Archives des Société - Le Délit https://www.delitfrancais.com/category/societe/ Le seul journal francophone de l'Université McGill Sat, 11 Oct 2025 16:01:21 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.8.3 Midnight Kitchen placé sous tutelle par l’AÉUM https://www.delitfrancais.com/2025/10/08/midnight-kitchen-place-sous-tutelle-par-laeum/ Wed, 08 Oct 2025 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=58951 « Nous refusons de devenir une cuisine dépolitisée, vide de sens et vide de cœur ».

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Comme un pansement qu’on arrache en grinçant des dents, l’après-midi du 1er octobre, l’Association des étudiants de l’Université McGill (AÉUM) annonce la cessation temporaire des activités de Midnight Kitchen (MK) et le licenciement de ses employés. Ce collectif, qui distribue de la nourriture gratuite aux étudiants de McGill depuis 2002, sera désormais suspendu et réorganisé sous la direction de l’AÉUM.

Loin d’être une décision populaire, ce choix aura pourtant été présenté aux étudiants dans une rhétorique populiste. Dans le communiqué, envoyé le lendemain de l’assemblée générale de l’AÉUM, on explique que cette décision aurait été prise à la suite d’un « examen important des opérations et des finances du service au cours des dernières années » (sic).

S’appuyant donc sur une justification financière, et partant du principe que l’équipe de Midnight Kitchen n’aurait pas alloué les fonds du projet efficacement, l’AÉUM affirme agir dans l’intérêt des étudiants.

« De son point de vue, le chiffre de 7,41 % du budget dépensé sur la nourriture est représentatif de l’efficacité de MK et non de son dysfonctionnement »

Pourtant, moins de 24 heures après cette décision, un tintamarre de casseroles – et de tupperwares vides – se fait entendre à travers le campus. Le collectif SaveMKCoalition et plusieurs étudiants bénéficiant du service gratuit offert par MK ont manifesté pendant près de deux heures devant les locaux de l’AÉUM, qui abritent la cuisine du club. Ils réclamaient l’annulation de la décision prise par l’AÉUM.

Comment expliquer la disparité visible entre la prétendue popularité du choix de l’AÉUM et la colère palpable de ce mouvement contestataire? Et, en outre, quelles seront les réelles conséquences de ce jugement sommaire pour l’avenir de MK, la satiété des étudiants qui en dépendent, et la légitimité de l’AÉUM auprès des étudiants?

Budget : interprétations contradictoires

Dans son communiqué destiné aux étudiants de McGill, l’AÉUM explique que, sur un budget annuel de 351 360 $, MK n’aurait consacré que 7,41 % de ses dépenses pour l’année 2024–2025 à l’achat de nourriture. De leur point de vue, ce pourcentage est insuffisant et « affecte évidemment la qualité du service offert à la communauté étudiante ». Dans un esprit de « transparence », l’AÉUM offre une copie des dépenses budgétaires de la collectivité en pièce jointe du courriel, nous permettant de constater que 190 000 $ du budget annuel seraient dédiés aux salaires des employés de MK.

« Ces limites physiques, imposées par l’AÉUM elle-même, ne sont pas prises en compte par cette réforme et ne seront donc pas résolues par une intervention externe »

Pour certains étudiants avec qui j’ai pu discuter, ces chiffres suffisent pour les convaincre d’un complot au sein de MK, une interprétation que l’AÉUM ne propose pas explicitement dans son communiqué, mais qui reste plausible en vue de l’ambiguïté de l’explication. En revanche, pour d’autres – comme les panneaux des manifestants en témoignent – ces chiffres auraient été présentés sans contexte et de façon malhonnête.

Orion, une nouvelle recrue de MK, licenciée avant même que l’AÉUM signe son contrat, raconte une tout autre histoire. Un bol vide dans les mains, elle dissèque le budget de MK avec passion et précision. De son point de vue, le chiffre de 7,41 % du budget dépensé sur la nourriture est représentatif de l’efficacité de MK et non de son dysfonctionnement. Elle m’explique fièrement que MK s’appuie sur son réseau communautaire pour récolter des dons alimentaires, lui permettant de consacrer son budget à la rémunération de ses employés et aux coûts de transport. Quant à l’importance de la masse salariale dans le budget, elle répond sans hésiter : « On est payés 18,16 $ l’heure! C’est 2 $ de plus que le salaire minimum légal! Notre travail doit être compensé correctement, on ne travaille pas gratuitement. (tdlr) »

En vue de la soudaineté de cette décision et des conséquences dramatiques pour les salariés de MK et les étudiants qui en dépendent, il est important de considérer la proposition de réforme que l’AÉUM met en avant afin de mieux comprendre les enjeux de ce débat.

Promesses irréalistes?

