Archives des Société - Le Délit https://www.delitfrancais.com/category/societe/ Le seul journal francophone de l'Université McGill Wed, 27 Mar 2024 14:06:30 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.4.4 Rendre le monde indisponible https://www.delitfrancais.com/2024/03/27/rendre-le-monde-indisponible/ Wed, 27 Mar 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55302 Lire Hartmut Rosa pour réfléchir au sens de la vie.

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Vous etes vous déjà questionné sur le sens de vos actions? En tant qu’étudiants, on a souvent le nez dans les livres, parce qu’on se dit toujours dit qu’il fallait « travailler dur pour pouvoir choisir ce qu’on fera plus tard », comme si travailler dur et « réussir » était une promesse de l’accomplissement de nos désirs, et donc, d’accès au bonheur. Mais s’est-on déjà réellement posé la question quant à la raison pour laquelle on s’obstine à vouloir toujours « réussir »? Dans son livre Rendre le monde indisponible, le sociologue et philosophe allemand Hartmut Rosa s’intéresse à cette idée selon laquelle la réussite et le progrès sont la source du bonheur. Voici quelques applications de sa pensée, à notre société, et à notre quotidien d’étudiant.

La modernité tardive [le monde contemporain, ndlr] a fait de cette logique productiviste son mantra. Elle est aujourd’hui ancrée à peu près partout, et conditionne nos actions et nos modes de pensée. En tant qu’étudiants, nous n’y échappons pas, et nous subissons de plein fouet ce déterminisme social qui régit nos actions. Dès l’enfance, nous sommes conditionnés par la nécessité d’avoir les meilleures notes possibles à l’école, et de s’améliorer au fil des ans, afin de s’assurer cette « réussite » et un avenir prospère.

Aujourd’hui encore à l’université, bien que nous étudions quelque chose qui nous intéresse (enfin, je l’espère pour vous), il est facile de se perdre dans cette course à la performance et d’en oublier le but premier : s’épanouir par l’apprentissage. Dans cette course effrénée, on veut toujours aller plus loin, avoir de meilleures notes pour s’assurer d’atteindre des maîtrises encore plus prestigieuses par la suite. En effet, poursuivre son parcours dans une institution moins prestigieuse que l’actuelle s’avérerait un échec cuisant.

La course à la disponibilité

Pour Hartmut Rosa, cette course effrénée atteste de l’accélération de notre monde, et de notre culture capitaliste, qui pose la nécessité de toujours croître, d’approprier et maîtriser davantage. Tout comme la croissance économique est perçue comme nécessaire au bonheur des sociétés contemporaines, accéder à plus de choses et progresser [selon la même logique que la croissance économique, ndlr] est présenté comme une promesse, si ce n’est une condtion au bonheur individuel. Dans son livre, Rosa explique que cette accélération a pour motif de rendre toujours plus de choses « disponibles », c’est-à-dire appropriables, maîtrisables.

Cette logique a su convaincre toute la société, et nous aussi les étudiants. Animés par cette idée selon laquelle la « réussite » est une promesse au bien-être parce qu’elle rend les choses disponibles (notamment par l’argent qu’elle procure), nous souhaitons toujours faire plus, en moins de temps possible : si j’ai écrit une dissertation en deux jours la semaine dernière, je veux maintenant l’écrire en un jour aujourd’hui, tout en maintenant la même qualité, voire améliorer mon texte. Pourtant, si nous présentons souvent la réussite comme le fait d’avoir les meilleures notes possibles, il nous est néanmoins difficile de la définir clairement (si vous aussi vous souhaitez « réussir », posez-vous d’abord la question : c’est quoi réussir?).

« Cette course effrénée atteste de l’accélération de notre monde, et de notre culture capitaliste, qui pose la nécessité de toujours croître, d’approprier et maîtriser davantage »

Hartmut Rosa considère que cette course effrénée visant à « rendre le monde disponible » a entraîné l’aliénation de nos sociétés. Elle n’est plus un moyen pour aboutir à une fin (le bonheur), mais une fin en tant que telle. Pour Rosa, ce phénomène cause des dommages importants sur nos sociétés toutes entières ; à travers cette logique qui dirige leurs vies, les individus deviennent étrangers à eux-mêmes et semblent « ne plus se reconnaître », ce qui donne parfois naissance à des crises identitaires et professionnelles, comme le burn-out.

L’indisponibilité du bonheur

Si la réussite nous permet d’accéder à plus de choses en les rendant plus « disponibles », pourquoi ne promet-elle
pas un accès au bonheur? Pour répondre à cette question, Rosa nous appelle à ne pas confondre « disponibilité » et « résonance ». Ce qui nous rend réellement heureux, c’est-à-dire les sentiments de bonheur et de bien-être, ne sont ni contrôlables, ni appropriables. Ce n’est pas parce que les choses nous sont disponibles qu’elles éveillent en nous un sentiment de bonheur. Par exemple, ce n’est pas parce que vous voyagez à Tokyo ou à Venise que ces villes vous toucheront et créeront en vous un sentiment particulier. Selon lui, pour vivre de telles émotions, l’accès et la disponibilité ne suffisent pas, il faut aussi « entrer en résonance ». Rosa décrit cette résonance comme l’entrée en relation cognitive, affective, ou corporelle entre un sujet et son environnement, son prochain, ou son action. Ce phénomène n’est pas contrôlable et demande davantage qu’une simple disponibilité. Elle demande à l’individu d’être suffisamment ouvert pour pouvoir se laisser « toucher » émotionnellement par son expérience du monde.

Rosa concède que son concept de « résonance » est opaque. En revanche, il en donne un exemple tout à fait parlant dans son livre : l’amour. Une relation amoureuse est une relation de résonance entre deux êtres humains. C’est une relation qui « touche » les individus. Si une personne peut mettre le plus de choses en œuvre afin d’accroître ses chances de tomber amoureuse le plus vite possible, en se rendant « disponible » lors des moments où elle rencontre une autre personne, la création de la relation amoureuse en tant que telle reste pour elle tout à fait indisponible : ses propres sentiments ne sont pas contrôlables, ni ceux de l’autre personne concernée. Nous ne pouvons pas savoir si la relation se créera, et c’est justement pour cela qu’elle a de la valeur pour nous. Une relation aurait-t-elle de la valeur si elle était pleinement prévisible et contrôlable? Selon Rosa, ce qui est « rendu calculable et maîtrisable [disponible, ndlr], ne perd pas seulement sa magie et sa couleur, mais aussi son sens ». Pour revenir à notre idée principale, la réussite et la mise à disposition du monde ne sont donc pas une promesse au bonheur. Ce dernier découle plutôt d’une relation de résonance, qui elle-même appelle à l’indisponibilité.

«Ne voyons pas le bonheur comme quelque chose de futur, faisons en plutôt quelque chose du présent. »

Une solution : ralentir

Rosa nous fait donc comprendre que notre obstination à toujours réussir et accomplir plus de choses n’est pas, contrairement à ce que nous pensons, la voie d’accès au bien-être et au bonheur. En réalité, la résonance nous est fondamentalement indisponible : on ne peut la contrôler. Cela ne veut pas pour autant dire qu’on ne peut rien faire pour s’ouvrir des voies vers le bien-être. Sans forcément s’assurer d’entrer en résonance, on peut garder des portes ouvertes pour se laisser toucher par notre monde. Rosa montre que c’est d’ailleurs pour cela que les gens vont au musée, pour potentiellement être marqués par une œuvre, sans pour autant en être certains.

Si Hartmut Rosa pouvait nous donner un conseil à nous les étudiants, ce serait sans doute de ne pas gâcher nos études en nous obstinant à avoir des bonnes notes, dans un but très vague de réussite. Il nous conseillerait de profiter de nos études pour faire ce que l’on aime, et d’utiliser cette période pour s’ouvrir à la discipline que l’on étudie. Si nous pouvions définir clairement ce qu’est la réussite, elle s’apparenterait sans doute à cette capacité à profiter du moment présent, et à se laisser toucher par son environnement, ses proches, et ses intérêts. Ne voyons pas le bonheur comme quelque chose de futur, faisons en plutôt quelque chose du présent.

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Chroniques en collaboration avec le Centre d’enseignement du français de McGill https://www.delitfrancais.com/2024/03/27/chroniques-en-collaboration-avec-le-centre-denseignement-du-francais-de-mcgill/ Wed, 27 Mar 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55359 Cette semaine, Le Délit vous présente le fruit de la deuxième édition de son projet collaboratif avec le Centre d’enseignement du français à McGill (CEF). Dans le cadre du cours « FRSL 449 – Le français des médias », les étudiant·e·s en apprentissage du français comme langue seconde ont été invité·e·s à soumettre des chroniques… Lire la suite »Chroniques en collaboration avec le Centre d’enseignement du français de McGill

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Cette semaine, Le Délit vous présente le fruit de la deuxième édition de son projet collaboratif avec le Centre d’enseignement du français à McGill (CEF). Dans le cadre du cours « FRSL 449 – Le français des médias », les étudiant·e·s en apprentissage du français comme langue seconde ont été invité·e·s à soumettre des chroniques qui portent sur des faits marquants de l’actualité, culturelle ou politique, d’ici ou d’ailleurs. Ayant pour thème commun « Une image vaut mille mots », les chroniques développent les points de vue personnels des auteur·rice·s sur les enjeux sociaux illustrés dans des œuvres d’art ou des photos journalistiques qui ont attiré leur attention. Ces textes, préalablement révisés dans un contexte académique par la professeure Élisabeth Veilleux, ont par la suite été sélectionnés pour être publiés dans Le Délit. Nous vous présentons donc notre sélection des deux meilleures chroniques.


** Les illustrations qui figurent ci-dessous ont été créées par les illustrateur·ice·s du Délit et s’inspirent librement des images originales.

Lorsque le Deepfake n’est plus amusant

« Quand le pape est-il devenu si stylé? » C’était la question qui tournait dans toutes nos têtes lorsque nous avons vu circuler cette image du pape dans son manteau blanc. Nous avons vite réalisé que l’image n’était pas véritable, mais quand même, nous avons été choqués par le réalisme de cette photo générée par Mid-journey, un programme d’intelligence artificielle (IA) générative. Même Chrissy Teigen, célébrité américaine, a tweeté qu’elle pensait que le manteau du pape était vrai, sans avoir pris un moment pour y réfléchir. « Il n’y a aucune chance que je survive au futur de la technologie », a‑t-elle écrit. Alors, Chrissy, le sentiment est partagé.

L’année 2023 est sans aucun doute l’année de l’IA. On a assisté à l’émergence de nombreuses applications et sites web d’IA tels que DALL‑E et Mid-journey, qui ont la capacité de créer des images selon des instructions. Cette fonction a fasciné le monde entier, et tous veulent maintenant tester cette créativité facile. Il suffit d’entrer une description simple et l’IA fera le travail pour vous.

Néanmoins, l’IA est également apte à estomper la frontière entre la réalité et la fiction, ce qui a été le cas pour l’image du pape. Bien que celle-ci ait été destinée à faire rire, il y a plusieurs risques et dangers liés à l’usage de l’IA générative. D’abord, il y a le risque d’une réécriture de l’histoire. Selon William Audureau, journaliste pour Le Monde, depuis le lancement de la cinquième version de Mid-journey en mars 2023, et avec la démocratisation de l’IA générative, il n’a jamais paru aussi facile de changer l’histoire à travers des illustrations factices. Audureau a illustré son propos avec une photo de Rosalind Franklin générée par l’IA. La photo montre Franklin recevant le prix Nobel, alors qu’en réalité, elle ne l’a jamais reçu. Que se passet-il quand on ne se souvient plus de l’histoire? Cette question devient plus importante lorsqu’on parle des pays autoritaires dans lesquels le gouvernement tente de falsifier l’histoire pour son propre bénéfice.

« Bien que celle-ci ait été destinée à faire rire, il y a plusieurs risques et dangers liés à l’usage de l’IA générative »

De plus, on a le problème des hypertrucages modernes (« deepfakes » en anglais), qui sont des images,
des vidéos, ou des audios comportant une modification de l’apparence ou de la voix d’êtres humains. Peut-être avez-vous déjà vu les hypertrucages de Taylor Swift sur X qui montrent la chanteuse soutenant Donald Trump? Les hypertrucages sont aussi beaucoup utilisés en pornographie. Par exemple, pendant une diffusion en continu, Brandon « Atrioc » Ewing, un streamer sur la plateforme Twitch, a accidentellement révélé qu’il regardait une vidéo pornographique « deepfake » d’une streameuse. À cause de la facilité à créer un hypertrucage, de plus en plus de personnes sont devenues victimes de cette technologie, et beaucoup d’entre elles sont des femmes.

À l’inverse, les gens sont également de plus en plus susceptibles de voir une image réelle (par exemple, de la guerre) sans pour autant y croire. Cette tendance deviendra plus évidente à mesure que nous nous habituons à la désinformation. Cela peut être dangereux, car nous mettrons beaucoup de temps à reconnaître les personnes qui ont besoin d’aide.

« Il n’a jamais été aussi important d’avoir un raisonnement analytique et de vérifier la source des informations qu’on lit »

En conclusion, l’ère de l’IA en est une qui suscite l’enthousiasme, mais représente aussi un moment où il faut être plus prudent. Il n’a jamais été aussi important d’avoir un raisonnement analytique et de vérifier la source des informations qu’on lit. En même temps, quand on voit des hypertrucages qui circulent en ligne, il faut les signaler. Je suis certaine que nous allons avoir plus de lois pour nous protéger contre la désinformation. Pendant ce temps, restez vigilants et assurez-vous d’utiliser l’IA avec prudence et bienveillance!

Clément Veysset | Le Délit

Coupe du monde féminine de football : comment une publicité a permis de revoir les points de vue biaisés du grand public

Le football est un sport largement connu qui compte des millions de supporteurs à travers le monde. Par contre, ce sport adoré est sujet à beaucoup de misogynie. En juillet 2023, une vidéo publicitaire a fait sensation dans les médias lors de la Coupe du monde féminine de football. Celle-ci a été diffusée par l’entreprise française Orange FR avec le but de briser les barrières de la misogynie. Elle consistait en une compilation de vidéoclips impressionnants de l’équipe masculine de football française, les Bleus, incluant le joueur Kylian Mbappé, et terminait avec le message « Il n’y a que les Bleus pour nous procurer ces émotions ». La vidéo publicitaire disait ensuite « Et pourtant, ce n’est pas eux que vous venez de voir », et a fait la transition vers les éditeurs, qui utilisaient l’intelligence artificielle, pour montrer que ces vidéoclips étaient en réalité des moments de jeu exceptionnels de l’équipe féminine de football de France, les Bleues, incluant la joueuse Wendie Renard. En faisant cela, ils ont voulu démontrer que les filles sont aussi bonnes que les garçons.


Les médias sociaux sont fréquemment utilisés de nos jours, et les équipes féminines de football ont une présence importante sur les réseaux comme Instagram. Quand vous regardez les commentaires, il est fréquent de retrouver des commentaires négatifs comme « Qui va regarder cela? » ou « C’est meilleur chez les hommes ». Pour appuyer mon argument, Cristiano Ronaldo, joueur de l’équipe de football portugaise, a remporté le titre du plus grand nombre de buts marqués au niveau international, avec 110 buts. En réalité, sept femmes, dont Christine Sinclair de l’équipe canadienne avec 190 buts marqués, avaient déjà remporté ce titre, mais n’ont pas reçu de reconnaissance publique.

Après la création de cette vidéo publicitaire, beaucoup de choses ont changé. L’équipe d’Orange FR a créé la vidéo pour montrer son soutien à la Coupe du monde féminine de football, mais elle n’avait pas imaginé que cette vidéo allait avoir de telles répercussions. La publicité a attiré l’attention d’environ cent millions de spectateurs à travers le monde, et une pluie de réactions positives. « C’est bon! », a tweeté en français l’ancien capitaine de football anglais Gary Lineker. De plus, une station de radio australienne, le Sydney Morning Herald, a affirmé que la vidéo publicitaire avait aidé à « déconstruire les stéréotypes de genre ». Avec d’autres réactions positives de joueurs professionnels, les joueuses de football ont finalement eu un important moment de reconnaissance.

« En réalité, sept femmes, dont Christine Sinclair de l’équipe canadienne avec 190 buts marqués, avaient déjà remporté ce titre, mais n’ont pas reçu de reconnaissance publique »

Je joue au football depuis mon enfance, mais j’ai toujours été très sensible aux commentaires négatifs et au traitement de faveur reçu par les garçons. Des actes aussi simples qu’acheter des uniformes de garçons, qui ne vont pas aux filles, ou empêcher les filles de jouer au football avec les garçons mettent en relief les perceptions biaisées d’un grand nombre d’individus. La vidéo m’a vraiment touchée et je sais que je ne suis pas la seule. J’espère qu’il y aura d’autres vidéos comme celle-là, et que les femmes et les hommes seront un jour vus comme égaux dans le monde du sport.

Pour conclure, cette publicité a brisé les barrières de la misogynie, et pour preuve, la Coupe du monde féminine de football a attiré près d’un milliard de spectateurs en 2023, dépassant les niveaux atteints les années précédentes. On continue à combattre la discrimination de genre, mais malheureusement, il y a des expériences négatives tous les jours envers les footballeuses et d’autres sportives. Cependant, les vidéos publicitaires de ce genre ont, et continueront d’avoir un grand impact sur ce sport magnifique!

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Aux femmes de ma vie https://www.delitfrancais.com/2024/03/27/aux-femmes-de-ma-vie/ Wed, 27 Mar 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55334 Pour la Journée internationale des droits des femmes, je fais l’éloge des femmes qui m’inspirent.

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Le 8 mars dernier, nous avons célébré la Journée internationale des droits des femmes. À une époque où les inégalités basées sur le genre sont toujours présentes et où les droits des femmes sont constamment menacés, il y a autant de choses à souligner en cette journée qu’il y a de femmes sur la Terre. En tant qu’homme cisgenre, bien évidemment que j’ai une relation différente avec cette journée, mais loin de moi l’idée de faire du mansplaining sur son importance. Cependant, j’ai réfléchi à ce que cette journée signifiait pour moi. J’ai voulu comprendre ce qui rendait cette occasion si importante à mes yeux, et ce pourquoi j’avais eu autant envie d’en faire la promotion, de crier sur tous les toits que le 8 mars était la Journée internationale des droits des femmes.

D’abord, j’ai pensé aux suffragettes, à celles qui se sont battues pour faire reconnaître les droits politiques et sociaux des femmes. Je me suis dit que leur combat acharné était assez inspirant pour expliquer mon attachement au 8 mars. Leur courage, leur force de caractère, ainsi que leur détermination étaient monumentaux. C’était une partie de la réponse, mais pas toute.

Ensuite, j’ai pensé aux icônes féminines présentes dans la culture populaire, aux femmes artistes, politiciennes et athlètes. Celles qui nous font rêver, celles qui nous inspirent. Encore là, c’était un bout de la réponse sous-tendant
ma connexion à cette journée, mais il manquait toujours un morceau à ma réflexion.

Et j’ai compris. Ce qui rend cette journée si spéciale pour moi, ce qui me donne tant envie de parler de cette journée, ce sont les femmes de ma vie, celles qui marquent mon quotidien. Depuis tout jeune, les femmes de mon
entourage ont été mes plus grandes alliées. De par leur expérience de la vie, elles m’ont façonné, épaulé, et fait de moi qui je suis aujourd’hui. Sans les femmes de ma vie, il n’y aurait pas d’Elliott. Elliott George Grondin serait moins curieux, moins conscient du monde qui l’entoure, moins drôle, moins heureux, plus fade. Il faut dire que j’ai grandi entouré de modèles féminins inspirants, des personnes brillantes, fortes, des femmes d’opinion qui ne demandaient pas avant d’agir : elles le faisaient tout simplement. Des modèles pour moi et le monde entier. D’aussi loin que je me souvienne, j’ai bénéficié de leur compagnie, de leurs conseils, de leurs histoires et de leur écoute. Aujourd’hui c’est à mon tour de leur rendre hommage et de les remercier pour le grand impact qu’elles ont eu et qu’elles continuent d’avoir sur ma personne.

« De par leur expérience de la vie, elles m’ont façonné, épaulé, et fait de moi qui je suis aujourd’hui. Sans les femmes de ma vie, il n’y aurait pas d’Elliott »

Premièrement, il y a mes deux grands-mères. Aussi différentes soient-elles, toutes les deux sont féministes sans même le savoir. Elles sont féministes à leurs dépens, car tout au long de leur existence, elles auront repoussé les limites, elles se seront battues de manière différentes, mais leurs victoires auront bénéficié à toutes les femmes.

Ma grand-mère paternelle s’est divorcée à une époque où les divorces étaient peu communs. Avec deux fils à sa charge, elle a quitté le foyer pour trouver un emploi afin de subvenir aux besoins de la famille. Je ne crois pas qu’être une mère sans spécialisation professionnelle qui retourne sur le marché du travail a toujours été facile pour elle, mais elle ne s’en est jamais plaint. Elle a gardé la tête haute, relevé ses manches et fait le travail qui devait être fait. Elle ne s’est pas contenté d’offrir à ses enfants le minimum, elle leur offrait le meilleur, elle leur offrait le mieux d’elle. Encore aujourd’hui, ma grand-mère est une de ces femmes humbles, qui serait gênée de savoir que je parle d’elle. Non pas par fausse modestie, mais bien parce qu’elle me dirait qu’elle ne se considère pas comme étant particulièrement forte. Pour moi, ma grand-mère m’aura appris la force et la résilience. Merci.

Ma grand-mère maternelle est une femme qui s’est toujours impliquée dans le monde politique. Elle aura milité pour toutes les causes sociales. Elle a toujours refusé de voir les femmes comme des choses fragiles qui doivent être câlinées. Elle est entrée dans l’arène et a récupéré son dû, et par extension, celui de toutes les femmes. C’est le genre de femme qui me dit souvent : « Le monde actuel va mal Elliott, mais il a pourtant été créé par des hommes. Et si on essayait de voir comment les femmes s’y prenaient pour une fois? Ça peut difficilement être pire! » Elle est persuadée que le monde se porterait mieux avec des femmes à sa tête. Elle est devenue l’une des premières femmes élues au Conseil municipal de ma ville natale et elle en est fière, avec raison. J’en suis fier aussi, comment ne pas l’être? Ma grand-mère maternelle m’a montré la force des convictions et la conviction dans la force. Merci.

Ensuite, il y a ma mère. Mon premier grand amour, celle qui est devenue mère à seulement 21 ans parce qu’avoir des enfants était son plus grand rêve. C’est celle qui aura tout donné à ma fratrie et à moi-même : l’amour, la présence et tout son temps. Elle a même ouvert une garderie en milieu familial pour nous garder près d’elle, pour nous voir grandir, pour nous aimer du plus près possible. Tout tourne autour de la famille avec ma mère. J’ai longtemps eu de la difficulté à comprendre ses choix. Pour moi, le fait de rester à la maison était antiféministe ; une femme ne devrait pas rester à la maison comme dans les années 1950. Pour moi, c’était trop réducteur à l’égard des femmes et de la lutte pour l’égalité des genres. Pourtant, je crois que ma mère aura su me prouver le contraire. Le féminisme c’est l’égalité des genres et la possibilité de jouir de ses propres choix. Ma mère nous aura choisis. Toujours. C’est aussi le genre de mère qui a entamé et terminé un diplôme universitaire à distance, juste pour nous montrer que c’était possible, afin de nous prouver qu’elle en était capable, qu’on en était tous capables. Ma mère m’aura montré l’amour inconditionnel. Merci.

