Ysandre Beaulieu - Le Délit https://www.delitfrancais.com/author/ysandrebeaulieu/ Le seul journal francophone de l'Université McGill Tue, 26 Mar 2024 22:54:30 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.4.4 Terreur en Haïti: la diaspora s’exprime https://www.delitfrancais.com/2024/03/27/terreur-en-haiti-la-diaspora-sexprime/ Wed, 27 Mar 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55320 Une entrevue avec Carl-Henry Désir et Garnel Augustin.

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Le lundi 4 mars 2024, le gouvernement haitien a déclaré l’état d’urgence, suite à la prise d’assaut de deux prisons par les gangs de Port-au-Prince, la capitale, ainsi que la libération de plus de 4 700 prisonniers au cours de la journée précédente. La métropole haïtienne s’est alors retrouvée engouffrée dans la violence, alors que les gangs menaient des attaques contre les institutions de l’État (notamment les stations de police), semant la pagaille à travers la capitale. Pour mieux comprendre la perspective de la diaspora haïtienne à Montréal sur les récents développements, Le Délit s’est entretenu avec Carl-Henry Désir, ancien enseignant de français à la Secrétairerie d’État à l’Alphabétisation en Haïti et présentement enseignant en francisation au Centre de services scolaire de Montréal, ainsi qu’avec Garnel Augustin, pasteur à l’Église Baptiste Nouvelle Jérusalem, située dans Montréal-Nord.

Contexte et développements

Depuis 1900, la politique haïtienne est marquée par d’innombrables interventions indirectes de la communauté internationale, notamment pendant la guerre froide. Haïti subit aussi trois interventions directes, dont une occupation militaire américaine entre 1915 et 1934. Ces interventions, combinées au régime dictatorial de François Duvalier (1957–1971), ont donné lieu à l’émergence d’une violence endémique, alimentée par les gangs. Le pays est ainsi victime d’une violence extrême depuis plusieurs décennies et témoigne d’une intensification marquée de cette dernière depuis le début du mois.

Suite au 4 mars 2024, Jimmy « Barbecue » Cherizier, chef de gang, a averti les autorités que sans la résignation du président intérimaire, Ariel Henry (nommé suite au décès du président Jovenel Moïse), la capitale nationale subirait une guerre civile et un « génocide ». Henry devait en effet quitter ses fonctions présidentielles en février mais a conservé son poste au-delà de son mandat, causant une escalade de la violence menée par les gangs dans Port-au-Prince. Ces derniers, historiquement engagés dans des guerres de territoire à travers la capitale, se sont unis autour de cette demande de démission et refusent depuis toute intervention internationale.

Les deux principaux gangs concernés, le G9, mené par Cherizier, et le GPep, sont pourtant des rivaux de longue date. Le 11 mars 2024, leur décision de s’unir mène finalement à la démission de Henry et à la mise en place d’un conseil transitoire, composé de sept représentants de partis politiques et deux observateurs issus de la société civile et de la communauté religieuse. Le conseil est formé par les Haïtiens, sous les auspices de la Communauté caribéenne (CARICOM), un organisme international comprenant les nations caribéennes. Le conseil a cependant été rejeté par Cherizier, qui affirme que seuls ceux vivant en Haïti sont en mesure de prendre de telles décisions. Au cœur de cette instabilité gouvernementale, le climat socio-politique demeure largement incertain.

« Le plus gros problème, c’est l’insécurité. Il faudrait une commission d’enquête pour trouver ceux qui ont armé les gangs. D’où viennent leurs munitions? Sans analyse plus profonde, un conseil transitoire est une solution éphémère »

Pasteur Garnel Augustin

Perspective de la diaspora

Le succès potentiel d’un conseil transitoire organisé par la CARICOM semble être un sujet contentieux. Le pasteur Augustin affirme qu’une telle mesure pourrait en partie résoudre la violence mais que l’enjeu réel est plus profond : « Le plus gros problème, c’est l’insécurité. Il faudrait une commission d’enquête pour trouver ceux qui ont armé les gangs. D’où viennent leurs munitions? Sans analyse plus profonde, un conseil transitoire est une solution éphémère. » Il identifie également l’enjeu de corruption et explique que l’aide internationale n’est pas acheminée là où elle devrait l’être : « Les politiciens s’approprient l’argent et ceux qui devraient en bénéficier ne reçoivent rien. Ils n’ont pas de vision pour le peuple. » M. Désir, quant à lui, exprime une ambivalence par rapport à l’utilité de la CARICOM, et perçoit l’organisme comme le défenseur des intérêts américains. « La solution ne devrait pas être introduite par la communauté internationale. Celle-ci devrait écouter les demandes du peuple, et non celles des politiciens corrompus », explique-t-il. La question de l’intervention internationale fait également débat. M. Désir explique que les Haïtiens à travers la diaspora montréalaise ont envie de voir leur pays s’épanouir mais qu’il y a des désaccords quant au rôle du Canada dans le processus. Le pasteur Augustin spécule que la volonté politique du Canada de s’impliquer dans les affaires haïtiennes n’existe simplement pas. « Le Canada est plus préoccupé par ce qui se passe en Ukraine ou au Moyen-Orient. On laisse les Haïtiens à leurs propres soins. C’est pourquoi le gouvernement canadien demeure à l’écart. » Il poursuit : « certains pensent que le Canada devrait envoyer des troupes en Haïti, mais je comprends pourquoi ce n’est pas le cas. Une telle intervention pourrait être mal interprétée, et cela nuirait à l’image du Canada. »

M. Désir, pour sa part, souligne l’importance de différencier « le discours officiel du discours officieux », c’est-à-dire, de comprendre qu’une intervention canadienne serait à l’avantage du Canada. Il soutient que l’intervention internationale est en réalité à la base du problème en Haïti : « Certains pensent qu’Haïti n’arrive pas à s’en sortir à cause de la pauvreté, qui serait en quelque sorte inhérente. Selon moi, le problème, au contraire, est qu’Haïti est riche en ressources, et donc que les pays comme le Canada, les États-Unis et la France, auraient intérêt à rester étroitement impliqués dans les affaires du pays. » Les multiples intérêts, selon lui, font donc compétition, et la vision d’Haïti comme pays indépendant s’efface.

« Les Haïtiens ont une mentalité influencée par les intérêts de la communauté internationale […], il faut construire une mentalité haïtienne unie, et c’est un processus qui commence avec l’éducation »

Carl-Henry Désir

C’est pourquoi M. Désir voit comme seule solution un processus de rééducation, par lequel les Haïtiens pourraient développer leur propre mentalité : « Les Haïtiens ont une mentalité influencée par les intérêts de la communauté internationale, axée vers l’extérieur plutôt que vers leur peuple, leur pays. Il faut construire une mentalité haïtienne unie, et c’est un processus qui commence avec l’éducation », affirme t‑il. Cette rééducation serait donc, pour M. Désir, la clé de la solution.

Pasteur Augustin émet une idée similaire : « Ce qu’il faut, c’est avoir une vision collective du pays, le voir grandir et s’épanouir. » Il souligne que le manque d’unité au sein de la communauté crée un obstacle considérable. « On avait discuté de mettre quelqu’un issu de la diaspora haïtienne dans le conseil transitionnel, mais la personne suggérée a été contestée, et le manque de consensus a fait halte au projet. » Selon lui, ce manque d’unité est également visible dans la diaspora haïtienne : « Il y a énormément d’organismes communautaires haïtiens dans la diaspora, mais ils sont divisés et impersonnels. » Il attribue cela à un manque d’organisation, et affirme que les récents déroulements politiques en Haïti n’ont pas fait trop de bruit dans la communauté haïtienne à Montréal. « On se pose des questions, on prie pour que le problème se résolve, on en discute de manière philosophique, mais de manière pratique, on n’est pas très impliqué. »

Cependant, M. Désir et le pasteur Augustin soulignent la capacité du peuple haïtien à surmonter l’adversité. Le pasteur note qu’un organisme au sein de son église couvre la totalité des dépenses d’une école en Haïti, qui accueille plus de 200 élèves. « Nous payons les salaires des employés et des professeurs, les uniformes, et les matériaux, pour faciliter l’accès à l’éducation gratuite. Nous voulons investir dans l’avenir des jeunes haïtiens,
pour qu’ils puissent obtenir une formation et devenir utile dans la communauté. » M. Désir affirme : « Les Haïtiens sont attachés à leur pays, le peuple est fier et cherche l’autodétermination. La diaspora rayonne partout dans le monde. » Il note également la mobilisation en masse de la communauté haïtienne en soutien à la construction d’un canal d’irrigation à la frontière entre Haïti et la République dominicaine. « L’armée dominicaine a été déployée, et malgré cela, les Haïtiens se sont unis et mobilisés pour que le projet avance. » Le pasteur Augustin conclut : « On devrait se réunir pour faire des actions concrètes pour aider le pays, mais sur le plan politique, ce n’est pas évident. »

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Portrait de la nouvelle Ligue professionnelle de hockey féminin https://www.delitfrancais.com/2024/03/20/portrait-de-la-nouvelle-ligue-professionnelle-de-hockey-feminin/ Wed, 20 Mar 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55190 Une avancée pour les hockeyeuses professionnelles en Amérique du Nord.

