Archives des Théâtre - Le Délit https://www.delitfrancais.com/category/artsculture/theatre/ Le seul journal francophone de l'Université McGill Wed, 02 Apr 2025 03:13:15 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.8.1 À la recherche d’une mémoire fracturée https://www.delitfrancais.com/2025/04/02/a-la-recherche-dune-memoire-fracturee/ Wed, 02 Apr 2025 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=58071 Une critique de La femme de nulle part.

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B ambino de Dalida résonne dans les quatre murs de la salle. Les écouteurs vissés dans les oreilles, des lunettes de soleil pour se dissimuler au monde, Nora danse. Une danse d’abandon, une danse qui lui permet d’oublier ce gouffre qu’elle ne parvient pas à combler.

La femme de nulle part, mise en scène par Anna Sanchez, explore l’histoire d’une famille oubliée. Nora, personnage principal, découvre une photo de sa grand-mère prise à Oran, en Algérie, mais, faute d’explications de la part de son père, elle décide de partir à la recherche de cette mémoire inachevée.

Une ignorance révolue

Étant Algérienne, cette pièce m’a laissée mitigée, un peu perdue entre ce dont je me sens proche et la perplexité qui m’envahit. Souvent, en tant qu’enfants d’immigrants, notre histoire subit une fracture qui nous écarte dans une ignorance douloureuse. Nous vivons dans une mélancolie, portant le poids d’une histoire que l’on ne connaît pas vraiment. Pour Nora, interprétée par Théa Paradis, cette mystérieuse photo semble être la clé de cette tristesse. Une image prise à Oran, durant l’ère coloniale en Algérie, où sa grand-mère se tient côte à côte avec une jeune femme algérienne, Lina. Après cette découverte, Nora se lance dans une recherche effervescente sur cette époque troublante.

Entre les manifestations dénonçant la mort de Nahel Merzouk au mains d’un policier français en 2023 et les archives de la guerre d’indépendance, Nora se sent déchirée ; coupable et révoltée d’être descendante d’une personne qualifiée de « pieds-noirs », terme désignant les populations d’origine européenne installées en Algérie durant la période coloniale française. La pièce s’efforce de mettre en lumière et, d’une certaine manière, de dénoncer le racisme et le colonialisme français. Je trouve cependant que cette dénonciation demeure limitée par le fait que l’histoire est racontée du point de vue d’une personne issue des pieds-noirs.

Mon attachement personnel à la guerre d’Algérie limite peut-être mon empathie envers cette grand-mère pieds-noirs. Pourtant, contrairement à mes parents, je comprends le sentiment d’arrachement que plusieurs pieds-noirs déplorent. Comme eux, je suis attachée à une Algérie composée de souvenirs évanescents et de personnes disparues. Au-delà de la déchirante séparation entre la grand-mère et son amie Lina, il n’en demeure pas moins que les pieds-noirs ont grandi en Algérie avec une vision trompeuse de la réalité. Cette vie en sol algérien ne leur appartenait pas, ni ses belles maisons, ni la nourriture dans leurs assiettes, et surtout pas ce pays.

Une tristesse inconnue

Cette quête débute par une tristesse que Nora peine à comprendre. Elle ressent un vide, un manque plus profond que celui que laisserait l’absence d’un parent. Cette mélancolie persistante ronge Nora et, après son départ spontané pour Paris, ne fait que croître, alimentée par l’incompréhension et le vide qui l’habitent.

Ce vide, beaucoup le connaissent bien : celui de l’identité, de l’histoire oubliée. Cette quête pour savoir d’où l’on vient, je la comprends également. La douleur de Nora dans sa recherche est incarnée avec une intensité poignante. À travers ses monologues emplis de questionnements et ses gestes souvent déséquilibrés, Nora se blottit dans des tissus qui l’enveloppent, comme une tentative fragile de se protéger du monde extérieur. La pièce transmet ainsi cette tristesse profonde, tout en la soulignant d’un subtil sous-ton d’humour. Ces interludes comiques sont stratégiquement placés, permettant de mettre en lumière l’absurdité de certaines situations, mais surtout l’inexprimable tristesse qui les habite.

Une fin en Istikhbar*

Malgré mes divergences avec le point de vue narratif de cette pièce, la composition musicale, les accessoires simplistes et des dialogues empreints de force parviennent magnifiquement à transmettre cette émotion de mélancolie face à l’inconnu. Un sentiment qui s’ancre profondément dans l’estomac, une sensation à la fois douloureuse et douce. Cette histoire de découverte est belle dans son interprétation, oscillant entre hauts et bas. À la manière du chaâbi, une musique traditionnelle algéroise, la pièce se construit progressivement, accélérant jusqu’à une fin qui marque en réalité un nouveau commencement. Le début d’une Nora un peu moins perdue, une jeune femme qui commence à comprendre d’où elle vient.

*L’introduction musicale d’une chanson chaâbi, qui peut durer de quelques minutes à plusieurs heures.

La pièce La femme de nulle part est présentée jusqu’au 12 avril au Théâtre Denise-Pelletier.

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Vierge : une adolescence à l’envers de la foi https://www.delitfrancais.com/2025/02/26/vierge-une-adolescence-a-lenvers-de-la-foi/ Wed, 26 Feb 2025 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=57677 Une jeunesse qui choisit sur quoi faire une croix.

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Touchées par ce portrait fidèle d’une jeunesse noire réunie dans des sous-sols d’église éclairés aux dalles DEL d’un blanc quasi hospitalier, mon amie et moi sommes assises l’une à côté de l’autre dans l’auditoire. Une première pour nous deux : ce témoignage du beau et du laid coexistant dans ces lieux de communauté, sacrés à plus d’un égard. Ode à ces réalités incomprises, Vierge est authentique, candide, mais avant tout nécessaire.

Produite par le Black Theatre Workshop et la Great Canadian Theatre Company, cette œuvre de Rachel Mutombo met en scène la rencontre de quatre adolescentes congolaises qui se réunissent hebdomadairement pour une étude biblique. Or, leurs apprentissages débordent rapidement du texte religieux, alors que se tisse, entre embarras de l’inexpérience et désirs d’appartenance, une amitié. Avec une naïveté enfantine, ces personnages féminins naviguent à travers leurs défis personnels, une prière à la fois.

« Ode à ces réalités incomprises, Vierge est authentique, candide, mais avant tout nécessaire »

Divine, interprétée par Espoir Segbeaya, apparaît la première sur scène, rayonnante de toute cette candeur propre à une jeune fille de 16 ans, plaçant table et chaises avec fébrilité. Cet enthousiasme est vite terni par l’entrée de Grace (Seeara Lindsay) et de Sarah (Joy Mwandemange), demi-sœurs vêtues respectivement des couleurs orange et mauve, qui, comme elles, s’opposent mais se complètent. Un échange gênant s’ensuit, ponctué des rires de l’auditoire, et s’interrompt finalement par l’entrée de Bien Aimé (Symantha Stewart), qui s’auto-désigne médiatrice. C’est au fil de cette dynamique tendue que les quatre personnages apprennent à s’apprécier, au meilleur de leurs capacités. Investi dans le devenir de ce petit groupe, le public tente de déchiffrer les non-dits de leurs conversations, alors que le poids de ces fameux songi-songi (rumeurs) pèse lourd. Notre immersion dans cette intrigue est facilitée par le travail de Zoe Roux à la conception du décor et de l’éclairage. Aux moments charnières, le portrait de Jésus et les longs vitraux placés en hauteur s’illuminent, lueurs d’espoir dans l’obscurité de cette salle pédagogique. L’éclairage se tamise, se concentre sur un personnage ou s’intensifie, marquant les changements de ton. Or, par moments, le jeu des acteurs peine à traduire ces variations d’ambiance : je pense notamment à une scène marquée par un éclairage glacial, austère, de style « salle d’interrogatoire » sans variation conséquente dans l’attitude des personnages.

Les symboles catholiques traversent la pièce, certains plus évidents que d’autres. Le choix des noms, des vêtements et du livre biblique à l’étude, tous porteurs de sens, racontent d’eux-mêmes une histoire sous-jacente. Lors d’interludes musicaux, l’orgue, instrument religieux par excellence, se fond dans une rythmique africaine dansante, représentation du tableau culturel que composent les jeunes filles. Les actrices embrassent leurs rôles avec aisance. Leur jeu est dynamique, et leurs personnages aux éthos distincts interagissent avec humour et tact. Cependant, notre attention se gagne et se perd au fil des échanges, alors que les voix peinent parfois à se projeter et qu’un emboîtement des paroles, dans la frénésie d’une dispute, limite la compréhension de l’auditoire.

Malgré ces bémols, cette pièce a été pour moi un réel coup de cœur. En plus d’être à la fois amusante et émouvante, Vierge était, et je l’ai ressenti, une œuvre sincère. Mon amie et moi avons vu sur cette scène nos souvenirs joués de style grandeur nature dans ces personnages nous rappelant nos cousin·e·s. Et alors qu’au début de la pièce, une voix hors champ nous rappelait les horreurs se déroulant présentement en République démocratique du Congo, j’ai repensé à l’importance de pièces de théâtre montrant au grand public québécois le portrait de communautés que trop peu représentées.

La pièce Vierge est présentée jusqu’au 2 mars au Centre Segal des arts de la scène. Des billets sont en vente sur le site segalcentre.org.

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Une femme en tête https://www.delitfrancais.com/2025/02/20/une-femme-en-tete/ Thu, 20 Feb 2025 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=57539 Critique de la pièce Sa dernière femme.

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Sa dernière femme, écrite par l’autrice canadienne Kate Henning et traduite par Maryse Warda, modernise le récit du personnage historique de Kate Parr, sixième épouse de Henri VIII, qui a changé le cours de l’histoire des femmes en se battant pour permettre aux héritières du roi britannique d’accéder au trône. Elle raconte son ascension au pouvoir et ses désirs de réformes, en plus d’explorer le thème universel de l’amour. Cette pièce féministe nous accompagne pendant 2h30 de tension et de retournements.

Sa dernière femme met en lumière le parcours des femmes dans l’histoire et met de l’avant un discours féministe souvent ignoré. On y voit des personnages féminins forts, qui doivent travailler à l’intérieur d’un système qui les rejette, et toutes les tensions et contradictions qui accompagnent ce processus. Kate Parr et les filles de Henri VIII doivent renoncer à des valeurs qui leur sont chères et une part de leur intégrité afin de favoriser leur accession au trône. Elles se perdent parfois dans le jeu dangereux du pouvoir et doivent participer à leur propre oppression dans le but d’arriver à leurs fins. Mais la fin justifie-t-elle les moyens?

Les personnages mis en scène par Eda Holmes sont complexes et bien travaillés ; le roi Henri VIII, que l’on souhaiterait détester à tout prix, révèle un côté parfois humain et vulnérable, ce qui ajoute une dimension plus profonde à son personnage. Les moments d’intimité entre le roi et sa femme sont touchants et donnent l’impression au spectateur d’être seul dans la chambre avec le couple, avec un éclairage focalisé sur leur lit placé au centre de la scène. L’aspect intime de cette disposition détonne avec l’arrière-plan gris à l’allure de béton, ce qui crée une impression de « cellule spatiale » ; il n’y a que la chambre qui existe. Les comédiens portent bien leur rôle : Marie-Pier Labrecque endosse celui de Kate Parr avec habileté et mène la pièce de façon impressionnante. L’interprète d’Henri VIII, Henri Chassé, lui renvoie la réplique avec autant d’assurance. Il n’y a pas de temps mort dans le jeu des acteurs ; les personnages prennent vie devant nos yeux. La pièce prend le pari de la modernité : les costumes contemporains et le décor à l’allure industrielle, ainsi que le registre actuel des répliques contribuent à la réactualisation du sujet.