Le licenciement des cinq salariés de MK a été accompagné par l’annonce de la création d’un nouveau poste de « Gestionnaire des services de nourriture et d’hospitalité » pour remplacer la direction non hiérarchique du comité sortant. L’identité de cet employé permanent n’est pas encore connue, mais il sera directement choisi par l’AÉUM. Le contraste entre l’ancien fonctionnement démocratique et la nouvelle initiative « centralisée » est perçu et présenté très différemment par les deux camps.

Alors que l’AÉUM promet que le nouvel employé sera à la fois « chef culinaire » et « gestionnaire de cuisine », permettant donc l’optimisation de MK et l’approvisionnement de repas cinq fois par semaine, les opposants à ce projet s’indignent.

Au cours de notre discussion, régulièrement interrompue par la symphonie des casseroles et des cris, Orion m’explique clairement sa frustration. De son point de vue, cette réforme illustre la dichotomie entre l’impersonnalité bureaucratique de l’AÉUM et la convivialité traditionnelle de MK. Démentant le projet de restructuration dans sa totalité, elle m’explique que MK était limité à un ou deux services par semaine, non à cause de contraintes budgétaires, mais en raison de l’espace dont ils disposent en cuisine. Ces limites physiques, imposées par l’AÉUM elle-même, ne sont pas prises en compte par cette réforme et ne seront donc pas résolues par une intervention externe – un fait que, selon elle, l’AÉUM ne peut pas comprendre, étant donné que ses membres ne se seraient jamais rendus à la cuisine de MK pour le constater.

En dépit des promesses faites par l’AÉUM d’une ère d’efficacité nouvelle, certaines questions essentielles au sujet de la réforme restent en suspens. La plus importante concerne le temps : combien de temps faudra-t-il pour que les étudiants en précarité accèdent au service dont ils dépendent, et dont ils ont bénéficié pendant si longtemps? De plus, pourquoi choisir cette période de mi-saison pour mettre en œuvre une réforme imprévue et qui implique la suspension totale de MK, alors qu’elle aurait pu être effectuée durant l’été?

MK : un combat politique?

MK, célèbre pour sa structure non hiérarchisée, ses prises de position et sa « radicalité », risque d’être vidée de son « esprit », selon Orion et un autre manifestant membre d’un syndicat étudiant. Résolument anti-globalistes, anti-capitalistes et pro-palestiniens, ces deux manifestants spéculent que la décision soudaine de l’AÉUM menant au départ forcé de la direction de MK est motivée par un intérêt politique. Selon leurs analyses, il est crédible de situer cette décision dans une tendance d’austérité morale et économique, visant à faire taire les voix dissidentes et à promouvoir la centralisation de l’autorité décisionnelle dans la main de la gouvernance de l’AÉUM.

Peu importe ses causes et sa trajectoire, les conséquences tangibles de cette décision restent les mêmes : les tupperwares sont vides, les étudiants ont faim, et l’AÉUM doit maintenant survivre à une crise de
confiance. Cette réforme se révélera-t-elle le début d’une nouvelle ère d’efficacité pour MK, ou tout simplement un projet raté mettant en péril non seulement la survie de MK, mais aussi la confiance des étudiants envers l’association censée les représenter?

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« Le processus administratif ne fait que nous mettre des bâtons dans les roues » https://www.delitfrancais.com/2025/10/08/le-processus-administratif-ne-fait-que-nous-mettre-des-batons-dans-les-roues/ Wed, 08 Oct 2025 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=58972 Quand l’impotence bureaucratique de l’AÉUM paralyse les comités étudiants.

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Peu nombreux sont ceux qui comprennent les ramifications administratives complexes de l’Association étudiante de l’Université McGill (AÉUM). Formée d’une multitude d’assemblées démocratiques, de comités et de sous-comités, elle assure une gouvernance de quelque trois millions de dollars sur une base annuelle. Outre une simple gestion des frais qu’elle perçoit de la population étudiante, elle coordonne bien des aspects de la vie mcgilloise, notamment en ce qui a trait à la formation de comités étudiants. Mais force est d’admettre que l’AÉUM est fragile, et que la lourdeur (perçue et réelle) de ses processus administratifs complique la tâche aux universitaires entreprenants en quête de reconnaissance officielle pour leurs comités.

Cette fragilité ne tient pas de l’opinion, mais bien du fait. En effet, de nombreux scandales et conflits internes ont récemment entaché la réputation de l’AÉUM, qui a même vu son accord avec McGill être interrompu l’été dernier. Les démissions subséquentes de certains des membres de son exécutif ont mis à l’arrêt forcé bon nombre de ses opérations, si bien que Le Délit a reçu la demande formelle, de la part de certains étudiants, d’enquêter sur les irrégularités criantes des procédures de reconnaissance d’un comité étudiant.