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Le 17 mars dernier, l’équipe de Montréal de la Ligue professionnelle de hockey féminin (LPHF) a affronté l’équipe de Toronto à Pittsburgh aux États-Unis, dans un match qui a culminé en un score de 2 à 1 en faveur de l’équipe de Toronto. L’équipe de Montréal a remporté 10 des 18 matchs qu’elle a joués depuis le début de la saison, et se situe en troisième place du classement de la ligue, après Toronto et Minnesota, avec 30 points. Depuis son annonce en juin 2023, la LPHF a permis aux joueuses professionnelles d’enfin retrouver une ligue en janvier 2024, et a depuis connu un succès important.

LPHF : le résultat d’un activisme féministe


La création de la LPHF est le résultat des efforts de la part de l’Association des joueuses professionnelles de hockey (PWHPA). La PWHPA est un syndicat professionnel représentant les hockeyeuses faisant aujourd’hui partie de la LPHF. Il a été formé en 2019, suite à la dissolution de la Ligue canadienne de hockey féminin (CWHL), une des deux ligues majeures de hockey féminin en Amérique du Nord avec la Fédération première de hockey (FPH).

Alors que la CWHL s’était arrêtée en raison de difficultés financières, ses joueuses ont créé la PWHPA, refusant d’intégrer la FPH en raison des salaires inadéquats. En effet, en 2019, plus de 200
joueuses professionnelles et membres de la PWHPA ont annoncé leur boycott de la saison de hockey avenante, réclamant une ligue unie et une durabilité financière pour ses joueuses. Dans un communiqué, celles-ci ont affirmé qu’elles ne joueraient dans aucune ligue professionnelle tant qu’elles n’auraient pas accès aux « ressources que le hockey professionnel demande et mérite (tdlr) ».

La LPHF a donc remplacé la CWHL, et a également absorbé la FPH en 2023 qui, malgré les hausses de salaires, était en manque de financement. Suite à cela, en juin 2023, une convention collective a été signée par les membres de la PWHPA, majoritairement des joueuses issues des deux anciennes ligues, permettant ainsi la mise en place d’une unique ligue professionnelle féminine nord-américaine, la LPHF. Celle-ci représente maintenant le paysage uni du hockey féminin, auparavant divisé entre la CWHL et la FPH.

« La LPHF représente maintenant le paysage uni du hockey féminin, auparavant divisé entre la CWHL et la FPH »

Fonctionnement et diffusion
La ligue compte 157 joueuses provenant de 12 pays différents, dont 90 Canadiennes et comporte six équipes : trois équipes canadiennes (Montréal, Toronto et Ottawa) et trois équipes américaines (Boston, Minneapolis Saint-Paul et New York). Toutefois, les matchs ne se jouent pas seulement dans ces villes, ils peuvent aussi prendre place dans les villes environnantes et dans les arénas de la LNH (Ligue nationale de hockey) ou encore celles de ligues mineures et juniors. Les noms et les logos des équipes sont jusqu’à ce jour en suspens et ne semblent pas être une priorité pour l’administration. Pour l’instant, les chandails des joueuses ont seulement des couleurs distinctives et le nom de leur ville respective.

Durant cette première saison, l’équipe de Montréal jouera 24 matchs au total, dont 16 qui seront diffusés sur les chaînes RDS et RDS2. C’est notamment sur ces chaînes qu’une équipe de diffusion entièrement féminine couvre pour la première fois la saison complète d’une ligue de sport.

La partie du 20 avril entre Montréal et Toronto, qui était initialement à l’Auditorium de Verdun a été relocalisée au mythique Centre Bell, témoignant du grand succès qu’a eu la ligue depuis le début de la première saison. Les billets saisonniers ont tous été vendus et les prochains matchs à l’Auditorium de Verdun sont déjà complets. Jusqu’à maintenant, le nombre record de spectateurs a été de 19 925 à l’aréna Scotiabank de Toronto. L’équipe de Montréal souhaite atteindre et même dépasser cette participation au Centre Bell qui a la capacité d’accueillir 21 105 spectateurs.

Bien qu’elle soit nouvelle dans le paysage du hockey professionnel nord-américain, la LPHF a également pu participer à un événement culte du hockey professionnel : le Match des étoiles, en concluant celui-ci avec des trois contre trois.

« Les congés de maternité permettent notamment aux hockeyeuses d’avoir des enfants et une carrière professionnelle simultanément »

Avancées ou inégalités?


La PWHPA se charge maintenant de protéger et d’assurer les droits des joueuses de la LPHF, et vise à offrir une alternative plus durable et stable aux deux ligues dissoutes. Le syndicat garantit notamment des salaires plus élevés et stables. En effet, la CWHL qui était exclusivement financée par des donateurs privés, versait à ses joueuses des salaires entre 2 000 et 10 000 dollars canadiens par année. La FPH, pour sa part, était la première ligue de hockey féminine à verser à ses joueuses un salaire raisonnable. Pour la saison 2015–2016, la ligue avait fixé un salaire minimum de 10 000 dollars canadiens, et un plafond de 270 000 dollars canadiens par quipe. En 2016–2017, ce salaire a été divisé par deux en raison de restrictions budgétaires, mais a drastiquement remonté en 2023 avec l’établissement d’un plafond de 1,5 million de dollars par équipe, une hausse de salaire historique dans le hockey féminin. Quant à elle, la LPHF offre à ses joueuses un salaire minimum d’au moins 47 000 dollars canadiens par an, et exige qu’un maximum de neuf joueuses par équipe toucheront ce salaire minimum. Les joueuses les plus payées pourraient toucher plus de 109 000
dollars canadiens, bien que les salaires spécifiques ne soient pas publiés. Ce nouveau salaire permettrait aux joueuses de se concentrer sur leur carrière sportive, sans avoir à compléter leur revenu avec des emplois externes.

Plusieurs droits qui n’étaient pas garantis par les ligues précédant la LPHF sont maintenant offerts aux joueuses de la nouvelle ligue, notamment une assurance santé stable, un plan de retraite, des bonus et des congés de maternité. Ces derniers permettent notamment aux hockeyeuses d’avoir des enfants et une carrière professionnelle simultanément, servant à déstigmatiser la grossesse chez les athlètes.

Il est cependant important de noter que les inégalités perdurent, et que comparativement à leur homologue masculin, la Ligue nationale de hockey (LNH), les salaires des joueuses restent insuffisants. Le salaire débutant pour un joueur de la LNH est de plus d’un million de dollars canadiens, comparé au salaire minimum auquel plusieurs joueuses de la LPHF touchent. De plus, la couverture médiatique limitée du hockey féminin, tout comme la quantité minimale d’investissements dans les équipes de la LPHF font contraste à l’envergure du hockey masculin. Ces différences entre la LNH et la LPHF témoignent des inégalités systémiques qui continuent d’affecter les sportives de carrière. Il reste de l’espace pour les avancées féministes dans le hockey professionnel.

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Gaza n’est pas un vase clos https://www.delitfrancais.com/2024/02/28/gaza-nest-pas-un-vase-clos/ Wed, 28 Feb 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55034 Bombardements au Liban, stabilité régionale, et tensions en Égypte.

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Le 19 février dernier, deux frappes israéliennes ont touché Ghaziyeh, un village au sud du Liban, à environ 60 km de la frontière avec Israël. Depuis les attaques du 7 octobre, toute l’attention est portée sur Gaza, et pourtant, les conséquences de ce conflit sont régionales : la violence dépasse les frontières, notamment celle entre Israël et le Liban. Depuis cinq mois, Israël et le Hezbollah, le principal groupe armé du Liban aujourd’hui considéré par de nombreux gouvernements comme groupe terroriste, s’échangent des frappes aériennes, faisant plusieurs centaines de morts dans les deux camps, majoritairement des combattants du côté libanais et des soldats du côté d’Israël.

Le Délit s’est entretenu avec Ferry de Kerckhove, ancien ambassadeur du Canada en Égypte, et Sami Aoun, politologue et professeur émérite à l’Université de Sherbrooke pour éclaircir et contextualiser les développements récents du conflit à Gaza.

Bombardements au Liban

Les frappes israéliennes du 19 février à Ghaziyeh sont précédées par une série d’autres attaques. Le 14 février, une mère et ses deux enfants à Sawwaneh, et cinq membres d’une famille à Nabatiyeh ont été tués par des contre-attaques israéliennes au Liban. Depuis le 7 octobre, environ 268 libanais, en grande partie des membres du Hezbollah, ont été tués par l’armée israélienne. La violence entre Israël et le Hezbollah n’est pas restreinte au sud du Liban. Le 3 janvier 2024, un missile israélien a frappé un bâtiment en banlieue de Beyrouth, tuant Saleh Al-Arouri, le numéro deux du Hamas. Plusieurs analystes concluent qu’à travers ces attaques qui ciblent majoritairement des membres du Hezbollah, l’armée israélienne essaie d’élargir l’existante zone militaire tampon à la frontière en rendant le sud du Liban inhabitable aux civils. Ceci a eu pour conséquence le déplacement de près de 86 000 Libanais dans les quatre derniers mois.