Toutefois, il s’agit d’un pari plus ou moins réussi. La modernisation du texte contraste avec le récit et les dialogues, ce qui peut parfois nous faire décrocher de la pièce. Si à d’autres moments, elle nous en rapproche, en rendant l’intrigue et les références historiques plus accessibles, certains aspects historiques liés à la monarchie et à la bureaucratie royale britannique du 16e siècle complexifient inutilement l’histoire, la rendant moins accessible au grand public. De plus, ils contribuent à allonger la durée du spectacle, qui, rappelons-le, s’étend sur 2h30 avec un entracte de seulement quinze minutes.

Malgré tout, l’hommage à Kate Parr demeure réussi. Dans le contexte social et politique actuel, où certains dirigeants portent des propos dégradants sur les femmes de façon publique, il est d’autant plus pertinent de monter ce genre de pièce, qui nous rappelle que les femmes ont toujours joué un rôle actif dans l’histoire et que leurs voix ne seront pas effacées.

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Un pari audacieux, relevé avec brio https://www.delitfrancais.com/2025/02/20/un-pari-audacieux-releve-avec-brio/ Thu, 20 Feb 2025 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=57542 Six Characters in Search of an Author au Tuesday Night Cafe Theatre.

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Une mise en scène audacieuse, une troupe investie et un spectacle qui ne laisse pas indifférent·e : la toute première mise en scène de Solène Chevalier est une réussite. Plus qu’une pièce de théâtre, il s’agissait d’un véritable « passion project » pour la metteuse en scène.

Six characters in Search of an Author (Six Personnages en quête d’auteur) met en scène une troupe de théâtre en pleine répétition, interrompue par l’arrivée de six personnages inachevés, qui cherchent un auteur pour donner vie à leur drame. Le metteur en scène et ses acteur·rice·s, d’abord sceptiques, se retrouvent entraînés dans cette confrontation troublante entre fiction et réalité, où les frontières du théâtre vacillent.

Malgré la tempête qui faisait rage ce soir-là, le public était au rendez-vous pour assister à la création du Tuesday Night Café Theatre, troupe affiliée au département d’anglais de l’Université McGill. Voilà une belle preuve du succès de cette adaptation. L’esprit de camaraderie de la troupe y est sans doute pour beaucoup. Selon Solène, c’est d’ailleurs ce qui en fait la force. Dans les coulisses ou sur scène, cette chimie d’équipe transparaît. Les derniers préparatifs avant la représentation se font dans le rire et la bonne humeur, au gré des jeux d’improvisation et des exercices vocaux loufoques.

« Une mise en scène audacieuse, une troupe investie et un spectacle qui ne laisse pas indifférent·e : la toute première mise en scène de Solène Chevalier est une réussite »

Il faut dire que mettre en scène Six Characters in Search of an Author représentait un véritable défi. Lorsque Solène a soumis sa candidature au Tuesday Night Café Theatre, elle ne mesurait pas encore l’ampleur de la complexité du texte : sa structure non conventionnelle, marquée par des ruptures et un langage riche en double sens, rendait la mise en scène particulièrement exigeante.

Les monologues sont nombreux, parfois interminables, mais ils captivent grâce à une diction impeccable et à des interprétations solides. La Belle-fille (Leah) et le Père (Nikhil), qui ont les rôles les plus denses, s’imposent naturellement par la puissance de leur jeu. Malgré une répartition inégale du texte, chaque comédien·ne parvient à se démarquer. La Mère (Annabel) bouleverse par ses cris poignants et son regard larmoyant, tandis que le Fils (Hugo) captive par une colère contenue qui menace d’exploser à tout instant. Le rôle silencieux de l’Enfant, interprété par Édouard James, est une autre belle surprise. Sans prononcer un mot, le jeune comédien parvient à transmettre une gamme d’émotions saisissantes uniquement par le regard et les expressions du visage.

L’exploitation de l’espace scénique est particulièrement réussie : les acteur·rice·s ne se contentent pas du plateau, ils·elles débordent dans la salle, interagissent avec le public, font leur entrée par la même porte que les spectateur·rice·s. Cette forme de théâtre interactif se prolonge dans une mise en abyme orchestrée par le personnage du Metteur en scène (Mazdak). Accompagné de deux acteur·rice·s professionnel·le·s (Nicholas et Kyle), il s’évertue à reproduire le récit tragique des membres de cette étrange famille. Ce trio d’artistes insuffle une légèreté bienvenue grâce à un timing comique parfaitement maîtrisé, qui se double d’une réflexion sur la nature du théâtre.

Au-delà de son aspect métathéâtral, la complexité de la pièce relève de thèmes plus sombres, parmi lesquels la prostitution et le suicide. Si ceux-ci sont dévoilés dès le lever du rideau en guise de traumavertissements, leur traitement sur scène en est tout autre. Plutôt que de les exposer frontalement, la mise en scène les suggère habilement : un projecteur rouge qui isole la Belle-fille et le Père suffit à faire planer une menace palpable. De même, les trois coups de cloche en hommage aux trois coups de bâton classiques du théâtre marquent l’entrée dans cet univers troublant ; un clin d’œil au dénouement de la pièce, qui (alerte, divulgâcheur) se solde par un suicide, mais aussi une allusion à la Comédie Française – une institution que Solène apprécie particulièrement – qui souligne le début de chaque acte par le son de clochettes.

Malgré les nombreuses coupures effectuées, la pièce conserve toute sa puissance dramatique, à laquelle s’ajoute une série de scènes comiques : le jeu volontairement exagéré de Nicholas et Kyle, qui ironise sur le flair théâtral du Père et de sa Belle-fille, une série d’allusions pince-sans-rire aux monologues incessants du Père… Tous des moments qui sèment le rire parmi l’assemblée et qui contrebalancent le drame de la pièce.

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AUTS : une production digne de Broadway https://www.delitfrancais.com/2025/02/05/auts-une-production-digne-de-broadway/ Wed, 05 Feb 2025 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=57337 Company sur scène au Théâtre Plaza.

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Si, comme moi, vous ignoriez l’existence de la Arts Undergraduate Theater Society (AUTS), l’engouement autour de leur plus récente production, Company, une comédie musicale signée Stephen Sondheim, aura tôt fait de vous captiver. Une équipe de 40 étudiant·e·s, dont 14 interprètes, un orchestre en direct et des répétitions acharnées depuis le mois d’octobre garantissaient d’emblée le succès de l’entreprise. Plus de 200 billets vendus lors de la première représentation et une salle pleine à craquer lors des suivantes ; le charme du Théâtre Plaza, hôte de la production, laissait présager le professionnalisme de la troupe. Avant le spectacle, j’ai eu la chance de m’entretenir avec Anna Brosowsky, la metteuse en scène, ainsi que deux comédien·ne·s de la troupe, Henry Kemeny-Wodlinger, dans le rôle de Larry, et Kaya Edwards, dans celui de Jenny.

Pour Anna Brosowsky et Sam Snyders, chargés de la mise en scène, le choix de la comédie musicale Company s’est imposé comme une évidence : leur amour commun pour la pièce et les thèmes intemporels de celle-ci en faisaient une pièce idéale pour AUTS. « Les metteurs en scène adorent cette comédie musicale », me mentionne Kaya. « C’est leur préférée, alors [cet amour pour la pièce, ndlr] transparaît dans leur direction. Ils ont confiance en ce spectacle, et en nous : c’est motivant. Nous sommes chanceux de les avoir. » Henry renchérit : « Nous sommes très chanceux. Tout le monde veut être là […] et tout le monde a trouvé sa place dans cette troupe. »

Henry et Kaya soulignent aussi le défi que représentent les compositions de Stephen Sondheim, « l’un des compositeurs de théâtre musical [dont la musique, ndlr] constitue presque un genre en soi. Adapter Sondheim, ce n’est pas seulement difficile en ce qui a trait au drame, mais aussi à la musique. Il sait vraiment ce qu’il fait », m’explique Kaya.

En effet, la singularité des pièces de Sondheim surprend par son niveau de sophistication élevé, qui combine des harmonies et modulations complexes. Dans le cas de Company, il s’agit également d’une déconstruction du théâtre plus traditionnel. La comédie musicale met donc en scène le 35e anniversaire de Robert, affectueusement surnommé Bobby, le dernier célibataire de la bande. Plutôt que de privilégier un fil narratif linéaire, Sondheim propose une structure fragmentée, divisée en plusieurs saynètes, où Robert dîne en compagnie de différents couples, posant un regard sur leurs réalités respectives. Un « théâtre conceptuel » propre à Sondheim.

« Le fait que l’on puisse faire un spectacle de cette envergure, en étant tous des étudiant·e·s, c’est réellement un tour de force »

Le numéro d’ouverture instaure immédiatement le ton de la pièce : nous avons ici affaire à des passionné·e·s, et cette passion transparaît sur scène. Le professionnalisme de la troupe crève les yeux – les répétitions depuis le mois d’octobre et le talent indéniable des interprètes donnent lieu à un spectacle à couper le souffle. Après chaque numéro, les applaudissements semblent gonfler davantage. Au terme de chaque solo, mon admiration pour ces étudiant·e·s et leur indéniable talent grandit. Il faut dire que les réactions positives de la foule semblent nourrir l’interprétation : d’un numéro à l’autre, l’énergie semble se décupler, la puissance de la voix retentit plus fort, le jeu devient plus naturel, plus comique. On pourrait presque croire que les comédien·ne·s tentent de se surpasser l’un·e l’autre.

Ainsi, tour à tour, Marta (Jessica O’Gorman), Joanne (Irene Newman Jiminez) et Robert (Frank Willer) peuvent étaler l’ampleur de leurs prouesses vocales. Si la plupart des étudiant·e·s de la troupe n’étudient pas le théâtre, Henry et Kaya évoquent un amour collectif pour l’art de la scène. Plusieurs membres de la troupe ont de l’expérience en la matière ; Henry s’est d’ailleurs impliqué au sein d’autres clubs similaires à McGill. Avec Company, il s’implique pour une première fois dans une comédie musicale. Son expérience lui a décidément été bénéfique ; il incarne Larry, un homme dans la mi-trentaine, marié à Joanne, qui en est à sa troisième union. Bien que Joanne ne se laisse pas marcher sur les pieds et semble parfois intransigeante avec son mari, la saynète qui les met en vedette – toujours en compagnie du fameux Bobby – s’avère sans doute l’un des numéros les plus remarquables du spectacle : le synchronisme comique de Larry, combiné à la puissante voix de Joanne, achève de marquer les esprits. La performance d’Irene épate la foule et iel récolte sans doute les applaudissements les plus nourris de la soirée, dans une interprétation époustouflante de « The Ladies Who Lunch ».