Il y a aussi ma petite sœur. Elle me fait beaucoup penser à moi, et parfois c’est dur de se voir comme dans un miroir. Pourtant, elle n’est pas exactement comme moi, ni comme mon frère. Elle est la meilleure version de nous deux. Elle a le meilleur de mon frère et le meilleur de moi. Elle est plus drôle, plus intelligente, plus fonceuse. Elle est tout simplement plus. Ma sœur m’aura appris l’art de la finesse. Merci.

Finalement, mes amies, mes plus vieilles alliées. À mon plus bas, tout comme à mon plus haut, elles ne se seront pas contentées d’être à mes côtés, elles m’auront guidé. Elles ont été les premières à me savoir perdu dans ma vie
pendant une époque plus tumultueuse, et les premières à me montrer un futur plus simple. Architectes de mes joies, elles sont l’épaule sur laquelle je peux me poser et la raison pour me relever. Ma plus grande tragédie c’est d’être incapable de les aimer comme je le voudrais ; romantiquement. Mes amies m’auront montrer comment aimer. Merci.

Ce que je vous souhaite, c’est d’avoir des femmes dans votre vie comme celles qui sont dans la mienne. Denise, Françoise, Marie, Sandrine, Valérie, mes amies : je vous souhaite une joyeuse Journée internationale des droits des femmes.

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Varsity : passion sous pression https://www.delitfrancais.com/2024/03/20/varsity-passion-sous-pression/ Wed, 20 Mar 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55194 Enquête sur la santé mentale des étudiants-athlètes.

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*Tous les noms ont été modifiés pour des raisons d’anonymat.

Pour beaucoup d’étudiants, intégrer l’équipe Varsity de leur discipline sportive au sein de McGill est un rêve. Le sport est pour eux une passion, et Varsity peut être un tremplin : les enjeux sont donc grands. L’Université soutient que la priorité doit toujours être la réussite académique de ces étudiants-athlètes, pourtant la réalité est plus complexe, et cette affirmation peut se traduire en un manque de soutien des besoins spécifiques à ces étudiants. Que se passe-t-il quand les désillusions et les déceptions impactent la confiance en soi de ces étudiants-athlètes? Le soutien de l’Université est déterminant pour leur santé mentale, eux qui jonglent entre de nombreux impératifs, et qui subissent de nombreuses pressions extérieures, en plus de celle qu’ils se mettent.

Les équipes sportives universitaires (Varsity en anglais) font partie intégrante de la culture universitaire en Amérique du Nord et contribuent activement au rayonnement et au prestige des institutions qui les accueillent. Pour les étudiants-athlètes, Varsity est une opportunité de pratiquer leur sport, de manière intensive, à un plus haut niveau. Néanmoins la charge mentale des étudiants-athlètes est significative, puisqu’ils combinent un entraînement sportif exigeant à un programme académique complet.

Il faut également considérer que les budgets alloués aux équipes universitaires canadiennes sont relativement bas comparés aux États-Unis. Le nombre de bourses disponibles est extrêmement limité et elles sont seulement assignées en fonction des performances sportives des étudiants-athlètes, qui doivent obtenir des lettres de recommandation pour pouvoir postuler. En plus de devoir maintenir leur niveau athlétique et académique, les étudiants reçoivent difficilement une compensation financière pour le temps consacré à la pratique sportive. Or, l’ampleur du temps consacré à leur sport les empêche d’exercer un emploi à temps partiel. Une préoccupation économique s’ajoute ainsi à la charge mentale de ces étudiants. Le guide du sport interuniversitaire de McGill précise : « La participation au sport interuniversitaire est un privilège et non un droit. » Pourtant, l’Université ne propose pas réellement les accompagnements nécessaires pour permettre aux étudiants-athlètes de jouir pleinement de ce « privilège ». Plusieurs étudiants-athlètes rencontrés par Le Délit nous ont témoigné des difficultés qu’ils ont pu rencontrer, et de la solitude à laquelle ils ont souvent dû faire face.

« Je séchais [mon cours] la plupart du temps, mais il y a eu quelques fois où j’étais obligé d’aller en cours et on m’a fait comprendre que c’était tant pis pour moi et que ça impacterait mon rôle dans l’équipe »

Jody*, ancien membre de l’équipe de basketball de McGill

Un emploi du temps qui donne le tournis

Dans le guide de Varsity Sports de l’Université McGill, aucune limitation du nombre d’heures de pratique sportive n’est précisé, et le document indique seulement que « les étudiants-athlètes de l’équipe universitaire sont tenus de participer pleinement à tous les entraînements et à toutes les compétitions exigées par l’entraîneur principal, à condition qu’il n’y ait pas de restrictions médicales ou académiques. (tdlr) » L’Université ne propose pas d’aménagement des cours pour les étudiants-athlètes, contrairement aux universités américaines. Les étudiants-athlètes doivent donc se débrouiller seuls pour concilier pratique sportive et études, et les entraîneurs peuvent parfois s’avérer plus ou moins compréhensifs.

Jesse*, membre de l’équipe féminine de hockey de McGill, nous explique que les professeurs ont souvent été très accommodants, mais elle avoue néanmoins devoir rater plusieurs cours par semaine pour sa pratique du hockey, et doit ainsi être très organisée. Bien que la plupart des étudiants-athlètes interrogés réussissent à jongler les cours et le sport à haut niveau, plusieurs nous ont confié s’être sentis tiraillés entre les impératifs scolaires et athlétiques, et insuffisamment soutenus. Jody*, un ancien étudiant-athlète membre de l’équipe de basketball pendant deux ans, nous explique que lors de sa première année, il avait un cours qui avait lieu en même temps que certaines heures d’entraînement. « Je séchais donc la plupart du temps, mais il y a eu quelques fois où j’étais obligé d’aller en cours et on m’a fait comprendre que c’était tant pis pour moi et que ça impacterait mon rôle dans l’équipe ». Cleo*, étudiante-athlète ayant récemment quitté l’équipe de basketball féminine pour plusieurs raisons, raconte à propos des cours : « Pendant ma première année, une assistante coach avait nos emplois du temps [ceux des nouveaux dans l’équipe, ndlr] avec nos examens et nos devoirs aussi, et toutes les semaines nous devions aller la voir pour lui dire où on en était dans notre travail. Ça m’a vraiment beaucoup aidée. La deuxième année, elle est partie et on était complètement livrées à nous-mêmes. La moyenne académique des membres de l’équipe n’était vraiment pas bonne. Une de mes amies a échoué dans une classe et a donc perdu sa bourse. » Malgré le postulat de l’Université, la réussite sportive reste primordiale pour les entraîneurs ainsi que pour les sportifs, et la vie des étudiants-athlètes s’organise autour des entraînements qui ont lieu presque tous les jours, durant toute l’année. La charge mentale de ces étudiants peut s’avérer compliquée à gérer lorsqu’ils ne sont pas suffisamment soutenus par leurs entraîneurs et par l’Université. Charlie*, membre de l’équipe de basketball de McGill, regrette que l’Université n’offre pas suffisamment de ressources pour les étudiants-athlètes. Il ajoute : « Nous sommes encouragés à parler de la santé mentale en général, à dire quand ça va, mais je ne pense pas que nous soyons suffisamment encouragés à tendre la main en cas de problème. » De plus, le calendrier des entraînements ne se limite pas au calendrier scolaire, et s’étend en réalité toute l’année. Les étudiants-athlètes doivent ainsi continuer d’être présents pendant la période de Noël et pendant l’été. Bien que les étudiants locaux interrogés n’aient pas relevé de problème à ce sujet, qu’en est-il des étudiants internationaux? Cleo, étudiante internationale, nous raconte que durant sa deuxième année dans l’équipe, après avoir passé l’été loin de sa famille, elle a voulu rater quatre jours d’entraînement pendant l’hiver. Les membres de l’équipe n’avaient qu’une semaine de vacances accordés, ce qui n’était pas suffisant pour que Cleo rentre chez elle. « Elle [l’entraineuse] a fait une intervention surprise devant l’équipe pour leur demander comment elle se sentait par rapport au fait qu’une membre de l’équipe rate des entraînements, et quelle devrait être sa punition. Comme j’en avais déjà parlé, tout le monde savait que c’était moi ». Cleo était la seule étudiante internationale à ce moment-là, et cet événement a contribué à son sentiment d’isolement.

Le rôle des entraîneurs

L’ensemble des entrevues a révélé qu’un important esprit d’équipe et une forte entraide règne au sein des différentes équipes Varsity. Paul*, membre de l’équipe de soccer de McGill, explique que l’ambiance dans l’équipe est très agréable, ce qui change de l’atmosphère compétitive qui régnait dans son club en France : « L’esprit de groupe prime sur le reste. Notre ancien capitaine poussait toujours les joueurs à s’améliorer, mais ne critiquait jamais juste pour critiquer. » Jules*, ancien joueur de l’équipe de basketball de McGill, nous raconte qu’un jour, leur entraîneur a fait des réflexions et a eu un comportement qui s’apparentaient, pour lui, à de la moquerie, et un autre joueur a pris sa défense. Il ne s’agit pas d’une action facile, car comme toutes les entrevues l’ont révélé, l’avis des entraîneurs est très important pour les étudiants-athlètes parce que ce sont eux qui déterminent le rôle des athlètes dans l’équipe.

« Nous sommes encouragés à parler de la santé mentale en général, à dire quand ça va, mais je ne pense pas que nous soyons suffisamment encouragés à tendre la main en cas de problème »

Charlie*, membre de l’équipe de basketball de McGill

Paul a reconnu avoir toujours entretenu une bonne relation avec ses entraîneurs de soccer, ce qui a sûrement contribué à sa réussite. Charlie, de son côté, raconte avoir passé beaucoup de temps à parler à ses entraîneurs pour tenter de comprendre et d’améliorer sa position dans l’équipe de basketball. « Je me suis senti soutenu par l’entraîneur principal. Je me mettais beaucoup de pression lorsque je lui parlais parce que, bien sûr, ces choses ont de l’importance. Comment vous interagissez avec lui contribue à ce qu’il pense de vous, et ce qu’il pense de vous se traduit par ce qu’il vous fait faire pendant les matchs ». Il raconte avoir passé beaucoup de temps à bâtir une relation avec ses entraîneurs, et que cela l’a aidé à se sentir plus à l’aise au sein de l’équipe et à s’améliorer. Jody, au contraire, a beaucoup souffert du manque de communication naturelle avec les entraîneurs. « En cinq mois, j’ai perdu un peu plus de dix kilos et personne ne l’a remarqué. En plus, il [l’entraîneur ndlr] ne restait jamais à la fin des entraînements, il partait tout de suite après et il n’engageait jamais la discussion avec les joueurs. On nous disait que si quelque chose n’allait pas, on pouvait aller voir les entraîneurs, mais quand j’ai tenté de leur en parler, on a nié l’angoisse que je pouvais ressentir ». Jules avoue également avoir eu l’impression que la priorité de l’entraîneur n’était pas suffisamment le bien-être des joueurs.

Les entrevues ont ainsi révélé que les interactions avec les entraîneurs peuvent être une source d’angoisse et de frustration, car elle s’avèrent déterminantes de leur rôle au sein de Varsity, et il n’est pas toujours évident d’engager une communication avec eux. Les étudiants-athlètes ne reçoivent pas toujours l’aide nécessaire pour faire face à la pression qu’ils subissent.

Rose Chedid | Le Délit

La loi du plus fort

La principale conséquence négative sur la santé mentale des étudiants-athlètes est liée à la pression constante de performer, afin de rester et d’évoluer dans l’équipe. Cette pression est exacerbée lorsque les étudiants-athlètes savent qu’ils ne sont pas encore indispensables à l’équipe, mais elle est globalement vécue par tous. Jesse nous explique que le hockey est mentalement épuisant. Pendant sa deuxième année dans l’équipe, étant donné que le programme académique qu’elle suit est très intensif, et qu’elle a joué pour de nombreux matchs, elle avoue avoir subi beaucoup de stress. À ceci s’ajoute l’obligation de maintenir un certain GPA pour s’assurer de garder sa bourse.

Aurore*, ancienne coureuse pour l’équipe d’athlétisme de McGill, confie que la pression constante de performer était le principal point négatif qui différencie l’expérience sportive à McGill de celle vécue en France. « Quand tu es dans une équipe universitaire, tu dois maintenir ta place dans l’équipe si tu ne veux pas être viré. Il y avait cette pression de toujours faire plus, de tout donner, de dépasser les limites de ton corps jusqu’à la blessure. C’est ce qui m’est arrivé. Après ça j’ai vécu un enfer. Le semestre qui a suivi, je ne pouvais plus rien faire, ma vie était réduite à aller voir le kiné et à rester chez moi, déprimée. Parce qu’en fait, le sport était tout pour moi. J’ai gardé contact avec certaines de mes anciennes camarades. Il y en a plein que je connais qui se sont blessées par la suite ». Elle ajoute : « Une fois, on avait une compétition un weekend. Normalement, avant les compétitions, les séances d’entraînement sont un peu plus légères pour ne pas trop se fatiguer. Au lieu de ça, l’entraîneur nous a donné une séance énorme avec beaucoup de kilomètres, quelque chose que je n’avais jamais fait. Ça me semblait clairement dangereux au vu de la compétition qui nous attendait ».

Jody nous raconte une expérience arrivée au début de sa deuxième année au sein de l’équipe : « Après un mois d’entraînement intensif et déterminant pendant le mois d’août, je me suis arraché un bout de ligament, donc je ne pouvais plus jouer au basket. Quand j’ai dû arrêter de jouer j’ai senti que le coach était énervé contre moi, et donc, je suis allé lui parler. Il m’a expliqué qu’il ne croyait pas au fait que j’étais réellement blessé, qu’il supposait plutôt que je n’étais pas assez motivé et que je ne voulais pas jouer. Pour lui prouver que j’avais encore envie de jouer et que je n’étais pas juste là pour m’amuser à être assis sur le côté pendant que les autres jouaient, il fallait que pendant tous les entraînements, je sois là et que je fasse des exercices de rééducation. Pendant tout l’entraînement, pendant deux heures, je ne devais pas m’asseoir, parce que si je m’asseyais, il aurait pensé que j’étais fainéant. » Les étudiants-athlètes subissent ainsi une pression indéniable de performer, parfois au détriment de leur santé mentale et physique.

« Il y avait cette pression de toujours faire plus, de tout donner, de dépasser les limites de ton corps jusqu’à la blessure. C’est ce qui m’est arrivé. Après ça, j’ai vécu un enfer »

Aurore*, ancienne coureuse pour l’équipe d’athlétisme de McGill

Un système d’aide à la santé mentale défectueux

Dans le cadre de Varsity spécifiquement, Jesse explique que lorsqu’elle était très stressée lors de sa deuxième année, elle a pu s’adresser à la coach mentale qui travaille avec les joueuses. Ces dernières peuvent s’adresser à elle de manière anonyme pour obtenir de l’aide. Elle a beaucoup aidé Jesse à s’organiser, et à trouver des astuces pour gérer son stress.

Cleo, quant à elle, a également tenté de s’adresser à la coach mental de l’équipe après l’épisode douloureux durant lequel son entraîneuse avait demandé à ses coéquipières d’exprimer publiquement leur ressenti face à sa décision de rater des jours d’entraînement pendant les vacances de Noël. « J’ai essayé de contacter la coach mental. Toutes les équipes en ont une. Je lui ai alors demandé ce qu’elle en pensait et je lui ai expliqué pourquoi cette situation m’avait autant fait souffrir pour le reste de la saison. Je n’ai pas trouvé qu’elle m’ait aidée à me sentir mieux, j’ai même presque eu l’impression qu’elle me disait que c’était moi le problème. »

Jody a décidé de quitter Varsity, car la pédagogie de l’entraîneur et le fonctionnement de l’institution avait des conséquences trop importantes sur sa santé mentale. Il raconte alors « Quand ça n’allait vraiment pas et que j’ai arrêté au milieu de l’année, d’abord provisoirement, on m’a dit qu’on allait mettre à ma disposition toutes les ressources nécessaires pour que j’aille mieux. En fait, ils m’ont simplement référé au Wellness Hub de McGill. C’est assez simple d’avoir un rendez-vous avec le Access Advisor qui va juste évaluer le problème et te rediriger. Après par contre, si tu veux avoir des rendez-vous avec des professionnels de la santé mentale à McGill, tout est surbooké ». Le Pôle bien-être étudiant de McGill [Wellness Hub], principale entité s’occupant des problèmes de santé mentale et autres problèmes médicaux des étudiants, est souvent décrit comme manquant cruellement d’organisation, de flexibilité et de disponibilités. La note de 1,8 étoiles sur 5 avec 129 commentaires sur Google Maps est révélatrice : le Pôle bien-être ne parvient pas à satisfaire le grand nombre de demandes des étudiants. Le principal problème ne semble pas être la qualité du service, avec des infirmiers et médecins compétents dans la plupart des cas, mais bien le manque de disponibilités. Certains élèves sont même allés jusqu’à faire la queue devant le bâtiment à 6h du matin afin de pouvoir être pris en charge. La capacité du pôle à recevoir des rendez-vous est variable et imprévisible. Certains étudiants rapportent avoir appelé à l’heure d’ouverture, soit 8h30 le matin, et ont attendu plusieurs dizaines de minutes avant d’apprendre qu’aucun créneau n’était disponible. Les étudiants qui rencontrent des problèmes de santé mentale impactant profondément leur parcours académique et athlétique ignorent souvent à qui s’adresser, et se retrouvent livrés à eux-mêmes. Ce problème est clairement exacerbé pour les étudiants internationaux, pour qui trouver des psychologues dans un pays qu’ils ne connaissent pas est bien plus compliqué.

Et finalement?

Les expériences des étudiants-athlètes au sein de Varsity à McGill divergent grandement, et offrent un portrait nuancé de la question de la santé mentale au sein des équipes sportives. Certains évoquent des situations qui ont eu des conséquences à long-terme sur leur santé mentale, d’autres sont parvenus à naviguer le système et à recevoir de l’aide pour faire face aux pressions multiples, et d’autres encore se sont toujours sentis accompagnés. Une des variables majeures qui semble affecter, positivement ou négativement, la majorité des expériences des étudiants, est leur relation avec les entraîneurs. Leur rôle dans l’équipe est également un facteur important. De plus, nos recherches ont montré que la mise à disposition de ressources pour accompagner la santé mentale des étudiants-athlètes est largement limitée, et qu’elle est placée entre les mains d’une poignée d’individus qui apportent une aide inégale aux étudiants. Charlie a beaucoup insisté sur la stigmatisation qui existe autour de l’aide à la santé mentale parmi les athlètes, et qui les pousse à ne pas toujours s’adresser à des professionnels, mais seulement aux membres de l’administration par exemple. Il regrette que l’Université ne facilite pas suffisamment l’accès à des services d’aide à la santé mentale spécialisés. Ceux qui ne reçoivent pas un accompagnement adapté au sein du programme Varsity se retrouvent alors livrés à eux-mêmes, ce qui peut impacter leur performance académique, leurs relations sociales et leur confiance en soi. Une perte de confiance dans le cadre du sport, qui est une passion centrale à la vie de nombreux étudiants-athlètes, peut avoir des conséquences néfastes et dangereuses à long terme sur leur santé mentale. Si faire partie d’une équipe Varsity est un « privilège et non un droit », alors l’Université se doit de faire en sorte que l’expérience soit vécue ainsi, par tous les athlètes. Bénéficier d’un privilège ne devrait pas les priver de leurs droits.

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Laissons aux femmes le droit de choisir https://www.delitfrancais.com/2024/03/20/laissons-aux-femmes-le-droit-de-choisir/ Wed, 20 Mar 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55176 Pourquoi les hommes ont-ils encore leur mot à dire sur l’habillement féminin dans le sport?

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Depuis que le sport compétitif nécessite des vêtements, celui-ci a été régi par des règles concernant l’habillement des athlètes. Ces restrictions existent pour plusieurs raisons, incluant la sécurité des participant·e·s, pour maximiser leur performance, ainsi que pour rendre le sport plus visuellement attrayant pour les spectateur·trice·s. Cependant, ces règles ont une tendance pernicieuse : celle de mettre en avant les corps des athlètes féminines afin de plaire au regard masculin. L’histoire du sport est marquée par de multiples instances où les femmes ont dû se soumettre à des normes strictes en matière d’apparence, souvent dictées par les standards sociaux découlant du patriarcat et de l’objectifiation historique des corps féminins. Dans le sport compétitif, l’hypersexualisation du corps féminin perpétue des préjugés sexistes injustes sur les femmes athlètes, et aujourd’hui, elles en ont assez d’être traitées comme de la chair servant à attirer le spectateur masculin.

Victimes du regard masculin

Va-t-on un jour laisser à nos athlètes féminines la chance de choisir leur tenue? Il semblerait que ce n’est pas pour tout de suite : les dernières années ont été ponctuées d’incidents liés aux revendications d’athlètes féminines
concernant des restrictions leur étant imposées quant à l’habillement. On pense à l’équipe norvégienne de handball de plage qui a été forcée à payer une amende de plus de 2 000 dollars canadiens pour avoir opté pour des cuissards au lieu du bikini traditionnellement imposé lors d’un championnat européen en 2021. Des gymnastes allemandes ont aussi été ciblées par la critique après s’être présentées aux qualifications des Jeux olympiques de Tokyo en 2021 habillées de combinaisons couvrant les jambes et les bras, au lieu des léotards échancrés auxquels le public est habitué. Il aura fallu attendre 2023 pour que le tournoi de tennis Wimbledon assouplisse ses restrictions ultra-strictes quant à l’habillement complètement blanc qui était imposé aux joueurs
comme aux joueuses, mais qui était depuis bon temps remis en question par les joueuses qui se disaient inconfortables de devoir porter du blanc durant leurs menstruations. Ce qu’il faut en comprendre, c’est que les femmes dans le sport ont toujours été contraintes par des tenues inconfortables, inadéquates ou tout simplement trop révélatrices.

Une tendance se dessine en ce qui concerne les questions esthétiques dans le sport féminin : celle de la prévalence du male gaze dans les décisions prises à l’égard des tenues féminines dans le sport compétitif. Il semblerait qu’il soit nécessaire que le spectateur masculin se sente interpellé par les tenues légères des athlètes –
et non par leurs prouesses sportives – pour daigner s’intéresser au sport féminin. À mon avis, il est déplorable qu’on réduise encore aujourd’hui les femmes athlètes à leur apparence physique plutôt qu’à leurs performances sportives, et qu’on accorde autant d’importance au fait que leurs jambes soient dévoilées au lieu de leur offrir la reconnaissance qu’elles méritent.

