le progrès de la nation québécoise.

Une polémique qui n’est pas justifiée par les données

M. Saint-Pierre Plamondon fonde sa proposition sur la prétention que les cégeps et les universités anglophones anglicisent les jeunes Québécois et Québécoises. Or, selon l’OQLF, 90% des étudiants québécois fréquentent une école secondaire francophone. On retrouve dans ces écoles 28% des étudiants anglophones et 89% des étudiants allophones au Québec. Bien que 58% des allophones se tournent ensuite vers un cégep anglophone, il n’y a qu’un petit 7% des francophones qui en font de même. Cependant, 82% des étudiants québécois font leurs études dans une université francophone, dont 95% des francophones et 70% des allophones, alors que les allophones fréquentant les cégeps et universités francophones se multiplient. Alors, il n’y a que 5% des francophones et 19% des allophones qui abandonnent définitivement l’éducation francophone après le secondaire.

En fait, la situation linguistique n’est pas aussi alarmante que voudrait le faire croire le chef péquiste: les francophones et les allophones qui poursuivent leurs études postsecondaires en anglais ne sont qu’une minorité. Étant donné que le Québec est entouré de sociétés anglophones, qui sont ses partenaires économiques prédominants, leur choix n’est pas si surprenant.

Un réseau qui attire par les bénéfices du bilinguisme

Tandis que les pays européens imposent toujours plus d’instruction anglophone à l’école, les contribuables québécois ont le luxe d’une éducation supérieure anglophone prestigieuse, qui leur est ouverte sans aucun coût additionnel. Sans subir l’immersion anglaise forcée, comme c’est le cas aux Pays-Bas, les étudiants québécois peuvent perfectionner leur anglais avec quelques années d’éducation supérieure, après avoir déjà complété toute leur éducation formative en français. Il ne faut pas oublier que le réseau anglophone se transforme aussi pour s’adapter à cette réalité. Au Collège Dawson, certains professeurs acceptent beaucoup de travaux dans la langue de Molière, ce qui est déjà un acquis à l’Université McGill, où M. St-Pierre Plamondon affirme avoir étudié majoritairement en français avant sa maîtrise à l’Université d’Oxford.

Évidemment, un parcours collégial ou universitaire en anglais ne se traduit pas nécessairement en une conversion en anglophone. Au contraire, il peut offrir le bilinguisme et tous les avantages qui en découlent. Le choix de M. St-Pierre Plamondon ou de Jacques Parizeau (un diplômé de la London School of Economics) est tout à fait rationnel pour une personne désirant avancer son statut dans un monde dont la lingua franca est l’anglais. Quand les élites québécoises choisissent l’éducation supérieure anglaise, est-il scandaleux qu’une minorité de leurs compatriotes veuille les imiter, sans aucun coût additionnel à l’État québécois?

Il s’agit d’une mesure paternaliste en contradiction avec l’esprit émancipateur de la Révolution tranquille

Une proposition inégalitaire et régressive

M. St-Pierre Plamondon semble vouloir fermer cette voie à tous, sauf à ceux qui sont suffisamment nantis pour se financer une éducation anglophone privée. La distinction prétendue entre bilinguisme institutionnel et individuel semble plutôt illusoire. La conséquence involontaire de cette proposition serait de restreindre la mobilité sociale de la classe moyenne francophone au profit de l’élite établie. Il s’agit d’une mesure paternaliste en contradiction avec l’esprit émancipateur de la Révolution tranquille, qui voulait rendre les Québécois et les Québécoises «maîtres chez eux»; une telle restriction de leurs opportunités éducationnelles solidifierait leur soumission à une élite bilingue, qui détiendrait le privilège exclusif d’une éducation de calibre international. L’émancipation d’un peuple doit logiquement passer par l’émancipation des individus qui le constituent, particulièrement des moins aisés, et non par leur mise sous tutelle.

Force est d’admettre que le gouvernement actuel ait compris que l’avenir du Québec se fonde sur une population dynamique avec l’aise économique et la confiance nécessaires à la protection et le rayonnement de sa culture dans un contexte de mondialisation. Ainsi, l’on peut reprocher au chef péquiste de proposer une mesure qui restreindrait ce progrès émancipateur. On ne sauve pas une nation en la gardant pauvre, ignorante et isolée; s’il y a une chose que l’on devrait avoir retenu de la Révolution tranquille, ce serait cette leçon.

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On ne conserve pas un héritage en emprisonnant son porteur https://www.delitfrancais.com/2020/09/08/on-ne-conserve-pas-un-heritage-en-emprisonnant-son-porteur/ Tue, 08 Sep 2020 13:20:10 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=36747 Critique des suggestions mal fondées de Frédéric Bastien à l’égard de la Faculté de droit de McGill.

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En réponse à la polémique concernant la place du droit civil québécois dans la Faculté de droit de l’Université McGill, Frédéric Bastien, aspirant chef péquiste, a proposé d’interdire l’accès au Barreau du Québec aux diplômés de McGill. En tant qu’étudiant actuel à cette Faculté, je voudrais offrir quelques précisions.