Lorsque je l’interroge sur les spécificités d’AUTS par opposition à d’autres troupes de théâtre à McGill, Henry cite d’abord la quantité d’étudiant·e·s impliqué·e·s dans la production : « Il y a beaucoup de gens qui travaillent là-dessus. C’est presque professionnel, du moment qu’on a un bon ensemble et un bon duo de metteur·euse·s en scène – et c’est le cas cette année. […] Il y a beaucoup de temps consacré à la préparation de ce spectacle, et beaucoup de gens derrière sa réussite. » Kaya abonde dans ce sens : « C’est tellement un projet d’équipe. […] Tout le monde a de l’expérience en théâtre, mais ce n’est le métier de personne [à proprement parler, ndlr]. Le fait que l’on puisse faire un spectacle de cette envergure, en étant tous·tes des étudiant·e·s, […] c’est réellement un tour de force. »

En effet, aux metteur·euse·s en scène et aux 14 interprètes s’ajoutent une trentaine de technicien·ne·s et un orchestre, dirigé par le prodigieux Jeremy Green, dont l’assurance, du haut de ses 17 ans, attirait les regards vers les coulisses de la scène. Seule critique à cet égard, la musique parfois trop forte enterrait les voix des interprètes lors des passages de dialogues chantés. Ainsi, depuis mon siège, je peinais à entendre les mots de « Getting Married Today », où le personnage d’Amy, interprété par Miranda De Luca, éprouve une série de doutes face à son mariage imminent avec Paul (Adam Siblini). Le flot de paroles débité à une vitesse hallucinante par le personnage en faisait de toute évidence une performance mémorable et un tour de force monumental de la part de son interprète, mais il aurait été d’autant plus impressionnant s’il avait été plus audible.

Mention honorifique au numéro mettant en scène Sarah (Odessa Rontogiannis) et Harry (Chris Boensel), celui ayant suscité le plus de rires de la part du public, où devant le regard effaré de Bobby, le couple se livre à un combat de karaté. Sans jamais se détacher de leurs rôles, Odessa et Chris multiplient les courbettes et les contorsions ; face contre terre, ils demeurent immobiles, suspendus dans le temps, alors que la Company chante la réalité des mariages mis en scène.

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Vies brisées, voix retrouvées https://www.delitfrancais.com/2025/01/29/vies-brisees-voix-retrouvees/ Wed, 29 Jan 2025 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=57250 Monstres et les récits des enfants de la DPJ.

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Le théâtre, par son langage universel et sa capacité à faire résonner le non-dit, s’impose comme un médium pour transposer l’indicible en une expérience sensible et collective. C’est exactement ce que les Créations Unuknu nous offrent avec la pièce Monstres présentée au Théâtre Denise-Pelletier : un miroir éclaté de l’enfance marquée par la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ), où se mêlent cauchemars et espoirs.

« La famille, ça passe par des gens qu’on a choisis. »

Il ne faut que quelques minutes avant que le spectateur ne soit confronté à l’effondrement du quatrième mur, lorsque l’une des anciennes jeunes suivies par la DPJ se présente comme conférencière pour partager son parcours, son récit de triomphe. Après son adoption, elle gravit les échelons sociaux, tel qu’elle le raconte dans son livre fictif. Face à cette histoire « trop parfaite », un spectateur se lève pour l’interroger sur son récit de conte de fées, dans un échange si malaisant que j’ai instinctivement échangé un regard perplexe avec mes voisins.

En parallèle, nous suivons le parcours de Moineau, une jeune fille, et sa famille dysfonctionnelle, au sein d’une société qui ne sait que la déplacer de foyers d’accueil aux centres jeunesse. Elle s’enlise dans une spirale de souffrance et d’errance, laissée à elle-même, et confrontée aux réalités brutales de l’abus et de la rue.

« L’alternance visuelle des deux fragments de maison qui composent le décor renforce la dichotomie des récits et des réalités sociales explorées »

La pièce est ponctuée de ces interludes où des témoignages audios sont livrés par de jeunes adultes du Collectif Ex-placé DPJ. Ces voix, empreintes de franchise et d’une lucidité touchante, s’expriment à travers des mots comme « amour », « peur », « famille » pour dévoiler un aspect de leur histoire encore plus humain. Leur transcription en alphabet phonétique rend hommage à la diversité des accents, des prononciations et de la parole de ceux qui communiquent leur expérience.

Lors d’une séance de discussion avec les ex-placés à la fin de la pièce, j’ai interrogé la metteuse en scène Marie-Andrée Lemieux et l’autrice Marie-Ève Bélanger afin de mieux comprendre pourquoi avoir utilisé l’art comme première approche pour recruter le comité. Leur réponse, marquée par une profonde humilité, traduisait une volonté de collaboration sincère : « On ne voulait tellement pas s’approprier leurs idées », confient-elles avant d’ajouter : « C’était important pour nous d’arriver avec nos idées dès le début […] il y a des choses que je n’aurais jamais trouvées dans l’écriture [sans l’aide des jeunes du collectif, ndlr] comme le fait que “ce ne sont pas des placements qu’on vit, mais des déplacements”, […] “on va au trou, on fait notre temps” […] [ je voulais tellement] mettre ça dans la bouche d’un personnage. » L’écriture dramatique trouve ici un écho dans une mise en scène qui déploie une énergie rythmée entre jeux sonores, chorégraphie et scénographie d’une fluidité impressionnante. L’alternance visuelle des deux fragments de maison qui composent le décor renforce la dichotomie des récits et des réalités sociales explorées. La pièce présente parfois des choix de mise en scène proches de la comédie musicale. L’exagération de certains personnages loufoques en tenue extravagante frôle un peu l’excès dans les moments où la tonalité bascule vers une légèreté presque enfantine. Bien que l’intention soit sans doute de retrouver une certaine légèreté dans l’œuvre, ces instants semblent affaiblir la gravité du propos, forçant une impression d’artificialité qui détonne. Ces petites ruptures de ton n’enlèvent rien à la force de l’œuvre dans son ensemble. Car au-delà de ces touches comiques, ce qui persiste, c’est la résonance de l’histoire racontée grâce à la mise en scène qui a permis d’offrir une véritable catharsis, un espace de parole libéré et nécessaire. Monstres n’est pas seulement une œuvre théâtrale, mais un véritable acte de partage et de résilience.

Monstres est présentée au Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 8 février 2025.

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Quand l’amour devient poison https://www.delitfrancais.com/2025/01/22/quand-lamour-devient-poison/ Wed, 22 Jan 2025 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=57037 Retour sur la pièce Contre toi.

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Contre toi, la nouvelle pièce présentée au théâtre Duceppe, tirée du texte de Patrick Marber et traduite de l’anglais par Fanny Britt, plonge le spectateur dans un ballet amoureux aussi séduisant que toxique. Entre jeux de pouvoir, jalousie dévorante et désirs inassouvis, quatre personnages sont mis en scène dans un cercle amoureux aussi pervers qu’infernal.

La traduction lourde de sens du titre Closer par Contre toi donne le ton de la pièce : pendant deux heures sans entracte, le public est plongé dans le carrousel amoureux entre les personnages et leur labyrinthe d’émotions, et est vite amené à réaliser l’artificialité qui existe entre tous. Les personnages naviguent à travers jalousie, manipulation, trahison et rivalité, mais surtout, à travers un ennui profond de la vie.

L’adaptation menée par Solène Paré joue brillamment avec la disposition de la scène, qui accueille deux plaques tournantes ajoutant à la tension charnelle régnant sur scène. Danielle, surnommée « Dan », journaliste nécrologique désabusée, est en quête d’émotions fortes dans son amour pour Alice, personnage incarnant l’archétype de la jeune hippie insouciante. Le médecin, Larry, réduit à sa libido, est lui aussi sensible aux charmes d’Alice, alors qu’il est déjà en couple avec Anna, photographe sentimentale, aux prises de ces liaisons dangereuses.

Mention spéciale au rôle de Dan qui a été féminisé pour la pièce, et dont la profession ajoute une profondeur symbolique au récit sur scène. Reliée à la mort par sa simple occupation, Dan pose un regard blasé sur la vie pour échapper à l’ennui existentiel qui la ronge. Son lien avec la mort trouve un écho troublant dans le personnage d’Alice, et sa mystérieuse cicatrice, révélée dès les premiers moments de la pièce. Sa blessure, visible et centrale dans son discours et sa personne, devient un miroir des failles que tous tentent de masquer sous des comportements manipulateurs ou des apparences superficielles.

« L’obsession des personnages pour leurs désirs charnels s’éternise sans véritables avancées émotionnelles »

La portée métaphorique de la pièce fait la force du dialogue qui intègre avec brio l’humour aux vérités cachées de ce drame aux frictions corrosives. Il est cependant regrettable que le personnage du médecin ait été enfermé dans le stéréotype de l’homme primaire, guidé uniquement par ses pulsions sexuelles. Réduit à son phallus, la profondeur de son rôle se voit considérablement limitée, surtout en tant que seul rôle masculin de la pièce.

Plaques tournantes : entre bénédiction et malédiction

Il aurait été intéressant de voir la pièce s’affranchir de la boucle répétitive où ces plaques tournantes qui font autant tourner les décors et les personnages physiquement que virevolter les dynamiques humaines dans une spirale sans fin, puisque l’histoire, bien que son intensité captive par ses premières explorations, peine à offrir de nouvelles perspectives.

L’obsession des personnages pour leurs désirs charnels s’éternise sans véritables avancées émotionnelles. La stagnation de l’histoire, bien que pertinente pour refléter l’ironie de leur tango dansé à quatre qui se lie au décor mouvant qui tourne en rond, finit simplement par nuire à la progression dramatique et ennuyer par sa répétition. Véritable vecteur de l’illusion, le décor permet en revanche de réellement vivre l’intensité du moment, mais aussi d’y trouver une forme de liberté dans le vertige ressenti par les personnages.

Contre toi est un tourbillon émotionnel captivant, qui réussit habilement à plonger le spectateur dans son univers de désir et de manipulation et où l’amour finit par devenir un poison corrosif dont sont victimes les protagonistes.

Contre toi est présentée au Théâtre Duceppe jusqu’au 15 février 2025.

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Trop beau pour être vrai https://www.delitfrancais.com/2025/01/22/trop-beau-pour-etre-vrai/ Wed, 22 Jan 2025 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=57040 Critique d’Une fête d’enfants de Michel Marc Bouchard.

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Si vous êtes facilement impressionnés par des scènes qui évoquent la violence ou la sexualité, ou que vous souffrez de dépression hivernale, la pièce de théâtre dramatique Une fête d’enfants de Michel Marc Bouchard, mise en scène par Florent Siaud au Théâtre du Nouveau Monde, n’est pas faite pour vous. Par contre, si vous ne craignez pas d’être confrontés à la question de l’infidélité dans un couple, de la solitude, de la laideur morale et que vous savez apprécier la profondeur d’une métaphore, ou d’un message percutant, foncez pour vous laisser sublimer par le jeu sur les planches.

Des personnages névrosés

Bien que le titre Une fête d’enfants sonne comme une invitation à un moment joyeux nous permettant de retomber dans l’enfance, détrompez-vous ; la pièce de Michel Marc Bouchard est l’antithèse d’un conte de fées. David et Nicolas forment un couple homosexuel marié en proie à la plus grande instabilité. Avec leurs deux filles, Adèle et Marie, ils donnent l’illusion d’une famille parfaite. Jusqu’à ce que l’on comprenne que David ne se rend pas à ses cours de chorale comme il le laisse entendre…

Le troisième personnage, Claire, une dentiste retraitée qui comble ses longues journées de solitude par la réalisation de collages, semble malheureuse dans son mariage. Avec son caractère comique et son ton léger, elle apporte une touche de légèreté à l’intrigue et un contraste au cynisme lugubre du personnage de David. C’est chez elle que se déroule la fête d’anniversaire de son petit-fils, à laquelle Adèle et Marie sont invitées.