Des tensions historiques entre Israël et le Hezbollah

La violence de part et d’autre de la frontière entre le Hezbollah et Israël n’a rien de nouveau. La milice perpétue des attaques à basse intensité dans la région tampon, initialement mise en place par les casques bleus de l’ONU autour de la frontière depuis plusieurs années déjà. C’est en 1982, en réponse à l’invasion terrestre de l’armée israélienne pendant la guerre civile libanaise (1975–1990), que le Hezbollah a été créé, et c’est en 2006 qu’Israël et la milice se sont affrontés sur le territoire libanais. De Kerckhove explique : « le Hezbollah est devenu la bête noire d’Israël après son retrait de celui-ci du Liban en 2006. » En effet, alors qu’Israël était entré au Liban afin d’éradiquer le Hezbollah, cette intervention s’est terminée en échec pour Israël. Depuis, le Hezbollah sert de levier à l’Iran pour faire pression sur Israël.

Le Hezbollah et l’Iran

Le Hezbollah est « le joyau de l’expansion iranienne et de son renforcement dans la région », et grâce à son financement par l’Iran, il «constitue une énorme nuisance pour Israël, » explique Aoun. Ce financement se traduit par la loyauté inconditionnelle du Hezbollah envers l’Iran, selon Aoun. En effet, Hassan Nasrallah, secrétaire général du Hezbollah, a admis obéir au pied de la lettre aux ordres de Khamenei, chef d’État Iranien. Aoun explique : « le Hezbollah donne à l’Iran un mot à dire dans la région, le sort de son statut d’État paria, et l’aide à se situer au sommet d’un nouvel ordre régional. » C’est pourquoi l’Iran est préparé à financer le Hezbollah à un niveau très élevé.

En plus de son idéologie islamiste radicale, l’Iran, depuis sa révolution en 1979, est profondément opposé à l’existence d’un état israélien, qu’il perçoit comme un oppresseur étranger de la population palestinienne. Depuis, les deux s’engagent dans des affrontements par procuration, et la subordination totale du Hezbollah au régime iranien profondément anti-Israël se traduit en un conflit perpétuel entre Israël et le Hezbollah. C’est pourquoi, selon Aoun, « le rôle du Hezbollah est celui de distraction de l’armée israélienne, et de soutien au Hamas. Le Hamas et le Hezbollah ont également des affinités comme groupes islamistes radicaux, bien que le Hamas ne paye pas d’allégeance doctrinale envers l’Iran ».

« Le Hezbollah donne à l’Iran un mot à dire dans la région, le sort de son statut d’État paria, et l’aide à se situer au sommet d’un nouvel ordre régional »

Professeur Sami Aoun

Aux yeux du gouvernement Israélien, le Hamas et le Hezbollah sont également étroitement liés. Le professeur Aoun explique que « pour les israéliens, l’attaque qui a été menée par le Hamas le 7 octobre, était similaire à une attaque qu’ils anticipaient du Hezbollah pour occuper la Galilée [région du nord d’Israël, ndlr] ». Bien qu’il n’y ait pas de sources confirmant qu’une telle attaque se préparait, Israël craignait en effet une invasion surprise terrestre du Hezbollah comme celle menée par le Hamas en octobre.

Potentiels développements

Bien que la violence ne soit pas aussi extrême qu’elle l’a autrefois été, la stabilité du Liban ne tient qu’à un fil selon De Kerckhove : « Netanyahou ne serait pas malheureux que quelques fusées du Hezbollah viennent causer des dommages en Israël. » Il explique que le Liban reste un pays où se situe l’ennemi juré d’Israël, un ennemi qui éprouve une réticence à s’impliquer dans le conflit à Gaza à grande échelle : « le Hezbollah sait très bien que Netanyahou demande seulement que la milice se lance dans une guerre contre Israël, et à ce moment, il [Netanyahou, ndlr] mettrait toutes ses forces pour détruire le Hezbollah, et même le Liban. » Une escalade des tensions entre le Hezbollah et Israël est donc envisageable, selon lui.

Aoun affirme cependant qu’Israël n’envisage que deux scénarios d’évolution de ses relations avec le Hezbollah. Un premier serait la continuation de frappes à basse intensité contre le Hezbollah. Le deuxième serait la conclusion d’une entente mandatant le recul du Hezbollah de 10 km de la frontière, le démantèlement des unités combatives de la milice et la délimitation des frontières libano-israéliennes, de manière à sécuriser une zone militaire tampon à la frontière. Bien qu’il soit difficile de prédire les développements du conflit sud-libanais, Aoun conclut « qu’Israël n’acceptera pas un retour au statu quo [d’avant le 7 octobre, ndlr] ».

La violence à la frontière, qui pour le moment est constituée de frappes aériennes, n’en est pas pour autant extrême. Le Professeur Aoun note en effet que le Hezbollah a des considérations pour la population libanaise, et adopte donc un certain pragmatisme dans sa façon de faire. « Il prend en considération la communauté chiite dans le sud Liban, et est soucieux de lui faire éviter des tragédies comme celles de Gaza. » Ce pragmatisme est reflété dans l’engagement du Hezbollah, qui ne dépasse pas les 5–6 kilomètres de la frontière du côté israelien, tandis qu’Israël provoque et frappe à près de 60 kilomètres du côté libanais. Aoun souligne aussi la supériorité technologique d’Israël, qui force le Hezbollah à être plus consciencieux dans son approche afin de limiter les dommages et la réponse israélienne. De Kerckhove confirme également que « si le Hezbollah se décidait à attaquer Israël, ce serait la fin du Liban dès le lendemain ».

De plus, bien que le sud du Liban ait toujours été instable, la violence à laquelle on assiste depuis quelques semaines est très différente de celle qu’on voit depuis des années. Le professeur explique : « Après la guerre de 2006 [entre Israël et le Liban, ndlr], il y a eu quelques morts seulement », mais depuis quelque temps, la violence accroît, et d’autres acteurs s’introduisent, comme le groupe politique Amal.

La stabilité précaire du pays est également liée a la politique locale, selon Aoun. « Le gouvernement libanais n’exerce pas sa souveraineté sur le territoire et s’aligne entièrement avec le Hezbollah. » Ce dernier est donc l’interlocuteur réel de toute tractation diplomatique avec d’autres pays de la région, que ce soit dans la démarcation des frontières ou dans la défense du pays. Le Professeur souligne le rôle insignifiant de l’armée, et affirme que « l’État libanais est semi-failli ». Le Hezbollah, en tant qu’interlocuteur international principal, a conditionné un cessez-le-feu à la frontière avec un cessez-le-feu à Gaza, « donc la stabilité du Liban à été conditionnée à celle de Gaza ».

Une déstabilisation régionale

Les conséquences du conflit ne sont pas limitées au territoire libanais. Ferry de Kerckhove affirme que « la guerre contre Gaza est en train de désolidariser les pays arabes, incluant les pays qui ont signé les Accords d’Abraham ». Ces accords bilatéraux de paix, conclus depuis 2020 entre Israël, les Émirats Arabes Unis, le Bahreïn, le Soudan et le Maroc, normalisent les relations diplomatiques entre les signataires. Ils continuent d’être négociés avec plusieurs autres pays de la région, notamment l’Arabie Saoudite, et sont donc seulement partiellement négociés. Ces accords marquent un point tournant depuis la ratification de la Résolution de Khartoum en 1967 par ces pays membres de la Ligue arabe, une résolution qui refusait la reconnaissance de l’État d’Israël. Les accords d’Abraham indiquent donc la volonté de ces quatre pays arabes d’adopter une position plus modérée par rapport au conflit israélo-palestinien et de normaliser leurs relations avec Israël.

De Kerckhove explique : « Ces accords sont importants parce que la normalisation des relations diplomatiques entre les pays arabes et Israël, se fait pour le profit de la région. Ceci ne règle pas le conflit avec la Palestine, mais les accords sont fondamentaux sur le plan politique de la région. La coopération économique entraînée pourrait enfin changer la teneur générale de la région. » Cependant, le conflit à Gaza met en péril la perdurance de ces accords. Il poursuit : « la plus grande partie de ces accords, entre Israël et l’Arabie saoudite, n’ont pas été ratifiés. Les négociations allaient bien, jusqu’à l’attaque du 7 octobre ». Le Prince Khalid Bin Bandar, ambassadeur saoudien au Royaume Uni, a en effet annoncé que la normalisation des relations diplomatiques avec Israël ne se ferait pas au dépend de la population palestinienne, et qu’il serait hors de question que les négociations se poursuivent tant qu’un État palestinien n’existait pas.

« La tentative de Netanyahu d’expulsion ne passera certainement pas en Égypte, vu son potentiel destructeur pour le pays »

Ferry de Kerckhove

De Kerckhove ajoute également que seule l’Arabie saoudite a suffisamment de poids sur la balance régionale pour forcer Israël à accepter la création d’un État palestinien. Une entente de paix entre les deux pays renforcerait la légitimité d’un État israélien aux yeux de la population arabe, et constituerait donc en un obstacle considérable aux mandat anti-Israël du Hamas.