« Ce qu’il faut en comprendre, c’est que les femmes dans le sport ont toujours été contraintes par des tenues inconfortables, inadéquates ou tout simplement trop révélatrices »

Je pense aussi qu’on se doit de souligner la prédominance des hommes sur les comités responsables de légiférer sur les tenues vestimentaires imposées aux athlètes féminines. Si on se penche sur le cas du Comité international olympique (CIO), on remarque rapidement que les neuf présidents ayant été à sa tête sont des hommes depuis
sa création en 1894. En date de décembre 2023, sur les 16 personnes administrant le CIO, seules cinq étaient des femmes. Cette inclination n’existe pas seulement au sein du CIO, mais aussi dans de nombreuses autres instances dirigeantes du monde sportif. Cette sous-représentation féminine dans les organes décisionnels renforce les inégalités de genre et influence sans doute les politiques qui régissent les tenues sportives féminines.

Le pouvoir de choisir

Selon Guylaine Demers, membre du Groupe de travail fédéral sur l’équité des genres en sport et professeure titulaire à l’Université Laval, c’est bien plus qu’une controverse sur le port du bikini : il s’agit d’une question
d’autonomie et de choix. En effet, les femmes dans le milieu sportif réclament bien plus que la simple autorisation de porter certains vêtements, mais une réelle considération de leurs préférences, de leur confort et de leur liberté de choix en ce qui concerne leur apparence et leur habillement lors de leur participation aux évènements sportifs. Dans ses mots : « L’enjeu n’est pas d’interdire le bikini et d’imposer le short, mais que les athlètes puissent prendre des décisions par et pour elles-mêmes, qu’elles puissent se réapproprier leur corps. »

« Il semblerait qu’il soit nécessaire que le spectateur masculin se sente interpellé par les tenues légères des athlètes – et non par leurs prouesses sportives – pour daigner s’intéresser au sport féminin »

Cela m’a fait penser à l’interdiction du port du hijab pour les athlètes féminines françaises lors des Jeux olympiques de 2024. Dans la foulée du mouvement de laïcité en France, l’équipe olympique française a annoncé l’automne dernier son intention de bannir le port du hijab pour ses athlètes. Bien qu’il existe des explications culturelles sous-tendant cette interdiction, il m’apparaît clair que c’est encore une fois une forme de légifération sur les corps féminins qui n’a pas lieu d’être. Il est malheureux qu’encore une fois, on force ces athlètes à devoir
choisir entre leur passion pour le sport qu’elles pratiquent et leur religion.

Il est impératif de reconnaître que la lutte pour l’égalité dans le sport va bien au-delà de la simple question de vêtements. Ceci étant dit, l’habillement reste un combat central à la cause féministe dans le sport de haut niveau, puisque ces règles reflètent souvent des normes sexistes et patriarcales qui réduisent les femmes à leur apparence physique plutôt qu’à leurs compétences athlétiques. L’histoire du sport est marquée par de multiples situations où
les femmes ont été contraintes de se conformer à des normes esthétiques injustes, souvent dictées par le regard masculin. Il est essentiel que les athlètes féminines aient le pouvoir de choisir leurs tenues en fonction de leurs préférences, de leur confort et de leur liberté individuelle. En donnant aux femmes athlètes la possibilité de se réapproprier leur corps et de prendre des décisions autonomes, nous pouvons travailler vers un sport plus inclusif et équitable pour tous·tes. Enfin, de récentes controverses entourant notamment le port du hijab dans le sport mettent en lumière la nécessité de lutter contre toute forme de légifération sur les corps féminins. Il est temps de mettre fin à ces pratiques discriminatoires et d’adopter une approche plus respectueuse de la diversité et de l’autonomie des athlètes féminines.

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Qui restera-t-il à mon mariage? https://www.delitfrancais.com/2024/02/28/qui-restera-t-il-a-mon-mariage/ Wed, 28 Feb 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55038 Réflexions sur la complexité des relations sociales à l’université.

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Un narratif très particulier encadre la vie sociale à l’université : celui d’une promesse de liberté. Cette belle histoire, fruit de l’imagination collective, des souvenirs de nos anciens, des réseaux et des séries B, a tendance à définir les années universitaires comme les plus belles d’une vie, et ce surtout sur le plan social. Un environnement si riche et divers, regorgeant d’individus tous les plus intéressants les uns que les autres, ça ne peut être qu’un idéal relationnel, n’est-ce pas? Les fêtards vont en boîte de nuit, les curieux participent aux nombreux événements organisés par les associations étudiantes, et les intellos peuvent prendre part au légendaire club de génie en herbe. Tant d’opportunités de tisser des liens et tant de souvenirs qui, selon la croyance populaire, dureront toute une vie.

Nous estimons que la réalité est bien plus complexe qu’elle n’y paraît. Le mythe de la vie sociale universitaire, cultivé par le tsunami médiatique dont nous faisons tous l’expérience au quotidien, est loin d’être l’idylle sociale au cœur de laquelle les amitiés se nouent et se renforcent sans effort. Des efforts, chacun se doit d’en faire pour s’accrocher au rêve d’une vie sociale universitaire épanouie. Attention, notre but n’est pas d’effrayer le lecteur et d’avoir l’air de grands-parents donneurs de leçons! Des merveilles peuvent arriver au sein du monde universitaire, et des discussions très superficielles au coin de la cafétéria peuvent aboutir en relations magnifiques et durables. Néanmoins, la nuance doit être de mise. Si l’idylle populaire comporte du vrai, c’est également le cas pour son contraire : en tant qu’étudiants, il est important de reconnaître que nous sommes sous la pression constante de devoir faire des rencontres, toujours plus de rencontres, à une telle échelle que nous atteignons bien souvent le trop, le beaucoup trop. C’est alors que les discussions deviennent machinales, que l’intérêt authentique disparaît, que les prénoms s’effacent des mémoires. C’est alors que nous nous noyons.

Superficialité et popularité

C’est le début de l’année : on participe à Frosh, on enchaîne les bars et les soirées, on s’abonne à des dizaines de personnes sur Instagram, auxquelles on ne reparlera sûrement jamais, et on rencontre nos voisins de palier. Ça y est, nous y sommes : nous entrons dans le cycle infernal de la vie sociale à l’université. Au début ça peut être drôle. Beaucoup viennent de s’installer dans une nouvelle ville où ils ne connaissent personne. On est loin de chez soi, de ses amis, de sa famille, on a besoin de ces moments partagés. Cependant, on s’interroge sur la superficialité de ces soi-disant amitiés. En parlant d’expérience, j’ai rencontré des étudiants durant les diverses soirées d’intégration organisées par l’Université. De toutes ces personnes, seulement deux sont encore à mes côtés, après un an et demi. Je pense qu’il n’y a pas d’explication plus simple : ces soirées, c’est la course aux abonnés, une compétition silencieuse entre chaque personne présente pour parler à un maximum de monde. Bien sûr, ce n’est pas le cas de tous. Certains cherchent réellement à créer des amitiés fortes et solides. Mais, la plupart n’ont qu’un objectif : documenter leur popularité sur les réseaux. Difficile de créer de réelles connexions, profondes et humaines lorsque l’on a l’impression de se retrouver dans un océan d’influenceurs. J’entends souvent les gens autour de moi en parler: « Il faut que je me désabonne de certaines personnes pour avoir plus d’abonnés que d’abonnement » ; « Ce soir, je demande les comptes de tout le monde, il faut absolument que j’atteigne mille abonnés… »

« Le mythe de la vie sociale universitaire, cultivé par le tsunami médiatique dont nous faisons tous l’expérience au quotidien, est loin d’être l’idylle sociale au cœur de laquelle les amitiés se nouent et se renforcent sans effort »

Je me souviens être entrée en contact avec une personne qui semblait partager des intérêts communs avec moi. Pendant une dizaine de minutes, je lui ai parlé de livres et de poèmes et elle m’a raconté sa passion pour Sylvia Plath. Quelle surprise, c’est aussi mon autrice préférée! Il me semblait que nous l’avions, cette réelle connexion, qu’il y avait là le début d’une amitié sincère, une flamme qu’il ne suffisait plus qu’à nourrir et faire grandir. Autant dire que j’avais bien rêvé. Après trois tentatives de planifier une discussion littérature autour d’un bon café, je finis par abandonner, acceptant la dure vérité qu’elle ne voulait tout simplement pas être mon amie. Cet événement est loin d’être isolé. J’ai eu par la suite de nombreuses conversations avec mes proches qui m’ont, eux aussi, partagé des expériences similaires durant leurs premières semaines à l’université.

Maintenir des relations

Les mois passent et d’autres difficultés surgissent. Si tu n’es parvenu qu’à créer des relations superficielles, tu te sens maintenant bloqué. Tu as cette sensation d’obligation de rester aux côtés de personnes avec lesquelles tu préfèrerais ne plus parler. Il est vrai que, après avoir passé plusieurs semaines à s’envoyer des messages et des reels sur Instagram, tu te vois mal annoncer de façon décontractée que tu ne veux plus de cette amitié. C’est une situation difficile à laquelle beaucoup sont confrontés. Tiraillé entre ton envie d’être sincère et celle de ne pas vouloir blesser la personne, tu continues à parler avec des gens qui – et ça tu ne peux que le réaliser maintenant– ne s’alignent pas avec tes valeurs, ta personnalité, ou tes centres d’intérêts.

Dans le cas où tu as malgré tout réussi à créer des amitiés sincères, félicitations, tu as passé le niveau 1. Qu’en est-il du niveau 2? Parviens à maintenir ces relations avec des emplois du temps différents, les semaines de relâche et les périodes d’examens. Bon courage! Tu as beau avoir un groupe d’amis idéal, tu fais face
à un nouvel obstacle : organiser des sorties. Être étudiant, c’est un travail à temps plein. Peu importe ton programme d’étude, on est tous plus débordés les uns que les autres. S’il s’avère que tu n’as aucun cours en commun avec tes amis, tu vas vite réaliser qu’il est bien compliqué d’entretenir des relations. Les semaines de relâche sont aussi un moment où beaucoup signent la fin de leurs amitiés. À l’université, il est probable que les gens que tu rencontres habitent dans une province ou un pays différents. Entre le décalage horaire et le manque d’investissement de certains qui n’envoient jamais le premier message, ce n’est pas parce que tu rencontres la personne, que tu vas forcément continuer à la voir. Tu te sens alors coupable. Cette culpabilité te ronge de plus en plus et s’ajoute au stress des examens. Et voilà, c’est ça être étudiant…

Chemins parallèles

Le rêve de la vie sociale apparaît ainsi comme une vaste pièce de théâtre dans laquelle tout le monde doit jouer son rôle, ou du moins s’y résoudre de manière relativement imposée par le narratif dominant. Mais comme dans tout bon narratif, il existe des cas d’exceptions, que certains à l’université aiment qualifier d’intrus ou d’asociaux. Beaucoup peuvent trouver du bonheur et de la satisfaction personnelle dans le fait d’éviter la vie sociale, ou du moins de ne pas forcer la chose. Alors que certains préfèrent éviter une pression additionnelle en limitant leur nombre d’interactions, d’autres ne sont pas fermés à la vie sociale, au contraire, mais valorisent dans une plus grande mesure les amitiés réelles et authentiques, celles dont le sujet de discussion n’est pas seulement : « Et sinon, toi, c’est quoi ton programme à McGill? » Beaucoup d’étudiants ont déjà des amis avant d’entrer à l’université, et priorisent l’entretien d’une amitié de longue date avec quelqu’un de confiance plutôt que d’essayer de transformer leur environnement relationnel de A à Z. Il est raisonnable d’estimer que le « rôle » que le narratif veut assigner à chacun ne nous correspond tout simplement pas.

Enfin, la pression sociale est cruciale, et a souvent tendance à être sous-estimée. Les évènements, les soirées, les obligations, les sorties ; autant de données qui s’additionnent au cœur de l’équation déjà bien remplie qu’est la charge mentale étudiante. Pour beaucoup, les cours suffisent déjà, et sont parfois même trop conséquents sans aucune autre activité parallèle. La passerelle vers la vie adulte que représente l’université présente de nombreux défis, et l’épanouissement personnel est souvent incompatible avec l’overdose relationnelle, un trop plein de superficialité et de manque d’authenticité.

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Boycotter pour faire entendre sa voix https://www.delitfrancais.com/2024/02/28/boycotter-pour-faire-entendre-sa-voix/ Wed, 28 Feb 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55063 Nos actions parlent souvent plus que nos mots.

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Dans un monde de plus en plus interconnecté et conscientisé, le pouvoir du boycott comme véhicule de protestation et comme outil pour initier le changement social n’a jamais été aussi prégnant. Au cœur de ce mouvement se trouve l’acronyme BDS, signifiant Boycott, Divest, Sanctions, une campagne mondiale de boycott économique et culturel visant à faire pression sur Israël afin de les contraindre à se conformer au droit international en ce qui concerne les droits des Palestinien·ne·s. Sur leur site, on peut lire : « BDS soutient le simple principe que les Palestinien·ne·s ont droit aux mêmes droits que le reste de l’humanité (tdlr) ». Cette initiative, qui trouve ses racines dans la société civile palestinienne et la diaspora, s’est étendue à travers le monde, suscitant un débat passionné sur les questions de justice, de droits de l’Homme, mais surtout, sur les résultats concrets de telles mesures. Malgré sa popularité, un discours continue de circuler au sein des cercles universitaires, soulevant un doute quant à l’efficacité du boycott, particulièrement pour les jeunes qui ont un pouvoir d’achat limité. Aujourd’hui, dans le contexte sociopolitique actuel, je juge qu’il est crucial de boycotter, peu importe qui nous sommes, peu importe notre sentiment de petitesse face aux grandes entreprises.

« À notre niveau, les sanctions ne sont peut-être pas de notre ressort, mais il est crucial qu’en tant que jeunesse consciente et révoltée, nous continuions de réclamer des sanctions économiques et diplomatiques sur le régime génocidaire sioniste »

Boycott, Divest, Sanctions

Le mouvement BDS repose sur une stratégie non violente visant à faire entendre la voix des Palestinien·ne·s et de leurs allié·e·s afin de mettre fin à l’occupation israélienne de la Palestine, ainsi qu’à d’autres politiques discriminatoires imposées par le régime colonial d’Israël. En réponse à cette campagne, des individus, des organisations et même des États ont pris des mesures pour boycotter des produits, des entreprises et des événements ayant des liens directs ou indirects avec Israël. Le boycott peut prendre plusieurs formes : on peut penser à la Ligue arabe qui, de 1945 à 1980, a mis en place un boycott massif de tous produits dit « sionistes » ou encore à nos choix du quotidien, incluant le boycott d’institutions montréalaises qui peuvent avoir tenus des propos répréhensibles vis-à-vis du génocide en Palestine.

Le boycott d’Israël est donc un acte concret d’opposition à l’État sioniste, qui consiste à refuser de participer à son économie ou à sa culture, dans le but de limiter les gains économiques résultant de l’oppression des Palestinien·ne·s, tout en refusant d’accorder une quelconque légitimité à l’État. Dans notre ère, teintée par l’attrait du consumérisme, le boycott conscient de certains produits représente la seule avenue pour faire entendre aux grandes industries et aux sionistes – notre désaccord avec leur rôle, actif ou passif, dans le génocide des Palestinien·ne·s. À tous les niveaux, que notre portefeuille soit bien garni ou que nous soyons étudiant·e·s avec un budget limité, nous pouvons faire front commun contre le traitement inhumain des Palestinien·ne·s.

Le boycott en proie à la critique


Cependant, le boycott comme prise de position politique n’est pas sans controverse. Certain·e·s le voient comme un outil légitime pour exercer une pression pacifique en faveur du changement, tandis que d’autres le condamnent, allant parfois même jusqu’à dire qu’il est inutile. Ces appréhensions quant à l’efficacité du boycott proviennent souvent d’un sentiment d’impuissance. On pourrait comparer un tel discours aux gens qui disent « Pourquoi voter? Mon vote ne sera pas celui qui fera la différence. » Effectivement, nous vivons dans une ère où nous sommes constamment bombardé·e·s de nouvelles accablantes, nous pouvons donc parfois être sous l’impression d’être impuissant·e·s face aux grandes entreprises qui sont parties prenantes dans plusieurs enjeux globaux actuels. Néanmoins, c’est bien dans ce contexte que les petites actions du quotidien comptent le plus.

Selon mon expérience, le boycott fonctionne. Depuis le 7 octobre, j’ai moi-même participé au boycott de plusieurs institutions et produits aux affiliations répréhensibles aux côtés de plusieurs ami·e·s et connaissances. Je ne mentirai pas, ce n’est pas simple quand nous sommes habitués à consommer certains produits au quotidien et que soudainement, nous sommes confronté·es à la dure réalité qu’il faut boycotter pour rester fidèles à nos valeurs. Ceci étant dit, il m’est clair que depuis, le boycott a su faire sentir ses effets sur les plus grandes entreprises. Je pense notamment à la chaîne de cafés Starbucks : nombreux·euses sont ceux·celles qui ont choisi d’arrêter d’y acheter leurs boissons après avoir entendu parler d’un nouvel incident avec la compagnie, qui a d’ailleurs un historique assez controversé en ce qui a trait à la situation en Palestine.

Cette fois-ci, c’est la réponse de Starbucks à une publication sur X d’un de ses syndicats, le Starbucks Workers United, où il était mentionné « Solidarité avec la Palestine » accompagné d’une image montrant une clôture délimitant la bande de Gaza se faisant démolir, qui est à la source du boycott. Après cette publication, Starbucks s’est empressé de condamner l’union pour sa prise de position, menant à un boycott massif de la fameuse compagnie de café. Depuis, des employé·e·s ont témoigné que les succursales connaissent des temps difficiles, avec moins de client·e·s et une chute du prix de l’action de 7%, en date de décembre dernier. On peut également penser à la filiale de Starbucks en Égypte, où des coupures importantes ont eu lieu suite aux attaques meurtrières commises sur le peuple palestinien depuis octobre. On peut donc constater que le boycott fonctionne si suffisamment d’individus se sentent interpellé·e·s par la cause pour agir, pour en faire un mouvement d’action collective.

« Aujourd’hui, dans le contexte sociopolitique actuel, je juge qu’il est crucial de boycotter, peu importe qui nous sommes, peu importe notre sentiment de petitesse face aux grandes entreprises »

Le désinvestissement et les sanctions

Chez les étudiant·e·s, ayant été témoins des conséquences d’un boycott bien orchestré, la question qui persiste est celle à savoir si le boycott est un moyen de pression suffisant lorsqu’il opère seul. Je pense en effet qu’il est crucial de rappeler que le boycott c’est bien, mais que ce n’est pas assez. Pour maximiser son impact, il est important qu’il soit jumelé à d’autres initiatives qui imposent une pression similaire sur les institutions qu’on cherche à faire flancher. Jeudi dernier, le 22 février, le groupe SPHR (Students for Palestinian Human Rights) a organisé une action collective impliquant l’obstruction de l’entrée du bâtiment Bensadoun pendant une journée entière, empêchant ainsi la tenue régulière des cours de la Faculté de gestion Desautels. Cette protestation servait spécifiquement à demander à l’Université de mettre fin à un de ses programmes d’échange avec des universités en Israël. D’autres formes de mobilisation organisées sur le campus incluent la grève de la faim (@mcgillhungerstrike), qui dure déjà depuis le 19 février.

À notre niveau, les sanctions ne sont peut-être pas de notre ressort, mais il est crucial qu’en tant que jeunesse consciente et révoltée, nous continuions de réclamer des sanctions économiques et diplomatiques sur le régime génocidaire sioniste. Le désinvestissement, pour sa part, est entre nos mains : si nous continuons de nous organiser autour de la cause palestinienne, les institutions comme McGill finiront bien par entendre la voix de ceux·celles qui lui permettent de fonctionner, et se devront d’agir de pair avec l’opinion étudiante. Bien que cela puisse venir avec son lot de difficultés, c’est maintenant que nous devons prendre action, et le boycott n’est qu’une façon parmi tant d’autres de faire entendre son désaccord. Boycottons maintenant, boycottons pour faire entendre nos voix!

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L’abandon de nos garçons https://www.delitfrancais.com/2024/02/21/labandon-de-nos-garcons/ Wed, 21 Feb 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=54918 Pierre Poilièvre gagne en popularité chez les jeunes hommes à travers le pays

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Les sondages se multiplient et une tendance se dessine à l’horizon : la droite et son représentant fédéral, Pierre Poilièvre, sont premiers dans les sondages. Depuis plusieurs mois, le camp conservateur creuse son avance sur le gouvernement libéral. Là où Poilièvre semble gagner beaucoup de terrain, c’est au niveau du soutien marqué dont il bénéficie auprès des jeunes hommes. Comment se l’expliquer?

MeToo et nous

Dans les dernières années, les hommes et le modèle patriarcal ont été mis sous la loupe. Le mouvement MeToo en est sûrement l’investigateur. Depuis son apogée, nous avons été témoins d’un mouvement international qui invitait les femmes à dénoncer leurs agresseurs sexuels. Grâce à la prise de parole de ces femmes, des discussions sur la place de la femme et de la manière dont elle est traitée se sont invitées dans nos foyers et dans le reste de la société. De plus en plus de parents ont tenu à initier une discussion sur le respect de la femme avec leurs fils. MeToo nous a confrontés à notre propre reflet dans la glace, et il va sans dire qu’il n’était pas toujours beau.

La réponse masculiniste

Comme à chaque fois qu’un mouvement émerge, son contre-mouvement lui emboîte le pas. Dans ce cas, il s’agit de l’apparition d’un mouvement réactionnaire masculiniste farouchement antiféministe. En effet, en réponse au mouvement MeToo, certains influenceurs utilisant une rhétorique machiste ont surgi dans notre quotidien. Ces influenceurs ayant pour figure de proue Andrew Tate prônent une vision forte de la masculinité en réponse au mouvement féministe, qui représenterait une menace pour les hommes occidentaux. Pour eux, l’homme parfait, c’est celui qui va au gym, qui souffre en silence, qui ne fait jamais preuve de faiblesse, de sentimentalisme, et surtout de considération envers les femmes. Tate et ses sbires se sont dotés d’une fixation maladive pour les années 50 et son paradigme représentant l’âge d’or de la masculinité et de l’homme guerrier. Toujours selon eux, les femmes seraient devenues des Marie-Madeleine à la recherche d’attention depuis la libération sexuelle et les enseignements égalitaires féministes. Celles-ci seraient animées par un ressentiment misandre, ce qui les pousserait à vouloir remplacer l’homme dans les hautes sphères de la société. Juste à écrire ces lignes, j’en ai un haut le cœur.

Malheureusement, pleins de garçons sont tombés dans le panneau. Ils voient le féminisme comme étant une mouvance fondamentalement anti-homme. Pour eux, si on accorde plus de pouvoir aux femmes à travers des politiques plus équitables, les hommes s’en trouvent forcément diminués. Au fond, c’est un raisonnement foncièrement enfantin. Comme si, lorsqu’on donne quelque chose à un autre, c’est impérativement parce qu’on l’enlève à d’autres. En omettant d’enseigner à nos jeunes garçons qu’en redistribuant la force de pouvoir aux femmes c’est toute la société qui en bénéficiait, nous avons créé une horde de jeunes hommes qui se sentent perdus et dépossédés de leurs droits fondamentaux. C’est une souffrance qu’on se doit d’adresser et de rectifier à travers l’enseignement pour le bien de la cohésion sociale. Et c’est là que la politique entre en jeu.