Que ce soit par la musique ténébreuse en arrière fond, la douleur émanant du texte, ou la noirceur des décors, cette pièce vise à susciter un malaise chez son public. Il est difficile de ne pas avoir le cafard en étant plongé dans les esprits torturés des personnages. Les sons en écho de rires d’enfants appesantissent l’atmosphère par leur discordance avec les tourments des adultes. Néanmoins, le choix artistique d’une ambiance malplaisante est ce qui fait l’originalité de la pièce, et même si le langage, parfois trop cru, manque de subtilité, il n’empêche pas l’auteur de transmettre un message fort.

Hypocrisie généralisée

Sous ce trompe l’œil d’une après-midi festive, où les sourires sont forcés sur les visages, la vérité qu’ils cherchent à dissimuler est bien plus cruelle. Très vite, la fête vire au cauchemar lorsqu’un crapaud hideux apparaît et qu’un miroir vole aux éclats. « Le sourire, c’est le gage d’une vie réussie », s’efforcent de répéter David et Claire. Bien qu’aucun des deux ne soit heureux dans sa vie sentimentale, et qu’une impression de vide les taraude, ils refusent d’admettre leur amertume et persistent à maintenir une fausse apparence. Un brouillard épais les entoure et l’addiction de Claire au parfum de la colle peut être interprétée comme sa tentative désespérée de recoller les morceaux de sa vie, qui comme le miroir, s’est brisée.

Tous ces efforts sont vains, car la vérité finit toujours par être dévoilée. Progressivement, alors que les secrets sont révélés, tout s‘écroule. Si tout au long de la pièce, nous vivons indirectement la fête à travers le récit qu’en fait chaque personnage, nous assistons désormais aux scènes d’explications entre les protagonistes qui se déchirent. Alors que la vérité triomphe, les décors sont plus concrets : la cuisine très réaliste du couple gay a remplacé les images abstraites projetées sur un écran en toile. Or, il est trop tard pour empêcher lespersonnages de se noyer. Les pétales qui tombaient du plafond, l’eau de la piscine du jardin de Claire, le prince qui cachait le crapaud : tout annonçait la débâcle finale.

Une fête d’enfants est à retrouver au Théâtre du Nouveau Monde du 14 janvier au 8 février 2025.

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La mémoire d’un territoire https://www.delitfrancais.com/2024/11/27/la-memoire-dun-territoire/ Wed, 27 Nov 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56722 Kukum au Théâtre du Nouveau Monde.

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L’adaptation théâtrale de Kukum, le roman acclamé de Michel Jean, fait une entrée remarquée sur la scène du Théâtre du Nouveau Monde (TNM), portée par la vision audacieuse d’Émilie Monnet. Ancrée dans la culture innue, la pièce se veut un hommage vibrant à la mémoire et à la résilience d’un peuple. Si l’intention est noble et l’exécution visuellement saisissante, le spectacle peine parfois à tenir la promesse de son ambition, avec une narration qui vacille et un rythme parfois déroutant.

Un hommage sonore et visuel

Dès le lever de rideau, l’univers innu se déploie avec éclat grâce à la scénographie immersive de Simon Guilbault. La mise en scène d’Émilie Monnet s’entoure d’une équipe où les voix autochtones brillent non seulement sur scène, mais aussi en coulisses. Les costumes riches en symbolisme conçus par Kim Picard, et les projections d’archives mêlées à l’art visuel de Caroline Monnet plongent le spectateur dans le monde innu, magnifiant les paysages et les traditions évoqués par le texte. Les chants et dialogues en innu-aimun, une première sur la scène du TNM, résonnent comme un puissant acte de réappropriation culturelle. Cependant, ces moments de grâce sont parfois interrompus par des failles techniques – micros défectueux, sous-titres mal synchronisés – qui viennent rompre la fluidité de l’expérience.

Une narration éclatée

L’histoire s’ouvre sur la rencontre entre Almanda et Thomas Siméon, un chasseur innu qui devient son époux. Ce point de départ, d’apparence classique, laisse entrevoir une intrigue centrée sur l’évolution de leur relation. Pourtant, la pièce prend une direction plus fragmentée, où les souvenirs d’Almanda s’entrelacent aux récits ancestraux, tissant une trame davantage poétique que narrative. Loin d’une progression linéaire, le récit évolue au rythme des saisons et des légendes, reflétant une conception du temps propre à la culture innue, où mémoire collective et récits oraux l’emportent sur une structure dramatique conventionnelle.

La poésie comme souffle identitaire

La poésie de Joséphine Bacon, omniprésente dans cette adaptation, transcende la scène. En collaborant avec Laure Morali, Bacon insuffle une force lyrique au texte, conférant à l’innu-aimun une gravité et une beauté rarement entendues sur une scène québécoise. Ce faisant, la langue devient un outil de résistance et de réaffirmation de l’identité innue, un geste qui défie l’hégémonie culturelle et revendique la légitimité de cette culture sur la scène nationale.

C’est dans cette relation, portée par une chimie palpable, que le concept du « chez-nous » prend vie : un espace d’appartenance, et non de propriété.

Le territoire comme chez nous

Au cœur de la pièce, une opposition fondamentale se dessine entre la vision innue du territoire – espace partagé et respecté – et celle imposée par le colonialisme, réduisant la terre à un objet de possession et d’exploitation. Avec délicatesse, la pièce illustre la vie nomade des Innus, un « chez- nous » immatériel façonné par une relation harmonieuse avec la nature et une langue vivante, en contraste brutal avec la violence de la sédentarisation.

L’histoire d’amour entre Almanda et Thomas Siméon – interprétée avec justesse par Étienne Thibeault et Léane Labrèche-Dor – sert de point d’ancrage pour explorer ces thèmes. Si Labrèche-Dor livre une performance sincère, elle peine parfois à transcender les contraintes du texte pour en extraire une intensité dramatique plus viscérale. Leur union, bien que teintée d’idéalisme, incarne une alliance symbolique entre deux mondes tout en interrogeant ce que signifie réellement habiter un territoire. C’est dans cette relation, portée par une chimie palpable, que le concept du « chez-nous » prend vie : un espace d’appartenance, et non de propriété.

Avec Kukum, le Théâtre du Nouveau Monde marque un jalon important pour le théâtre québécois, une ode à la mémoire, à la langue et à l’amour, un rappel puissant que le passé colonial continue d’imprégner notre présent. Une invitation à réimaginer notre propre rapport au territoire, et à reconnaître la sagesse des voix autochtones qui, aujourd’hui plus que jamais, éclairent notre avenir collectif.

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Un lien rouge sang https://www.delitfrancais.com/2024/11/13/un-lien-rouge-sang/ Wed, 13 Nov 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56587 Le théâtre Denise-Pelletier nous fait réfléchir aux tragédies familiales.

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Avec sa pièce Ma vie rouge Kubrick, le metteur en scène Éric Jean entreprend la tâche complexe d’adapter sur la scène du théâtre Denise-Pelletier le roman éponyme de Simon Roy. Œuvre entre l’autofiction et l’essai, elle relate l’obsession de son auteur pour le film d’horreur The Shining (1980) de Stanley Kubrick, inspiré du roman de Stephen King. Cette idée fixe, partiellement due au passé sinistre de Simon Roy lui-même, lui permet de s’interroger sur la capacité de l’être humain à transcender son héritage tragique familial. Telles des poupées russes, toutes ces œuvres se font écho dans une mise en abîme intertextuelle.

L’œuvre de Simon Roy prend vie sous les traits de Mickaël Gouin et Marc-Antoine Sinibaldi. À eux seuls, ces deux acteurs incarnent le dédoublement, thème récurrent dans toutes les œuvres à l’origine de cette adaptation. Tandis que Gouin, tout de bleu vêtu, incarne Simon Forest – personnage principal de cette auto-fiction – Sinibaldi, habillé en rouge Kubrick, personnifie ses maux générationnels ainsi que les nombreux autres personnages qui lui donnent la réplique. Le jeu de Sinibaldi se distingue par sa capacité à revêtir l’essence de ces multiples personnalités hétérogènes, tandis que Gouin fait preuve d’un jeu d’une versatilité singulière.

On retrouve également l’omniprésence du double à travers un jeu d’ombres astucieux projeté sur le mur qui longe le fond de l’espace scénique. Sur celui-ci défilent ainsi toutes sortes de projections multimédias (photographies, statistiques, définitions et paysages) qui accompagnent et illustrent judicieusement les paroles des acteurs. En effet, la série d’adaptations ayant mené à la création de la pièce ouvre la voie à une véritable transmutation des médias, avec une pièce située à la croisée du film, du livre, et de la scène. Ainsi, par la lecture à voix haute de longs monologues tirés du livre et les projections sur le cyclorama en arrière-plan, la pièce invite l’auditoire à découvrir un hybride entre l’imaginaire et le réel. De plus, l’alternance entre les répliques prononcées simultanément par les deux comédiens et les silences soudains qui envahissent la scène suscitent chez l’auditoire une anxiété qui persiste tout au long de la pièce. La moquette rouge au sol et les éclairages colorés contribuent également à l’ambiance lugubre qui plane dans la salle.

Si l’adaptation est réussie avec brio en ce qui a trait à l’incarnation de l’atmosphère d’angoisse suintante et inconfortable propre au genre de l’horreur, la pertinence de certains choix narratifs décevait par moments. Le livre de Simon Roy et le film de Kubrick abordent de nombreux thèmes qui ne pouvaient vraisemblablement pas tous être représentés dans une pièce de 70 minutes. Malheureusement, la clarté du fil conducteur a été sacrifiée au profit du traitement d’une panoplie d’enjeux hérités du livre. Alors que le livre de Roy tricote délicatement l’enchevêtrement entre l’histoire tragique de sa famille et la trame sanglante de The Shining, la pièce nous perd légèrement et ce n’est qu’à la toute fin que les fils narratifs auparavant disparates sont reliés.

C’est pourquoi il faudrait plutôt considérer la pièce comme la cerise sur le gâteau d’une trilogie dont les pierres angulaires demeurent les œuvres de Roy et Kubrick. Nous vous conseillons donc d’aller voir la pièce si les univers de Kubrick et Roy vous sont familiers ; elle incarne visuellement l’ambiance des deux œuvres précédentes, mais il serait difficile d’en saisir toute la profondeur hors de ce contexte. La pièce reprend effectivement de manière plus légère et moins explicite les interrogations sur la fatalité de la violence qui hantent le film et le livre. Elle nous procure toutefois une ébauche de la réponse esquissée par Simon Roy, en nous offrant une projection opportune et émouvante accompagnée des mots imagés de l’auteur défunt : « Au-dessus de ma tête, le soleil s’évertue à essayer de déjouer les nuages. »

Ma vie rouge Kubrick est présentée au Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 16 novembre 2024.

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Cygnus : une pièce d’improvisation et d’émotions https://www.delitfrancais.com/2024/11/13/cygnus-une-piece-dimprovisation-et-demotions/ Wed, 13 Nov 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56591 L’imprévu au service du théâtre.