Développements en Égypte

L’historique des mouvements de masse entre la bande de Gaza et le Sinaï, région hautement militarisée de l’Égypte, a poussé le gouvernement égyptien à entreprendre la construction de murs frontaliers, visant à empêcher l’entrée de réfugiés palestiniens. Ferry de Kerckhove explique le raisonnement égyptien derrière de telles mesures. Selon lui, la réticence égyptienne à accepter les Gazaouis s’explique en trois points. Premièrement, après avoir expulsé les derniers Gazaouis de chez eux, les Israéliens vont prendre possession de Gaza de manière permanente, et les réfugiés palestiniens en territoire égyptien n’auront plus la possibilité de rentrer chez eux. Deuxièmement, « le Hamas a une idéologie très similaire à celle des Frères musulmans, or les Frères musulmans sont ennemis du gouvernement du président Sisi ». Troisièmement, l’Égypte a déjà accueilli deux millions de réfugiés soudanais depuis le début de la crise au Soudan, et est donc réticente à en accepter d’autres venant de Gaza. « Autrement dit, la tentative de Netanyahu d’expulsion [de tous les Palestiniens actuellement à Rafah, ndlr] ne passera certainement pas en Égypte, vu son potentiel destructeur pour le pays, » conclut de Kerckhove.

Alors que le gouvernement de Netanyahu a annoncé une attaque terrestre imminente de l’armée israélienne à Rafah, ville frontalière dans laquelle le gouvernement Israélien avait poussé les palestiniens du Nord de la bande de Gaza à aller se réfugier, les tensions restent élevées entre l’Égypte et Israël.

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Un indépendantisme solidaire https://www.delitfrancais.com/2024/02/21/un-independantisme-solidaire/ Wed, 21 Feb 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=54932 Une nouvelle campagne de Québec Solidaire promeut la souveraineté auprès des jeunes.

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Le 9 février dernier, Québec Solidaire, parti politique de gauche dirigé par les co-porte-paroles Gabriel Nadeau-Dubois et Émilise Lessard-Therrien, a annoncé une campagne destinée à rallier les jeunes au projet indépendantiste québécois.

De nouveaux arguments

Le projet proposé consiste en quatre étapes. Il demande l’élection d’un gouvernement solidaire, la création d’une assemblée représentative de la société québécoise, le développement d’une constitution à l’image de l’opinion et des inquiétudes du peuple québécois, et finalement, la déclaration de l’indépendance de ce nouveau pays.

La campagne établit un nouveau visage à l’argument souverainiste. En effet, l’idéologie est souvent associée à une vision anti-immigration tenue par une tranche de la population âgée qui avait l’âge de voter lors des deux premiers référendums sur l’indépendance du Québec en 1980 et en 1995. Lors d’une entrevue avec Radio-Canada, Ruba Ghazal, députée solidaire à la tête de cette nouvelle campagne, explique vouloir avancer une vision plus progressiste de la souveraineté. En effet, celle-ci met en lumière des enjeux précédemment exclus du discours indépendantiste, tels que l’importance des relations de nation-à-nation avec les populations autochtones en territoire québécois.

Attrait auprès d’un jeune public

La campagne lancée cible un public jeune, auprès duquel le projet indépendantiste semble présentement avoir moins d’attrait. La nouvelle génération n’a pas vécu la période des référendums, et est moins préoccupée par l’idée d’un Québec indépendant. Éric Bélanger, professeur en sciences politiques à l’université McGill écrit au Délit : « Il est certain que ce projet a le potentiel de devenir attrayant s’il est arrimé de manière convaincante aux
préoccupations (notamment environnementales) de la jeune génération actuelle. » C’est ce que Québec Solidaire tente, en notant dans leur plan qu’un Québec indépendant serait libre de passer des lois plus progressistes sur l’environnement, qui seraient autrement contraintes par la séparation constitutionnelle des juridictions. Bien que la vision avancée soit importante au succès d’un mouvement pro-souverainiste, l’attention doit être aussi portée au contexte socio-politique. Le professeur Bélanger explique que « le meilleur catalyseur d’appui pour le projet souverainiste au Québec a toujours été un sentiment de colère ou d’indignation vis-à-vis des autres partenaires canadiens ». Il poursuit qu’une telle crise n’est pas en vue. En effet, les autorités fédérales gèrent avec prudence leurs relations avec le Québec depuis la période des référendums en 1980 et en 1995. Le gouvernement fédéral
n’a rien à gagner de l’indignation des Québécois, et ceci se reflète dans sa politique qui a donné naissance à un fédéralisme asymétrique, c’est-à-dire un fédéralisme adapté aux spécificités du Québec.

Éric Bélanger note cependant la possibilité de points de friction importants entre le gouvernement québécois et le gouvernement fédéral. Il identifie notamment la potentielle décision de la Cour Suprême du Canada sur la constitutionnalité de la Loi 21. Cette loi sur la laïcité, pour laquelle le gouvernement caquiste de François Legault
a invoqué la clause nonobstant, fait polémique depuis son adoption en 2019. Le prononcement d’un jugement défavorable à la Loi 21 par la Cour « pourrait offrir un potentiel de choquer plusieurs Québécois ». En effet, cette loi, parfois perçue comme renfort du caractère distinctement laïque de la province, pourrait être source de tension entre le Québec et le Canada si la Cour Suprême émettait un jugement défavorable à l’opinion québécoise.

Pourquoi maintenant?

Québec Solidaire, affirme le professeur Bélanger, « cherche à réagir à la montée en popularité du Parti Québécois, et donc à ne pas laisser ce parti occuper seul toute la place concernant le projet de souveraineté ». En effet, le Parti Québécois gagne rapidement en popularité, surtout auprès du jeune électorat : en décembre 2023, 40% des jeunes disaient voter pour Québec Solidaire, et 23% pour le Parti Québécois, contre 36% et 27% en février 2024, respectivement, selon un sondage publié par la firme Léger.

La décision de lancer cette campagne n’est pas exclusivement stratégique. Elle est également fondée dans une réelle conviction idéologique au sein de Québec Solidaire que l’indépendance du Québec est un projet fondamental pour la province. Comme Bélanger le fait remarquer, Émilise Lessard-Therrien, nouvelle co-porte-parole du parti depuis juin 2023, adhère ouvertement au souverainisme depuis longtemps. Bélanger explique que cette croyance tenue par plusieurs membres influents du parti se traduit en « une croyance que les jeunes Québécois peuvent se laisser convaincre du bien fondé et de la nécessité du projet ». Toutefois, il note qu’il est trop tôt pour déterminer si l’idée gagnera de la traction au sein de cette tranche de la population.

Et l’opinion étudiante?

Bien qu’il soit trop tôt pour déterminer la popularité du projet indépendantiste Solidaire, Le Délit a discuté avec trois jeunes québécois·e·s (18–34 ans), Marianna, Alex* et Jess, pour mieux comprendre ce qui les attire dans la souveraineté québécoise, mais aussi leur réticence à s’embarquer dans un tel projet.

« Le meilleur catalyseur d’appui pour le projet souverainiste au Québec a toujours été un sentiment de colère ou d’indignation vis-à-vis des autres partenaires canadiens »

Professeur Éric Bélanger

Marianna explique que pour elle-même et son entourage, l’enjeu d’indépendance n’est pas la priorité, surtout pour les jeunes issus de familles immigrantes. « Nos inquiétudes ne sont pas basées autour de l’indépendance
du Québec. » Elle poursuit : « le Québec pourrait peut-être faire mieux sur le plan international s’il était indépendant, donc je pense que le projet a de la légitimité, et c’est certainement plus facile d’accrocher les jeunes avec leur vision [celle de Québec Solidaire, ndlr] altermondialiste [une pratique qui favorise une économie sociale et mieux répartie, ndlr] ».

Toutefois, des enjeux identitaires trompent l’attrait de cette vision pour Marianna. Elle clarifie que « les communautés immigrantes n’ont pas vraiment de sentiment d’appartenance au Québec, et s’associent plus au Canada qu’au Québec. Il faudrait promouvoir une identité québécoise qui est plus inclusive ». Elle illustre la nécessité d’un projet d’indépendance qui rallie les québécois·e·s de toutes les origines, et conclut : « Je ne me sentirais pas représentée dans un Québec qui ne fait plus partie du Canada. »

Alex trouve la proposition solidaire plus attirante. Iel adhère particulièrement à l’idée d’un Québec plus progressiste, qui n’est pas restreint par le reste du Canada, notamment sur des enjeux environnementaux.
Iel ajoute : « J’ai plus d’attachement au Québec, à sa culture et son histoire qu’au Canada. Je parle de la
culture québécoise au sens large, qui inclut les communautés immigrantes. Je pense que c’est important aussi qu’il y ait une valorisation de cette culture québécoise, et l’indépendance aiderait cela. »

L’indépendance, néanmoins, ne peut pas être obtenue coûte que coûte, selon Alex. « Il y a certaines choses que nous ne pouvons pas sacrifier ou compromettre, comme la place égale des nations autochtones ou des immigrant·e·s dans un Québec indépendant », conclut-iel.