« Si Poilièvre peut compter sur un appui aussi considérable chez les jeunes hommes, c’est qu’il courtise une tranche extrémiste de cette partie de l’électorat. Le chef conservateur vient consoler ceux qui se sentent délaissés par les politiciens et la société en général, en écoutant et en validant leurs théories absurdes sur le genre »

Flirter avec le masculinisme


Avec ce mouvement masculiniste, une communauté d’hommes qui se sentent désabusés par le système actuel est apparue de par la création de réseaux d’hommes partageant ce sentiment. Pierre Poilièvre l’a compris et l’utilise à son avantage. Poilièvre et son parti ont tiré bénéfice de cette réelle souffrance en utilisant des hashtags cachés dans leurs publications sur les réseaux sociaux. Ces hashtags permettaient aux conservateurs d’utiliser des codes et des normes présents dans ces groupes. Par exemple, en utilisant des mots connotés dans le milieu masculiniste comme MGTOW, ce qui signifie men going their own way, les conservateurs s’assurent d’apparaître sur le fil d’actualité de ces cercles misogynes. Poilièvre s’est créé un discours basé sur ces croyances pour faire écho à ses potentiels électeurs. De ce fait, il a attiré leur attention et a été le premier politicien au Canada à courtiser cette tranche de la population. Il offre un refuge politique à de jeunes hommes qui en veulent au système qui les auraient abandonnés.

De plus, afin de consolider son soutien au sein de cette démographie, Poilièvre a dépeint ses adversaires de manière à ce que les masculinistes se sentent interpellés. Il a présenté le premier ministre Trudeau comme étant un homme rose, un féministe enragé et déconnecté, bref un homme faible et soumis au mouvement féministe soi-disant extrémiste. De ce fait, Poilièvre dépeint Trudeau comme un activiste anti-homme, qui suit un agenda woke, un politicien qui voue une aversion aux hommes, les vrais, ceux qui vont au gym et qui ne pleurent jamais.

Si Poilièvre peut compter sur un appui aussi considérable chez les jeunes hommes, c’est qu’il courtise une tranche extrémiste de cette partie de l’électorat. Le chef conservateur vient consoler ceux qui se sentent délaissés par les politiciens et la société en général, en écoutant et en validant leurs théories absurdes sur le genre. Poilièvre vient cautionner une rhétorique qui menace la santé et la sécurité des femmes dans notre société par des hashtags ridicules, mais qui représentent une réelle menace. À mes yeux, c’est un jeu extrêmement dangereux qui n’en vaut certainement pas la chandelle. Il attise la haine envers les femmes et cautionne les sentiments de ces masculinistes, qui intrinsèquement en veulent à celles-ci. Pour un homme qui aspire à occuper la plus haute fonction de notre nation, c’est une honte, c’est un danger pour notre démocratie. Néanmoins, je pense qu’il est primordial d’écouter les souffrances de ces jeunes hommes, parce qu’elles traduisent une réelle aliénation. Bien que je me refuse à accorder quelque crédit que ce soit à ces théories antiféministes et profondément misogynes, certains y croient et en souffrent. Ces souffrances sont perçues comme étant réelles, mais je refuse de les valider. De ce fait, une partie de nos fils se sentent perdus et déboussolés. Il serait imprudent d’ignorer cette mouvance ; des gens mal intentionnés se feraient un malin plaisir à réconforter leurs maux et sauraient sans doute les pousser à l’extrémisme. En les ignorant, nous les poussons directement dans les bras de personnes cachant un agenda dangereux. Il faut donc les écouter pour déboulonner les mythes sur l’égalité des sexes et pour assurer la pérennité du tissu social.

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L’extrême droite s’impose en Europe https://www.delitfrancais.com/2024/02/14/lextreme-droite-simpose-en-europe/ Wed, 14 Feb 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=54652 Comment le populisme entretient des relations ambiguës avec l’Europe

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Les 6 et 9 juin prochains se dérouleront les futures élections de l’Union Européenne. Elles se font au suffrage universel direct et ont lieu tous les cinq ans. À l’issue de ces élections, 720 députés seront nommés dans les vingt-sept pays membres pour prendre des décisions et voter les textes au parlement européen. Mais parallèlement à l’approche de ces élections, une tendance politique s’impose de plus en plus et prend de la place dans les médias : la montée en puissance de l’extrême droite en Europe. Entre la victoire électorale italienne en 2022 de Georgia Meloni du parti politique post-fasciste ou, plus récemment, la montée en puissance de l’Alternative pour l’Allemagne (AfD), parti d’extrême droite, l’Europe fait face à la montée d’un mouvement nationaliste qui influencera certainement les résultats des élections européennes. Tandis que le paysage politique se transforme en Europe, des questions se posent : d’où vient cette popularité de l’extrême droite en Europe et comment s’est elle imposée au fil des décennies?

Les extrêmes droites en Europe

Officiellement, deux pays de l’Union Européenne sont gouvernés par l’extrême droite : l’Italie et la Hongrie. La Finlande et la Slovaquie ont chacun un gouvernement composé de membres aux idéologies nationalistes proches de l’extrême droite, et la Suède reçoit le soutien idéologique du parti populiste. Néanmoins, comprendre quels sont les pays gouvernés ou influencés par l’extrême droite se révèle être plus complexe. Certains gouvernements de la droite classique décident de faire une coalition avec l’extrême droite, comme l’Autriche avec l’association entre le Parti de la liberté (ÖFP) et le Parti populaire (ÖVP). Aux Pays-Bas, une collaboration est en cours entre l’extrême droite de Geert Wilders (PVV) qui a remporté les législatives du pays et le président du Parti populaire pour la liberté et la démocratie (VVD) de Mark Rutte. D’autres pays comme la France voient la droite centriste au pouvoir prendre des décisions propres aux idées politiques de l’extrême droite. L’académicienne et spécialiste des politiques européennes et migratoires à McGill, Terri E. Givens, explique que ce rapprochement entre la droite classique et l’extrême droite n’est pas un phénomène récent : dès les années 2000, l’ancien président de la république française Nicolas Sarkozy adoptait déjà des discours d’extrême droite et « ce phénomène s’expliquait par le fait que Nicolas Sarkozy redoutait la popularité croissante de l’extrême droite en vu des futures élections présidentielles (tdlr) ». Plus récemment, le président français Emmanuel Macron et son projet de loi sur l’immigration confirmait une influence claire de l’extrême droite. Ces idées nationalistes deviennent un outil politique pour le gouvernement en place afin de rester au pouvoir tout en empêchant le parti extrémiste de gagner du terrain. Mais selon professeure Givens, il ne s’agit pas d’un phénomène propre à l’Europe : Bill Clinton, ancien président des États-Unis, adoptait cette même tactique politique en limitant aux migrants l’accès aux allocations. Or, cette approche peut se révéler contradictoire : l’académicienne de McGill explique que si un gouvernement centriste met en place des politiques extrémistes pour garder ses électeurs, cela ne garantit pas que ces derniers soutiendront le gouvernement. En effet, si le ministère actuel suggère des propositions de lois extrémistes, pourquoi ne pas directement voter pour le parti qui affirmait depuis le début ces idéologies?

« Afin de mobiliser tout un groupe de manière homogène, l’extrême droite utilise la crise migratoire afin d’instrumentaliser la peur de la population. Le migrant devient alors le bouc émissaire qu’il faut expulser pour retrouver contrôle et prospérité dans le pays »

L’importance du discours

Selon Michael Minkenberg, professeur de science politique à l’université européenne de Viadrina, les partis populistes de chaque pays partagent un socle idéologique commun basé sur le nationalisme et le désir utopique d’une société homogène. En parallèle, les pays européens connaissent simultanément les crises économiques, migratoires et sociales que chacun cherche à contrôler en fonction de sa politique nationale. L’accumulation de ces crises est propice à l’inquiétude partagée par la population qui se sent alors ignorée par le gouvernement en place. Les différences de salaire entre le travailleur et le PDG, et l’émergence et croissance d’une classe sociale ultra-riche creuse le fossé des inégalités sociales et contribue à la frustration de la population. Entre l’inflation et le déclin du secteur industriel, le chômage accroît et la peur s’installe. Si le gouvernement n’écoute pas les demandes du peuple, il apparaîtra déconnecté de la réalité et la population cherchera confort autre part. C’est dans ce contexte que l’extrême droite gagne en crédibilité. Elle s’impose comme la solution à ces crises à travers des discours populistes et elle crée un lien entre crise économique et migration. Ces discours sont pleins de promesses et de solutions faciles face à des difficultés économiques et sociales. Le mot d’ordre des extrémistes est le « contrôle », que le gouvernement est incapable de mettre en place face aux écarts de salaires et la crise migratoire. La population est alors prête à accepter ces discours souvent discriminants qui promettent un renouveau économique, car les électeurs sont désespérés par la crise qui pèse sur leur quotidien. Si nous prenons l’exemple des Pays-Bas, ces derniers ont connu en juillet 2023 un taux d’inflation de 5,3% selon un sondage mené par Eurostat. Dans son discours après sa victoire aux élections législatives de novembre 2023, Geert Wilders promet que « les gens auront de nouveau de l’argent dans leur porte monnaie » en combattant « le tsunami de l’asile et de l’immigration ». Le message est clair : le migrant est la cible première pour combattre les inégalités sociales.

Une politique basée sur l’exclusion

L’extrême droite cherche souvent cherche aussi à exclure l’Union Européenne à travers ses politiques. Par exemple, le candidat français du Rassemblement National (RN) aux européennes Jordan Bardella décrivait l’agence européenne de garde-frontières Frontex comme « une hôtesse d’accueil pour migrants ». En effet, les partis nationalistes refusent de déléguer leur souveraineté à l’Union Européenne en termes de frontières. Les pays extrémistes ont une seule priorité : remettre la souveraineté nationale au premier plan. Cependant, afin de mobiliser tout un groupe de manière homogène, l’extrême droite utilise la crise migratoire afin d’instrumentaliser la peur de la population. Le migrant devient alors le bouc émissaire qu’il faut expulser pour retrouver contrôle et prospérité dans le pays. « Tout le monde est pour le contrôle de l’immigration, que ce soit la gauche ou la droite précise professeur Givens, cependant, il y a une différence avec la gauche qui cherchera a être pro-intégration et contre la discrimination ».

Clément Veysset | Le Délit

D’où vient cette « logique » discriminatoire?

Le fait de percevoir la crise migratoire comme la cause de la crise économique n’est pas un phénomène récent, et encore moins le fait d’exclure une minorité pour affirmer un nationalisme. Dans le livre La Politique du Voile, Joan Scott explique la manière dont la défaite coloniale de la France en Algérie en 1962 a contribué aux politiques racistes envers la communauté musulmane immigrant en France les décennies suivantes. La création du parti Front National en 1972 fait écho à cette problématique mais s’inscrit aussi dans la récession économique de cette époque. En 1978, le parti adopte le slogan « Trois millions de chômeurs, ce sont trois millions d’immigrés de trop! – La France et les Français d’abord! », faisant un lien direct entre crise économique et migratoire. Par la suite, la crise migratoire de 2015 accentue l’hostilité envers les migrants et certains pays comme l’Allemagne, pourtant en capacité d’accueillir, se voient rejeter les demandes d’asile car aucun des autres pays de l’Union Européenne n’accepte de coopérer. Ce manque de solidarité entre pays va renforcer le sentiment nationaliste et eurosceptique, car il donne raison à l’extrême droite en termes « d’ingérence » de la part de l’Union Européenne.

Les responsables de la montée populiste

Selon professeure Givens, « Il s’agit de la faute de tout le monde », surtout les gouvernements actuels qui n’accordent pas assez d’importance aux inquiétudes sociales et économiques de la population. L’Union Européenne peut aussi être pointée du doigt : en 2015, l’Italie, mais aussi la Grèce, sont les pays qui ont accueilli le plus de migrants car géographiquement situés sur des points stratégiques entre l’île de Lampedusa et l’île de Lesvos respectivement. Selon les données de Frontex, l’Italie a accueilli 157 220 migrants de janvier à novembre 2015 et selon l’Agence des Nation Unies pour les réfugiés (HCR), la Grèce en a accueilli 50 000 au cours du mois de juillet seulement. Pourtant, les autres pays membres de l’Union fermaient leurs frontières au même moment, laissant la Grèce et l’Italie isolées durant cette crise. Cela laisse alors la place au développement de l’euroscepticisme et l’extrême droite gagne en crédibilité en pleine crise.

« L’Union Européenne est lâche, beaucoup d’académiciens, moi comprise, sommes frustrés face à la manière dont l’Europe reste passive quant aux transgressions récurrentes de la Hongrie »

Terri E. Givens, professeure de science politique spécialiste de l’immigration

L’extrême droite dans l’Union Européenne

L’extrême droite apparaît comme hétérogène et s’affiche sous différents groupes politiques de l’Union. Par exemple, le parti post-fasciste d’Italie et le parti extrémiste polonais PiS sont membres du groupe Conservateurs et Réformistes Européens (CRE) avec les élus du parti Finlandais tandis que le RN en France se retrouve sous la même branche politique que les euro députés néerlandais au sein du groupe Identité et Démocratie (ID). Le Parti Populaire (PPE) est majoritaire au parlement européen avec 177 euro députés des 27 pays membres et est composé de partis de la droite centriste comme de la droite extrémiste. Par exemple, le président de la Hongrie illibérale Viktor Órban en faisait partie jusqu’en 2021. La Hongrie est la représentation même de la contradiction européenne entre les institutions libérales et le régime autoritaire illibéral hongrois ; les Reporters sans Frontières sont alarmés face à la manière dont la liberté d’expression se dégrade dans ce pays. « L’Union Européenne est lâche », confie Givens, « beaucoup d’académiciens, moi comprise, sommes frustrés face à la manière dont l’Europe reste passive quant aux transgressions récurrentes de la Hongrie ». En effet, malgré quelques sanctions de la part de la commission européenne, les vétos constants posés par le régime autoritaire contre les aides en Ukraine posent problème et empêchent l’Union Européenne d’agir. Toutefois, ce manque de pénalités est justifié par la peur partagée de voir la Hongrie partir de l’Union pour se retrouver sous influence russe selon professeure Givens. Parallèlement, la Commission européenne doit aussi faire face à la montée en puissance de partis pro-russes d’extrême droite en Autriche avec le FPÖ et en Slovaquie avec le parti Smer au pouvoir.

De plus, l’extrême droite empêche le parlement européen d’adopter certains textes en imposant sa politique climatosceptique : l’Union Européenne recule sur la question environnementale, notamment avec le rejet du texte sur l’arrêt de l’usage des pesticides. Patrick Martin-Genier, politologue spécialiste dans la politique en Europe, parle d’un « arrêt de la construction européenne » impacté par l’hétérogénéité des groupes politiques et des penchants extrémistes. Cette appellation est justifiée par le fait que le dernier traité à être entré en vigueur au sein de l’Union est le traité de Lisbonne, en 2009. Cependant, professeure Givens perçoit de manière positive le mélange hétérogène des partis au sein des groupes politiques: « c’est aussi une bonne nouvelle car cela permet de faire des compromis et de trouver des accords avec d’autres partis qui ne sont pas extrémistes ». Elle souligne que la droite centriste peut influencer l’extrême droite sur des décisions moins radicales mais souvent, c’est la droite classique qui se laisse influencer par les nationalistes au sein de ces groupes.

« La droite centriste peut influencer l’extrême droite sur des décisions moins radicales mais souvent, c’est la droite classique qui se laisse influencer par les nationalistes au sein de ces groupes »

La « vague » européenne d’extrême droite

Pour professeure Givens, plutôt que d’appeler le phénomène actuel une « vague », nous ferions mieux de parler de « hauts et bas ». Finalement, certains pays anciennement extrémistes connaissent actuellement une politique plus centriste. En Pologne, le parti d’extrême droite du PiS, au pouvoir depuis 2015 fait face à une opposition majoritaire pro-centriste. Au Danemark, le nouveau gouvernement de Mette Frederiksen est partagé entre libéraux et sociaux-démocrates alors que l’extrême droite était longtemps en position de force. Pour ce qui concerne les actuelles craintes d’une montée du parti de l’AfD en Allemagne, les médias parlent de plus en plus d’une opposition de la part des citoyens allemands qui protestent contre les politiques extrémistes du parti. Ces échecs nationalistes peuvent se justifier par le fait qu’au pouvoir, les partis d’extrême droite ne répondent pas aux promesses formées dans leurs discours et les problèmes économiques ne sont pas réglés. En Italie par exemple, l’une des premières mesures de Giorgia Meloni était la suppression du revenu sur la citoyenneté, l’équivalent de l’aide sociale, pour une partie de la population. Cela illustre le fait que ces partis ne proposent finalement pas une politique sociale et la population finit par s’en rendre compte. Certains diront aussi que la montée de l‘extrême droite n’est pas significative et qu’il s’agit seulement d’un vote contestataire contre le gouvernement actuel. Cependant, le sociologue Wilhelm Heitmeyer souligne que cet argument n’est plus valable puisque d’année en année, les partis nationalistes gagnent un électorat de plus en plus fidèle et croissant.

Les prochaines élections européennes

Cet article a aussi pour but de comprendre l’enjeu existant à l’approche des élections européennes. Professeure Givens explique que « l’extrême droite va certainement s’imposer aux européennes, surtout parce que les voteurs ne portent pas assez d’attention aux élections parlementaires et ne sont pas renseignés sur son mode de fonctionnement ». Ce phénomène peut s’expliquer par le fait que les élections européennes ne seront jamais autant médiatisées que des élections présidentielles par exemple. Pourtant, elles sont toutes aussi importantes et les résultats des prochaines élections changera forcément les tendances politiques d’une manière ou d’une autre. Mettre en lumière l’enjeu de ces élections est alors primordial tant à l’échelle européenne qu’internationale, dans un contexte complexe de tensions et de guerres.

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Mettre la Saint-Valentin à la poubelle https://www.delitfrancais.com/2024/02/14/mettre-la-saint-valentin-a-la-poubelle/ Wed, 14 Feb 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=54729 Pourquoi s’agit-il d’une fête dépassée?

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Ce matin, en entrant à la pharmacie, j’ai été témoin de l’annuelle prise d’assaut des tablettes par les cœurs rouges et roses, les chocolats aux emballages thématiques, ainsi que les peluches tout aussi insignifiantes les unes que les autres. Dans l’esprit de cette effervescence éphémère et rituelle, j’ai constaté que cette année encore, la Saint-Valentin se trouvait à nos portes. Une journée teintée par le rouge de la passion pour certain·e·s, pour d’autres par l’horreur d’être encore seul·e·s cette année, la Saint-Valentin n’a plus de raison d’être en 2024. Certain·e·s diront que la fête de l’amour a encore un rôle important aujourd’hui, qu’elle nous permet de consacrer une journée à l’amour, mais il me semble plus que clair que sa période glorieuse est depuis longtemps révolue. Cette frénésie annuelle n’est en réalité que le fruit d’un travail méticuleusement orchestré par les doigts agiles du capitalisme et des normes sociales rigides : la Saint-Valentin n’est aujourd’hui rien de plus qu’un prétexte pour se dire « je t’aime ». Dans cet océan d’hétéronormativité et de consumérisme, il est grand temps de remettre en question la superficialité de cette célébration ponctuelle de l’amour, et de se questionner sur la nécessité d’une telle journée.

Célébration de l’hétéronormativité

Cupidon par ci, « veux-tu être mon·ma valentin·e » par là, la Saint-Valentin est une fête qui trouve sa pérennité dans le confort que représente le couple hétérosexuel. Cette fête est en réalité profondément enracinée dans des normes sociales étroites et rigides, limitant l’inclusivité d’une fête qui, au contraire, devrait être ancrée dans l’amour, peu importe qui cela unit. Cette célébration perpétue un récit romantique qui ne correspond plus toujours à la réalité des couples d’aujourd’hui : nombreux·euses sont ceux·celles qui disent ne plus s’identifier avec la célébration traditionnelle de cette fête. En se focalisant principalement sur les partenariats hétérosexuels et les expressions d’affection conformes aux normes sociétales, la Saint-Valentin exclut implicitement de nombreuses autres formes d’amour et de relations. De plus, pour ceux qui ne se reconnaissent pas dans l’image hétérogenrée du couple, cette journée devient souvent un rappel malheureux de leur manque d’inclusion au sein de la société. Bien que plusieurs tentent de se réapproprier la Saint-Valentin afin d’en faire une fête à leur image, les couples non conventionnels, ceux qui sortent des normes de genre peuvent se sentir exclu·e·s ou invisibilisé·e·s par cette fête centrée sur des idéaux romantiques stéréotypés. En réalité, la Saint-Valentin, loin d’être une célébration universellement accueillante de l’amour, reflète plutôt les limites et les préjugés de nos normes sociales établies.

Appel au consumérisme capitaliste

Un aspect déjà longuement dénoncé de cette fête est son incitation à la consommation matérielle excessive. Escapade au spa, bouquets de fleurs qui finiront à la poubelle d’ici la semaine prochaine, cartes personnalisées ou encore bijoux aux prix exorbitants : la Saint-Valentin est une invitation à dépenser sans réfléchir aux potentiels impacts de notre consommation. La fête est reconnue par tous·tes les amoureux·euses comme l’occasion de faire plaisir à son·sa partenaire en lui offrant du chocolat, des fleurs ou encore toute sorte de cadeaux hors de prix. Effectivement, peu se questionnent sur le besoin réel d’offrir quelque chose de matériel au-delà de sa présence pour l’être aimé : plusieurs se contenteraient de passer une belle journée en compagnie de leurs êtres chers, sans pour autant céder à la pression commerciale inhérente à cette fête. En effet, l’industrie capitaliste profite largement de la Saint-Valentin en bombardant les consommateur·rice·s avec une multitude de produits soi-disant essentiels à l’expression de leur amour. L’industrie crée ainsi un climat de compétition sociale où l’expression de l’affection est mesurée en fonction de la valeur monétaire des cadeaux offerts. Pourtant, l’amour véritable est loin de se mesurer à une valeur monétaire, et devrait plutôt l’être en gestes sincères et en moments partagés. Cette commercialisation de la Saint-Valentin perpétue une culture de la consommation où l’amour est souvent réduit à une transaction financière. La véritable essence de l’amour réside dans les petites attentions quotidiennes, la présence attentive et le soutien mutuel, bien loin des artifices matérialistes imposés par la société de consommation.

« C’est triste de constater que nous avons besoin d’une célébration ponctuelle commune pour accorder du temps à l’amour, alors que chaque jour devrait être une opportunité de cultiver et de nourrir nos relations de manière spontanée et sincère »

Pour une vision plus authentique de l’amour

À mes yeux, la Saint-Valentin s’est développée à travers les années comme une fête vide de sens, j’irais même jusqu’à dire fake. Les œillères que la société s’est imposées quant à la célébration de la Saint-Valentin limitent l’infinité de formes que peut prendre l’amour. En effet, l’amour ne peut être canalisé en une unique journée : il s’agit d’un concept plus grand qui devrait transcender l’ensemble de nos actions et pensées. Qu’on ait envie de passer notre Saint-Valentin avec nos ami·e·s, avec notre famille, ou encore avec notre partenaire, on devrait mettre au placard le stigma qui existe autour de l’amour atypique. L’amour, platonique comme romantique, devrait avoir sa place au sein de la société et se doit de recevoir la même reconnaissance, peu importe sa forme. Il ne devrait pas y avoir de pression à célébrer cette journée avec quiconque en particulier, considérant que préférer être entre ami·e·s, en famille ou seul·e, est tout aussi légitime que passer la journée avec un·e partenaire romantique. Devoir s’entendre sur cette date, le 14 février, pour démontrer tous en cœur notre amour perpétue une vision étroite de l’affection, où l’expression des sentiments est dictée par les conventions sociales plutôt que par le désir organique de montrer notre amour. C’est triste de constater que nous avons besoin d’une célébration ponctuelle commune pour accorder du temps à l’amour, alors que chaque jour devrait être une opportunité de cultiver et de nourrir nos relations de manière spontanée et sincère.