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Improviser, c’est laisser l’imagination prendre le dessus. Laisser le théâtre ne faire qu’un avec votre corps, vos gestes, votre voix. Il s’agit d’un art à part entière, d’une prouesse des plus techniques, de sauter à pieds joints dans l’inconnu et d’entraîner avec nous acteurs et spectateurs. C’est ce qu’ont remarquablement réussi à faire les comédiens de Cygnus, en nous livrant une prestation inédite et émouvante.

« La seule limite est celle que l’on s’impose. Cette dynamique imprévisible, loin de fragiliser la pièce, en est
le moteur-même »

Assis autour d’un cercle lumineux à l’allure futuriste, affublés de costumes semblables, les comédiens ont pour tâche de créer chaque soir une nouvelle pièce. Une nouvelle trame, de nouveaux personnages, sans le moindre décor sur lequel s’appuyer. Tout passe par le langage corporel de deux comédiens, qui donnent chacun vie à un personnage qui leur est propre. Ils lui confèrent ainsi avec brio, des mimiques, des intonations, une identité sur l’instant, sans avoir le temps de réfléchir aux possibles développements. L’évolution de leur personnage est imprévisible. L’ensemble s’articule ensuite au fil des interactions entre les deux acteurs. Ces interactions sont d’abord dictées par un cercle, dont le changement de lumière désigne les comédiens devant entrer en scène. Nul ne sait à l’avance qui jouera avec qui, qui sera qui. L’incertitude règne. Si l’improvisation peut laisser place à des incohérences, des moments de flottements, des silences que l’on n’ose briser, le doute est bien vite remplacé par la force des dialogues qui en découlent. Certes, il arrive que les comédiens s’interrompent entre eux, ou que certains personnages ne soient pas parfaitement impliqués dans l’intrigue. Mais c’est aussi cela qui confère son charme à la pièce, et qui lui octroie des intrigues secondaires. Tout se joue dans la spontanéité et l’écoute de l’autre. Les acteurs réagissent du tac au tac, tissent une trame à la fois comique et poignante, créant des situations rocambolesques. Des moments de tension et de légèreté se succèdent, que ce soit le meurtre involontaire d’un chien par intoxication aux cacahuètes, en passant par des conflits familiaux, amoureux, jusqu’à la mise en scène de violences conjugales. La seule limite est celle que l’on s’impose. Cette dynamique imprévisible, loin de fragiliser la pièce, en est le moteur-même. On assiste à des scènes du quotidien, à des aventures surprenantes dont l’authenticité est marquante. Ce qui m’a d’autant plus frappée, c’est la détermination des comédiens à rester dans la peau de leurs personnages, même hors du cercle où se déroulait l’action. Chaque entrée en scène, chaque sortie, chaque séance détenait le même impact.

Après un temps où les comédiens entrent et sortent du cercle à leur guise, sans plus être appelés par les signaux lumineux du cercle, la pièce s’achève sur une brève conclusion. Celle-ci repose sur la parole d’un personnage, choisi au hasard. Cette fin des plus inattendues permet une résolution instinctive, et suscite une surprise totale chez le spectateur. En l’espace de quelques secondes, l’acteur doit réfléchir à la touche finale qu’il désire apporter à la pièce, une tâche capitale, d’autant plus que souvent, c’est la fin qui marque les esprits. En ce qui me concerne, je me souviendrai longtemps de la liste de conseils pour s’occuper d’un chien sur laquelle s’est clôturée la représentation.

Nul ne sait l’issue de la pièce avant qu’elle ne se joue. Quelle intrigue, quels personnages rencontrerez-vous? Personne ne le sait. Plongez dans le mystère de l’improvisation et laissez vous emporter par le jeu et l’intelligence de ces huit acteurs à l’imagination sans pareille. Restez suspendus aux lèvres des comédiens qui sauront, à coup sûr, vous surprendre.

Cygnus se tient du 7 au 16 novembre au Théâtre Rouge du conservatoire d’art dramatique de Montréal.

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La résilience face aux flammes https://www.delitfrancais.com/2024/11/13/la-resilience-face-aux-flammes/ Wed, 13 Nov 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56607 Les soeurs Talbi adoptent Incendies sur scène.

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Vingt ans après sa publication, la pièce Incendies de Wajdi Mouawad est revisitée sur scène par le duo des sœurs Talbi, dans un contexte à la fois universel et intime, qui dévoile les ravages de la guerre et la résilience de ceux qui en portent les cicatrices. Le récit empreint de souffrance dénonce l’absurdité de la violence, confrontant l’auditoire à une réalité terrible, que l’on ne peut détacher de son contexte géopolitique actuel.

Incendies raconte la quête déchirante de Jeanne et Simon, deux jumeaux qui, à la mort de leur mère Nawal, reçoivent une mission déconcertante : retrouver un père qu’ils croyaient mort et un frère dont ils ignoraient l’existence. La pièce frappe toujours avec la même intensité. Le cycle de la violence qu’elle dénonce, immuable, lui accorde une dimension intemporelle. En unissant des scènes du passé et du présent, le récit devient le témoignage d’une souffrance qui transcende les frontières et les générations.

Le rôle d’une vie

La tâche colossale d’interpréter les différentes étapes de la vie de Nawal incombe à Dominique Pétin, qui relève ce défi avec une aisance déconcertante. Elle incarne son personnage de l’adolescence jusqu’à la mort, transcendant ainsi notre perception du temps. Pétin offre une performance saisissante, rendant tangible la douleur de Nawal, sublimant d’autant plus sa résilience. Chaque épreuve endurée par le personnage est subtilement rendue, et son interprétation, habitée, lui confère une cohésion sensible. Cette fluidité accorde à l’histoire une force singulière, qui permet une exploration de la mémoire de Nawal. La pièce se déploie ainsi comme une rétrospection où la voix de cette femme se fait entendre sans rupture.

Pétin confère à ce personnage une profondeur qui rend justice aux mots de Mouawad, au-delà de la fiction. Les racines autochtones de la comédienne, d’origine huronne-wendate, ajoutent une dimension supplémentaire à la pièce, qui conjugue les horreurs de la guerre à la violence coloniale vécue par les peuples autochtones. Cette résonance intime confronte le public à l’héritage colonial du Canada, qui dissipe l’illusion d’une violence lointaine en l’inscrivant dans une réalité locale. Alors que dans la pièce originale, les origines de Nawal et des jumeaux sont explicites, l’adaptation des sœurs Talbi maintient un flou délibéré à cet égard, dans un rappel subtil de l’universalité de la souffrance, qui s’inscrit à la fois dans le corps, dans le territoire, et dans la mémoire.

Entre jeunesse et sagesse

Les jeunes acteurs de la pièce apportent une forte crédibilité dans l’incarnation des jumeaux, Simon et Jeanne. Sabrina Bégin Tejeda et Neil Elias incarnent à merveille la relève théâtrale, insufflant à l’œuvre une nouvelle vitalité. L’intensité de Simon, porté par une énergie brute et une intensité crue, contraste avec le pragmatisme calme de Jeanne. Cette complémentarité renforce l’opposition de leurs personnalités, tout en soulignant la complexité du lien fraternel, à la fois fragile et indestructible. On peut également saluer la performance impeccable de Denis Bernard, qui démontre l’étendue de son expérience dans le rôle du notaire, chargé de transmettre les dernières volontés de Nawal aux jumeaux. Sa présence apporte une touche de légèreté à cette histoire poignante, offrant des instants de répit à l’auditoire. La tension dramatique demeure suspendue dans un équilibre subtil, habilement dosé entre l’humour et le tragique.

« Il n’y a rien de plus beau que d’être ensemble »

Une mise en scène symbolique

Enfin, l’ingénieux dispositif scénique, constitué de cubes mobiles qui se transforment et se décomposent au fil des souvenirs, illustre avec finesse l’éclatement de la mémoire et les blessures invisibles de Nawal. La scène en perpétuelle transformation agit comme une métaphore visuelle qui soutient parfaitement la quête des jumeaux, dans une reconstruction du passé douloureux de Nawal, qui s’intègre à l’espace scénique. La scène finale, qui reconstitue le tableau familial sous une chute de pétales rouge sang, est à couper le souffle : une traduction poétique du triomphe de l’amour et de la résilience sur la violence. Car « il n’y a rien de plus beau que d’être ensemble ».

Incendies est présentée au Théâtre Duceppe jusqu’au 30 novembre 2024.

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Peau d’âne : une adaptation extravagante https://www.delitfrancais.com/2024/10/09/peau-dane-une-adaptation-extravagante/ Wed, 09 Oct 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56227 Une aventure abracadabrante au cœur de la pièce de théâtre.

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Porteurs de magie et de morale, les contes de fées ont bercé notre enfance. Pourtant, sous une lentille contemporaine, ils peuvent être controversés et véhiculer une image dégradante de la femme ou des relations amoureuses stéréotypées. En effet, n’est-ce pas dans Peau d’âne que le prince tombe éperdument amoureux de la princesse déguisée, car elle lui a cuisiné le meilleur gâteau qu’il n’ait jamais goûté? C’est donc dans l’optique de rétablir une image féminine, autrefois moulée dans les convictions patriarchales, et de porter un message féministe fort que la pièce Peau d’âne a été mise en scène par Sophie Cadieux et Félix-Antoine Boutin.

Adaptée au théâtre Denise-Pelletier, la pièce prend vie avec deux comédiens : Eric Bernier, une bonne fée marraine des plus extravagantes et farfelues, aux convictions marquées et aux costumes des plus fantasques, et Sophie Cadieux, qui interprète une Peau d’âne aussi désopilante que naïve. Cadieux incarne une enfant seule et perdue qui devra apprendre à se battre pour ses droits, pour son futur, pour son indépendance.

Contrairement au conte classique, ici, pas de père tangible, pas de prince volant à la rescousse d’une demoiselle en détresse. En effet, le roi n’est nul autre qu’un tourne-disque immense, à l’aura menaçante sous les lumières et les sons lugubres. Ce choix, audacieux et perturbant, tend à déstabiliser le spectateur, mais permet surtout de mettre en lumière le côté inhumain de ce personnage.

Mais qu’en est-il du prince? De l’histoire originale? Soyez sans crainte, l’ânesse est toujours présente, la ruse pour échapper au mariage également. Or, l’unique évocation de l’amour entre le prince et la princesse surgit dans les paroles de la bonne fée, sous forme d’une leçon empreinte de dérision à l’égard du conte original, offerte comme un contre-exemple à la jeune fille ; Peau d’âne devient sa propre héroïne, sa propre sauveuse. Figure de courage et de résilience, elle apprend à combattre ses démons, son passé, ou encore l’amour, que ce dernier soit en lien avec l’inceste – dont elle a été victime – ou en lien avec ce sentiment que la bonne fée qualifie de « mièvre ». De plus, ce dernier apparaît comme un antagoniste débilitant, mettant à mal l’indépendance féminine. Le tabou de l’inceste, qui occupe une place insidieuse dans la version de Charles Perrault, est nommé clairement, distinctement dans la pièce. Si cela peut choquer l’auditoire, ce qui le touche davantage est l’ignorance de Peau d’âne, qui semble ne rien savoir de ce terme.

