Habib B. Hassoun - Le Délit https://www.delitfrancais.com/author/habibassoun/ Le seul journal francophone de l'Université McGill Tue, 23 Feb 2016 03:25:18 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.7.2 Que faire de Jutra? https://www.delitfrancais.com/2016/02/22/que-faire-de-jutra/ https://www.delitfrancais.com/2016/02/22/que-faire-de-jutra/#respond Tue, 23 Feb 2016 03:25:18 +0000 http://www.delitfrancais.com/?p=24949 La bonne conscience de nos actions est éphémère.

L’article Que faire de Jutra? est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
J’ai vécu trois ans à quelques mètres du parc Claude Jutra, au coin des rues Clark et Prince-Arthur. J’y venais me recueillir, j’ai cultivé en cet endroit une intimité profonde avec le cinéaste, la ville et l’art de la toponymie.

Une sculpture de Charles Daudelin y siège, portant l’inscription suivante: «La vocation du cinéma est d’incarner la vie. Notre postérité exige qu’on le protège pour qu’il garde en mémoire non pas seulement ce que l’on pense, mais comment on le parle, le rythme de nos rires, la chanson de nos pleurs, pour qu’il capte à jamais les aujourd’huis qui passent; pour qu’il rende à l’éternité notre fait, notre geste et notre dit.» Claude Jutra 1930–1986

Le scandale actuel que suscitent les révélations sur ses pratiques pédophiles porte une ombre noire sur «notre postérité». On accuse le silence complaisant, l’aveuglement volontaire. Les révélations sont sérieuses, le scandale ne l’est pas.

Mahaut Engérant

«Le scandale est là où le spectacle n’a pas lieu»: une lecture des essais d’André Belleau nous a menés, cette semaine, en cours sur l’essai québécois à penser le problème de l’interdit au Québec dans ce qui est censuré plutôt que dans ce qui est grandement révélé. C’est profondément actuel. Le scandale a pris naissance dans un espace spectaculaire unanime et aliéné. L’essence du spectaculaire, dans ce débat, réside dans l’absence de nuances. C’est un sujet délicat et il révèle d’anciennes blessures jamais closes, jamais dites. Il révèle une maladie mentale, des désirs malpropres et des actes indécents.

Cet événement laissera des traces dans l’histoire du cinéma québécois et dans notre histoire socioculturelle. Une série de questions m’intéressent aujourd’hui.Elles concernent la manière dont ses œuvres porteront les stigmates de ces révélations: l’analyse de son œuvre sera-t-elle marquée par ses préférences sexuelles? La projection de ses films sera-t-elle évitée, et leur partage détourné? Sans doute, pour un temps. Ce qui me fait penser à la censure et à l’aliénation.

Il y a des questions qui ont une apparence d’unanimité: elles sont les plus lyriques et sans doute les plus dangereuses. La pédophilie est une maladie hautement condamnable, c’est une évidence. La pédophilie de Claude Jutra n’a probablement rien à voir avec ses films: il est irrationnel de concevoir comment l’un puisse motiver l’autre.

On se donne bonne conscience à le rayer de la toponymie québécoise. Le débat est ailleurs. On déplace la crise dans notre malaise face à la pédophilie: on sacrifie le cinéaste sur la place publique, on se glorifie de lui faire honte. La véritable réponse est de prendre conscience du problème, de le prévenir et d’éviter d’autres enfances troublées. 

L’article Que faire de Jutra? est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
https://www.delitfrancais.com/2016/02/22/que-faire-de-jutra/feed/ 0
En un premier jet ‑Habib B. Hassoun https://www.delitfrancais.com/2014/04/01/en-un-premier-jet-habib-b-hassoun/ Tue, 01 Apr 2014 21:41:33 +0000 http://www.delitfrancais.com/?p=20830 Cahier Création 2014

L’article En un premier jet ‑Habib B. Hassoun est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
En un premier jet

je te désire
au sens fort de l’imitation

fais pleuvoir tes sexes
et arrache la mauvaise herbe
comme on s’arrache à la poésie

et que tu jouisses
mais qu’elle jouisse en toi
et qu’elle grave la perte
en palimpseste

L’article En un premier jet ‑Habib B. Hassoun est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
À la recherche du non-sens https://www.delitfrancais.com/2014/01/14/a-la-recherche-du-non-sens/ Tue, 14 Jan 2014 09:00:51 +0000 http://www.delitfrancais.com/?p=19513 'Ta douleur' joue avec les limites du corps, du théâtre et de la douleur et manipule leur étroitesse.