Vers un futur plus amoureux

Dans un article satirique publié au Délit en 2018, l’autrice suggérait à McGill de faire de la Saint-Valentin un congé férié. Bien que cela puisse sembler loufoque, ce serait véritablement la manière de permettre une célébration de la fête de l’amour en bonne et due forme : on pourrait ainsi s’accorder une journée complète de célébration qualitative avec les gens qu’on aime. Bien qu’il y ait une part de bon à assigner une journée internationale à l’amour, je plaiderais en faveur d’une reconsidération de sa valeur, et proposerais de faire de nos vies une célébration continue de l’amour, incitant tous·tes à chérir les gens qui les entourent au quotidien. Ça peut paraître cynique, mais j’irais même jusqu’à dire qu’on devrait abolir la Saint-Valentin. Sachant que ce n’est pas près d’arriver, je suggère qu’en tant que communauté, nous nous contentions d’un effort conscient visant à faire de nos vies une célébration perpétuelle des gens qu’on aime, tout en accordant une attention particulière à la déconstruction des normes sociales qui sous-tendent la célébration de cette fête.

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Capitalisme Noir : Entre solidarité et exploitation https://www.delitfrancais.com/2024/02/07/capitalisme-noir-entre-solidarite-et-exploitation/ Wed, 07 Feb 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=54505 Que croire, le succès ou ses mirages?

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En ce Mois de l’histoire des Noir·e·s, une multiplication de produits, de collaborations et de campagnes de commercialisation mettent en avant cet événement. Chaque année, mes amis et moi nous interrogeons sur la pertinence de ces pratiques et discutons de la signification derrière cette soudaine solidarité. La plupart du temps, nous sommes d’accord sur le caractère performatif de ces représentations, qui visent principalement à attirer une clientèle plutôt qu’à exprimer une réelle pensée authentique. Cette année, notre réflexion s’est tournée vers une situation au caractère ambigu : qu’en est-il des entrepreneur·euse·s noir·e·s?

Le capitalisme noir propose d’encourager les afro-américain·e·s à supporter des entreprises dirigées par des personnes noires oeuvrant au profit de la communauté. Ce mouvement réactionnaire essaye de combattre les infrastructures économiques américaines qui ont historiquement rendu l’enrichissement des Noir·e·s américain·e·s presque impossible, comme le détaille Earl Ofari Hutchinson dans The Continuing Myth of Black Capitalism. Bien que l’attrayante proposition de la création d’une nouvelle économie noire soit basée sur la collectivité et la fraternité, plusieurs activistes critiquent ce genre de capitalisme. Le problème récurrent avec cette méthode est le succès d’un petit nombre d’entrepreneur·euse·s uniquement. La majorité des communautés noires continue à participer à cette économie ségrégationniste en achetant et en travaillant avec l’espoir de surmonter leurs inégalités financières. À première vue, l’encouragement d’entreprises noires est bénéfique, mais ne change pas les systèmes économiques racistes dont plusieurs sont victimes. Pour les penseur·euse·s comme Angela Davis, combattre le racisme par l’intérim du capitalisme est une mission impossible.

« À première vue, l’encouragement d’entreprises noires est bénéfique, mais ne change pas les systèmes économiques racistes dont plusieurs sont victimes. Pour les penseurs comme Angela Davis, combattre le racisme par l’intérim du capitalisme est une mission impossible »

Camélia Bakouri

Le livre Marxisme noir de Cedric Robinson, un politologue américain, introduit une notion importante, celle du capitalisme racial. Robinson explique que le capitalisme n’est pas une révolution contre le système féodal comme la pensée marxiste l’interprète, mais plutôt une évolution du système féodal et du racisme. Le capitalisme racial dépend de l’exploitation humaine se traduisant en esclavage, en impérialisme et en violence. En d’autres termes, le système capitaliste a historiquement utilisé des mécanismes racistes pour justifier et perpétuer l’oppression, en particulier à travers des structures économiques et politiques qui ont favorisé l’exploitation des groupes raciaux spécifiques.

Ces dynamiques de disparité peuvent être reprises par des entrepreneur·euse·s noir·e·s. En effet, en 2021, Beyoncé s’est associée à Tiffany & Co, la marque de bijoux estimée à plus de 16 milliards de dollars, pour la campagne de l’album About Love en collaboration avec son mari, Jay‑Z. Dans les photographies promotionnelles, l’artiste portait fièrement le diamant jaune Tiffany, un diamant de 128,54 carats. Elle fut la première femme noire à arborer ce joyau. Cependant, le diamant jaune Tiffany a été extrait en Afrique du Sud en 1877, durant la période coloniale où l’exploitation des mineurs africains et la destruction de leurs communautés était monnaie courante. Cette image présentée par Beyoncé n’est pas celle de la libération noire, mais plutôt une représentation de richesse et surtout d’un « symbole douloureux de colonialisme » comme le décrit Karen Attiah, rédactrice et chroniqueuse au Washington Post dans l’article intitulé « Sorry, Beyoncé, but Tiffany’s blood diamonds aren’t a girl’s best friend ».

Plus récemment, la compagnie Savage X Fenty, dirigée par Rihanna, récolte les résultats les plus bas selon le Fashion Accountability Report, une évaluation comprenant une analyse de la transparence et de la responsabilité des marques sur les catégories suivantes : la traçabilité, le salaire et le bien-être des employé·e·s, les pratiques commerciales, les matières premières, la justice environnementale et la gouvernance. Sur 150 points, Savage X Fenty n’a obtenu que quatre points. Pourtant, la chanteuse, interprète et designer a inspiré des groupes marginalisés à travers le monde en partant de la Barbade, un petit pays des Caraïbes, pour devenir une femme d’affaires accomplie. La marque de Rihanna tire profit de l’utilisation de l’inclusivité comme un élément central des stratégies de marketing, tout en négligeant les mesures de base pour protéger les droits fondamentaux de ses travailleur·se·s.

Au-delà de la perpétuation du cycle d’exploitation par les riches noir·e·s, le capitalisme noir attire également d’autres entreprises. La demande pour plus de diversité dans les médias est constante. Depuis quelques années, les industries sautent sur l’opportunité d’agrandir leur marché en créant l’illusion d’une réussite imminente, en utilisant l’image de personnes noires prospères. Dans le monde de la mode, l’utilisation de l’inclusivité est souvent commercialisable et évite la nécessité d’un changement structurel substantiel. Pour répondre à la demande, des mannequins noir·e·s sont souvent engagés. Pour ce faire, les agent·e·s ne cherchent pas de nouveaux profils, mais plutôt des jeunes femmes qui ressemblent à une tendance préétablie. Avec l’émergence de mannequins tels qu’Alek Wek, née au Soudan du Sud et arrivée en Angleterre en tant que réfugiée, l’industrie de la mode pourrait jouer le rôle d’actrice humanitaire. Cette histoire inspirante, comme celle de Rihanna, est précisément ce que les agences de mannequins tentent de reproduire en cherchant de nouveaux talents dans le camp de réfugié·e·s de Kakuma. Situé dans le comté de Turkana, au nord-ouest du Kenya, ce camp a été créé en 1992 par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) dans le but de relocaliser les personnes déplacées du Soudan et de l’Éthiopie. Plus de la moitié de ses habitant·e·s viennent du Soudan du Sud en raison de l’insécurité alimentaire extrême et de la violence causée par la deuxième guerre civile ayant duré 22 ans. Les aspirant·e·s mannequins du camp de réfugié·e·s de Kakuma sont recruté·e·s avec la promesse d’une opportunité de quitter le camp, d’obtenir un permis de travail et de se lancer dans l’industrie du mannequinat. En Europe, on leur propose un logement et une allocation hebdomadaire bidon de 70 à 100 euros. Cependant, l’industrie du mannequinat fonctionne sur un système de dette. Toutes les dépenses initialement couvertes par les agences doivent être remboursées, et si les mannequins échouent à obtenir suffisamment de travail rémunéré ou sont jugé·e·s inaptes par les agences, les mannequins sont renvoyé·e·s au camp avec une dette importante. Selon une enquête du Sunday Times, la facture envoyée aux mannequins « échoué·e·s » peut atteindre jusqu’à 3 000 euros. Cette forme brutale d’exploitation se cache derrière une poursuite de diversification des distributions artistiques. Comme l’a écrit le directeur général de l’agence Select Model Management, Matteo Puglisi : « Voulez-vous revenir à des défilés de mode tous blancs? (tdlr) » Ce système de repêchage pseudo-inclusif exploite l’image d’une personne noire accomplie pour attirer des client·e·s qui souhaitent soutenir des figures qui les représentent.

Le capitalisme noir n’a pas pour but de perpétuer les inégalités raciales, mais plutôt d’offrir une voie de sortie d’un système généralement discriminatoire. Néanmoins, il est difficile de s’éloigner des habitudes néfastes profondément ancrées lorsqu’on utilise un modèle basé sur l’exploitation, comme le capitalisme. Ces instances d’abus ne devraient pas être considérées comme une impossibilité de libération, alors qu’elles mettent plutôt en valeur le besoin d’une solidarité noire. Aaron Ross Coleman, journaliste spécialisé en économie, propose dans son article « Black Capitalism Won’t Save Us » une entraide qui ne considère pas les personnes noires comme des consommateur·rice·s, mais comme des citoyen·ne·s actif·ve·s. Les organisations sociales, les mouvements de boycott et les médias servent de tribunes pour mettre en lumière les inégalités sociales et économiques, une profondeur que les entreprises ne peuvent pas offrir.

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Ce qui ne va pas https://www.delitfrancais.com/2024/02/07/ce-qui-ne-va-pas/ Wed, 07 Feb 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=54522 Réflexions d’une étudiante noire.

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Lorsque j’ai désespérément voulu décrire à des conseillers d’orientation blancs ou encore à des hommes ce que c’était que d’être noire et féminine dans le monde des études supérieures, leur réponse était toujours de m’expliquer le concept du syndrome de l’imposteur. Pensaient-ils que c’était du jamais vu pour moi, pour nous? Je savais que c’était une tentative de relier leurs expériences aux miennes. C’est humain de le faire. Mais cette expérience, être noire et féminine dans le milieu des études, ne concerne que nous. J’écris féminine par faute de meilleurs mots pour désigner une identité et une réalité qui nous est imposée et qui ne correspond pas nécessairement à notre perception interne du soi : vivre en tant que femme noire, que nous nous identifions ou non comme telle.

L’école est généralement parmi les premiers endroits où nous commençons à soupçonner que quelque chose ne va pas. Et parce que nous n’avons pas encore appris que les adultes peuvent se tromper, nous nous blâmons. Ceci dit, il est évident que quelque chose ne cloche pas en nous. Au moment où les marées changent, peut-être sommes-nous tombées sur un livre, un film, une entrevue ou une conversation qui nous a poussées à entamer le démantèlement de nos croyances antérieures, le mal est déjà fait. Beaucoup d’entre nous, ayant conclu que nous ne sommes tout simplement pas faites pour l’école, abandonnent les études. Dans ce cas-là, nous n’avons pas eu le temps de nous demander si c’était peut-être l’école qui n’était pas faite pour nous, et non l’inverse. Pour celles d’entre nous qui poursuivent des études supérieures, nous essayons toujours de réparer notre passé et de faire nos preuves auprès de nos pairs. Comment appelez- vous cela lorsque vous vous sentez fière de recevoir la validation
de votre professeur blanc qui donne un cours sur la race alors qu’il applaudit vos « observations » poignantes? L’avez-vous observé ou l’avez-vous vécu? Il y a des choses que nous savons, non pas grâce à une démarche scientifique, mais grâce à des expériences vécues précieuses et souvent douloureuses. Que devons-nous alors penser de ces innombrables fois où nous avons regardé nerveusement la porte en chuchotant une prière silencieuse, en attendant que quelqu’un entre et nous épargne le fardeau d’être, une fois de plus, la seule femme noire dans la classe? Que devons-nous alors penser du « aucun résultat trouvé », qui apparaît chaque fois que nous recherchons une étude se concentrant sur les femmes noires? Je ne prétends pas détenir la réponse à ces questions, mais j’ai constaté que nous n’obtiendrons pas les réponses aux questions que nous n’osons pas poser. Je ne crois pas que la révolution naît dans des salles de classe, mais nous nous devons d’en faire des milieux où peut se cultiver l’esprit révolutionnaire.

À quel moment notre expérience prend-elle sa forme unique? C’est peut-être la première fois qu’un éducateur décide qu’il peut nous évaluer en un seul regard. Cette évaluation qui conclut que nous sommes forcément
perturbatrices et lentes. J’ai surmonté ces étiquettes, non pas parce que j’étais particulièrement sage ou douée. Je lisais simplement beaucoup et j’étais profondément anxieuse, ce qui me rendait calme et timide dans la plupart des cours. Qu’arrive-t-il alors à la fille noire qui ne peut pas rester assise, qui ose être une enfant enjouée, enthousiaste et sans peur? Elle est souvent punie.

« Beaucoup d’entre nous, ayant conclu que nous ne sommes tout simplement pas faites pour l’école, abandonnent les études. Dans ce cas-là, nous n’avons pas eu le temps de nous demander si c’était peut-être l’école qui n’était pas faite pour nous, et non l’inverse »

D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours eu une relation particulière avec l’école. D’une part, je ne me souviens pas d’une époque où je n’ai pas rêvé d’être enseignante. Je trouve que la dynamique entre l’enseignant
et l’élève a quelque chose de précieux, qui permet aux deux de s’enseigner et d’apprendre mutuellement. Je n’avais pas besoin d’être convaincue de la nécessité et de l’importance des enseignants ; je les admirais pour leur capacité à bâtir toute une génération. Je ne savais pas qu’ils pouvaient aussi facilement inspirer la confiance d’un
enfant qu’ils pouvaient anéantir ses espoirs. Et malheureusement, il est plus probable qu’un enseignant brise les rêves des jeunes qui me ressemblent. Il se pourrait que dans ma quête pour devenir professeure se cache un désir de réparer les torts que j’ai subis au cours des premières années de mon éducation conventionelle. Après tout, n’y a t‑il pas en chacune d’entre nous une enfant blessée qui souhaite qu’on lutte pour elle? D’ailleurs, c’est précisément ce combat qui me ronge. Devoir lutter pour se faire respecter, pour être traitée également, pour être écoutée, pour être crue dès notre entrée à l’école. Le rôle d’activiste nous est assigné sans qu’on ait eu la chance d’être des enfants insouciants au même titre que nos camarades de classe. Dans ma poursuite d’une carrière en
enseignement, je vois surtout de l’espoir. Je ne peux pas faire de retour dans mon passé, peu importe à quel point je le souhaite, mais je pourrais changer le cours de l’avenir d’une étudiante noire, si ce n’est qu’en lui offrant un espace où elle n’a pas besoin d’être en lutte contre la misogynoire du système scolaire.

« Je ne crois pas que la révolution naît dans des salles de classe, mais nous nous devons d’en faire des milieux où
peut se cultiver l’esprit révolutionnaire »

J’avais l’habitude de me moquer des gens qui utilisaient à l’excès la représentation comme un mot en vogue dans toute conversation qui constituait une véritable tentative d’examination et de proposition de solutions possibles. Une plus grande représentation dans le milieu scolaire, aussi nécessaire soit-elle, ne sera jamais l’objectif final. Pourtant, ce serait une faute de la considérer comme insignifiante. Je me considère chanceuse, car du primaire au
secondaire, je n’ai jamais été la seule fille noire de ma classe. Cependant, je n’ai jamais eu d’instructrice noire, et cela s’est avéré plus difficile. Je ne voulais pas admettre mon mécontentement à ce sujet, car j’aurais fait n’importe quoi pour ne pas avoir à faire face à la douleur et à la déception que je ressentais. Comme le dit le dicton affiché sur les murs de nombreuses écoles québécoises : « L’expert dans la classe, c’est le prof ». Ils étaient l’autorité et ils choisissaient les règles. On peut alors imaginer l’impact que ça a eu sur nous quand la tolérance et la grâce qu’ils accordaient n’étaient pas les mêmes pour tous. À cette époque, ce qui me permettait de persévérer, c’était de partager et de me défouler avec mes soeurs – au sens figuré et littéral. Nous nous sommes consolées, validées et édifiées les unes et les autres. Avant tout, la communauté est, en effet, notre outil le plus puissant.

Le monde des études supérieures continue d’être pour beaucoup d’entre nous une source d’aliénation. Ces institutions n’ont pas été construites pour nous accueillir. Les programmes d’études n’ont pas été faits pour nous apprendre. Plus tôt nous pourrons faire la paix avec cela, plus tôt nous commencerons à comprendre qu’il
y a effectivement quelque chose qui ne va pas, mais pas en nous. En fin de compte, notre objectif devrait être de faire en sorte que, lorsque les autres filles noires à l’école commencent à se douter que quelque chose ne va
pas, elles ne dirigent pas leurs soupçons vers elles-mêmes, car cela peut déterminer la suite de leur parcours scolaire. Nous voulons nous émanciper sur le plan académique, donc nous devons assurer notre présence
en plus grand nombre. Si le premier obstacle qui s’y oppose est la conviction que nous n’avons pas notre place ici, alors notre travail commence par là.

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Être Noir·e à McGill https://www.delitfrancais.com/2024/02/07/etre-noir%c2%b7e-a-mcgill/ Wed, 07 Feb 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=54546 Professeur·e·s et étudiant·e·s s’entendent qu’il faut faire plus

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L’expérience académique pour les étudiant·e·s noir·e·s de McGill s’avère être sensiblement différente de celle du reste des élèves. Pour en apprendre plus sur le bien-être de la communauté noire au sein de l’environnement étudiant mcgillois, Le Délit s’est entretenu avec Reggie, Kendra-Ann et Sophie, qui étudient respectivement en science politique, développement international et Med‑P (année préparatoire pour le programme de médecine). Le Délit a aussi eu la chance de discuter avec deux professeurs noirs au sein de l’Université : Khaled Medani, professeur en science politique, et N. Keita Christophe, professeur au sein du département de psychologie. Les prochaines sections ont pour objectif d’offrir un portrait général des expériences vécues par les étudiant·e·s et professeur·e·s noir·e·s à McGill, en identifiant les défis récurrents auxquels ceux·celles-ci ont pu faire face dans le milieu académique.

« En tant qu’élève, il faut vraiment que tu recherches les professeurs noirs, que tu essaies de les trouver. C’est ce que j’ai fait. Je n’ai pas eu de professeur noir dans mes cours. Pour les rencontrer, il faut aller à des événements »


Kendra-Ann, étudiante en développement international

Ressentis sur la sous-représentation

Malgré leurs différents programmes, les trois étudiantes se sont toutes accordées sur la sous-représentation évidente, ou du moins le sentiment de sous-représentation dans leurs classes et sur le campus en général. Reggie explique avoir l’impression « qu’en science politique il n’y a pas beaucoup de personnes noires dans les cours. La majorité des gens sont blancs ». De son côté, Kendra-Ann raconte son ressenti durant ses premières semaines à McGill : « Je ne rencontrais pas beaucoup de personnes noires, j’en trouvais peu dans mes cours. J’ai pris un cours de macroéconomie, et je dirais qu’on était environ cinq élèves noirs dans le cours, alors qu’il comptait plus d’une centaine d’étudiants au total. Je pense que la sous-représentation est claire. J’ai l’impression que spécifiquement, il n’y a pas assez d’hommes noirs. Je vois pas mal de femmes noires, mais pas assez d’hommes noirs, je ne sais pas pourquoi c’est le cas. » Dans son programme Med‑P, une classe préparatoire destinée à intégrer les prestigieux programmes de médecine de McGill, Sophie complète le tableau : « J’ai ressenti une certaine isolation parce qu’on n’est vraiment pas beaucoup de personnes noires comparé au reste de la classe. On est peut-être quatre ou cinq sur une centaine d’étudiants. De ce côté-là, j’ai quand même eu un choc. Par exemple, on avait eu notre journée d’orientation en août avant de commencer l’école. On était assis dans la salle, j’ai vu qu’on était très peu, et j’ai eu un peu peur parce que je me suis dit : « quand je vais étudier à McGill, ça sera comment? »

Cependant, Sophie a confié avoir constaté un certain progrès dans la représentation des Noir·e·s dans son programme, notamment grâce à une initiative de l’administration : « Ça s’est amélioré au fil des années parce qu’ils ont mis en place le Black Candidate Pathway. Les étudiant·e·s noir·e·s peuvent passer par ce processus qui facilite leur entrée. Ça encourage beaucoup les élèves noirs à appliquer dans ce programme-là. De ce qu’on m’a dit les autres années, il y avait beaucoup moins d’étudiant·e·s noir·e·s que maintenant. » Cependant, les initiatives de ce genre restent limitées, notamment selon le domaine d’étude. Le Black Student Pathway reste limité à la faculté de médecine, et sur le site on comprend rapidement que le processus vise directement à pallier les différences au niveau du nombre de personnes provenant de populations sous-représentées strictement en médecine.

Pour ce qui est des professeur·e·s interrogé·e·s, il semblerait que ceux·celles-ci perçoivent la communauté étudiante d’un œil différent que les étudiantes rencontrées. Le professeur N. Keita Christophe nous confie : « Je constate facilement en me promenant sur le campus et dans mes cours que McGill a un corps étudiant très diversifié. (tdlr) » Professeur Medani renchérit : « Je pense que la plupart reconnaîtraient fièrement que le corps étudiant de McGill est diversifié, et, qui plus est, que c’est l’un des aspects les plus admirables de la communauté du campus. » Cette discordance entre la perception des étudiant·e·s et des professeur·e·s de McGill peut être due aux différents domaines d’études, certains étant beaucoup plus diversifiés que d’autres, ou encore à une compréhension différente de ce qu’est la diversité : du côté des étudiant·e·s, l’enjeu est de trouver des personnes qui leur ressemblent en classe, alors que du côté des professeur·e·s, c’est de voir une salle de classe marquée par sa diversité. On peut notamment se référer à la faculté de droit de McGill, qui a une politique claire recommandant l’auto-identification des membres de la communauté noire lors du processus d’admission. Malgré sa reconnaissance de la diversité du corps estudiantin, le professeur N. Keita Christophe conclut en disant : « Il y a encore tellement plus à faire dans ce domaine. » Ainsi, bien que les professeur·e·s notent une certaine diversité culturelle sur le campus mcgillois, il reste encore du travail à faire du côté de l’administration pour véritablement permettre aux personnes noires de se sentir incluses.