S’il est vrai que le rire est une forme de lutte, un moyen de combattre les injustices et les traumatismes, il vient ici freiner l’expression sincère de sentiments. En effet, la pièce fluctue constamment entre le comique et le ridicule, frôlant trop souvent l’absurde et le burlesque, au détriment d’une dimension plus réflective, qui aurait méritée sa place au sein de cette adaptation. À mon sens, c’est l’authenticité qui s’avère clé pour transmettre un message. Les couches de costumes, les voix criardes, les gestes surjoués, les lumières trop vives créent une atmosphère effervescente, moins propice à l’épanchement et au partage d’émotions.

Peau d’âne demeure toutefois une revisite intrigante et audacieuse aux choix artistiques percutants. Que ce soit par les changements de costumes à même la scène, ou alors les « dialogues » entre l’ânesse et le personnage Peau d’âne (qui ne sont en vérité qu’un dialogue entre la princesse et une autre version d’elle-même), la pièce pousse notre imagination dans ses retranche- ments, en proposant une version tout à fait inédite d’un conte familier de tous. Une mise en garde cependant : cette interprétation du conte de Perrault n’est décidément pas adaptée à un jeune public, ni aux férus de contes plus traditionnels.

Ainsi, si vous rêvez d’une plongée dans l’absurde en l’espace d’une soirée, rendez-vous au théâtre Denise-Pelletier : une salle à l’allure féérique qui vous entraîne dans un autre monde. Prenez un instant pour regarder les dorures, les moulures, installez-vous confortablement dans les fauteuils capitonnés de rouge et laissez-vous porter par la magie du théâtre.

Peau d’âne est présentée au Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 19 octobre 2024.

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La femme qui refuse https://www.delitfrancais.com/2024/10/02/la-femme-qui-refuse/ Wed, 02 Oct 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56143 Le TNM nous fait connaître la vie de Suzanne Meloche.

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La Femme qui fuit marquait la première pièce présentée au Théâtre du Nouveau Monde (TNM) sous son sixième directorat. Après plus de 30 ans à la direction de l’une des institutions théâtrales les plus respectées en Amérique du Nord, Lorraine Pintal a cédé sa place à la relève en début septembre en nous offrant en héritage trois derniers spectacles auxquels elle aura ajouté un peu de sa magie (La femme qui fuit, Je t’écris au milieu d’un bel orage, Kukum). Le premier de ces derniers reprend le succès littéraire éponyme d’Anaïs Barbeau-Lavalette, paru en 2015, et s’annonce être une oeuvre profondément féminine avec l’adaptation théâtrale sous la plume de Sarah Berthiaume et une mise en scène d’Alexia Bürger.

Le récit d’Anaïs Barbeau-Lavalette est à la fois un travail de recherche et d’imagination qui romance la vie de sa grand-mère, Suzanne Meloche, faute de l’avoir connue. Sarah Berthiaume et Alexia Bürger affrontent ici un défi de taille en faisant l’adaptation théâtrale d’un tel roman, dont l’essence est évanescente, sur laquelle on ne peut mettre la main ; qui fuit. S’ajoute à ce défi la pression de mettre en scène une histoire dont la popularité est encore actuelle : le public a l’image de Suzanne telle qu’évoquée par le roman encore présente dans son esprit. C’est donc par une adaptation très proche du texte original — qu’une grande partie des répliques reprennent mot pour mot — que Sarah Berthiaume approche la reprise théâtrale.

La narration à la deuxième personne s’adapte merveilleusement au théâtre, et l’habileté avec laquelle la voix de la narratrice, interprétée par Catherine de Léan, se fond dans le récit, tient autant de la diction de la comédienne que du choix de l’agencement des répliques.

De son côté, Alexia Bürger vient chercher la dualité fuite/recherche par une mise en scène qui surplombe le spectateur : d’énormes marches s’élèvent à partir de la scène en s’éloignant du public, l’appelant à poursuivre celle qui se trouve au sommet. De plus, la distance et la séparation entre ce que nous apercevons de Suzanne et qui elle est réellement se veut explicité par un immense cadre que la narratrice chevauche : c’est par sa lentille seule qu’il nous est permis de découvrir celle qui fuit. Outre cet escalier colossal, le décor simple n’est rehaussé que par des changements de lumière, laissant le récit être porté par les 18 acteurs qui, en toute harmonie, s’échangent autant la parole que le rôle de Suzanne. Cette simplicité des décors est parfois au détriment de la pièce, alors que les acteurs ont recours à des caricatures pour rappeler au public leur personnage. Parfois inutile, comme dans le cas de Paul-Émile Borduas, et d’autres fois une banalisation excessive qui relève du kitsch, comme pour l’archevêque ; ces raccourcis minent les personnages et les tableaux dont ils font part en les rejetant comme des farces tandis qu’ils sont formateurs. La vigueur du jeu d’acteur sur lequel repose donc l’histoire surcompense et le public devient quasiment intime avec Suzanne : ce n’est plus la femme qui fuit, mais bien la femme qui refuse. Proche de Suzanne, le spectateur n’a plus l’impression d’être à la poursuite de la poète, mais bien d’être à ses côtés, de l’accompagner. Son abandon de François et de Mousse n’est plus une fuite pour la liberté, mais un refus d’en prendre soin ; ses départs pour l’Europe ou l’Amérique non plus des échappatoires de chagrin, mais bien des refus de le confronter. Cette femme que l’on cherche tout au long du roman d’Anaïs Barbeau-Lavalette n’est plus lointaine, ni effacée, ni même en fugue par rapport à l’auditoire. Elle est là, sous nos yeux, et nous l’accompagnons dans sa fuite.

L’adaptation théâtrale de La Femme qui fuit du Théâtre du Nouveau Monde échoue à nous faire ressentir la fugacité propre de l’oeuvre littéraire, mais ce n’était peut-être pas son objectif. Par cette représentation, le public a l’impression de mieux connaître Suzanne, d’être plus près d’elle qu’à travers la lecture du roman. Qu’en penser alors? Si vous voulez savoir qui était Suzanne Meloche, allez voir la pièce. Si vous voulez savoir qui était la femme qui fuit, lisez le roman.

La Femme qui fuit est présentée au Théâtre du Nouveau Monde jusqu’au 13 octobre 2024. Pour plus de renseignements, consultez le site internet du TNM.

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(Re)connecter avec ses racines en voyageant au Vietnam https://www.delitfrancais.com/2024/09/25/reconnecter-avec-ses-racines-en-voyageant-auvietnam/ Wed, 25 Sep 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55988 La pièce La démagogie des dragons, un joyeux chaos culturel.

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Comment comprendre qui l’on est alors que l’on grandit à Montréal en tant qu’asiatique et que le seul rapport que nous entretenons avec notre culture, c’est d’aller chercher un bubble tea au L2 du quartier chinois? Comment reconnecter avec son héritage vietnamien alors qu’on connaît seulement trois mots appris sur Duolingo? Comment renouer avec ses racines? Est-ce possible?

Mon premier article pour Le Délit, écrit en mars 2023, s’intitule « Conflit intérieur d’une eurasienne ». Pour la première fois, je sentais que j’avais besoin d’écrire, mais surtout que j’avais besoin d’être lue. Je me disais que mon expérience, si personnelle soit-elle, pouvait résonner avec bien plus de monde que ce que je pouvais imaginer. N’importe qui considérant avoir une identité hybride : quelqu’un qui grandit loin de son pays d’origine, quelqu’un qui ne ressemble pas tout à fait à ses parents, ni à ses camarades de classe, ou même quelqu’un qui se regarde dans le miroir et ne saurait définir son ethnicité en un seul mot pourrait comprendre ma réalité. Connais-toi toi-même. Pas facile quand notre visage, notre langue, notre culture, et nos valeurs sont à la fois un peu asiatiques, mais pas vraiment, un peu québécoises, mais pas vraiment, un peu françaises, mais pas vraiment.

L’autrice Tamara Nguyen et le metteur en scène Vincent Kim s’attaquent justement à cette question dans leur nouvelle pièce La démagogie des dragons présentée au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui (CTDA). Claudia Chan Tak et Dominick Rustam interprètent respectivement l’autrice et le metteur en scène. Ils se prénomment donc Tamara et Vincent dans la pièce qui retrace leur rencontre, leurs interrogations sur leur héritage asiatique, et surtout, leur premier voyage au Vietnam. Ce n’est pas tout à fait autobiographique car l’enchaînement des événements ne correspond pas exactement à celui de la vraie vie, mais largement inspiré de l’expérience de ces deux artistes.

On pense souvent que se rendre dans le pays d’origine de ses parents permettra une sorte de déclic. Comme si, dès l’arrivée à l’aéroport, quelque chose se réveillait en nous et nous connectait instantanément avec la population là-bas. Comme si, tout à coup, on comprenait qui on est. Pourtant, la réalité demeure que, pour la majorité, un pèlerinage de la sorte ne change pas grand-chose. Il en va de même pour Tamara et Vincent qui, lorsqu’ils se rendent au Vietnam, ne se sont pas tout de suite sentis chez eux. Pourtant, ce voyage a été une étape importante dans leur développement personnel, qui leur a permis de mieux se comprendre. Parce qu’ils ont compris que l’endroit où ils habitent, là où ils ont grandi et la langue qu’ils parlent importe peu. Ce message est d’ailleurs explicité à la fin de la scène, lorsqu’un témoignage de l’autrice et du metteur en scène est projeté au public. Tamara a beau être française et vietnamienne et Vincent coréen, vietnamien et québécois, ce qui leur importe, ce n’est pas de s’identifier à une origine précise, c’est que ce joyeux mélange de cultures leur a permis de devenir qui ils sont aujourd’hui. C’est au sein d’une ambiance chaleureuse que se déroule la pièce : des lampions colorés tendus sur une guirlande au-dessus du public ; une bande-son typiquement vietnamienne qui me rappelle le CD que ma grand-mère joue en boucle dans sa voiture. On y retrouve également des éléments asiatiques : un écran de projection avec des bordures rouges tel un sanctuaire Shinto ; une áo dài (robe traditionnelle) suspendue ; le fameux chat porte-bonheur qui ne se lasse jamais de dire bonjour ; une statue du Bouddha et des oranges dans une coupelle dorée, des offrandes, comme celles qu’on retrouve à l’entrée des restaurants asiatiques ou des temples bouddhistes.

J’aime la façon dont la nourriture est placée au premier plan. Dans mon premier article au Délit j’expliquais que ce qui me fait d’abord sentir vietnamienne, c’est mon amour pour le pho. Similairement, dans la pièce, la quête de soi de Tamara se transforme en une quête désespérée lors de son voyage pour dénicher la soupe tonkinoise qui aura exactement le goût de celle de sa grand-mère. Malgré les incertitudes des deux amis et leurs difficultés à se faire comprendre et à se sentir chez eux, leur rapport envers la nourriture s’établit comme un lien tangible avec une culture qui est la leur. Ce rapprochement me rappelle un livre que j’ai énormément aimé, Pleurer au Supermarché (ou Crying in H Mart), écrit par Michelle Zauner dans lequel l’autrice, moitié coréenne et moitié américaine, découvre que de se rendre au supermarché asiatique et apprendre à préparer les plats de son enfance est la seule façon pour elle de reconnecter avec son côté coréen suite au décès de sa mère.