L’article À la recherche du non-sens est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
Présenté en reprise au théâtre de la Chapelle, au mois dernier, Ta douleur de Brigitte Haentjens pose ensemble théâtre, danse et mime dans une mise en scène où le corps des deux danseurs,  Francis Ducharme et Anne Lebeau, est exposé aux sentiments douloureux du quotidien, sentiments violents, agressifs, frivoles, animaliers, instinctifs. Le corps devient le noyau et le voile de toutes les douleurs du monde.

Composé en tableaux, ou scénettes, de quelques secondes, courts en ouverture et plus longs par la suite, Ta douleur peut se rapprocher du cinéma muet dans sa structure. Elle est ponctuée par des fondus au noir, qui lui donnent son rythme et sa respiration, et mettent le temps en suspens.

Ta douleur, produite d’abord en septembre par Danse-Cité, et reprise en décembre, ressemble à un exercice de théâtre où le créateur s’essaie, s’expérimente et s’offre. C’est une recherche où le corps s’entraîne, se plie, se dresse, crie et se transforme, graduellement et intensivement.

Brigitte Haentjens, dont les affinités avec le théâtre de Bertolt Brecht sont fortes, place et propose un regard politique. La pièce est muette, outre les exclamations et quelques moments ponctués par une phrase, une formule, un aphorisme. Haentjens, les lumières et les danseurs s’interrogent sur l’homme et la nation, l’autre, la mort.

C-TaDouleur1

À propos de Ta douleur, Brigitte Haentjens exprime le désir de créer une pièce où seul le corps est mis en jeu,  un corps en danger qui exclut toute forme de «cérébralité». De telle façon que certains moments de grandes douleurs sont si chargées que la scène étouffe et veut s’étendre à l’infini. Cette tension entre le corps, le cérébral et le théâtre se transpose bien naturellement dans l’esprit des spectateurs. Outre ce désir d’un théâtre de corps pur, la metteure en scène cherche à évoquer, à faire jaillir de cette douleur du corps le non-sens, le vide, la faille du sens, le corps en mouvement.

Ainsi, Haentjens et les danseurs cherchent à réfléchir et à jouer avec les limites du sens de la douleur, du corps et du théâtre comme si réside dans le non-sens, l’abyme de la douleur, l’essence même du théâtre. Cette douleur, et sa mise en scène, se rapprochent lentement de cette idée de la cruauté au théâtre.

Il y a quelque chose de radical dans l’incarnation de la douleur, affect attribué, identifié, en appartenance, comme d’un prototype qu’on possède et manipule. Les danseurs font vivre la douleur. Les cris, gestes, querelles la rendent humaine, réelle, opaque.

Ta douleur, telle qu’imaginée et mise en scène, cherchant le non-sens, se marque par son caractère fragmenté, une scène qui s’expérimente sur elle-même. C’est une pièce en suites, où le corps s’aventure dans l’inconfort et l’ébranlable de ses états, où la catharsis agit sur scène et en salle, à partir du corps des danseurs. Leur vêtement, leur sexe, leurs cheveux, leur gravité sont l’illustration d’une douleur qui se fractionne, se déchaine, se libère jusqu’à apparaître dans le corps.

Le jeu de Francis Ducharme et d’Anne Lebeau est fort, agile et rend bien l’excès que Ta douleur élabore. Leur corps, en osmose et en opposition, entretenant un rapport de force complexe, est matériel et excessif. Il recherche la douleur, comme une aliénation artificielle et nécessaire.

L’article À la recherche du non-sens est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
L’automne du livre https://www.delitfrancais.com/2013/11/25/lautomne-du-livre/ Mon, 25 Nov 2013 17:27:02 +0000 http://www.delitfrancais.com/?p=19353 Les métamorphoses du papier à la dernière foire d'Expozine.

L’article L’automne du livre est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
Expozine: événement honnête, sincère, qui a de quoi se réconcilier avec la poésie du papier, de la page, de la typographie, du dessin, du mot et de l’amour du lecteur; de celui de l’illustrateur et de l’éditeur. C’est aussi un événement qui tisse les liens du partage, soit l’essence du rapport de l’homme à son écriture.

De quoi se réconcilier, certes, car entre les employés de Renaud-Bray en grève, la bataille pour le prix unique, Michel Tremblay et le Salon, il semble que c’est l’automne du livre au Québec. Il y a ces circonstances temporelles qui font que le livre, aujourd’hui, est et doit être un sujet de débat. C’est-à-dire que, oui bien sûr, on questionne depuis quelques années sa matérialité, son potentiel voire son existence avec l’accumulation de diverses technologies. Il demeure cependant que sa résonance est encore davantage essentielle dans notre univers d’écrans.