« Le niveau actuel de représentation des personnes noires au sein du corps professoral mcgillois est encore relativement bas, mais il s’est certainement amélioré grâce à l’initiative Anti-Black Racism (ABR) de McGill »

Khaled Medani, professeur en science politique et études islamiques

Le professeur N. Keita Christophe a également soulevé sa préoccupation quant au projet d’augmentation des frais de scolarité pour les étudiant·e·s internationaux·ales, qui a le potentiel de limiter directement l’accès à l’éducation supérieure pour les personnes noires. Il affirme que ce projet met en danger l’inclusion des personnes noires à McGill : « Le gouvernment du Québec prévoit d’offrir des frais de scolarité provinciaux aux étudiants francophones venant exclusivement de la France, de la Belgique et de la Suisse, alors que ces tarifs réduits ne sont pas disponibles pour les étudiants provenant d’autres pays francophones. Je suis certain que ce n’est en rien une coïncidence : tous ces pays francophones dont les ressortissants n’ont pas accès à ces tarifs réduits sont majoritairement non blancs. Le français est la seule langue officielle dans 10 pays en Afrique, il est parmi les langues officielles dans de nombreux autres pays et est encore couramment utilisé dans les anciennes colonies françaises telles que le Maroc, la Tunisie et l’Algérie. Il est à noter qu’il y a une population haïtienne particulièrement importante à Montréal, ce qui peut rendre McGill attrayante pour les personnes en provenance d’Haïti (un autre pays francophone à majorité noire), mais cette réduction de frais ne s’appliquerait pas non plus à eux. Cela constitue une preuve flagrante de majoritairement non blancs. À mon avis, McGill, en tant qu’institution d’enseignement supérieur, a la responsabilité de dénoncer cela et de veiller à pallier à cette décision. »

Antoine Chedid

Représentation au sein du corps professoral

Les ressentis sur la sous-représentation des professeur·e·s noir·e·s semblent similaires, voire même plus inquiétants. Quand on lui demande si elle estime qu’il faudrait avoir plus de professeur·e·s noir·e·s à McGill, Kendra-Ann raconte : « En tant qu’élève, il faut vraiment que tu recherches les professeurs noirs, que tu essaies de les trouver. C’est ce que j’ai fait. Je n’ai pas eu de professeur noir dans mes cours. Pour les rencontrer, il faut aller à des événements, notamment ceux de Black Student Network (BSN). Sinon c’est très compliqué. Dans les cours obligatoires que je dois prendre, la plupart du temps, il n’y a pas de personnes de couleur, mais bien souvent des hommes blancs. » Sophie et Reggie confient avoir des impressions similaires.

Les professeur·e·s avec lesquels Le Délit s’est entretenu partagent aussi l’avis qu’il existe une disparité au niveau de l’embauche chez les professeur·e·s embauché·e·s par McGill. Professeur Medani relève que « Le niveau actuel de représentation des personnes noires au sein du corps professoral mcgillois est encore relativement bas, mais il s’est certainement amélioré grâce à l’initiative Anti-Black Racism (ABR) de McGill. Le fait que McGill ait mis en place ce projet suggère qu’il y a une reconnaissance étendue que l’Université doit encore atteindre des objectifs plus élevés en termes de recrutement et de rétention des membres du corps professoral noir ». L’initiative ABR est un programme valant 15 millions de dollars, qui s’étend de 2020 à 2025, qui cherche à s’attaquer à différentes préoccupations de la communauté noire de McGill, notamment de promouvoir le recrutement, la représentation, la rétention, le bien-être et le succès des employé·e·s noir·e·s à McGill. L’initiative a également pour but d’améliorer l’expérience étudiante pour les étudiant·e·s noir·e·s à McGill, de s’engager à examiner les liens institutionnels entre l’Université et la traite transatlantique des esclaves, de mettre en lumière les contributions de la communauté noire à McGill à travers son histoire, ainsi que d’établir des liens avec les communautés locales afin de mieux représenter la diversité montréalaise sur le campus, tout en créant un campus plus accueillant pour la communauté noire. Les entrevues menées par Le Délit ont permis de relever l’importance d’avoir un corps professoral plus inclusif, notamment en encourageant l’embauche de professeur·e·s noir·e·s. Selon professeur Medani, « c’est la diversité au sein du corps étudiant qui rend nécessaire le recrutement de davantage de professeurs noirs dans le cadre des politiques de diversification et d’inclusion. De nombreuses études ont montré un écart important entre la diversité du corps étudiant et celle du corps professoral au sein de multiples établissements d’enseignement en Amérique du Nord. C’est cet écart qui doit être comblé, non seulement pour des raisons de collégialité et de représentation, mais aussi parce que réduire cet écart engendre des avantages académiques, intellectuels et pédagogiques concrets pour tous les membres de la communauté universitaire ». Il ajoute que « l’environnement académique bénéficie de la diversification du corps professoral en termes de production de connaissances, de diversité pédagogique, d’élargissement du contenu du programme, et contribue à moderniser l’institution en harmonie avec un corps étudiant de plus en plus diversifié ». Le professeur N. Keita Christophe confie : « Du côté des étudiants, je pense qu’un énorme manque de professeurs noirs signifie implicitement aux étudiants noirs que les personnes qui leur ressemblent et viennent des mêmes endroits qu’eux ne sont pas les bienvenues dans les espaces académiques. »

Sentiment d’isolation et difficulté d’intégration

Cette impression de sous-re-présentation a un impact déterminant sur l’intégration des élèves noirs dans la communauté mcgilloise, et crée un sentiment d’isolation. Reggie, étudiante de première année, raconte : « C’est mon deuxième semestre, personne n’est venu me parler dans mes classes. J’ai moi-même seulement interagi avec d’autres étudiants noirs. Eux-mêmes m’ont dit la même chose. Ils m’ont expliqué que parfois, ils pouvaient se sentir inconfortables, que les gens vont rarement faire le premier pas pour devenir amis. Au final, ils sont souvent dans un coin en classe, écoutent leur cours et rentrent chez eux. Ce n’est pas vraiment le type de vie sociale auquel tu t’attends avoir à l’université. » Cette difficulté d’intégration semble toucher particulièrement les étudiant·e·s noir·e·s à McGill, et il peut en découler un véritable mal-être pendant les cours et sur le campus en général. Reggie continue : « Il y a une sorte de malaise dans ce que les gens attendent de toi. J’ai beaucoup de cours qui parlent de l’esclavage ou de la colonisation en Afrique. Plusieurs fois, les professeurs, quand ils en parlent ou posent des questions qui abordent ce sujet, ils vont te regarder toi, ou ils vont pointer vers toi pour répondre à la question. C’est comme si c’est toi qui devenait le professeur, celui qui doit éduquer la classe au complet sur le sujet, juste parce que ça parle de quelque chose qui entoure la communauté noire. Ils veulent que tu deviennes la personne qui va éduquer les gens, mais en réalité, tu n’as pas envie de faire ça. »

Par ailleurs, cette difficulté d’intégration semble impacter plus profondément les étudiant·e·s noir·e·s internationaux·ales. Interrogée sur les besoins des étudiant·e·s noir·e·s internationaux·ales en matière de santé mentale, Reggie exprime ses inquiétudes : « Je pense que c’est très important [la santé mentale, ndlr] surtout pour les élèves qui ne viennent pas d’ici. Personnellement, j’avais des amis noirs au cégep, puis au secondaire aussi. J’avais déjà cette communauté ou cet entourage, mais les étudiants qui viennent d’autres pays ou qui viennent d’autres provinces canadiennes, eux, ils n’ont souvent pas cette chance. Il y a alors un risque de dépression, ou un sentiment d’isolement. Ça serait bien d’avoir quelqu’un qui peut aider pour ça. »

McGill : une image à retravailler

Les étudiantes avec les quelles Le Délit a pu discuter se sont entendues sur la question de l’image particulière projetée par McGill. « Quand je suis arrivée ici, je me suis dit que je ne trouverais personne comme moi, que ça serait difficile de m’intégrer. Concordia et l’Université de Montréal, par exemple, sont connues pour avoir une assez grande communauté noire, et aussi africaine. Il y a beaucoup de choses qui se rattachent à l’image élitiste de McGill. Avant même de regarder les exigences de l’Université, les gens se disent que McGill c’est prestigieux et qu’ils ne pourront jamais y rentrer. C’est très décourageant, alors que c’est souvent très probable qu’ils soient acceptés », confie Sophie. De son côté, Reggie identifie ce point comme un problème majeur à régler pour McGill : « Je pense que McGill doit changer un peu son image pour avoir l’air plus attrayant pour la communauté noire. Je pense que d’autres universités comme Concordia n’ont pas ce genre de problèmes. Le prestige, c’est bien, mais il faut quand même aussi avoir l’air ouvert et accueillant pour toutes les communautés. Moi, j’ai été motivée à postuler parce que des étudiants noirs de McGill sont venus visiter mon cégep, et nous ont parlé de la sous-représentation noire à l’université. Alors, ça m’a motivée. S’ils continuent à faire ça, ça pourrait encourager d’autres étudiants également. »

« Je pense que McGill doit changer un peu son image pour avoir l’air plus attrayant pour la communauté noire. Je pense que d’autres universités comme Concordia n’ont pas ce genre de problèmes. Le prestige, c’est bien, mais il faut quand même aussi avoir l’air ouvert et accueillant pour toutes les communautés »

Reggie, étudiante en science politique

Le vécu des étudiant·e·s noir·e·s à McGill est marqué d’une sous-représentation sur le campus, suscitant des sentiments d’isolement et des défis d’intégration. Les étudiant·e·s comme les professeur·e·s soulignent un besoin clair pour une plus grande inclusion des personne·e·s noir·e·s parmi le corps professoral, affirmant que des mesures favorisant l’embauche et la rétention de professeur·e·s noir·e·s pourraient jouer un rôle considérable dans la création d’un espace plus accueillant et inclusif à McGill. En outre, le professeur N. Keita Christophe a noté sa préoccupation quant au manque de données sur la situation de la communauté noire à McGill : « L’une des plus grandes lacunes au niveau universitaire, qui, selon moi, perpétue les disparités existantes, est l’absence de collecte (ou du moins de publication) de données démographiques sur la race des étudiants. Je ne suis pas sûr s’il s’agit d’une politique de McGill, du Québec ou du Canada, mais de ce que je comprends, l’université n’est soit pas disposée à collecter, soit pas disposée à publier des données sur l’origine ethnique-raciale des étudiants. Des données sur la nationalité existent, mais bien sûr, la nationalité n’est pas synonyme d’origine raciale. » Nous aimerions faire écho à cette inquiétude, et souligner l’importance de mettre en avant ces chiffres, qui permettraient sans doute d’avoir une meilleure idée quant à la situation à McGill, mais surtout, quant aux défis qu’elle se doit de relever.

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L’appétit du profit https://www.delitfrancais.com/2024/01/24/lappetit-du-profit/ Wed, 24 Jan 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=54325 Comment l’industrie agroalimentaire nous rend-elle malade?

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Au cours de l’écriture de cet article, et souffrant d’un véritable manque d’inspiration, j’ai décidé de sortir de ma cave (comprenez mon bureau) et d’aller m’acheter un thé aux perles (bubble tea) dans une chaîne proche de chez moi. Dès la première gorgée, je me suis fait la réflexion que « quand même, c’est vachement sucré ». J’ai donc décidé d’aller me renseigner, et de trouver la quantité moyenne de sucre dans un thé aux perles de 500 ml, un format assez standard. Une étude réalisée à Singapour, commanditée par la chaîne de télévision CNA, révèle des faits plus qu’inquiétants : un thé aux perles typique, avec des perles, du sucre brun et du thé noir, contient jusqu’à 92,5 grammes de sucre, soit environ deux fois plus que dans une quantité équivalente de Coca-Cola. La limite fixée par l’Organisation Mondiale de la Santé pour les sucres ajoutés est 10% de l’apport calorique journalier, ce qui équivaut environ à 50 g par jour. Cette limite est déjà élevée selon d’autres organismes, et la dose recommandée (et non maximale) est seulement de 25 g de sucre. Ainsi, mon thé aux perles, que je ne pensais pas aussi sucré qu’un soda, explosait à lui tout seul les recommandations journalières de consommation de sucre. Pour vous donner une meilleure idée de ce que cela signifie, quatre grammes de sucre sont équivalents à une cuillère à thé. Dans ma boisson, il y avait donc presque 24 cuillères à thé de sucre, un chiffre absolument astronomique. À la maison, dans un thé vert de mi-journée, vous les mettez, vous, ces 24 cuillères?

Cette courte anecdote à laquelle bon nombre de lecteurs, je l’espère, auront pu s’identifier, représente parfaitement le but de cet article. Se rendre compte de la réelle nature de ce produit m’a poussé à me questionner plus profondément sur les non-dits de l’agroalimentaire. Le système de consommation moderne a tellement dénaturé notre façon de nous alimenter, à grands coups de processus industriels et d’expériences chimiques, que nos achats alimentaires ne satisfont plus un besoin, mais bien un désir. Au fond, la clé de tout ça c’est l’essor des supermarchés, soit d’une société consumériste à grande échelle.

« La multiplication des produits mis à notre disposition fait que l’on a beaucoup de choix, trop de choix. Nous n’avons pas besoin de tout ça pour nous nourrir. C’est de la nourriture conçue pour remplir un portefeuille, pas un estomac »

En quête de bon conseil, j’ai demandé à ma grand-mère, qui vit dans le Sud de la France, comment sa famille faisait les courses quand elle était adolescente, entre les années 50 et 60. Dans sa ville, il n’y avait qu’une petite épicerie, et quelques commerces spécialisés. Selon elle, la grande différence avec aujourd’hui, c’est la quantité de produits disponibles dans cette épicerie, ainsi que la diversité de produits. Des pâtes? Seulement une ou deux marques. Du fromage? Quelques variétés, souvent locales. Des yaourts? Que des petits suisses nature et du fromage blanc. Malgré le manque de choix en comparaison aux rayons bien remplis de nos supermarchés modernes, elle ne préfère pas ces derniers pour autant. Selon elle, « nous sommes en quelque sorte noyés sous la quantité. La multiplication des produits mis à notre disposition fait que l’on a beaucoup de choix, trop de choix. Nous n’avons pas besoin de tout ça pour nous nourrir. C’est de la nourriture conçue pour remplir un portefeuille, pas un estomac ».

La mentalité « toujours plus, toujours mieux » a‑t-elle donc été également appliquée à ce que nous mangeons? Il semble que non. Alors que la quantité de produits et leur diversité ne cessent de croître (on arrive quand même à nous vendre des croustilles goût « zombie »), la qualité des produits est en chute libre. Profitant de l’ignorance des consommateurs à ce sujet, de leur manque de temps disponible, et utilisant des techniques marketing visuelles toujours plus agressives pour stimuler la nostalgie ou l’idée de « qualité maison », les industriels de l’agroalimentaire ont réussi à bénéficier du système en place. Les aliments sont déconstruits, modelés, chauffés, surtraités, congelés et mélangés à un niveau extrême, si bien que pour de nombreux produits présents dans nos supermarchés, il est impossible de retrouver visuellement l’aliment de base dans le produit final. La prochaine fois que vous allez en magasin, faites le test vous-même, vous verrez que c’est surprenant.

Sucre et alimentation moderne : un goût de « reviens‑y »

L’histoire de l’agroalimentaire ne peut pas être séparée de celle du sucre. Les industriels le savent, et ce depuis bien longtemps : le sucre est une substance fortement addictive. Elle suit un modèle similaire à d’autres types de substances addictives. Dans un article de Healthline, des médecins reconnaissent que « le sucre peut être aussi addictif que la cocaïne (tdlr) ». Le processus est très simple : « la consommation de sucre libère de la dopamine dans notre corps. C’est le lien entre les sucres ajoutés et les comportements addictifs. » Un produit addictif, c’est un produit que les consommateurs achèteront encore et encore. Le problème, c’est que le sucre est largement responsable de l’augmentation des cas de surpoids, d’obésité, ou encore de diabète de type 2. Aujourd’hui, une alimentation plus saine pourrait prévenir une mort sur cinq à travers le monde, et le sucre y est évidemment pour quelque chose. Comme l’explique le docteur Anthony Fardet dans son livre Pourquoi tout compliquer? Bien manger est si simple : « le surpoids, puis l’obésité, le diabète de type 2 et la stéatose hépatique (maladie du foie gras non alcoolique) sont les portes d’entrée des maladies chroniques graves, souvent fatales, comme certains cancers, les maladies cardio-vasculaires, l’insuffisance rénale, la stéatohépatite non alcoolique, et la cirrhose. »

« La principale raison pour laquelle ces sucres sont massivement utilisés pour faire de la malbouffe est qu’ils ne coûtent pratiquement rien »

Christophe Brusset, La malbouffe contre-attaque

Malheureusement, la prévention a été insuffisante pendant de nombreuses années, au moment même où elle aurait été nécessaire pour éviter le développement d’habitudes alimentaires délétères. Encore une fois, l’industrie a ajouté son grain de sel, sans vouloir faire de mauvais jeu de mots. En guise d’exemple, un article publié dans le journal JAMA Internal Medicine en 2016 met en lumière le rôle de l’industrie du sucre dans le développement du paysage alimentaire mondial. Comme l’explique un article de Radio-Canada, qui relaie l’étude : « L’industrie du sucre est tombée dans le marketing au début des années 60, au moment même où la communauté scientifique s’interrogeait sur la responsabilité du sucre et du gras dans les maladies cardiovasculaires. En 1964, elle a payé trois scientifiques de l’Université Harvard 6 500 $ chacun – ce qui correspondrait aujourd’hui à 50 000 $ – pour publier des travaux de recherche blâmant les problèmes cardiovasculaires uniquement sur le gras. » L’impact de cette véritable corruption agroalimentaire fut significatif : « La publication a influencé pendant des décennies la communauté scientifique, qui s’est concentrée sur le cholestérol et les gras saturés dans sa lutte contre l’obésité » et, par conséquent, a laissé de côté le sucre. Comme le raconte Christophe Brusset dans son livre La malbouffe contre-attaque, c’est évidemment le côté addictif qui pousse les industriels à utiliser massivement le sucre, mais également le côté financier : « la principale raison pour laquelle ces sucres sont massivement utilisés pour faire de la malbouffe est qu’ils ne coûtent pratiquement rien. Le sucre de table, le saccharose, est côté à la Bourse de Londres et son prix évolue généralement entre 30 et 50 centimes d’euro le kilo [entre 45 et 75 sous en dollars canadiens, ndlr]. Le glucose est habituellement encore moins cher. »

Additifs alimentaires : une liste bien (trop) longue

Quand le sucre a commencé à réellement être considéré comme un problème, les industriels de l’agroalimentaire ont sauté sur l’occasion. En effet, au lieu de réduire la quantité de sucre dans leurs produits, ou d’essayer de changer les recettes, ils ont découvert l’important filon marketing du « light » ou du « diet ». Ce marché est surtout important pour les boissons sucrées type soda, mais également dans d’autres produits, comme les gommes à mâcher sans sucre, les sirops ou les pâtisseries industrielles. C’est un raisonnement logique pour un industriel, un raisonnement qui conserve les profits du marché du sucre, tout en ouvrant un nouveau marché du sans sucre. La simulation du goût sucré, qui est réalisée grâce à des édulcorants de synthèse dont les plus connus sont sans doute l’aspartame et l’acésulfame‑K, a donc connu un succès massif.

Ces édulcorants font néanmoins l’objet d’un vif débat. Alors que certaines études ont démontré un lien de causalité possible entre leur consommation régulière et le développement de diabètes ou de cancers, les preuves restent limitées et plus de recherches doivent être réalisées. Beaucoup d’études suggèrent que leur consommation pourrait générer des problèmes de santé, mais il n’y a bien souvent pas de certitude officielle reconnue par toute la communauté scientifique. Par exemple, certains colorants utilisés majoritairement en confiserie, comme la tartrazine, le « jaune orangé S » ou encore le « rouge allura AC » sont parfois suspectés de générer des réactions allergiques, ou encore de l’hyperactivité chez les enfants. Ces trois colorants font partie de la liste d’ingrédients des fameux bonbons Sour Patch Kids. Certains pays ont préféré prendre des mesures préventives et bannir ces colorants en se fiant aux doutes des scientifiques, sans attendre de preuves unanimes. Dans son livre Additifs Alimentaires : ce que cachent les étiquettes, Hélène Barbier du Vimont explique que le rouge allura AC « fait partie d’une réévaluation des additifs menée à Southampton en 2007–2008 », et qu’il est déjà « interdit au Danemark, en Belgique, en Allemagne, en Suisse, en Suède, en Autriche, en Norvège [et] autorisé sous certaines conditions en France ».

Aliments ultra-transformés : un fantôme dans l’assiette

Bien que beaucoup d’additifs ne soient pas réellement problématiques pour la santé, ils cachent quelque chose de bien plus profond : l’avènement des produits ultra-transformés dans nos assiettes depuis des décennies.

En réalité, cela convient bien à tout le monde. Prenons l’exemple des plats préparés : l’industriel peut augmenter sa marge de profit, car il a rendu un « service » en préparant le plat ; le distributeur peut proposer des produits très attirants pour les consommateurs ; et ces derniers font une précieuse économie de temps. Christophe Brusset inclut les aliments ultra-transformés dans son approche de la malbouffe, qu’il faut éviter à tout prix. Il explique : « Les chercheurs ont constaté que plus un aliment est transformé, moins il est sain. Les transformations successives détruisent la structure protectrice de l’aliment, ce que l’on appelle “la matrice”, et altèrent son équilibre nutritionnel. Fibres et nutriments sont éliminés ou dégradés, sucres et graisses sont concentrés, sel et additifs sont ajoutés, et certains toxiques sont générés. » Clara Butler, ingénieure diplômée de l’école de chimie de Toulouse, qui s’est renseignée pendant de nombreuses années sur les possibles origines des problèmes liés à la nutrition moderne et qui intervient occasionnellement en milieu scolaire en France afin d’y sensibiliser les enfants (et leurs parents par extension), explique lors d’un entretien avec Le Délit : « Lorsque vous allez faire vos courses au supermarché, prenez le temps de vous demander si vous auriez pu cuisiner ce produit vous-même, chez vous, en termes d’ingrédients et de transformation. Si la réponse est oui, c’est super, quelqu’un a cuisiné pour vous, profitez-en! Si la réponse est non ou « je ne sais pas trop », car la liste des ingrédients est très longue et contient des choses que vous ne comprenez pas, vaut mieux reposer le produit. »

« Regarder au dos de l’emballage d’un produit afin de voir sa liste d’ingrédients est un réflexe rare parmi les consommateurs […] Pourtant, cette liste est révélatrice des produits ultra-transformés »

Regarder au dos de l’emballage d’un produit afin de voir sa liste d’ingrédients est un réflexe rare parmi les consommateurs, car cela ne leur passe pas par la tête, ou qu’ils estiment cela tout simplement inutile. Pourtant, cette liste est révélatrice des produits ultra-transformés. Par exemple, si la liste contient un nombre anormalement élevé d’ingrédients, ainsi que certains que vous ne connaissez pas, posez-vous des questions. Croyez-moi, j’ai fait le test, et on peut rapidement se retrouver avec des réponses surprenantes. Je suis personnellement assez fan d’une certaine catégorie de biscuits français, qui ont une fine couche de chocolat renfermant de la marmelade d’orange, le tout déposé sur un biscuit moelleux. Dans sa liste d’ingrédients, on s’attendrait donc à y retrouver de la farine, du sucre, des oranges, du chocolat, et peut être un conservateur. Pourtant, on y trouve des substances suspectes comme la gomme xanthane, le sirop de glucose-fructose, le pyrophosphate acide de sodium, l’amidon de blé, la lécithine de soja, ou encore du noyau de mangue! Quand même étrange pour un simple biscuit à l’orange, non?