En parallèle de l’histoire jouée par les deux comédiens, la pièce est rythmée par des témoignages vidéos projetés sur un grand écran. Ces projections apportent un contexte historique et permettent au public de prendre le temps de réfléchir. Aussi touchant que troublant, il y a notamment le récit d’une grand-mère qui a immigré au Canada en 1975 – tout comme ma grand-mère – et qui nous raconte la façon dont elle s’est sentie forcée d’effacer chaque trait vietnamien de son apparence afin de faciliter son intégration au Québec et celle de ses enfants, qui ne parlent maintenant plus vietnamien. Ces discours remplis d’émotion résonnent auprès de nombreuses familles immigrantes, et permettent de mieux comprendre le traumatisme intergénérationnel vécu par ces personnes.

La démagogie des dragons, est une pièce que l’on ressent. Ce qui est important, ce ne sont ni les retrouvailles entre Tamara et Vincent des années après le secondaire, ni l’histoire de leur voyage et leurs péripéties à Hanoi, ni les tentatives désespérées de Tamara qui tente de devenir influenceuse sur Tiktok en forçant Vincent à apprendre des chorégraphies de K‑pop. En fin de compte, l’essentiel de la pièce réside dans les réflexions qu’elle provoque inévitablement chez son auditoire. Les doutes des deux personnages, les remarques racistes qu’ils subissent, leur difficulté à connecter avec leur héritage, et leur relation mouvementée nous forcent à réfléchir à notre propre histoire, à notre relation avec une culture qui peut nous paraître si familière, mais pourtant si lointaine.

La démagogie des dragons est présentée au CTDA jusqu’au 11 octobre. Vous pouvez vous procurer des billets sur leur site Internet.

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Cordes : trois frères, trois inconnus, un absent https://www.delitfrancais.com/2024/09/18/cordes-trois-freres-trois-inconnus-un-absent/ Wed, 18 Sep 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55866 Une traversée au fil des liens familiaux.

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Présentée au Théâtre de La Licorne depuis le 9 septembre, la pièce de théâtre Cordes nous dépeint l’histoire de trois frères, qui s’embarquent dans un voyage des plus tumultueux. Avec l’insistance de leur père, voltigeur connu qu’ils n’ont plus revu depuis leur enfance, ils se rendent à son dernier numéro : une traversée sur un fil tendu entre deux tours.

On y retrouve Peter, l’aîné cherchant à se défaire du modèle paternel et à se construire une vie stable et Paul, bavard farfelu souffrant de son statut d’enfant du milieu. Enfin, Prince, le petit dernier à l’allure décontractée, est en couple avec la mystérieuse Andrea — au grand dam de son frère aîné. Leur périple s’annonce dès lors chaotique. C’est sans compter quelques secrets, une once de rancœur, une pointe de jalousie et une bonne dose de retenue.

Cordes. Un nom évocateur pour une pièce qui traite des liens familiaux, ces liens qui se tordent, se distendent, s’entremêlent, et parfois, se rompent. Ces liens dont nous sommes tous les détenteurs, à l’image de Peter, Paul et Prince. Des garçons qui ont grandi en l’absence de leur père, des hommes qui se sont forgés en l’absence de leurs frères. Des personnages hauts en couleurs, poignants, uniques, vulnérables.

Car derrière leur carapace, leurs tics et leurs mimiques se cachent des émotions profondes, des doutes, des regrets, des peurs. Des blessures qui demeurent et qu’ils croient nécessaire de dissimuler. Des blessures illustrées par des instants suspendus, où se croisent français et espagnol, souvenirs d’enfance et traumatismes, des monologues hors du temps dont la metteure en scène est à l’origine.

Cet ajout ingénieux nous plonge dans l’univers intérieur de chaque personnage, les dévoilant petit à petit et; nous rapprochant d’eux. Car oui, cette pièce est à la fois une traduction et une adaptation, qui conserve certaines répliques en espagnol, nous permettant de mieux comprendre les origines des personnages, de rendre les émotions plus authentiques. Comme me l’a si bien témoigné la metteure en scène Margarita Herrera Dominguez, ce mélange linguistique nous permet de « sortir de l’exotisme de l’Amérique latine », en abordant des thèmes qui nous touchent tous et dont pourtant, il n’est pas simple de discuter. Des thèmes actuels, issus du « plus profond des quartiers », tel que me l’a confié Victor Cuéllar, l’acteur jouant Prince. Comment oser dire à son père qu’il ne nous « voit pas »? Comment exprimer le manque, cette impression de ne pas être « assez »? Comment supporter le poids, la certitude de ne jamais parvenir à ressembler à ceux qui sont nos modèles? Comment se relever, sans toujours avoir un filet de sécurité?

Avec un décor composé uniquement de blocs et de murs portatifs se dessine sous nos yeux une scène de vie, plus vraie que nature, où chaque détail a son importance. Chaque parole, quand bien même elle semble n’être présente que pour combler le vide, a un poids. Un sens. Cette profusion de détails peut cependant tendre à déstabiliser l’auditoire, à l’éloigner de l’essence même du texte, et des émotions qu’il cherche à traduire.

Parfois, la simplicité permet de mieux transmettre les sentiments, d’apporter une touche de profondeur supplémentaire. Certes, la pièce ne manque pas en émotions, mais les jeux de lumière, de voix et de sons ne doivent pas être au détriment du texte, ni du fil narratif. En effet, en discutant avec des membres de l’audience, certains m’ont avoué avoir perçu une perte de celui-ci à certains moments, ce qui ne fut toutefois pas mon cas.

Entre hilarité et sensibilité, Cordes nous plonge, l’espace d’une soirée, dans une réalité que l’on préfère parfois oublier. Car là réside toute la magie du théâtre : transmettre une vérité par la fiction. Si je peux me permettre de vous conseiller une seule chose : ne partez pas trop vite. Car c’est là que l’on fait les rencontres les plus intéressantes, que l’on s’interroge, que l’on apprend. Alors, prenez le temps et restez un peu plus longtemps dans cette atmosphère chaleureuse et familiale avant de retrouver votre quotidien.

La pièce Cordes sera représentée au Théâtre de La Licorne jusqu’au 2 octobre 2024.

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Notre Père https://www.delitfrancais.com/2024/03/27/notre-pere/ Wed, 27 Mar 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55352 Lorsque la vieillesse s’invite dans notre intimité.

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Jeudi dernier avait lieu la première représentation de la plus récente création du Théâtre du Nouveau Monde : Le Père. Annoncée par une campagne publicitaire inondant le métro, cette pièce écrite par Florian Zeller débarque de ce côté de l’Atlantique en réponse à l’appel de la société québécoise ; les nombreux baby boomers vieillissants, les affiches luxuriantes qui invitent aux résidences privées pour aînés, et le traumatisme des centres d’hébergement et de soins de longues durées (CHSLD) dont nous venons tout juste de sortir témoignent de la force de la vieillesse au Québec. Le Père est une invitation à cette dernière : on l’invite simultanément chez soi et sur scène, pour lui parler et en parler, pour en rire et la craindre, pour en discuter et la comprendre.

Ingénieur à la retraite, vivant seul dans son appartement, André reçoit des visites quotidiennes de sa fille Anne. Voilà le premier tableau qui nous est dressé : un salon bien décoré, une peinture impressionniste au mur, des étagères garnies de romans et une armoire à alcool à envier. Comme tous ceux qui rencontrent André pour la première fois, l’auditoire ne peut qu’être charmé par le personnage de Marc Messier. C’est avec une aimable courtoisie et un humour auto-dérisoire qu’André gagne la bienveillance du public : beau parleur qui ne manque pas l’occasion de complimenter, il n’hésite pas non plus à frôler le ridicule lorsqu’il commence à danser les claquettes. Comme il le dit lui même, André n’est pas de ces vieux qui sont tous ramollis, incapables de parler, de marcher ou de se nourrir seuls. Lui est encore en forme, est assez autonome pour vivre seul et n’a besoin de personne. C’est la subtile ironie de paroles comme celles-là qui font le tragique de cette farce.

Anne nous révèle bientôt qu’une nouvelle proche aidante sera engagée, décision qu’elle a prise au vu du fardeau trop imposant pour elle seule qu’était le soin de son père. La nature de l’incapacité d’André, à l’inverse du préjugé qu’il porte sur ceux de son âge, n’est pas physique, mais bien mentale. Oublis, pertes, changements de décors et d’apparence des personnages : la neurodégénérescence d’André se témoigne d’abord et avant tout par la décadence du temps. Symbolisé par sa montre disparaissante, et représentée dans l’enchaînement asynchrone des tableaux, l’oubli du temps est l’élément déclencheur de la manie névrosée qui se propage autant à l’intérieur d’André que dans les décors et chez l’auditoire. Nous suivons le père dans l’étourdissement temporel provoqué par les dialogues qui se contredisent d’une scène à l’autre : Anne n’avait-elle pas déménagé avec son mari? N’avons-nous pas déjà préparé le poulet du souper? Suis-je chez moi, chez ma fille ou dans une résidence? La finesse d’Édith Patenaude et l’habileté de la distribution artistique est à louer pour l’immersion dans laquelle sont plongés les spectateurs. Alors qu’on témoigne d’Anne qui change de visage et de cheveux, et de son ami Pierre, qui change de nom et de couleur de peau ; les manières, les attitudes, la diction et la contenance sont révélateurs d’une identité qui ne change pas. Le spectateur se pose les mêmes questions qu’André : est-ce ma mémoire ou mes yeux qui me trahissent? S’ajoute à ce jeu d’acteur envoûtant une scène qui se transforme discrètement et se vide. L’image de ses deux filles devient une peinture morne et abstraite, la table à manger devient une petite table basse, et l’étage du duplex tombe au sous-sol. Autant de détails qui mènent à la confusion et la frustration partagée entre tous dans la salle. Tout au long de la représentation, l’auditoire est plongé dans l’intimité d’André. À la fin de l’heure et demie, ce ne sont pas les médecins, la travailleuse sociale, ni même sa fille qui connaissent le mieux André, mais bien le public, qui a vécu ses tourments avec lui. Par sympathie, les spectateurs commencent à ressentir, comme André, qu’il y a quelque chose qui leur échappe, qu’on leur cache : une vérité qui est connue de tous sauf nous. Sur des scènes qui s’éteignent abruptement à leur climax, Florian Zeller construit le suspens de la révélation tragique.

Le Père tel qu’il a été mis en scène par Édith Patenaude est un ressuscitation du rôle de catharsis qu’a le théâtre. Alors que d’autres Québécois font danser des ombres sur les grands écrans à travers le monde, l’équipe du Théâtre du Nouveau Monde saisit les passions qui animent notre société et les incarne, leur donne vie et les fait mourir afin que nous puissions en rire, en pleurer, pour les comprendre dans l’espoir d’ultimement les aimer.

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Le Mont Analogue : épopée à l’Espace Go https://www.delitfrancais.com/2024/03/20/le-mont-analogue-epopee-a-lespace-go/ Wed, 20 Mar 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55208 Une exploration interdisciplinaire du conte de René Daumal.

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Le Mont Analogue, spectacle faisant partie de la dernière programmation de Ginette Noiseux, était présentée à l’Espace Go – théâtre contemporain et féministe au coeur de Montréal, du 27 février au 10 mars.

Tirée du roman d’aventures alpines du français René Daumal, adaptée pour la scène par l’artiste et chorégraphe canadienne Wynn Holmes, cette pièce a su captiver le public par son mélange de danse, de musique et de théâtre, offrant une exploration envoûtante de thèmes philosophiques et mystiques.