Alex note également une dimension géographique à considérer avec l’approche de Québec Solidaire. « Ayant grandi en campagne avec des Québécois qui étaient tous blancs et francophones, je n’avais pas vraiment de sensibilité aux enjeux des communautés autochtones. Je ne sais pas si les arguments de Québec Solidaire sur l’importance d’inclure les nations autochtones dans le processus vont nécessairement rejoindre les jeunes qui ne sont pas sensibilisés à ces situations. »

Jess, pour sa part, exprime de l’ambiguïté. « Je n’ai pas d’opinion fondée. Au niveau identitaire, je m’associe plus au Québec qu’au Canada, mais le Canada fait quand même partie de mon identité. » Jess explique douter de l’approche de Québec Solidaire vis-à-vis ses relations avec les peuples autochtones, et de l’argument environnemental. En référence au plan mis en ligne par le parti, iel explique qu’au vu de la manière dont il est
présenté, « Québec Solidaire met le blâme sur le reste du Canada pour les problèmes environnementaux, alors que c’est un enjeu collectif ». Iel continue : « Ils disent trouver important de centrer les expériences des personnes autochtones, mais ils n’en parlent qu’à la fin. Est-ce l’indépendance d’abord et les peuples autochtones ensuite, ou les peuples autochtones d’abord et ensuite l’indépendance? »


*Nom fictif

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Sénégal : une crise constitutionnelle https://www.delitfrancais.com/2024/02/14/senegal-une-crise-constitutionnelle/ Wed, 14 Feb 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=54644 Le report des élections présidentielles dans un pays à fortes traditions démocratiques

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Le 3 février dernier, Macky Sall, président du Sénégal depuis 2012, a annoncé que les élections présidentielles prévues pour le 25 février seraient repoussées, citant des désaccords entre l’Assemblée nationale et la Cour constitutionnelle autour de la liste finale des candidats présidentiels. Cette annonce a provoqué des manifestations violentes à travers le pays. Entretemps, le président Sall a confirmé que les élections se tiendraient finalement le 15 décembre 2024, plus de 10 mois après la date initialement prévue.

Le Sénégal obtient son indépendance en 1960, et gagne rapidement la réputation de démocratie stable au sein de la région. En effet, le pays ouest-africain tient des élections démocratiques de manière régulière depuis 1963, et est un des seuls pays de la région à ne pas avoir subi de coup d’État. L’annonce du président Sall a donc provoqué une onde de choc, et a remis en question la stabilité démocratique du Sénégal.

Le Délit s’est entretenu avec Khalid Mustafa Medani, professeur associé à McGill dans les départements de Science Politique et d’Études Islamiques pour contextualiser ce développement politique.

Le Sénégal : pays modelé par la tradition démocratique

Selon le professeur Medani, l’avenir de la démocratie sénégalaise dépend grandement de sa trajectoire politique depuis son indépendance. « Contrairement à d’autres pays avoisinants comme le Mali ou la Côte d’Ivoire qui ont récemment subi des coups d’État, le Sénégal est un pays qui n’en a jamais vécu (tdlr)», explique-t-il. Le Sénégal n’a jamais reporté d’élection depuis son indépendance en 1960, et bénéficie d’un système politique robuste et d’une constitution légitime. De plus, « la société civile est beaucoup plus puissante au Sénégal qu’elle ne l’est ailleurs dans la région, et les chefs d’opposition jouent le jeu [de la démocratie, ndlr] ».

« La nature de la culture politique au Sénégal, la société civile qui manifeste, vient équilibrer l’élite politique dont Sall fait partie »

Khalid Medani

« Il y a de fortes suspicions que ces événements marquent le début d’un coup constitutionnel, mais nous devons faire attention », explique le professeur Medani. Le Sénégal a une démocratie forte, et il n’est pas clair que les actions de Macky Sall sont anticonstitutionnelles. C’est en effet dans la nuit du 5 février que le projet de report du scrutin présidentiel est approuvé à l’Assemblée nationale quasi unanimement, avec 105 voix pour et une voix contre, par une législature où le parti du Président est majoritaire. Le professeur conclut donc qu’il ne faut pas « présomptivement arriver à la conclusion que la démocratie sénégalaise prend fin et qu’il y aura un coup militaire ».

Une crise constitutionnelle, pas plus

« On ne peut qu’émettre des hypothèses, nous ne connaissons pas le raisonnement derrière la décision de Macky Sall. Cependant, quand un chef d’État reporte des élections comme Sall l’a fait, c’est qu’il est inquiet du futur de son parti politique. » Le président sénégalais ne peut pas légalement se présenter pour un troisième mandat. « Cependant, affirme Medani, Sall peut limiter la liste de candidats présidentiels afin d’exclure les opposants qui présentent une réelle compétition pour son parti. »

Dans ce cas-ci, c’est Karim Wade et Ousmane Sonko qui sont les principaux candidats d’opposition en compétition avec le parti de Sall, l’Alliance pour la république. Ce sont aussi deux des membres de l’opposition qui ont été exclus de la liste de candidats présidentiels par le Conseil constitutionnel Sénégalais, et récemment purgés de peines de prison. « Ceci est cohérent avec la politique de Sall, explique le professeur Medani, il essaye de limiter toute opposition même si lui-même ne se présente pas. »

Il n’est pas inimaginable qu’il aille à l’encontre de la constitution et qu’il se présente pour un troisième mandat. Sall a affirmé en juillet 2023 qu’il ne se représenterait pas aux élections présidentielles de 2024. Néanmoins, la population sénégalaise et plusieurs opposants politiques considèrent que ce report soudain remet cette décision en cause, et que les récents événements constituent un risque de coup constitutionnel.

Le professeur Medani affirme que, ce que l’on observe est bel et bien une crise constitutionnelle, mais pas un coup d’État. Ceci ne veut pas dire qu’il n’y a pas de quoi s’inquiéter. El Malick Ndiaye, ancien porte-parole du parti de Ousmane Sonko a fait part de son inquiétude le 3 février, en affirmant que « ce n’est pas un report, mais une annulation de l’élection tout simplement ». Medani confirme qu’il est normal et important de manifester durant ce type de crise politique : « Plusieurs sénégalais, surtout les jeunes, sont inquiets à la perspective que le président essaye de se présenter pour un troisième mandat. »

Une région en déclin démocratique

Action qualifiée par certains de coup d’État constitutionnel, le « syndrome du troisième mandat » consiste entre autres en la modification des clauses de la constitution ayant trait aux mandats présidentiels, permettant ainsi d’invoquer une nouvelle constitution pour remettre le compteur des mandats à zéro. Cette stratégie a été utilisée dans d’autres pays, notamment par Alpha Condé, président de la Guinée en 2020, et subséquemment par plusieurs autres pays incluant le Mali et le Burkina Faso. Une telle action a déjà été redoutée au Sénégal en 2016, alors que Macky Sall, au milieu de son premier mandat présidentiel, a réussi à réduire la longueur des termes présidentiels de sept à cinq ans. Bien qu’il ait diminué la longueur potentielle de sa présidence, cette décision semblait être un stratagème de sa part. En effectuant des modifications à la constitution, un échappatoire constitutionnel lui permettait donc potentiellement de se présenter pour un troisième mandat.

Le professeur Medani confirme qu’il est probable que Sall tentait de changer la constitution en 2016, afin de se présenter pour un troisième mandat. « Son intention initiale était de s’attribuer un troisième mandat, mais il a fait face à énormément d’opposition domestique et internationale sur le coup. Quand son plan n’a pas marché, il s’est dit qu’il pouvait garder un certain pouvoir politique du moment que son parti restait puissant. »

Selon Medani, c’est justement à cause de ses robustes traditions démocratiques que le Sénégal ne peut être comparé à la tendance actuelle au troisième mandat dans le reste de la région. Il poursuit : « C’est une crise, mais on ne peut pas comparer ce qui se passe au Sénégal avec ce qui se passe dans le reste de la région : les traditions démocratiques sénégalaises sont à considérer ».

« Si on ne voit que des discours annonçant la tombée de la démocratie au Sénégal, la politique formulée le reflétera »

Khalid Medani

Une opposition domestique

« On peut observer une continuité entre les changements constitutionnels en 2016, et le report des élections en 2024 », explique Medani. Il existe, cependant un important obstacle à toute manœuvre anti-démocratique : la société civile. « Les manifestations qu’on voit actuellement sont majoritairement composées de jeunes, qui ont vu dans leur vie et sous le mandat de Sall la séparation entre le pouvoir présidence de Macky Sall. Ils ont raison de manifester. » La puissance de la société civile, soutenue par une tradition démocratique, a notamment été évidente lorsque Ousmane Sonko l’a mobilisée en 2021 dans une « caravane de la liberté », pour protester un procès de viol dit monté par le président Sall pour le disqualifier des prochaines élections.

Le professeur Medani poursuit : « Je pense que c’est justement grâce à une opposition comme celle qu’ils présentent que la démocratie Sénégalaise ne sera pas mise à terme. La nature de la culture politique au Sénégal, la société civile qui manifeste, vient équilibrer l’élite politique dont Sall fait partie ». De plus, l’opposition est double. « La société civile s’oppose au report des élections, mais l’élite politique aussi. Macky Sall n’a pas encore réussi à la coopter ». En effet, plusieurs figures d’opposition ont ouvertement rejeté le report des élections, et certaines entreprennent même leurs campagnes électorales comme prévu.