Et s’il y a un événement à Montréal qui le célèbre le mieux et qui croit en sa diversité, c’est sans doute Expozine. Avec plus de 270 exposants et un désir vital de création, Expozine attire par son caractère communautaire, ses livres, magazines, fanzines, bandes dessinées à prix modiques.

Foire indépendante de la poésie, de la revue, de l’illustration, foire folie d’éditeurs, de bédéistes; salon bière et samosa pour repenser à tel recueil des éditions du passage, à  un nouveau magazine queer The Holy Male, à repenser à telle rencontre. Se dire que le papier n’est pas mort, qu’il est plus vivant que jamais parce qu’il se bat, à fière allure, pour sa survie, avec la certitude qu’il a tout à gagner.

Événement qui célèbre la diversité, de quelque nature qu’elle soit: sexuelle, générationnelle, linguistique. Dans le sous-sol de l’Église Saint-Enfant-Jésus du Mile-End, pendant deux jours – c’était le weekend dernier – se sont entassés tous les amoureux du papier, sous quelque forme qu’il soit. En jeux de cartes d’auteurs, en affiches, en fanzines, en recueils et parfois même en brique, littéralement.

Ce grand petit marché ‑fête annuelle du papier- est un tremplin, l’occasion pour bien des créateurs d’exposer leur travail, d’échanger avec les lecteurs. Rien de plus ni de moins, quelque chose qui est encré profondément dans l’instinct préhistorique de l’homme: celui de partager son art. Et ce n’est pas peu dire car l’exercice de la création est intimement lié à l’expérience de la réception. À Expozine, on échange avec l’illustrateur, il nous raconte telle histoire de son voyage au Maroc, le poète nous offre un deuxième recueil par don, pour aimer le lire. Des visages connus et inconnus, mais dont l’idée du livre est toujours commune, celle que le papier, son travail et ses possibilités sont infinis, particulièrement à Montréal, ville de design, fort culturel avant toute chose.

Les métamorphoses du médium sont innombrables, et c’est ainsi qu’elles viennent se coller aux subjectivités créatrices: anarchistes, esthètes, libraires, professionnels, utopistes, provocateurs exhibitionnistes. Tous s’y retrouvent, depuis des années pour certains, pour la première fois pour d’autres. Expozine est une expérience de laquelle la curiosité et la fascination ne peuvent être détachées. Elle est populaire et étourdissante, on y accorde quelques heures, et on fait le tour plusieurs fois en sautant tel kiosque pour y revenir plus tard. On lit et on questionne. De quoi renouveler notre amour du papier, le ramener droit dans notre quotidien et lire dans les pensées de nos contemporains.

L’article L’automne du livre est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
La rue, le livre https://www.delitfrancais.com/2013/10/22/la-rue-le-livre/ Tue, 22 Oct 2013 19:25:26 +0000 http://www.delitfrancais.com/?p=18917 Gabriel Nadeau-Dubois publie Tenir tête chez Lux Éditeurs.

L’article La rue, le livre est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
Gabriel Nadeau-Dubois a été le porte-parole de la Coalition large pour une solidarité syndicale étudiante (CLASSE) jusqu’au 9 août 2012. Association militante regroupant le plus grand nombre d’étudiants pendant la plus longue grève étudiante au Québec, sa structure démocratique complexe a fait de son porte-parole la tête d’attaque et de mépris de certains chroniqueurs et médias; de la même façon qu’elle en a fait un sujet d’admiration. Fort de ses positions politiques, l’auteur a médité son ouvrage, Tenir tête, pendant un an. En entrevue exclusive avec Le Délit, Gabriel Nadeau-Dubois avoue qu’il fallait prendre «le temps de dire», un peu comme si l’écriture, ici nécessaire, était la chute, mieux «le point de rupture» entre le personnel et le politique.

Raconter est une prise de position sur le réel, sur l’histoire, une prise de contrôle sur soi; et si l’écriture est une fin en elle-même, elle est aussi une recherche, une quête de sens. Tenir tête, publié chez Lux Éditeur par l’ancien porte-parole de la Coalition large pour une solidarité sociale étudiante (CLASSE) Gabriel Nadeau-Dubois, incarne ce désir de dire la vérité sur la grève étudiante de 2012.

Livre de la mémoire collective, livre de confession personnelle, il est à la fois «essai et récit», selon son auteur. Il pose un regard critique sur la grève, où l’histoire est disséquée page après page, ponctuée d’anecdotes heureuses et malheureuses. Ainsi s’élabore l’écriture de Nadeau-Dubois: «Ma démarche: passer du particulier au général; et c’est comme ça qu’est construit chacun de mes chapitres.»