Écrite entre 1939 et 1944, en pleine seconde guerre mondiale, l’histoire fictive raconte l’ascension du Mont Analogue, une montagne mythique et symbolique, censée être la plus haute au monde et ne pouvant être aperçue que par ceux prêts à la voir. Ce mont est inspiré par plusieurs montagnes sacrées de différentes mythologies comme le mont Kailash, le mont Fuji ou le mont Olympe ; et abriterait des animaux étranges et symboliques tels que les griffons ou les sphynx. La gravir constituerait un voyage initiatique, capable de nous transformer spirituellement.

La pièce de théâtre se déroule trois mois après la publication d’un article sur le Mont Analogue dans la Revue des Fossiles. Malgré la difficulté de son ascension, les écrits suggèrent que son escalade révélera les secrets spirituels les plus profonds de l’humanité. Motivés par cette promesse ou par l’envie d’éprouver le mythe, une équipe hétéroclite d’alpinistes, composée de scientifiques, de linguistes et d’artistes, se lance dans une expédition vers cette montagne légendaire à bord du navire L’Impossible. Situé quelque part au coeur du Pacifique, le Mont Analogue est invisible, caché derrière une coque d’espace courbe – un phénomène physique inventé qui courbe l’espace autour du Mont Analogue pour le rendre invisible à tous ceux qui ne sont pas conscients de sa présence. Cependant, le soleil crée à son lever et son coucher l’ouverture d’un passage, grâce auxquels le groupe va pouvoir entrer.

Pour atteindre leur objectif d’ascension de la montagne, les membres de l’équipage doivent se défaire de leurs
doutes et idées préconçues pour se laisser guider par leur intuition et leur imagination. Cette quête vers le sommet mystérieux promet une aventure poétique dont la magie peut nous rappeler les mondes imaginaires de l’enfance.

Cette production est le fruit d’une collaboration entre BOP Ballet Opéra Pantomime, LFDT Lo-Fi Dance Theory – une troupe de danse performative – et Espace Go. La pièce est à la croisée de plusieurs disciplines artistiques, offrant une expérience immersive où musique, danse et théâtre s’entremêlent pour créer un univers captivant. La direction artistique est prodigieuse, les jeux de lumière et d’ombre permettent au public de vivre pleinement avec les personnages ce voyage initiatique. Au vu de l’ovation debout qui a salué le spectacle, le Mont Analogue a été chaleureusement accueilli par le public. Ce qui rend ce spectacle émouvant c’est avant tout le portrait très juste
qu’il fait de notre relation à l’absolu, et la manière dont cela impacte nos relations interpersonnelles. Les relations se font et se défont au cours du périple, ce qui pose les questions de la place des quêtes individuelles au sein d’un groupe ou plus largement de la nature humaine confrontée aux mystères de l’univers et de la conscience. À travers cette exploration théâtrale, Wynn Holmes et son équipe ont réussi à capturer l’essence du roman de René Daumal. Ils ont offert au public une expérience artistique inoubliable, témoignant du pouvoir de l’art pour éveiller nos questionnements existentiels et notre imagination.

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Identité et tragédie collective https://www.delitfrancais.com/2024/02/28/identite-et-tragedie-collective/ Wed, 28 Feb 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55097 Critique de la pièce Because of The Mud.

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La pièce Because of The Mud, présentée au théâtre La Chapelle du 19 au 22 février, raconte l’histoire de quatre trembles, un type de peuplier, faisant partie du même petit bois. Leurs identités se confondent dans ce bosquet commun et elles portent toutes le même prénom : Roberta. À leurs côtés, deux roches : l’une en granit et l’autre en quartz. Ils vivent tous sous une pluie incessante, symbole des conséquences du changement climatique. Cette mise en scène, orchestrée par le chorégraphe Nate Yaffe, marque la première représentation du texte éponyme écrit par Corinne Donly. La pièce est jouée en anglais avec des sous-titres français.

L’idée au coeur de la représentation est belle et originale. Le scénario pose des questions cruciales sur la manière dont les identités se fondent lors de catastrophes qui touchent tout un groupe, et la difficulté d’exprimer son besoin de se singulariser dans ce contexte. La pièce touche à des sujets très actuels, qui font échos à la crise climatique comme à de nombreuses tragédies collectives. Le choix de la métaphore du bosquet et des roches qui dépérissent sous la pluie incessante est très poétique et imagé.

Cependant, j’ai trouvé que certains éléments intéressants manquaient parfois quelque peu de développement, qui aurait été nécessaire afin d’avoir l’impact désiré. Par exemple, à la fin de la pièce, l’un des trembles choisit de s’appeler Robert plutôt que Roberta. Je pense qu’il est très intéressant d’avoir voulu aborder le sujet de la transidentité mais que la pièce aurait gagné à développer un peu plus là-dessus. Le discours de Robert sur son mal être de faire partie des Robertas était un peu trop général. Ce mal-être s’est perdu dans celui de toutes les Robertas, accablées de faire partie d’un bosquet qui dépérit sous la pluie, sans pouvoir exprimer leurs identités individuelles. J’ai parfois eu l’impression que la pièce essayait de dire trop de choses en trop peu de temps.La force de certaines propositions était atténuée par leur juxtaposition avec d’autres idées fortes, ce qui faisait que certains sujets pouvaient parfois sembler être amenés maladroitement.

De plus, bien que les acteurs portaient le texte avec un enthousiasme certain, j’ai trouvé que leur jeu sonnait parfois un peu faux. Leur ton et leurs expressions m’ont semblé parfois un peu exagérés, dans un style qui aurait pu tout à fait convenir à un public jeunesse, mais qui apparaissait surjoué pour le public adulte qu’il veut cibler. J’ai trouvé que le manque d’authenticité et de sincérité des personnages rendait assez difficile la tâche de s’attacher à eux, ce qui empêche de ressentir pleinement les enjeux du texte. De plus, certaines blagues manquaient un peu de subtilité et étaient un peu convenues. Quelques spectateurs riaient, mais ce n’est définitivement pas le genre d’humour qui pourrait plaire à tout le monde.

En revanche, la direction artistique était remarquable. L’obscurité constante, interrompue par de brèves éclaircies, plonge les spectateurs dans le même désespoir que les protagonistes qui attendent et espèrent l’arrivée du soleil. Au centre de la salle coule un filet d’eau incessant qui rend l’atmosphère humide.

Si certains acteurs manquent parfois un peu de justesse, ils compensent largement par leur corporalité. Leur manière de danser et d’occuper l’espace est des plus intéressantes. Alexis O’Hara a fait une belle prestation musicale sur scène, très particulière et appropriée à la pièce.

Certains éléments étaient très touchants. La relation entre la Roberta plus âgée et la Roberta plus jeune reflétait bien l’écart intergénérationnel qu’il peut parfois y avoir entre une mère et sa fille. Il y avait beaucoup de justesse dans la représentation de cette relation, avec ses silences, ses paroles, son manque de compréhension mutuelle et sa culpabilité. C’était une facette très juste et sincère, qui fut pour moi la lumière de la pièce.

Because of The Mud possède tous les éléments d’une bonne pièce de théâtre. Bien que j’aie regretté le manque de développement sur certains aspects, la pièce a su aborder un sujet profond et actuel de manière très originale, et l’exploiter avec une direction artistique qui lui a rendu honneur.

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Ulster American : identité et célébrité https://www.delitfrancais.com/2024/02/14/ulster-american-identite-et-celebrite/ Wed, 14 Feb 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=54703 Critique de la pièce Ulster American présentée au théâtre La Licorne.

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Le 6 février dernier, Le Délit a assisté à la pièce Ulster American, écrite par le dramaturge anglais David Ireland et présentée au théâtre La Licorne. Cette comédie noire interprétée par Frédéric Blanchette, Lauren Hartley et Vincent Leclerc, met en scène Ruth, une dramaturge d’Irlande du Nord, Jay, acteur hollywoodien oscarisé, et Leigh, metteur en scène londonien, dans le salon de ce dernier. À la veille de la première répétition, Leigh introduit Ruth et Jay qui ne se sont encore jamais rencontrés.

Un conflit identitaire

Ulster American se présente au premier abord comme un conflit identitaire entre les trois protagonistes. Leurs identités se cristallisent et s’opposent autour du thème de la pièce. L’autrice, Ruth, originaire d’Irlande du Nord, s’identifie comme British, exaspérant le metteur en scène londonien, qui lui explique que tout son succès tient du caractère irlandais de la pièce, et que sans cela, sa pièce et elle-même ne seraient rien. De son côté, Jay, l’américain d’origine irlandaise est perdu dans des subtilités qu’il ne saisit pas : pourquoi Ruth, née en Irlande du Nord, serait British? Est-elle protestante? La tension monte, le ton hausse, et soudain, les masques tombent, et chacun se campe dans son identité respective. Jay, qui vantait les louanges de la pièce à Ruth comme la meilleure qu’il ait lue depuis dix ans, révèle sa profonde ignorance des dynamiques historiques du conflit. Son personnage, qu’il imaginait fervent catholique et pro-indépendance est en réalité un protestant schizophrène pro-Union, qui parcourt les rues de Belfast à la recherche de catholiques à tuer. Impossible pour lui de jouer ce rôle en opposition avec le sang irlandais de ses ancêtres qui coule dans ses veines, alors même qu’il n’y a jamais mis les pieds… Ruth se révèle elle aussi être bien différente des attentes du spectateur et des personnages. Interrogée sur la signification de la violence de sa pièce, la jeune autrice ne cache plus ses idées. Oui, la violence des protestants est regrettable, mais pas injustifiable selon elle. Que faire face à l’armée surentrainée, et suréquipée de l’IRA [Irish Revolutionary Army, ndlr] ? Malgré tous ses efforts, Leigh ne parvient pas à les réconcilier et sombre lui aussi dans le conflit lorsqu’il apprend que son amie est une Torie [électrice des conservateurs, ndlr], et par-dessus tout, pro-Brexit.

Avancer sans se renier

Bien que la pièce traite officiellement de l’identité, la réelle histoire qui se déroule en filigrane est celle de la célébrité. Comment accéder à la célébrité sans se renier soi-même? Chacun des personnages incarne une caricature de sa propre personne ; Jay, l’acteur oscarisé tente sans succès de se donner de la substance mais finit par se ranger derrière sa célébrité mondiale, dernier rempart face aux critiques de Ruth. Leigh tente coûte que coûte de sauver sa pièce qui bat de l’aile, n’hésitant pas à trahir ou à mentir, pour arriver à ses fins. Derrière sa façade lisse de bien-pensance, la colère laisse entrevoir sa vraie nature, sa misogynie latente. Ruth quant à elle est la jeune carriériste qui ne reculera devant rien pour parvenir au succès, prête à faire du chantage, et même à laisser sa propre mère seule à l’hôpital après un accident de voiture.

« Bien que la pièce traite officiellement de l’identité, la réelle histoire qui se déroule en filigrane est celle de la célébrité »

Une fin qui déçoit

Si le spectateur est conquis dès les premières minutes par les dialogues décomplexés, aux contresens aussi drôles que flagrants sur le féminisme ainsi que le racisme systémique, il peine à voir une porte de sortie se dessiner alors que les protagonistes s’enferment dans un conflit identitaire. Comment finir la pièce alors qu’à chaque réplique la réconciliation semble s’éloigner un peu plus? Finalement, et de manière abrupte, la fin s’impose au spectateur, violente, et déplacée, presque trop facile.

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