En revanche, Sall essaye activement d’éliminer cette opposition depuis le début de sa présidence. Depuis 2012, 42 membres du parti opposant de Karim Wade ont été emprisonnés par le président. Cette tactique politique a d’autant plus été soulignée par la population sénégalaise lors de l’emprisonnement d’Ousmane Sonko, figure principale de l’opposition en 2023. Malgré ces arrestations et l’écartement des principaux opposants, Medani maintient qu’il existe encore une opposition politique robuste, active, et connectée aux intérêts des manifestants.

En plus de la société civile, Medani prédit que les acteurs religieux auront un rôle important à jouer dans la crise. « L’Islam et les chefs religieux Sufis supportent la démocratie au Sénégal. Ils jouent un rôle de médiation entre la société civile et l’élite politique », et sont nécessaires pour assurer la prospérité de la démocratie sénégalaise. Il est probable que les chefs religieux du pays interviendront dans la crise, comme ils l’ont fait auparavant : pendant les manifestations de 2021 et 2023, c’est les Frères Mourides, ordre religieux puissant au Sénégal qui ont fait appel au calme, en demandant notamment à Sonko de mettre fin à sa grève de la faim, afin d’apaiser les manifestants.

« C’est une crise, mais on ne peut pas comparer ce qui se passe au Sénégal avec ce qui se passe dans le reste de la région : les traditions démocratiques sénégalaises sont à considérer »

Khalid Medani

Et la communauté internationale?

La réponse de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) à la crise reste conservatrice, demandant au Président Sall de restaurer au plus vite les élections. Précédemment, la Cédéao a joué un rôle punitif face aux infractions à la démocratie, par exemple, en imposant des restrictions économiques au Mali et au Burkina Faso après leurs coups d’État. « Dans le cas du Sénégal, cette approche n’est ni nécessaire, ni avantageuse, affirme Medani. La Cédéao peut jouer le médiateur, et retirer son chapeau militaire ». Une intervention diplomatique par l’organisation est donc importante. « Une crise constitutionnelle comme celle qu’on observe au Sénégal ne peut qu’être réglée au travers d’avenues légales et constitutionnelles », explique le professeur Medani. Il note toutefois qu’une intervention diplomatique de pays comme la France ou les États-Unis serait contre-productive. Malgré l’influence de la communauté internationale, « les pressions les plus efficaces, toutefois, restent domestiques », conclut-il.

Un autre enjeu empêche la résolution constitutionnelle de cette crise. « Plusieurs médias journalistiques prédisent déjà la fin de la démocratie au Sénégal », note le Professeur. Ceci influence grandement les décisions politiques prises, il est donc important de rationaliser le report des élections. « Si on ne voit que des discours annonçant la tombée de la démocratie au Sénégal, la politique formulée reflétera ceci, et les interventions seront différentes de nature : elles supporteront la société civile et la médiation par les autorités religieuses. »

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Regard critique sur le Mois de l’histoire des Noir·e·s https://www.delitfrancais.com/2024/02/07/regard-critique-sur-le-mois-de-lhistoire-des-noir%c2%b7e%c2%b7s/ Wed, 07 Feb 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=54513 Entretien avec Rosemary Sadlier, ancienne présidente de l’Ontario Black History Society.

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Le 1er février a marqué le début du Mois de l’histoire des Noir·e·s. Afin de souligner l’occasion, l’Université McGill, en coopération avec Le Bureau de l’équité de L’Université McGill, organise une série d’événements mettant de l’avant l’excellence des personnes noires au sein de l’Université. Cependant, sa longue histoire de discrimination et d’exclusion raciale, décrite par Suzanne Morton dans l’un de ses récents travaux, soulève plusieurs questions sur la manière dont l’Université McGill aborde ce mois.

Pour contextualiser la célébration du Mois de l’histoire des Noir·e·s en 2024, Le Délit s’est entretenu avec Rosemary Sadlier, ancienne présidente de l’Ontario Black History Society (OBHS), qui a joué un rôle fondamental dans sa mise en place.

Le Mois de l’histoire des Noir·e·s au Canada

Le mois de février est reconnu en 1995 au niveau fédéral comme le Mois de l’histoire des Noir·e·s, grâce aux efforts de Sadlier et de la députée parlementaire Jean Augustine. Ce mois est plus communément associé aux États-Unis, où il est officialisé 19 ans plus tôt. Ce retard, selon elle, est dû à la tendance canadienne à se considérer moins raciste que son voisin du sud, et même à ignorer sa propre histoire d’esclavage.

Sadlier explique avoir consacré 20 ans de sa carrière à l’instauration du 1er août comme Jour de l’émancipation, combat qui a finalement abouti en 2021 à la Chambre des communes. En effet, comme les discours soulignant l’inclusivité et la tolérance des Canadiens dominent, Sadlier explique qu’ils « rendent le travail de personnes comme moi très compliqué et difficile (tdlr) ». Elle identifie un manque d’éducation sur l’histoire des personnes noir·e·s dans le pays, ce qui « rend difficile la pensée critique chez les étudiants », et accorde donc aux institutions éducatives un rôle fondamental pendant le Mois de l’histoire des Noir·e·s.

Cette éducation commence par l’inventaire du contenu disponible au sujet de l’histoire des personnes noires au Canada. Sadlier explique que les manquements potentiels dans cette histoire posent problème aux étudiant·e·s de tous les niveaux. Bien que cette éducation soit cruciale pour tous·tes, plusieurs étudiant·e·s noir·e·s se voient sous-représenté·e·s dans le curriculum pendant leur scolarité. Mais le problème ne s’arrête pas là. Un·e étudiant·e noir·e qui arrive au niveau universitaire fait encore face à de nombreux obstacles : « Je connais un étudiant noir qui voulait faire son doctorat sur un chapitre de l’Histoire des personnes noires, qui a été rejeté sous prétexte qu’il n’y avait pas assez de contenu. »

McGill dans l’équation

Selon Sadlier, le Mois de l’histoire des Noir·e·s a pour mission de faire ressortir la vérité. Ceci requiert en première partie l’avancement des points de vue des personnes noires dans les milieux universitaires. Elle explique : « Si le rôle de l’université est d’élargir les horizons de ses étudiants, de promouvoir la diversité, d’enseigner la pensée critique, il est important de considérer la contribution des personnes noires. » Dans le contexte universitaire, comme elle le fait remarquer, ceci requiert aussi l’honnêteté de la direction et de l’administration de McGill par rapport à leur propre histoire de discrimination : « La plupart des universités au Canada ont une connexion à l’esclavage des personnes noires et autochtones. » Sadlier conclut que plusieurs d’entre elles ont tendance à filtrer et même omettre certains épisodes peu glorieux de leur passé colonial.

« Si le rôle de l’université est d’élargir les horizons de ses étudiants, de promouvoir la diversité, d’enseigner la pensée critique, il est important de considérer la contribution des personnes noires »

Rosemary Sadlier

McGill ne fait pas exception à la règle. En effet, le dernier projet ayant pour but de rapporter une histoire exhaustive de McGill a été publié en 1980, et omet entièrement le statut de propriétaire d’esclaves de son fondateur James McGill. D’après Sadlier, il est donc important de garder un esprit critique et de se questionner sur ce qui est pris pour acquis. Elle explique : « La vérité doit prendre le dessus sur les non-vérités. Elle fera éventuellement surface, et quand ce sera le cas, il sera difficile de l’aborder. Il est donc important pour les institutions universitaires d’être proactives dans leur approche. »

Cependant, l’Université McGill n’est pas restée entièrement inactive, et a publié un Plan de lutte contre le racisme anti-noir en 2020. Le document souligne les connexions historiques de l’Université avec la traite transatlantique d’esclaves, et établit un plan d’action et des cibles ancrées dans les expériences et les espaces étudiants, la recherche et l’action communautaire. Depuis, des rapports annuels ont été publiés par l’Université, décrivant ses progrès vers les cibles établies dans le plan, le dernier étant sorti en 2023.

Échapper à la responsabilité

Une ambiguïté persiste autour de la commémoration du Mois de l’histoire des Noir·e·s dans les universités en 2024. Sadlier elle-même éprouve une certaine ambivalence envers cet événement. « Est-ce un système parfait? Non, évidemment pas. (…) Moi-même, j’en ai fait la promotion [du Mois de l’histoire des Noir·e·s, ndlr] en faisant des présentations dans 2000 écoles, mais c’était parce qu’il n’y avait rien. Il n’existait aucune base pour l’enseignement de l’histoire des Noir·e·s. » Le manque de ressources disponibles pour la promotion de l’histoire des Noir·e·s faisait des victoires autrement superficielles de bons points de départ.