Même si ces additifs sont tous sans réel danger à petite dose, ces listes d’ingrédients à rallonge témoignent d’un traitement industriel ou chimique lourd. L’aliment a été déconstruit, puis reconstruit dans son entièreté. La précieuse « matrice » a été complètement détruite. Cette décomposition de la matrice a un fort impact sur la qualité nutritionnelle du produit final : les sucres deviennent « simples », et sont absorbés plus facilement par l’organisme, ce qui a des conséquences plus graves. Clara Butler ajoute que : « boire un jus d’orange et manger une orange, ce n’est pas du tout équivalent d’un point de vue nutritionnel. Lorsque vous mangez une orange, vous mangez toute la matrice du fruit, c’est-à-dire ses fibres, que votre estomac doit casser pour les assimiler. Alors que lorsque vous buvez un jus d’orange, pour lequel il a fallu presser quatre oranges en moyenne, celui-ci contient autant de sucre qu’un soda et est dépourvu de fibres et donc très facilement assimilable. Le jus a donc un fort impact sur votre glycémie [taux de sucre dans le sang, ndlr]» . Cette déconstruction alimentaire, et les « effets destructeurs » de ce processus sur le goût, l’apparence, la texture, doivent être compensés par des additifs, ce qui est le propre des aliments ultra-transformés, qu’il faudrait donc éviter de consommer, ou alors le faire très occasionnellement.

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Témoigner au milieu des ruines de Gaza https://www.delitfrancais.com/2024/01/24/temoigner-au-milieu-des-ruines-de-gaza/ Wed, 24 Jan 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=54412 Dans l’oeil du public : regard sur trois journalistes palestiniens.

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Le journalisme en temps de guerre joue un rôle crucial de par sa capacité à témoigner, informer et contextualiser les événements pour le public international. En temps de guerre, les journalistes de terrain deviennent les yeux et les oreilles du monde, transmettant au mieux de leur capacité des récits complexes qui transcendent les frontières géographiques. La récente situation en Palestine aurait dû en être gage, et bien que la manipulation des médias fasse souvent partie intégrante des stratégies militaires (coupure de réseau, limitation de l’accès à Internet dans les zones attaquées…) ; les choix de publications des journaux occidentaux n’offre une perspective que très limitée du conflit. En privant le public d’un point de vue, on limite sa capacité à prendre conscience des réalités vécues par les Palestiniens.

Ainsi, en réponse à la couverture médiatique défaillante reçue par la cause palestinienne, plusieurs journalistes palestiniens se sont tournés vers des plateformes alternatives aux médias traditionnels afin d’exposer la réalité vécue par leur peuple. En soulignant l’importance du journalisme dans de telles circonstances, nous reconnaissons son pouvoir de façonner les perceptions, d’inspirer le dialogue, et de donner lieu à la pluralité des perspectives hors des médias traditionnels. Nous vous présentons donc trois profils de journalistes palestiniens qui ont su apporter une perspective complémentaire, mais pas moins vraie, durant les derniers mois.

« En temps de guerre, les journalistes de terrain deviennent les yeux et les oreilles du monde, transmettant au mieux de leur capacité des récits complexes qui transcendent les frontières géographiques »

Bisan Owda

Bisan Owda est une cinéaste palestinienne qui publie également du contenu sur les réseaux sociaux depuis quelques années. Elle travaillait également auprès des Nations Unies pour l’égalité des sexes. Avant le début des bombardements et des opérations terrestres israéliennes dans la bande de Gaza, le profil Instagram de Bisan était essentiellement composé de vidéos d’elle parlant de ses projets ou de ses engagements. Ses vidéos étaient divertissantes ou informatives : elle partageait sur sa vie mais aussi sur son statut de femme, sur la situation à Gaza, et plus généralement sur la cause palestinienne. Les couleurs, le montage et les lumières de ses vidéos étaient travaillées, celles-ci étaient mêmes souvent écrites. Bisan a alors progressivement gagné en popularité, mais sa notoriété a réellement explosé à partir du moment où Israël a entamé ses interventions. Elle publie alors tous les jours – parfois même plusieurs fois par jour – des vidéos sur les conditions dans lesquelles les gazaouis et elle-même évoluent. Elle parle souvent de son expérience personnelle, du manque d’eau, de nourriture, des conditions sanitaires dans lesquelles elle vit, de la mort et de la souffrance qui l’entoure, mais réalise aussi des entrevues avec d’autres palestiniens de la bande de Gaza. Le 14 octobre, elle publie notamment une vidéo d’une jeune palestinienne porteuse de trisomie, dont la maison a été détruite, dans le but de faire valoir les enjeux spécifiques que représentent des bombardements pour les personnes atteintes d’un handicap. Ses vidéos sont une source d’information précieuse qui est depuis peu compromise par la coupure d’Internet dans la bande de Gaza. Elle appelle régulièrement le monde occidental à la grève générale, rappelant qu’il s’agit pour elle du seul espoir. Elle explique aussi souvent qu’elle ne sait pas combien de temps elle survivra. Sa maison et son lieu de travail ont été détruits lorsque la ville de Gaza a été bombardée, emportant son matériel, ses chats et une partie de sa vie.

Motaz Azaiza

Motaz est un photojournaliste qui avait pour sa part déjà une certaine notoriété avant les événements du 7 octobre dernier, étant employé par l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA). Il est reconnu pour ses images prises à l’aide de drones représentant les paysages dévastés de la Palestine, qu’il partage avec son auditoire comptant aujourd’hui plus de 18 millions d’abonnés sur Instagram. Il est actuellement l’un des journalistes les plus suivis du réseau social. Motaz a perdu le 11 octobre dernier plus de 15 membres de sa famille en raison d’une frappe aérienne israélienne sur le camp de réfugiés Deir el-Balah, situé dans la bande de Gaza. C’est également là où Motaz a grandi. Le 7 janvier dernier, Motaz commémorait aussi sur sa page le décès de deux de ses collègues, Hamza Wael Dahdouh et Mustafa Thraya, qui s’ajoutent à la longue liste de journalistes qui ont péri depuis le 7 octobre.

Plestia Alaqad

Plestia se démarque des autres journalistes puisqu’elle fait partie d’un grand mouvement émergent de journalisme citoyen. Cette forme particulière de journalisme consiste à véhiculer l’information uniquement par les plateformes numériques telles que les réseaux sociaux pour documenter, comme le font les médias plus traditionnels, les évènements de la vie quotidienne. Plestia a rapidement gagné en popularité sur Instagram lorsqu’elle a commencé à documenter sa vie à Gaza via des vidéos publiées quotidiennement sur sa page, comme une forme de journal personnel. Sa communauté Instagram compte aujourd’hui 4,7 millions d’abonnés, qui suivent son quotidien où elle souligne fréquemment ses inquiétudes quant à la perpétuation des attaques contre Gaza, et demande constamment un cessez-le-feu. Sa page sert également pour plusieurs de ressource éducative, vers laquelle tous peuvent se tourner lorsqu’ils ont des questions concernant les différentes façons de venir en aide à la Palestine. Son profil compte parmi ceux ayant eu une croissance des plus rapides, en raison de son format qui réussit à capturer la réalité palestinienne de façon authentique. Elle se trouve présentement en Australie, ayant dû fuir les attaques quotidiennes sur Gaza.

Pensées à celles et ceux qui ne sont plus

La guerre a causé la mort de plus de 100 journalistes palestiniens depuis son commencement, bien que ces derniers soient supposés bénéficier d’une protection particulière selon le droit international. Muhammad Abu Huwaidi, Hamza Wael Dahdouh, Mustafa Thraya, et bien d’autres encore, assassinés parfois même pendant qu’ils effectuaient leur travail, un travail essentiel et vital, celui du partage de l’information vraie. Ils sont les seuls yeux à travers lesquels nous pouvons voir ce qui se passe localement, les violences qui ébranlent douloureusement un peuple prisonnier de quelques kilomètres de terre.

En tant que journal, ces morts nous touchent nécessairement, car nous ne pouvons imaginer que la volonté d’informer le monde, d’utiliser les mots pour changer les choses, d’imprimer le présent pour que tous puissent le comprendre, puisse mener à la mort. En plus de tenter de survivre, ils persistent dans leur travail afin que le monde puisse savoir et se souvenir. Pour cela, nous nous souviendrons d’eux.

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Intégrer Montréal par les salles de spectacle https://www.delitfrancais.com/2024/01/17/integrer-montreal-par-les-salles-de-spectacle/ Wed, 17 Jan 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=54177 La musique peut-elle aider à promouvoir la culture montréalaise à McGill?

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Certains étudiants anglophones de McGill se sentent aliénés par l’environnement dans lequel se trouve l’Université, réticents à s’immerger dans la culture francophone montréalaise. Il deviendra impératif de réduire ce clivage culturel et linguistique à travers la musique, en vue de nombreuses politiques gouvernementales de francisation.

Obstacle à l’intégration de McGill

McGill semble exister dans son propre écosystème, communément appelé « the McGill bubble », ou « la bulle McGill ». Malgré son emplacement en plein centre de Montréal, l’Université est isolée du reste de la ville, et ses étudiants hors province et internationaux semblent rarement interagir avec les quartiers francophones. Cependant, des mesures imposées par le ministère de l’Éducation du Québec dès le semestre d’automne 2024 demanderont à 80% des étudiants de premier cycle d’acquérir un niveau intermédiaire de français avant la fin de leur scolarité. Le maintien de la division entre McGill et Montréal ne pourra pas persister face à la francisation prônée par ces mesures.

Pour mieux comprendre la source de cette séparation, je me suis entretenue avec Molly Spisak et Ady Jackson, deux étudiantes anglophones à McGill. Molly, d’origine américaine, et Ady, venant de la Saskatchewan, étudient à McGill depuis deux ans, mais ne maintiennent qu’un niveau débutant en français. Selon elles, la langue française, un outil essentiel pour aborder une grande partie de la culture québécoise, reste inaccessible à beaucoup d’étudiants. Bien que McGill offre des cours de français intensifs et d’histoire québécoise, « ceux-ci sont exigeants, et souvent incompatibles avec d’autres programmes (tdlr) », explique Molly qui est aussi sur une liste d’attente gouvernementale pour des cours de français depuis mai 2023.

Pourtant, l’accès aux cours de français n’est pas le seul enjeu. En effet, Ady et Molly identifient le manque de compassion pour la courbe d’apprentissage du français chez certains Québécois. Molly explique avoir rencontré une dame dans un magasin : « Elle s’est mise à me parler français, et du mieux que j’ai pu, j’ai essayé de lui expliquer que je ne parlais pas français, mais que j’essayais d’apprendre. Elle a roulé ses yeux et a marmonné quelque chose que je n’ai pas compris. » Ady a vécu des expériences similaires, qui font qu’elle hésite à s’intégrer dans la culture francophone de Montréal. « Je suis réticente à faire l’effort de parler français, je ne sais jamais si je vais me faire insulter si j’essaie. C’est décourageant », explique-t-elle.

« C’est vraiment une belle communauté qui se forme autour d’un amour de la musique. Que les artistes parlent français ou anglais, ce qui émerge est propre à Montréal »

Lysandre Ménard, autrice-compositrice-interprète québécoise

La musique québécoise : un pont culturel et linguistique

Le problème d’intégration des anglophones à Montréal, décidément complexe, aurait peut-être une solution simple : la musique. Je m’entretiens donc avec Lysandre Ménard, autrice-compositrice-interprète québécoise basée à Montréal, pour comprendre ce qui distingue la culture musicale montréalaise, et ce qui pourrait faire d’elle une bonne porte d’entrée à la langue française.

Lysandre affirme qu’« il y a beaucoup d’artistes francophones émergents à Montréal, qui font de la musique pour l’amour de cette dernière. Ils écrivent en français parce que c’est leur langue maternelle, c’est pour ça que moi je le fais. Mais au fond, ils ont tous la musique à cœur ». Ayant une perspective unique sur le sujet grâce à son expérience dans l’industrie de la musique, elle décrit d’un autre point de vue l’inclusivité de la scène musicale montréalaise. Elle-même joue dans des groupes francophones et anglophones à Montréal, et explique que ces différences linguistiques n’empêchent pas la synergie entre les musiciens. « C’est vraiment une belle communauté qui se forme autour d’un amour de la musique. Que les artistes parlent français ou anglais, ce qui émerge est propre à Montréal », remarque-t-elle.

Cet esprit universel qui imprègne la musique montréalaise fait d’elle un pont parfait pour l’intégration culturelle, et par extension linguistique, des étudiants anglophones de McGill. Ce que Lysandre observe dans les coulisses ferait des salles de spectacles et des bars de Montréal l’endroit idéal pour les étudiants anglophones cherchant à tremper le petit orteil dans la culture québécoise, sans se sentir trop dépaysés. En effet, la musique sert de médium interculturel, par lequel n’importe qui peut saisir les valeurs, l’histoire, les imperfections, et la beauté de la société hôte. Cette diversité est mise en évidence dans les styles musicaux et les paroles d’artistes québécois comme Jérôme 50. Dans une entrevue avec Radio-Canada, il décrit l’identité linguistique québécoise, notant « une ouverture vis-à-vis de la question linguistique identitaire ». « Les locuteurs et locutrices au Québec sont fiers d’emprunter au créole haïtien, à l’arabe, à l’argot français, au verlan, au slang américain », explique-t-il. Une étude ethnolinguistique réalisée par deux professeures de l’Université Laval démontre que l’inclusivité du milieu musical de Montréal dont parlent Lysandre et Jérôme facilite l’intégration de nouveaux arrivants. Elle leur permet d’affirmer leur propre identité, tout en en apprenant plus sur la ville hôte.

McGill, responsable de l’intégration de ses étudiants

Est-il possible de promouvoir l’intégration à travers la musique? Les étudiants anglophones de McGill ne peuvent contribuer à la diversité de Montréal, si celle-ci n’est pas mise en valeur sur le campus. Lysandre, ayant elle-même brièvement étudié à McGill, remarque que combattre « l’autosuffisance du campus » dans un écosystème anglophone nécessite l’encouragement de l’administration de McGill. Elle affirme qu’ « il faudrait impliquer un corps étudiant, un comité de la vie sociale qui puisse coordonner les activités en français, pour faire le pont entre les communautés anglophones et francophones. C’est un effort que McGill ne fait pas nécessairement, et je l’avais remarqué quand j’étudiais là ». Elle admet également qu’il « faudrait qu’il y ait un minimum d’invitation de la part des francophones, parce que c’est épeurant d’arriver dans une nouvelle université, et dans une ville majoritairement francophone ».

Lysandre n’est pas la seule à identifier l’administration de McGill comme acteur principal dans l’intégration des étudiants anglophones dans un Montréal francophone, par la musique. Ady note que « le Québec a beaucoup à offrir, mais je ne pense pas que tous les étudiants en profitent pleinement ». Il est donc important de donner la possibilité aux étudiants de McGill de s’intégrer. « Ceci est la responsabilité de l’étudiant, du gouvernement, mais aussi de l’Université », affirme Molly. Ady, qui va souvent au bar étudiant Gerts, ajoute ne jamais avoir entendu une seule personne parler français dans l’établissement. « Peut-être que si l’Université et la société étudiante de McGill faisaient un plus gros effort pour que la culture québécoise franchisse le seuil des portes Roddick, ce serait plus facile », remarque-t-elle. « C’est une question d’habitude. Les étudiants hors province sont déjà dépaysés, il serait plus productif de faire venir la culture québécoise sur le campus, où ils sont à l’aise » continue-t-elle.

Découvrir la musique québécoise dans les deux langues, dans un contexte familier, faciliterait donc la transition vers une plus grande appréciation du Québec francophone chez les anglophones de McGill. Ceci, comme le fait remarquer Lysandre, est une simple question de publiciser les événements et concerts francophones sur le campus en anglais. Sur ce, elle suggère aux lecteurs du Délit, et aux étudiants de McGill de s’informer du « Taverne Tour », qui se déroule notamment au Quai des Brumes et à l’Escogriffe entre le 8 et le 10 février, et qui présente une grande variété d’artistes. Un plan parfait pour celui ou celle cherchant à en apprendre un peu plus sur le Québec.

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Prédictions pour l’année 2024 https://www.delitfrancais.com/2024/01/17/predictions-pour-lannee-2024/ Wed, 17 Jan 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=54188 Que nous réserve la nouvelle année?

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Chères lectrices, chers lecteurs, permettez-moi de vous souhaiter une joyeuse nouvelle année. Je vous souhaite – je nous souhaite – une magnifique année, marquée par la paix, la solidarité et le succès dans tout ce que nous pourrons entreprendre. Alors qu’une nouvelle année s’amorce, de nouveaux défis se dessinent déjà à l’horizon. Bien qu’il nous soit impossible de prédire ce que 2024 nous réserve, il est de notre ressort d’analyser l’actualité et d’en tirer des conclusions en ce qui a trait à l’année qui débute. En ce sens, laissez-moi vous partager mes hypothèses quant à ce que l’année 2024 nous réserve.

LA FIN DE X
Twitter ou X, appelez ce réseau social comme vous le voulez, mais sa fin approche. Hier une grande entreprise américaine évaluée à plusieurs milliards de dollars, aujourd’hui le dernier joujou d’Elon Musk ; la compagnie a certainement perdu ses lettres de noblesse. Autant au niveau de la valeur de son action à la bourse qu’à celui de la valeur sociale attribuée à X, la compagnie est en chute libre. Il faut dire que laisser un excentrique milliardaire libertarien gérer un réseau social n’est peut-être pas la meilleure des idées ; parlez-en à Trump et Truth Social.

TAYLOR SWIFT : L’ICÔNE D’UNE GÉNÉRATION
Plus de Taylor Swift, toujours plus.

MCGILL : INSTITUTION FIÈREMENT QUÉBÉCOISE
On l’entendra certainement davantage dans les mois à venir, mais McGill se positionnera assurément en tant que fière institution québécoise. En effet, après avoir été la cible de la CAQ, un gouvernement populiste devenu impopulaire, McGill tentera certainement de remettre les pendules à l’heure quant à sa place dans la société québécoise. Tantôt accusées à tort et à travers de contribuer au déclin du français dans la métropole par des individus qui favorisent un nationalisme identitaire faible et exclusif, les institutions mcgilloises – son administration, son corps enseignant et sa communauté étudiante – n’auront d’autre choix que de se faire les fiers ambassadeurs de notre Université. Il sera de notre responsabilité de rappeler à l’ensemble de la société que McGill est un vecteur de progrès, basée à Montréal depuis plus de 200 ans, et qui s’anime par l’interaction des Québécois avec le reste du monde.

CE QUE TRUMP NOUS RÉSERVE
Bien qu’en théorie les primaires républicaines n’aient pas encore désigné de vainqueur, dans les faits, je suis certain que Donald Trump remportera aisément la nomination de son parti pour affronter Joe Biden en novembre. Ainsi, une fois de plus, nous aurons une joute opposant Biden à Trump. Encore une fois, nos voisins du Sud devront se prononcer sur le futur de leur nation en choisissant entre deux options diamétralement opposées : un second mandat modéré signé Biden, ou un second mandat Trump, qui sera définitivement plus radical et dangereux que le premier. 2020 et ses blessures marquent toujours l’imaginaire collectif américain. Peu importe l’issue de l’élection présidentielle américaine, celle-ci représente pour Trump son chant du cygne, sa dernière chance. Il fera donc tout en son pouvoir pour faire parler de lui, au plus grand damne d’une saine culture politique et démocratique à travers l’Occident. Ce que je crains, c’est qu’une fois de plus, une fois de trop, nous risquons d’entendre des absurdités mensongères et vicieuses émanant du président déchu. La tribune qui sera offerte à Trump nous impactera sans aucun doute. Elle rappellera à tous ceux qui ne sont pas de la même base radicale le cauchemar que fut son premier mandat. Nous verrons et entendrons partout cet aspirant président aux allures parfois fascistes – voire dictatoriales – dire toutes sortes d’atrocités sur les autres, tous ceux qui ne sont pas des siens. Il méprisera nos principes démocratiques longuement polis dans l’unique but de reconquérir la Maison Blanche.

REGAIN DE POPULARITÉ POUR JUSTIN TRUDEAU
Malgré les sondages qui placent le parti du premier ministre au second rang derrière les Conservateurs, je suis convaincu que Justin Trudeau et son équipe libérale seront en mesure de reprendre une avance sur Pierre Poilièvre. Dans son entrevue de fin d’année, on a vu un Justin Trudeau serein et combatif, le même Justin Trudeau qu’en 2015. Il donnait une assurance guerrière dans sa candeur habituelle. Il était prêt à admettre ses fautes de la dernière année, mais plus important encore, il cherchait à poser son regard sur le futur comme s’il savait qu’il n’en avait pas terminé. Ce genre d’attitude gagnante saura regagner le cœur des Canadiens. Il faut dire aussi que Pierre Poilièvre, le principal adversaire du Premier ministre, a eu une fin d’année plus que rocambolesque. Après avoir sauté aux conclusions en nommant une attaque terroriste ce qui n’était en réalité qu’un triste accident à la frontière canado-américaine, son image en a pris un coup. À force de faire des déclarations aussi absurdes, un doute commencera à naître dans l’esprit des Canadiens, car il n’en demeure pas moins que Poilièvre ne jouit pas de l’appui indéfectible de l’électorat canadien. Aux yeux de la population votante, il demeure un électron libre, et rares sont les fois où les Canadiens ont fait confiance à un homme de ce type. Dans ce contexte, il ne faut donc pas sous-estimer Justin Trudeau.

PAS DE COUPE STANLEY EN VUE
Comme tout bon Canadien je n’ai d’autre choix que de commenter l’état de santé de notre belle équipe montréalaise. Pronostic : pas bon, pas bon du tout. Je suis forcé de constater que ce n’est pas cette année que je sortirai ma chaise de camping sur Ste-Catherine pour y voir la parade de la victoire. Les Canadiens de Montréal risquent de continuer à être quelque chose de décevant. Meilleure chance la prochaine fois à nos chers Habs!

DE L’AMOUR
Je ne sais pas si c’est une prédiction ou un souhait, mais pour cette année 2024 je souhaite voir plus d’amour. Dans un monde en proie à l’extrémisme, dans un monde en guerre, dans un monde inégal et parfois injuste, j’espère qu’il y aura de la place pour trouver un peu d’amour parce que l’amour, ça ne règle pas tout, mais c’est déjà un bon début.

*Cet article écrit par un contributeur ne reflète pas les opinions politiques du Délit.

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La lutte du Front commun est-elle un combat féministe? https://www.delitfrancais.com/2024/01/10/la-lutte-du-front-commun-est-elle-un-combat-feministe/ Wed, 10 Jan 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=54050 Rôle des femmes dans le syndicalisme québécois.