C’est sur Facebook que M. Bastien a tout d’abord prétendu que le départ du professeur Vincent Forray priverait McGill de son dernier chercheur civiliste qualifié. Cependant, McGill compte actuellement plusieurs professeurs civilistes, dont Fabien Gélinas, Helge Dedek, Yaëll Emerich, Rosalie Jukier, Lara Khoury et Pierre-Emmanuel Moyse. Certains d’entre eux ont écrit des œuvres fondamentales, tels que la professeure Khoury en ce qui concerne la preuve de causalité avec son œuvre primée Uncertain Causation in Medical Liability (2006). Également, le doyen de la Faculté, Robert Leckey, est un ancien professeur civiliste spécialisé en droit de famille. Or, même si l’Université a vécu dans les dernières années le départ de certains professeurs civilistes de renom, il est inexact de prétendre que McGill n’aura pas la capacité de faire des recherches en droit civil.

Bastien a ensuite poursuivi son message en se référant à l’opposition du doyen Leckey à la loi 21 et au soutien de ce dernier au multiculturalisme officiel et à la Charte canadienne des droits et libertés. Tout d’abord, il n’est pas surprenant qu’un doyen d’une faculté de droit au Canada soutienne deux piliers de la Constitution canadienne. De plus, même si je ne partage pas nécessairement l’avis du doyen à propos de la loi 21, je doute qu’il soit approprié de pénaliser la Faculté pour les opinions juridiques de ses membres. La dissidence, une condition essentielle du débat, est protégée par la Charte québécoise.

Finalement, M. Bastien s’est engagé à reformuler l’admission au Barreau afin d’exclure les universités « insuffisamment civilistes ». À la réaction de Me Lowrie, un diplômé de McGill, qui lui a souligné que les étudiants de McGill ont des taux de réussite à l’examen du Barreau supérieurs à ceux de l’Université d’Ottawa, de l’UQAM et de l’Université Laval, M. Bastien a répondu que les étudiants de McGill seraient capables de réussir même avec une formation en anthropologie, étant « intelligents, cultivés et disciplinés ».

Alors, quelques questions se posent : les étudiants de McGill sont-ils si extraordinaires qu’ils pourraient surpasser leurs homologues sans aucune formation juridique? Si devenir avocat ne nécessite aucune formation juridique, quelle est la pertinence des facultés de droit? Finalement, quelles preuves démontrent que McGill offre une formation aussi déconnectée du droit québécois qu’un quelconque programme d’anthropologie?

Au lieu de supposer que les étudiants de McGill peuvent mystérieusement apprendre en quelques mois ce que leurs collègues ont appris en trois ans, il est tout simplement possible d’admettre que McGill offre une formation juridique adéquate. Certainement, la formation qu’offre McGill n’est pas aussi axée sur le droit civil que celle de l’Université de Montréal, tout comme son instruction de la common law n’est pas aussi approfondie que celle de l’Université de Toronto. Le but de l’éducation transsystémique est d’apprendre les deux traditions juridiques simultanément ; évidemment, il est impossible d’y avoir la même immersion que l’on aurait si l’on n’apprenait que l’une d’elles. Cependant, l’on peut tout de même observer les points communs et les grandes différences entre la structure, la logique et la méthodologie des deux traditions. Ainsi, l’on peut formuler des arguments, des moyens juridiques et des doctrines qui fonctionnent tant dans le droit civil que dans la common law, tout comme l’ont fait deux diplômés de McGill dans l’affaire de la Cour suprême Churchill Falls c. Hydro-Québec.

Certes, l’on peut débattre de l’efficacité de ce bijuridisme, mais vouloir fermer le Barreau aux étudiants de McGill sous prétexte qu’ils ne sont pas des civilistes purs est un non-sens. Le Québec n’est pas une juridiction purement civiliste ; son droit public et son droit procédural sont principalement fondés sur la common law. C’est entre autres ce mélange juridique et l’influence des juridictions de common law qui nous entourent qui ont permis au Québec de recevoir l’action collective du droit étasunien, soit la capacité de se regrouper afin de poursuivre un concitoyen ou une société collectivement. Ce moyen procédural, qui a déjà été utilisé par les consommateurs et les victimes d’agression sexuelle, entre autres, contre des groupes et des sociétés beaucoup plus riches et puissants qu’eux, ne vient pas du droit civil québécois, mais bien d’un arrêt de la Cour suprême des États-Unis.

La proposition de M. Bastien n’est rendue nécessaire ni par l’état actuel de ma faculté ni par la réalité juridique québécoise. Et certainement pas par le désaccord politique de M. Bastien avec le doyen. Il n’y a aucun doute que l’héritage civiliste de McGill est une partie importante du patrimoine juridique du Québec et qu’il est digne de protection. Également, il est raisonnable que le départ de certains professeurs civilistes célèbres soit la cause d’appréhension à cet égard ; cependant, la proposition de M. Bastien n’ajoute rien à ce débat et serait plus nocive que protectrice pour le porteur de cet héritage.

 

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