Bien que la commémoration du Mois de l’histoire des Noir·e·s constitue une avancée de la part de l’Université, Sadlier clarifie que cette stratégie s’avère souvent performative. « Quand une université souligne le Mois de l’histoire des Noir·e·s, elle n’a pas à faire autre chose, à faire des changements substantiels. Ce n’est pas dans son intérêt de le faire. »

Il est donc d’autant plus important de situer le Mois de l’histoire des Noir·e·s dans un plus grand contexte de décolonisation, un mouvement qui favorise l’action concrète aux avancées symboliques. Sadlier affirme que les obstacles auxquels les personnes noires font face sont similaires à ceux des personnes autochtones, surtout au sein du milieu universitaire. « Les Premières Nations étaient “l’Autre”, comme les personnes noires, elles ont été traitées de la même manière ». « L’Autre » correspond à n’importe quelle personne perçue comme n’étant pas blanche. « La doctrine de la découverte a été appliquée sur les terres autochtones, comme sur les terres africaines. Ces deux groupes et leurs luttes sont donc unis », conclut-elle.

La reconnaissance attribuée à McGill pour sa commémoration du Mois de l’histoire des Noir·e·s et même son plan contre le racisme anti-noir est à relativiser, considérant son traitement des groupes autochtones. Le projet d’expansion du campus de McGill illustre cette ambiguïté. En effet, une entente conclue mettait les Mères Mohawk à la tête du projet, mais l’Université aurait ignoré plusieurs recommandations du panel indépendant d’archéologues mandaté par la Cour Supérieure du Québec. Conséquemment, plusieurs sont d’avis que McGill réduit intentionnellement au silence les voix autochtones.

Sadlier fait remarquer que « si une institution opprime un groupe et manque de respect à leur histoire et à leurs voix, cette même institution traitera n’importe quel autre groupe minoritaire de la même manière ». Il est donc important de garder un œil critique sur l’usage du Mois de l’histoire des Noir·e·s comme représentatif d’universités comme McGill, et de situer leurs actions dans un plus grand contexte.

« Si une institution opprime un groupe et manque de respect à leur histoire et à leurs voix, cette même institution traitera n’importe quel autre groupe minoritaire de la même manière »

Rosemary Sadlier

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Intégrer Montréal par les salles de spectacle https://www.delitfrancais.com/2024/01/17/integrer-montreal-par-les-salles-de-spectacle/ Wed, 17 Jan 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=54177 La musique peut-elle aider à promouvoir la culture montréalaise à McGill?

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Certains étudiants anglophones de McGill se sentent aliénés par l’environnement dans lequel se trouve l’Université, réticents à s’immerger dans la culture francophone montréalaise. Il deviendra impératif de réduire ce clivage culturel et linguistique à travers la musique, en vue de nombreuses politiques gouvernementales de francisation.

Obstacle à l’intégration de McGill

McGill semble exister dans son propre écosystème, communément appelé « the McGill bubble », ou « la bulle McGill ». Malgré son emplacement en plein centre de Montréal, l’Université est isolée du reste de la ville, et ses étudiants hors province et internationaux semblent rarement interagir avec les quartiers francophones. Cependant, des mesures imposées par le ministère de l’Éducation du Québec dès le semestre d’automne 2024 demanderont à 80% des étudiants de premier cycle d’acquérir un niveau intermédiaire de français avant la fin de leur scolarité. Le maintien de la division entre McGill et Montréal ne pourra pas persister face à la francisation prônée par ces mesures.

Pour mieux comprendre la source de cette séparation, je me suis entretenue avec Molly Spisak et Ady Jackson, deux étudiantes anglophones à McGill. Molly, d’origine américaine, et Ady, venant de la Saskatchewan, étudient à McGill depuis deux ans, mais ne maintiennent qu’un niveau débutant en français. Selon elles, la langue française, un outil essentiel pour aborder une grande partie de la culture québécoise, reste inaccessible à beaucoup d’étudiants. Bien que McGill offre des cours de français intensifs et d’histoire québécoise, « ceux-ci sont exigeants, et souvent incompatibles avec d’autres programmes (tdlr) », explique Molly qui est aussi sur une liste d’attente gouvernementale pour des cours de français depuis mai 2023.

Pourtant, l’accès aux cours de français n’est pas le seul enjeu. En effet, Ady et Molly identifient le manque de compassion pour la courbe d’apprentissage du français chez certains Québécois. Molly explique avoir rencontré une dame dans un magasin : « Elle s’est mise à me parler français, et du mieux que j’ai pu, j’ai essayé de lui expliquer que je ne parlais pas français, mais que j’essayais d’apprendre. Elle a roulé ses yeux et a marmonné quelque chose que je n’ai pas compris. » Ady a vécu des expériences similaires, qui font qu’elle hésite à s’intégrer dans la culture francophone de Montréal. « Je suis réticente à faire l’effort de parler français, je ne sais jamais si je vais me faire insulter si j’essaie. C’est décourageant », explique-t-elle.

« C’est vraiment une belle communauté qui se forme autour d’un amour de la musique. Que les artistes parlent français ou anglais, ce qui émerge est propre à Montréal »

Lysandre Ménard, autrice-compositrice-interprète québécoise

La musique québécoise : un pont culturel et linguistique

Le problème d’intégration des anglophones à Montréal, décidément complexe, aurait peut-être une solution simple : la musique. Je m’entretiens donc avec Lysandre Ménard, autrice-compositrice-interprète québécoise basée à Montréal, pour comprendre ce qui distingue la culture musicale montréalaise, et ce qui pourrait faire d’elle une bonne porte d’entrée à la langue française.

Lysandre affirme qu’« il y a beaucoup d’artistes francophones émergents à Montréal, qui font de la musique pour l’amour de cette dernière. Ils écrivent en français parce que c’est leur langue maternelle, c’est pour ça que moi je le fais. Mais au fond, ils ont tous la musique à cœur ». Ayant une perspective unique sur le sujet grâce à son expérience dans l’industrie de la musique, elle décrit d’un autre point de vue l’inclusivité de la scène musicale montréalaise. Elle-même joue dans des groupes francophones et anglophones à Montréal, et explique que ces différences linguistiques n’empêchent pas la synergie entre les musiciens. « C’est vraiment une belle communauté qui se forme autour d’un amour de la musique. Que les artistes parlent français ou anglais, ce qui émerge est propre à Montréal », remarque-t-elle.

Cet esprit universel qui imprègne la musique montréalaise fait d’elle un pont parfait pour l’intégration culturelle, et par extension linguistique, des étudiants anglophones de McGill. Ce que Lysandre observe dans les coulisses ferait des salles de spectacles et des bars de Montréal l’endroit idéal pour les étudiants anglophones cherchant à tremper le petit orteil dans la culture québécoise, sans se sentir trop dépaysés. En effet, la musique sert de médium interculturel, par lequel n’importe qui peut saisir les valeurs, l’histoire, les imperfections, et la beauté de la société hôte. Cette diversité est mise en évidence dans les styles musicaux et les paroles d’artistes québécois comme Jérôme 50. Dans une entrevue avec Radio-Canada, il décrit l’identité linguistique québécoise, notant « une ouverture vis-à-vis de la question linguistique identitaire ». « Les locuteurs et locutrices au Québec sont fiers d’emprunter au créole haïtien, à l’arabe, à l’argot français, au verlan, au slang américain », explique-t-il. Une étude ethnolinguistique réalisée par deux professeures de l’Université Laval démontre que l’inclusivité du milieu musical de Montréal dont parlent Lysandre et Jérôme facilite l’intégration de nouveaux arrivants. Elle leur permet d’affirmer leur propre identité, tout en en apprenant plus sur la ville hôte.

McGill, responsable de l’intégration de ses étudiants

Est-il possible de promouvoir l’intégration à travers la musique? Les étudiants anglophones de McGill ne peuvent contribuer à la diversité de Montréal, si celle-ci n’est pas mise en valeur sur le campus. Lysandre, ayant elle-même brièvement étudié à McGill, remarque que combattre « l’autosuffisance du campus » dans un écosystème anglophone nécessite l’encouragement de l’administration de McGill. Elle affirme qu’ « il faudrait impliquer un corps étudiant, un comité de la vie sociale qui puisse coordonner les activités en français, pour faire le pont entre les communautés anglophones et francophones. C’est un effort que McGill ne fait pas nécessairement, et je l’avais remarqué quand j’étudiais là ». Elle admet également qu’il « faudrait qu’il y ait un minimum d’invitation de la part des francophones, parce que c’est épeurant d’arriver dans une nouvelle université, et dans une ville majoritairement francophone ».

Lysandre n’est pas la seule à identifier l’administration de McGill comme acteur principal dans l’intégration des étudiants anglophones dans un Montréal francophone, par la musique. Ady note que « le Québec a beaucoup à offrir, mais je ne pense pas que tous les étudiants en profitent pleinement ». Il est donc important de donner la possibilité aux étudiants de McGill de s’intégrer. « Ceci est la responsabilité de l’étudiant, du gouvernement, mais aussi de l’Université », affirme Molly. Ady, qui va souvent au bar étudiant Gerts, ajoute ne jamais avoir entendu une seule personne parler français dans l’établissement. « Peut-être que si l’Université et la société étudiante de McGill faisaient un plus gros effort pour que la culture québécoise franchisse le seuil des portes Roddick, ce serait plus facile », remarque-t-elle. « C’est une question d’habitude. Les étudiants hors province sont déjà dépaysés, il serait plus productif de faire venir la culture québécoise sur le campus, où ils sont à l’aise » continue-t-elle.