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À l’occasion de la Journée internationale des droits de la femme, en mars dernier, des militantes du Front commun s’étaient déjà réunies devant le Secrétariat du Conseil du trésor afin d’exprimer leur mécontentement quant à l’offre initiale du gouvernement de François Legault. Celui-ci prévoyait alors une inflation de 16,6% sur cinq ans, mais n’offrait qu’une bonification salariale de 9% sur la même période. Ainsi, le Front commun, qui compte une majorité importante de femmes, a choisi de se battre contre l’appauvrissement inévitable qu’aurait impliqué l’acceptation d’une telle offre. En discutant avec des membres de ma famille durant le temps des Fêtes, qui travaillent eux·elles-mêmes dans le secteur public, j’ai eu cette même réalisation : les femmes non seulement recevaient un traitement moins favorable que les hommes, mais étaient spécifiquement les cibles d’une marginalisation consciente au sein de la fonction publique. Leur lutte m’est apparue comme un combat servant clairement la cause féministe, puisqu’il s’agit de militer contre l’appauvrissement des Québécoises, celles qui portent sur leurs dos la société québécoise.

Depuis novembre, le Front commun a ébranlé l’écosystème québécois, lorsque quelque 420 000 fonctionnaires du niveau provincial, regroupé·e·s au sein de quatre centrales syndicales majeures, ont décidé de faire la grève pour de meilleures conditions de travail. Si on compte la Fédération autonome de l’enseignement (FAE) et la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ), ce sont près de 575 000 travailleuses et travailleurs qui se sont mobilisé·e·s pour démontrer leur insatisfaction vis-à-vis le traitement que leur réserve la fonction publique.

« Sans enlever à la noblesse du combat et à son aspect universel, il est indéniable que les femmes sont au cœur même de cette lutte, et que le traitement que ces employé·e·s subissent est grandement lié au caractère systémique de la discrimination contre les femmes, encore aujourd’hui »

Parmi les grévistes, on note une majorité indéniable de femmes, représentant entre 80 et 85% des militants. Malgré tout, on continue de voir des commentateurs remettre en question la nature féministe du combat du Front commun. Mais est-ce que le nombre écrasant de femmes portant cette lutte permet en lui-même au Front commun de s’inscrire dans un plus grand mouvement féministe, ou est-ce simplement, comme plusieurs le suggèrent, un combat humain pour une plus grande dignité pour ces travailleur·euse·s? Sans enlever à la noblesse du combat et à son aspect universel, il est indéniable que les femmes sont au cœur même de cette lutte, et que le traitement que ces employé·e·s subissent est grandement lié au caractère systémique de la discrimination contre les femmes, encore aujourd’hui.

D’une part, l’argumentaire en faveur de l’aspect féministe de la lutte du Front commun est grandement soutenu par la propension des rôles revendicateurs à être occupés par des femmes. On pense notamment aux enseignantes et aux infirmières, deux corps d’emploi largement dominés par les femmes. Ceci étant dit, il y a plusieurs autres titres d’emploi plus méconnus, plus souvent occupés par des femmes, qui sont également en grève : les orthopédagogues, les psychologues, les techniciennes de laboratoire, les éducatrices spécialisées, les orthophonistes, et j’en passe. Ainsi, bien que des hommes occupent également ces rôles au sein de notre société, il est indéniable que ces emplois, au sein de la fonction publique spécifiquement, sont largement occupés par des femmes, et subissent une marginalisation économique cooptée par le gouvernement. En refusant de leur accorder des conditions de travail et de vie – favorables, le gouvernement met ces femmes en situation de précarité, et perpétue leur situation fragile en leur faisant des offres en deçà de l’inflation.

« Bien que tous·tes préféreraient croire que le Québec n’est plus sol fertile pour la discrimination genrée, celle-ci est profondément institutionalisée, et le sera probablement pour les années – voire décennies – à venir »

D’autre part, il n’est pas complètement erroné de mettre de l’avant l’idée que le Front commun se bat pour plus d’égalité entre les secteurs publics et privés québécois. Dans une certaine mesure, il est vrai que les hommes travaillant dans les réseaux de l’éducation, de la santé et de l’administration publique sont tout autant marginalisés économiquement que les femmes. Néanmoins, ce n’est pas pour autant que les femmes et les hommes recevront un traitement similaire dans leur milieu de travail. Bien que tous·tes préféreraient croire que le Québec n’est plus sol fertile pour la discrimination genrée, celle-ci est profondément institutionalisée, et le sera probablement pour les années – voire décennies – à venir. Si on se penche simplement sur la question de l’équité salariale au Canada, en date de 2021, les employées de genre féminin gagnaient encore en moyenne 11,1% de moins que les hommes, selon Statistique Canada. Bien que les salaires soient standardisés au sein de la fonction publique, il existe plusieurs autres formes de discrimination bien plus insidieuse qui peuvent avoir lieu dans de tels milieux de travail : on pense notamment à l’ascension vers les postes de direction ou encore à l’administration des tâches, parmi tant d’autres. On peut donc imaginer qu’il est plus difficile pour une femme de gravir les échelons du milieu professionnel, y compris dans la fonction publique.

Avancée féministe pour le Front commun

Cette semaine, le Front commun et le gouvernement ont confirmé avoir atteint une entente de principe, signifiant que les différentes instances du Front commun ont décidé de recommander l’adoption de cette entente à l’ensemble de leurs membres. Les membres pourront donc passer au vote afin de confirmer l’adoption de l’entente négociée, qui comprend une augmentation salariale de 17,4%, sur cinq ans, ainsi qu’une provision protégeant le pouvoir d’achat des travailleuses et travailleurs de la fonction publique, pouvant atteindre jusqu’à 1% pour chacune des trois dernières années de la convention collective. Ainsi, l’offre du gouvernement Legault est passée de 9% sur cinq ans à 17,4% sur cette même période, offre finale représentant un compromis de la part du gouvernement qui permettra de freiner l’appauvrissement de ses employé·e·s.

Il est à souligner qu’une telle offre représente une victoire tangible pour les femmes du secteur public. En effet, cette offre est considérée comme l’augmentation la plus importante sur la durée d’une convention collective depuis 1979. Il est donc crucial de reconnaître le rôle vital des femmes, qui s’est manifesté au cours des derniers mois dans les rues montréalaises et à travers tout le Québec, dans la lutte pour de meilleures conditions de travail pour des corps d’emploi, il faut le dire, dominés par les femmes.

Un pas pour la cause féministe

La mobilisation du Front commun au Québec pour de meilleures conditions de travail dans la fonction publique a dévoilé une dimension féministe au syndicalisme québécois. Face à une offre gouvernementale initialement insuffisante, les fonctionnaires concernées, en majorité des femmes, ont manifesté contre les offres dérisoires du gouvernement Legault. La mobilisation massive, comptant des centaines de milliers de travailleurs, aura su mettre en lumière la prédominance féminine parmi les grévistes. En refusant des conditions de travail justes à ses employé·e·s, le gouvernement Legault a jusqu’ici renforcé la précarité économique des femmes, certaines grevant sans fonds de grève, signifiant que plusieurs étaient sans salaire depuis déjà quelques semaines.

Toutefois, cette mobilisation a également mis en évidence la nécessité de promouvoir une plus grande égalité entre les secteurs public et privé, afin de freiner l’exode massif vers le privé que plusieurs milieux subissent. L’accord de principe conclu entre le Front commun et le gouvernement représente une victoire majeure pour les travailleuses et travailleurs du secteur public. Cette avancée, fruit d’une mobilisation exceptionnelle des femmes, marque une progression pour le féminisme québécois en reconnaissant et en luttant contre les discriminations structurelles persistantes dans le monde du travail. Cette lutte souligne l’importance de poursuivre les efforts pour l’égalité des genres et la reconnaissance du rôle crucial joué par les femmes dans tous les secteurs de la société québécoise, notamment au sein de la fonction publique.

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Résolutions et désillusions https://www.delitfrancais.com/2024/01/10/resolutions-et-desillusions/ Wed, 10 Jan 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=54060 Pourquoi les résolutions sont-elles dépassées?

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Le temps des fêtes est pour beaucoup un moment de joie, de retrouvailles, de temps passé avec la famille et les amis, qui marque le tournant vers une nouvelle année. Pour nous autres étudiants, qui terminons la période d’examen à cran, avec bien souvent des cauchemars de cette horloge numérique au stade intérieur Tomlinson, la fin d’année est synonyme de relâche, de soirées entre copains, mais aussi de préparation pour le nouveau semestre. Voilà qu’intervient une tradition qui revient chaque janvier : les résolutions de la nouvelle année. De nombreux étudiants voudront ainsi devenir une meilleure version d’eux-mêmes, en se convainquant qu’ils arriveront à décrocher de leur écran de téléphone et de consacrer plus de temps à leurs études, ou d’arrêter d’aller acheter trois cafés lattés par session de révision, finalement utilisant tout leur temps disponible à faire des allers-retours entre le Tim Hortons et la bibliothèque. Pourtant, ils s’apercevront bien souvent que leurs si chers engagements feront rapidement l’objet d’exceptions (parce que les lattés, quand même, c’est délicieux), et seront sitôt oubliés. Enterrées au cimetière des promesses que l’on se fait à soi-même et que l’on ne tient jamais, ces résolutions seront seulement dérangées par celles de l’année suivante.

Pourquoi les résolutions?

Sur le papier, les résolutions sont loin d’être négatives. Qu’y a‑t-il de malsain à vouloir changer nos mauvaises habitudes d’une année à l’autre? Désirer un plus grand bien-être, que cela soit pour soi ou pour les autres, est parfaitement louable. Cependant je fais preuve d’un grand scepticisme, voire pessimisme, quant aux résolutions de la nouvelle année. Même si elles sont une source de motivation intrinsèque, c’est-à-dire non imposée par les autres, cela ne veut pas dire qu’elles ne peuvent pas être une source de pression. Ainsi, quand cette motivation imposée par soi-même devient un fardeau à porter, il est plus difficile de s’en détacher, puisque nous sommes la seule cause possible d’un potentiel échec, et nous ne pouvons pas remettre la faute sur les autres. Les résolutions que nous nous imposons peuvent ainsi devenir relativement anxiogènes, et réveiller un paradoxe : alors que ces promesses étaient censées faire de nous des personnes meilleures, elles n’ont finalement fait que nous empoisonner, doucement et calmement, jusqu’au jour de l’abandon.

Pour celles et ceux qui croyaient vraiment en leurs résolutions (ce qui n’est plus mon cas depuis bien longtemps), l’échec peut alors susciter une haine intérieure : on se demande pourquoi c’est si dur, on a l’impression que les autres réussissent, et on finit par se mettre une pression encore plus intense pour l’année suivante. Bien évidemment, ce joli cocktail d’émotions toxiques est agrémenté d’un subtil soupçon de réseaux sociaux, qui nous rappelle constamment notre échec en nous montrant en permanence la réussite d’autrui. Une personne qui désirait perdre du poids – une résolution qui figure, d’ailleurs, parmi les plus populaires à chaque année – et qui n’aurait pas réussi à maintenir le rythme d’exercice hebdomadaire prescrit en début d’année, tombera à un moment ou à un autre sur une vidéo d’un ou une athlète, au corps qui correspond aux standards de beauté, montrant sa routine fitness parfaite, où tout semble si facile.

« Une sorte de discours de radicalité accompagne toujours les nouvelles années, puisque tout le monde fait des résolutions, ces dernières ont tendance à être radicales, et ainsi des plus irréalistes »

Comprendre l’échec : une histoire d’équilibre

Comme je l’ai dit plus haut, les résolutions ne sont pas intrinsèquement mauvaises. Elles sont un symbole d’espoir et de renouveau important. Je pense cependant que ce fameux symbolisme qui les accompagne, toute cette rhétorique du « nouvelle année, nouveau moi », rendent les résolutions peu réalistes à long terme. Une sorte de discours de radicalité accompagne toujours les nouvelles années, puisque tout le monde fait des résolutions, ces dernières ont tendance à être radicales, et ainsi des plus irréalistes. En effet, je pense que les résolutions de nouvelle année, dans leur format actuel, encouragent relativement peu la vraie réussite.

Reprenons l’exemple de la personne qui veut perdre du poids. Lors d’un dîner avec des amis, elle apprend que certains d’entre eux se donnent l’objectif d’aller à la salle de sport cinq fois par semaine. Prise dans l’engouement du moment, elle se dit qu’elle va les suivre, bien qu’elle ne soit jamais allée dans un tel lieu, et ne fasse pas d’exercice physique régulièrement. Aussi motivée qu’elle puisse l’être, un tel défi s’avérera probablement très difficile à réaliser. Même si elle arrive à tenir le rythme quelques semaines, y arriver durant une année complète n’est pas la même chose. Par ailleurs, elle risque même d’être dégoûtée de la salle de sport, puisqu’elle va l’associer à des moments difficiles, tout simplement parce qu’elle n’a pas commencé avec un rythme adapté. Tout est dans l’équilibre : il est important de faire du sport, certes, mais est-ce qu’il est nécessaire d’adopter les habitudes d’un athlète du jour au lendemain? J’estime que les résolutions de nouvelle année favorisent cette radicalité qui entraîne bien souvent le découragement. Il est important d’aborder de nouveaux défis pas à pas, et d’apprécier sa courbe de progression, voir l’objectif se dessiner peu à peu avec le temps.

« Notre société est aujourd’hui trop axée vers la performance, l’efficacité et le résultat immédiat. Et si nos envies de changement ne suivaient pas ces schémas anxiogènes, qui misent tout sur la productivité? »

Notre société est aujourd’hui trop axée vers la performance, l’efficacité et le résultat immédiat. Et si nos envies de changement ne suivaient pas ces schémas anxiogènes, qui misent tout sur la productivité? Et si, au lieu d’attendre la nouvelle année pour se donner des objectifs concrets, comme arrêter de fumer, ou passer plus de temps à réviser, nous nous concentrions sur les choses simples? Parfois même, la nouvelle année devient une excuse : si quelqu’un constate qu’il devrait arrêter de fumer en juin, il peut se dire qu’attendre à la nouvelle année pour le faire sera plus symbolique. Cependant, je trouve qu’il est déraisonnable d’attendre le prochain 1er janvier pour entreprendre les changements qui sont réellement nécessaires. Des prises de conscience immédiates doivent être suivies d’actions immédiates – et non radicales, ne vous y méprenez pas. Je pense que la page qui s’ouvre avec la nouvelle année doit être celle qui nous permet de nous concentrer sur des valeurs plus abstraites, que l’on perd bien souvent de vue au cœur d’une société moderne. L’amour vrai, l’appréciation des choses simples, des petites attentions, la reconnexion avec la réalité, le véritable bien-être et non le bien-être induit par la performance : en somme, de quoi se rappeler que la vie est belle.

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Censure : Quand les portes se ferment sur Gaza https://www.delitfrancais.com/2023/11/29/censure-quand-les-portes-se-ferment-sur-gaza/ Wed, 29 Nov 2023 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=53802 La lutte pour la voix palestinienne dans les médias québécois.

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Des portes closes, voilà ce qui nous attendait, mon ami et moi, lundi le 6 novembre dernier, alors que nous devions assister à la projection de trois documentaires de la réalisatrice Jocelyne Saab dans le cadre d’une levée de fond en vue de venir en aide au peuple de Gaza, organisée par le collectif Regards Palestiniens. À notre grand désarroi, le conseil d’administration et la direction générale de la Corporation du Cinéma du Parc ont décidé d’annuler l’événement « compte tenu des malaises suscités par rapport à [sa] teneur politique », comme l’indiquait l’affiche qui annonçait son annulation. Nous avons appris plus tard dans la soirée qu’une pétition avait été signée contre la tenue de l’événement, notamment dû au titre de la levée de fond, « Du fleuve à la mer », phrase qui aurait des sous-entendus génocidaires à l’égard du peuple israélien.

Heureusement, les organisateurs ont été assez généreux et patients pour, en contrepartie, offrir une soirée de «teach in », tenue devant les portes closes du Cinéma du Parc. Lors de cette occasion, ils ont répondu à des questions par rapport à la situation actuelle, tout en nous éclairant sur les motifs invoqués pour justifier la décision injustifiable du comité du cinéma. Bien que cet événement improvisé fût informatif, il m’a aussi permis de réaliser l’omniprésence de la censure et de la fausse représentation que reçoivent les Gazaouis et les activistes défenseurs des droits humains palestiniens.

« À la vue du nombre grandissant de personnes faisant un appel à la paix, il est important de reconnaître que la paix ne devrait pas être une façon détournée de condamner les Palestiniens au silence, une fois de plus.»

Un baccalauréat en communications n’est pas nécessaire pour concevoir que la Palestine et l’Israël ont été représentés de manière bien différente depuis le 7 octobre, jour des attaques perpétrées par le Hamas sur Israël. Samar Saheed écrit notamment sur le site d’information The New Arab, que plusieurs médias occidentaux refusent de considérer la nature anticoloniale et résistante des évènements du 7 octobre, et au contraire, s’en limitent à sa nature terroriste, enlevant une immense nuance au conflit. De plus, il y a également un bais dans les mots que les reportages utilisent. Par exemple, les Israéliens « sont tués », tandis que les Palestiniens « sont morts », tel que le démontre un article de la BBC. Toutefois, il est évident que les plus de 14 500 Gazaouis décédés depuis les ripostes criminelles des forces armées israéliennes ne sont pas morts de causes naturelles. Alors comment expliquer un tel écart dans la représentation médiatique en Occident entre Gazaouis et Palestiniens?

Je me considère assez privilégiée d’être entourée d’un cercle d’amis et de connaissances qui ne se laissent pas influencer par les biais véhiculés par plusieurs des médias occidentaux au sujet des événements actuels. J’ai donc la chance de pouvoir obtenir une quantité importante d’informations provenant de sources primaires, comme des vidéos prises par des citoyens et des témoignages en temps réel, qui ne sont pas filtrés par les journaux et bulletins télévisés de l’Occident. Comme Isräel n’autorise pas l’entrée de journalistes internationaux sur le territoire de Gaza, il est crucial d’orienter ses recherches sur les événements actuels vers les journalistes palestiniens, qui sont sur le terrain et qui montrent des images que plusieurs médias externes ne peuvent pas fournir. Je reconnais que plusieurs n’ont pas ma chance : il est alors nécessaire de reconnaître l’impact considérable que la représentation biaisée des Palestiniens peut avoir sur une grande partie de la population, qui voit déjà trop souvent sa perception du monde arabe négativement influencée depuis les événements du 11 septembre 2001.

Non seulement, plusieurs médias imposent une subjectivité dans leur représentation de l’actualité du Moyen-Orient, mais il me semble également qu’ils omettent la représentation des activistes palestiniens et leurs alliés. Depuis le 7 octobre, plusieurs manifestations appelant au cessez-le-feu ont eu lieu dans les rues montréalaises, certaines réunissant même jusqu’à 50 000 manifestants. Il aura fallu la présence de l’imam controversé Adil Charkaoui lors du rallye du 28 octobre, pour que ces rassemblements se voient accorder une once de représentation dans la presse québécoise, affaiblissant ainsi la voix d’une population qui marche en faveur de tous les principes qui sont supposés être au coeur même de notre démocratie : les droits humains, la paix et les libertés civiles et individuelles.

Ayant participé à plusieurs de ces manifestations, j’ai pu observer que celles auxquelles j’ai eu la chance d’assister s’étaient déroulées de manière très pacifiste, et dans un respect sans équivoque de la communauté juive. À noter que l’organisation des Voix Juives Indépendantes de Montréal est un acteur très important dans ces rassemblements et que presque à chaque fois, l’un de leurs représentants a été invité à prendre le micro. Néanmoins, ces aspects des rassemblements appelant au respect des lois internationales et des droits humains sont absents de la plupart de nos médias, puisque Adil Charkaoui, aux yeux du Journal de Montréal, du Journal de Québec ou encore de La Presse, s’avère plus intéressant qu’un appel à la paix.

« Toutefois, il est évident que les plus de 14 500 Gazaouis décédés depuis les ripostes criminelles des forces armées israéliennes ne sont pas morts de causes naturelles »

Hélas, McGill n’est pas à l’abri de cette représentation biaisée des activistes des droits humains. Depuis le 7 octobre, nombreux sont les courriels de l’administration qui appellent à des dialogues respectueux et civils, ainsi qu’à la compassion envers les communautés affectées par la situation actuelle. Certes, ces courriels offrent leur support total aux étudiants juifs de McGill, mais ils sont, selon moi, tout sauf empathiques envers la communauté palestinienne de notre université ; celle-ci, en plus d’être endeuillée, doit justifier son soutien à la libération d’un peuple opprimé à l’administration de son université, qui prétend se positionner en faveur de la décolonisation au Canada, sans pour autant reconnaître les similarités avec le vécu du peuple palestinien. Bien que les messages demandent le respect des deux communautés sans qu’il n’y ait un parti pris explicite, le simple fait que l’administration ne cesse de mettre des bâtons dans les roues des étudiants palestiniens, qui doivent passer à travers une série de troubles administratifs, en plus d’être en deuil, démontre un grand manque d’empathie. Les mots et les actions ne se suivent pas toujours, et ici, on peut voir que les appels à l’empathie et au respect sont souvent synonyme d’un appel au silence des activistes palestiniens.

Il y a deux semaines, le principal Deep Saini a envoyé un courriel condamnant le rassemblement prévu le jeudi 9 novembre, informant que des mesures de sécurité supplémentaires allaient être mises en place si l’événement avait toujours lieu. Ce rassemblement demandait à l’Université McGill de couper ses liens avec toute entité qui lui permet de bénéficier de l’oppression des Palestiniens, notamment par l’investissement dans des compagnies qui profitent de l’occupation, comme les compagnies Safran et Lockheed Martin, qui fournissent des armes à l’armée israélienne. Le motif de ce renforcement de sécurité à la manifestation était la présence d’affiches sur les réseaux sociaux, qui montraient des manifestants en train de briser des fenêtres, image qui faisait soi-disant allusion à la destruction de propriété durant la Kristallnacht, une soirée d’attaques du régime nazi en 1938 pendant laquelle plusieurs synagogues et magasins juifs ont été vandalisés. Toutefois, il a plus tard été révélé sur la page Instagram de Independent Jewish Voices McGill que cette même photo était tirée du documentaire Discordia, qui suit les manifestations d’étudiants de Concordia contre la visite du premier ministre d’Israël Benjamin Netanyahu sur le campus en 2002. Ainsi, la réappropriation d’un moment traumatisant de l’histoire juive dans le but de dissuader les étudiants de McGill de se rassembler est une atteinte directe au droit des élèves de manifester, tout en étant une représentation hautement déformée des actions du corps étudiant et des associations ayant participé à l’organisation de cet événement.

Je reconnais entièrement qu’il est impossible pour moi de comprendre la douleur de la communauté juive québécoise et internationale et je ne supporte aucun des actes antisémites qui ont été commis dans les dernières semaines. Toutefois, trop souvent cette douleur a été utilisée comme arme contre la liberté du peuple palestinien et de ses alliés d’exprimer leur désir pour la libération. Le soutien pour la communauté juive ne devrait pas venir au détriment du soutien des Palestiniens, qui souffrent depuis plus de 70 ans. À la vue du nombre grandissant de personnes faisant un appel à la paix, il est important de reconnaître que la paix ne devrait pas être une façon détournée de condamner les Palestiniens au silence, une fois de plus.

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