Tenir tête est un livre de démonstrations, d’argumentaires rigoureux dûment validés, ponctué par l’aveu de l’imprévisible, de la vulnérabilité humaine, et de la mémoire.  À la page 164, l’auteur s’interrompt et réfléchit à son processus: «Ce travail d’écriture remue des souvenirs douloureux.»

Cette douleur de l’écriture, «inévitable» dit-il, est chez lui celle de la prise de distance en tant que porte-parole; douleur qui ne crée pas la paralysie mélancolique ou l’effondrement, mais, au contraire, fait avancer le discours historique en scandant, par leur agencement et leur oscillation, le fait et l’affect. Nadeau-Dubois insiste sur le fait que l’écriture est toujours un moyen de faire passer les positions politiques, de raconter le Québec tel qu’il l’a vu et vécu au printemps 2012.

Cette douleur est aussi celle que se sont partagés bon nombre de militants, quant à certaines injustices encore fortes dans la mémoire collective à la question de la «brutalité policière», l’ambiguïté idéologique du parti dirigeant. À ce propos, Nadeau-Dubois dit qu’encore aujourd’hui «nous sommes dans le refoulement»; les plaies de la résistance guérissent lentement, parce qu’elles jaillissent de questions fondamentales.

L’Histoire traverse le texte, de l’attaque à la fermeture. C’est une obsession encore nourrie par une recherche et une quête de sens. «L’Histoire est une bataille, dit-il en se référant au philosophe Walter Benjamin, et la culture est un butin.» Tenir tête est son récit à lui, comme figure marquante du mouvement étudiant, à travers lequel il retourne aux intentions fondamentales de son engagement. «Un retour aux sources», renchérit-il, qui s’est effectué au long de la dernière année, quotidiennement, porté, épaulé par l’éditeur.

Questionné sur le titre, Gabriel Nadeau-Dubois évoque son ambiguïté: «tenir tête» était ce qui poussait certains à s’engager et d’autres à s’opposer. «C’est une des raisons pour laquelle les gens se sont identifiés à la grève et c’est aussi une des raisons pour laquelle les gens nous ont détestés». À peine une respiration et l’auteur enchaîne sur sa génération qui a fait «sa part de l’Histoire», génération post-mur-de-berlin, post-guerre-froide née et élevée dans le néolibéralisme, essentiellement sans alternative idéologique. Certes, elle n’est pas la génération lyrique de l’essayiste François Ricard, celle des Grands projets et de l’espoir. «En même temps, ce n’est pas de la nostalgie», insiste-t-il, la Révolution tranquille a ses splendeurs et ses impasses et l’idée n’est pas de «reproduire l’État providence mais de renouveler et de réadapter ses valeurs».

Citant l’ancien ministre du budget Raymond Bachand en introduction, notamment son budget déposé en mars 2010, voulant provoquer une «véritable révolution culturelle» (p.12), l’ex porte-parole confie avec l’ironie qu’on lui connaît que son livre est «une opposition claire au projet révolutionnaire des libéraux». D’ailleurs, il consacre un chapitre pour établir les faits sur deux idées qui ont marqué le discours opposé: la juste part et l’excellence. Avec lyrisme il personnifie la faiblesse morale de ses opposants et écrit: «N’en déplaise aux crapauds qui aiment les eaux mortes des marais et qui craignent les débordements des rivières au printemps, les débats et les conflits politiques, la rue, ne sont pas l’ennemi de la liberté politique, ils en sont l’oxygène.»

Écrire le récit d’une lutte, c’est éviter de manière forte l’aliénation, corriger les injustices qui ont été commises, dit-il. D’ailleurs, en ce qui concerne les multiples publications traitant de la grève, et qui peuvent parfois trahir l’objectivité, l’auteur loue la multiplicité des points de vue et la diversité de leur forme.

L’émancipation culturelle et politique retrouvée dans la grève et transposée dans ce texte lui insuffle quelques envolées lyriques. Ainsi, le dernier chapitre «Tout ça pour ça» s’ouvre sur un exergue de Gaston Miron dans laquelle Nadeau-Dubois se reconnaît et retrouve une vision de la collectivité semblable à la sienne.

Or, en plus de Miron, une dizaine d’autres penseurs en référence, en évocation ou en esprit sont présents dans le texte. «C’est un jeu», s’amuse-t-il à dire, où se crée un dialogue entre le texte et l’Histoire et lui confère sa richesse.

Échangeant, digressant sur le livre, l’écriture et la politique, l’auteur insiste sur son honnêteté et sa  volonté de sincérité totale. Et le livre lui-même est acte politique «parce qu’il continue à construire le récit et la mémoire de la grève».

L’article La rue, le livre est apparu en premier sur Le Délit.

]]>