Il est question, dans les récriminations du corps étudiant, d’un temps d’attente pour une reconnaissance (même temporaire) s’étirant sur plusieurs années – attente jugée prohibitive à la pérennisation d’initiatives étudiantes. On déplore aussi des bris de communications, un manque de continuité des procédures et l’absence d’une personne-ressource stable pour assurer le suivi des dossiers actifs.

Pour mettre toutes ces critiques au clair, Le Délit s’est entretenu avec Hamza Abu Alkhair, vice-président des comités et services aux étudiants de l’AÉUM.

Enjeux institutionnels systémiques

Depuis les nouveaux bureaux luxueux et modernes de l’AÉUM au 3501 rue Peel, M. Abu Alkhair se lance dans une explication des attentes de son organisation envers tous les aspirants-fondateurs. Pour créer un comité étudiant, il faut « amender une constitution, créer un budget temporaire, une prévision des activités qui seront organisées, recueillir des appuis (tdlr) » et remplir le formulaire prévu à cet effet sur le site de l’AÉUM. Le processus, en apparence simple, est cependant complexifié par ce que M. Abu Alkhair appelle « un dédoublement fréquent des missions des aspirants-comités » – qui se produit lorsque les étudiants souhaitent obtenir une approbation pour un club qui existe déjà ou qui ressemble fortement au leur.

Le blâme revient-il donc plutôt aux étudiants, qui n’effectuent pas de vérifications préalables? Dans les faits, pas vraiment.

La liste des comités existants fournie par l’AÉUM par le biais de son site Internet n’est pas à jour, et ce « depuis plusieurs années ». Pire, « plusieurs des comités qui y figurent n’existent même plus », me confie M. Abu Alkhair. Ce retard dans la mise à jour des données s’explique selon lui par le fait que « le processus de mise à jour prend du temps […] il faut créer une nouvelle page pour chaque comité, et nous en avons 200 à 300 au total ». Mais au moins, « les données internes sont à jour », me dit-il, d’un ton se voulant rassurant. La réalité l’est cependant beaucoup moins. Avant même que leur candidature ne soit consultée par l’appareil bureaucratique de l’AÉUM, les aspirants-fondateurs se butent à une base de données incomplète et désuète, ankylosant des démarches déjà compliquées.

Une fois la candidature complétée, cette dernière est évaluée par le Clubs Committee – une instance « sans laquelle les comités ne pourraient être approuvés », poursuit M. Abu Alkhair. Ce sous-comité, composé d’une variété de représentants de l’AÉUM et de la population étudiante, tient deux rencontres par mois. Il prend en charge l’évaluation, la révision et la coordination des différentes candidatures, et émet « ses recommandations au Conseil législatif, qui autorise par la suite la création des comités ». M. Abu Alkhair m’assure que « la décision est basée sur une grille de critères objectifs, et tout comité qui se conforme aux règles de l’AÉUM et qui est suffisamment novateur devrait éventuellement être approuvé ». En somme, personne ne peut voir sa requête être strictement refusée, mais l’aspirant-comité peut être enjoint à « modifier sa mission ou adapter les documents fournis » par des membres du sous-comité du Conseil législatif.

Il est aussi pertinent de se questionner sur le volume des demandes qui peut être traité par le sous-comité, qui détient le monopole décisionnel initial en ce qui a trait à la fondation d’un comité. Lorsque questionné sur le nombre de candidatures actuellement en attente d’une décision, M. Abu Alkhair estime que « 50 à 60 » comités patientent toujours, sans pour autant savoir si leur dossier est recevable. Il se donne comme objectif d’avoir révisé toutes ces candidatures avant la fin de la session d’automne, une tâche qui semble herculéenne étant donné les maigres résultats du sous-comité au cours des dernières années.

« Lorsque interrogé sur le nombre de nouvelles demandes faites chaque année, M. Abu Alkhair réplique simplement : “Bomboclaat, mon vieux, je n’en ai aucune idée” »

Ce régime d’évaluation décevant est expliqué par « la démission de membres de l’exécutif et une certaine instabilité institutionnelle » – problèmes récents endémiques à l’AÉUM, répétés maintes fois au cours de notre échange. M. Abu Alkhair déplore des mois et des sessions entières sans capitaine à la barre du navire, dont la conséquence directe est ce retard qui cause la grogne populaire.

Admettons cependant que le sous-comité se mette à tourner à plein régime pour le reste de la session, tenant environ cinq à six rencontres d’une heure chacune. Ce seraient donc 10 candidatures par rencontre, à raison de six minutes par dossier, qui devraient être évaluées pour maintenir le rythme escompté. Même M. Abu Alkhair concède que « la révision de 10 dossiers par rencontre est irréaliste ». Elle est aussi très précipitée, compte tenu des efforts des étudiants dans la préparation de documents constitutifs complexes et dans la collecte d’appuis de leurs pairs.