Découvrir la musique québécoise dans les deux langues, dans un contexte familier, faciliterait donc la transition vers une plus grande appréciation du Québec francophone chez les anglophones de McGill. Ceci, comme le fait remarquer Lysandre, est une simple question de publiciser les événements et concerts francophones sur le campus en anglais. Sur ce, elle suggère aux lecteurs du Délit, et aux étudiants de McGill de s’informer du « Taverne Tour », qui se déroule notamment au Quai des Brumes et à l’Escogriffe entre le 8 et le 10 février, et qui présente une grande variété d’artistes. Un plan parfait pour celui ou celle cherchant à en apprendre un peu plus sur le Québec.

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Loi C‑18 et la désinformation sur le conflit à Gaza https://www.delitfrancais.com/2023/11/29/loi-c-18-et-la-desinformation-sur-le-conflit-a-gaza/ Wed, 29 Nov 2023 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=53789 Entretien avec trois professionnels en journalisme.

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Le 21 novembre dernier, la Cour supérieure du Québec a bloqué la politique contre le génocide en Palestine proposée par l’Association étudiante de l’Université McGill (AÉUM), et adoptée à 78,7 % par les étudiants lors d’un référendum. Les tensions et la polarisation sur le campus de McGill sont évidentes, et maintenant plus que jamais, ce qui inquiète l’administration mcgilloise. Le projet de loi C‑18, qui vise à compenser financièrement les médias d’information canadiens, pourrait indirectement contribuer à la polarisation autour du conflit à Gaza, selon trois experts en communication interviewés.

Le projet de loi C‑18, annoncé en juin 2023 par le gouvernement fédéral et adopté par le Sénat et la Chambre des Communes, vise à établir un système d’indemnisations équitables pour les entreprises de nouvelles canadiennes, par les réseaux sociaux et autres plateformes intermédiaires qui tirent profit des clics d’utilisateurs vers ces sites d’information. Cette loi mettrait en œuvre des règlements pour instaurer un système de redevance des géants du web comme Meta, en faveur des médias d’information canadiens.

La loi prend effet le 19 décembre, mais Meta, la société mère de Facebook et Instagram, l’une des plateformes affectée par la loi C‑18, a déjà pris des mesures pour s’y opposer. En effet, dès le 1er août 2023, les Canadiens ont pu remarquer que le contenu journalistique était bloqué sur ces plateformes.

Trois experts ont été consultés afin de comprendre comment le blocage des nouvelles par Meta influence la perception des étudiants sur le conflit à Gaza : Alain Saulnier, directeur général de l’information à Radio Canada, professeur et journaliste de carrière, Jean-Hugues Roy, journaliste et professeur à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), et Patrick White, également professeur de journalisme à l’UQAM.

Plusieurs études menées sur l’utilisation des réseaux sociaux par les Canadiens révèlent qu’environ 25 % d’entre eux s’informent de l’actualité majoritairement par l’entremise des réseaux sociaux. Bien qu’on s’attende à ce qu’une majorité d’entre eux provienne du groupe d’âge 18–34 ans, il est fort probable qu’il y ait une certaine variation sur un campus universitaire. Le Délit a donc passé en entrevue au hasard une quinzaine d’étudiants sur le campus de McGill, pour mieux comprendre d’où ils obtenaient leur information sur le conflit, et plus spécifiquement, à quelles sources ils faisaient confiance.

La désinformation

Le plus grand risque associé au blocage d’information est celui de la désinformation. Alain Saulnier prédit que sans les entreprises de nouvelles établies sur les réseaux sociaux, la désinformation deviendra telle que les réseaux sociaux en deviendront inutilisables. Selon lui, c’est un phénomène que l’on peut déjà observer. Il explique que «la désinformation va prendre tout l’espace […] parce que quand un espace est disponible, il se remplit d’une autre façon, notamment par la propagande, les trolls et la désinformation ». Il prévoit un «appauvrissement de la connaissance des nouvelles et de la capacité des Canadiens à réagir correctement lorsque les événements comme ceux à Gaza surviennent ». Selon lui, les Canadiens doivent faire leur deuil de ces plateformes comme sources d’information fiables.

Cette observation est corroborée par Jean-Hugues Roy, qui ajoute que « dans les sociétés plus polarisées, la désinformation est plus visible sur les réseaux sociaux », et que « le conflit entre Israël et le Hamas est un cas de polarisation assez patent ». Comme nous avons pu le constater ces dernières semaines, les tensions entre les étudiants de McGill autour du conflit à Gaza sont élevées.

Néanmoins, la manière dont les étudiants mcgillois obtiennent leur information ne semble pas être directement influencée par la loi. En effet, plusieurs étudiants disent se fier de moins en moins aux médias établis, notamment le New York Times, le Washington Post, et la BBC. Certains expliquent avoir peu confiance en ce que ces médias avancent, citant la désinformation dont ils ont témoigné au début du conflit. Il serait donc possible de penser que leur perception du conflit ne sera pas affectée par la loi. Malgré cela, le blocage du contenu journalistique en réponse à la loi C‑18 crée un vide informationnel qui a des répercussions sur tous les utilisateurs de réseaux sociaux, qu’ils se fient aux informations provenant de sources établies ou pas. Jean-Hugues Roy explique que la présence de sources journalistiques sur les réseaux sociaux, même si elles ne sont pas consultées, joue un rôle médiateur. Ces informations limitent, en quelque sorte, la polarisation, en ajoutant de la nuance au contenu qui défile sur nos réseaux. D’après les entrevues avec des étudiants de McGill, ces derniers sont particulièrement à risque de sombrer dans cette désinformation. En effet, une grande majorité d’entre eux expliquent prendre de leurs nouvelles sur les réseaux sociaux. Bien que la plupart n’obtiennent pas exclusivement leurs nouvelles concernant le conflit à Gaza sur les médias sociaux, plusieurs en dépendent. Ceci met donc les mcgillois à risque de tomber dans la désinformation, qui augmente sans cesse sur les réseaux sociaux.

« Le blocage du contenu journalistique en réponse à la loi C‑18 crée un vide informationnel qui a des répercussions sur tous les utilisateurs de réseaux sociaux, qu’ils se fient aux informations provenant de sources établies ou pas »

Perte de crédibilité et normes d’informations

Patrick White, professeur de journalisme à l’UQAM, reconnaît la perte de confiance en la crédibilité des médias établis chez certains étudiants, et la nécessité de regagner cette confiance. Cependant, selon lui, l’abondance de désinformation liée au blocage de nouvelles sur les réseaux sociaux exige plus que jamais l’accès aux médias établis. Jean-Hugues Roy ajoute que les articles journalistiques produits par les entreprises de nouvelles, que Meta menace d’éliminer de manière permanente de ses plateformes, procurent aux utilisateurs le contexte et l’expertise journalistique nécessaires pour combattre cette désinformation et toute polarisation potentielle. Il explique que « ça fait partie des normes journalistiques d’admettre qu’on s’est trompé et de corriger ses erreurs. Ça arrive. Il faut être transparent ».

Cette désinformation, nous explique Patrick White, n’est pas seulement causée par le blocage des nouvelles sur les plateformes de Meta. Le conflit à Gaza carbure à l’émotion et à la désinformation, ce qui mène au «pullulement des comptes automatisés à l’intelligence artificielle qui propagent la désinformation ». Bien que ce problème ait toujours été présent, le blocage de contenu journalistique enlève ce que Jean- Hugues Roy qualifie de « rempart » ou de « bouclier » contre la désinformation. Du moment que l’information est présente, qu’elle soit consultée ou non par les utilisateurs, elle fait partie du paysage numérique. En bloquant ce contenu bouclier, Meta envoie, en quelque sorte, un message comme quoi « l’information pour l’intérêt public n’existe pas », nous affirme Jean-Hugues Roy.

«la désinformation va prendre tout l’espace […] parce que quand un espace est disponible, il se remplit d’une autre façon, notamment par la propagande, les trolls et la désinformation »

Alain Saulnier, directeur général de l’information à Radio-Canada

Il est clair que les étudiants de McGill passés en entrevue ne se fient pas exclusivement aux réseaux sociaux. En effet, plusieurs sont conscients de l’enjeu de la désinformation, et disent corroborer l’information qu’ils partagent sur les réseaux. Certains lisent des articles académiques sur l’histoire de la région touchée par le conflit. Le contexte, qui manque si clairement sur les réseaux sociaux à la suite des mesures prises par Meta, n’est donc pas nécessairement absent.

Il semblerait que la perception de certains étudiants continue à être ancrée dans la recherche et les faits. Bien que cette prise de conscience soit importante, la plupart des étudiants trouvent leur information à l’intérieur des chambres d’écho médiatiques. Celles-ci amplifient les croyances des utilisateurs à travers un algorithme qui propose rarement de l’information contraire à ces croyances. En effet, la plupart des étudiants passés en entrevue disent rarement obtenir de l’information avec laquelle ils ne sont pas d’accord sur les réseaux sociaux, mais qu’ils ont plus tendance à la corroborer s’ils sont en désaccord. La polarisation sur le conflit à Gaza en est donc intensifiée. Indépendamment de la bonne volonté des étudiants, il devient difficile de sortir de ces chambres d’écho, exacerbées par le blocage du contenu sur les réseaux sociaux.

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