Un simple calcul nous montre que, malgré le bon vouloir du vice-président des comités et services aux étudiants, ses objectifs sont impossibles à réaliser. Surtout si l’on ajoute aux 60 candidatures en attente les dépôts assez nombreux qui s’ajoutent continuellement. Lorsque interrogé sur le nombre de nouvelles demandes faites chaque année, M. Abu Alkhair réplique simplement : « Bomboclaat, mon vieux, je n’en ai aucune idée. »

Cette réponse parsème notre entretien : il est évident que de nombreuses incertitudes planent quant à l’avenir nébuleux des aspirants-comités. Mais le cauchemar administratif ne s’arrête pas là. L’approbation d’un comité se fait en deux étapes : en premier lieu, un statut temporaire, et ensuite, l’obtention d’un statut permanent, si certaines conditions sont respectées. La patience inébranlable exigée durant l’attente d’obtention du statut (temporaire ou permanent) a tout de même ses avantages : « Tarifs de réservation réduits, adresse courriel et site Internet fournis, accès au fonds des clubs de l’AÉUM (statut permanent seulement)… » Comme quoi le jeu en vaut peut-être la chandelle. Ce dédoublement est cependant particulièrement frustrant pour certains gestionnaires de comité, qui se voient obligés de « tout renvoyer pour mettre à jour leurs listes de membres » – les délais d’approbation s’étant étirés au-delà de la graduation de certains signataires.

Si les retards et les délais ne résultent certainement pas d’une quelconque malice de la part de l’AÉUM, n’en demeure pas moins qu’elle est coupable d’une indéniable incompétence, sinon d’une négligence, à l’égard de ses étudiants. Pour vous prouver les méfaits réels d’une telle déresponsabilisation, Le Délit s’est également entretenu avec deux organisations qui peinent à obtenir le statut tant désiré de comité de l’AÉUM.

Toscane Ralaimongo | Le Délit

La grogne populaire des étudiants

La frustration a atteint son paroxysme pour David Luzzatto et Héloïse Puit, respectivement président et vice-présidente aux affaires internes de l’Association des étudiants français de McGill (AÉFM). Près de trois ans maintenant que ce comité attend de recevoir son statut permanent de l’AÉUM. Idem pour Maxime Rouhan, membre fondateur de McGill Eloquence, qui n’a toujours pas réussi à obtenir un statut temporaire après deux ans d’efforts continus!

Si l’attitude adoptée par M. Abu Alkhair pour traiter de la situation borde sur la nonchalance, le ton est beaucoup plus critique chez les étudiants. Pour David, le travail de l’AÉUM est tout simplement inacceptable : « Le suivi n’est pas assuré par l’AÉUM, et tout ce processus administratif ne fait que nous mettre des bâtons dans les roues. » Réapparue après la pandémie, l’AÉFM peine depuis à faire de quelconques progrès au-delà de l’obtention d’un frêle statut temporaire. Les procédures de l’AÉUM sont si bancales, surtout à la suite des « nombreux scandales et suspensions de services », que le comité s’est fait octroyer une « prolongation de son statut temporaire bien au-delà des limites prévues par le règlement ». Une énième preuve du caractère dysfonctionnel du processus d’approbation, selon David.

« Alors que, plus que jamais, les étudiants sont victimes d’une précarité financière étouffante, voilà que l’indolence de l’AÉUM en rajoute : par son inaction, elle force les étudiants à débourser eux-mêmes les frais de leurs passions »

« Les avantages d’être un comité de l’AÉUM? Outre ne pas payer 20 dollars d’inscription pour Activities Night, je ne saurais en donner », me rétorque David, moqueur, alors que je lui demande pourquoi quiconque voudrait souffrir au travers des tergiversations de l’AÉUM. Maxime, lui, a une réponse sidérante : en attendant l’obtention d’un statut temporaire, McGill Eloquence défraie elle-même absolument tous les coûts relatifs à son fonctionnement. Le comité paie le prix fort : 300 $, selon Maxime, pour effectuer des réservations de locaux, si bien qu’il est forcé d’utiliser quelques stratégies créatives.

« Parfois, j’attends la fin des cours et je m’infiltre dans un local, en espérant que personne ne l’aura déjà réservé », me dit-il, dépité de devoir recourir à cette solution plutôt que d’effectuer une simple réservation comme tout autre comité accrédité. Difficile selon lui de pérenniser les activités si les membres actuels savent d’emblée qu’ils devront financer eux-mêmes les opérations du comité : « Nous n’avons pas accès à un compte en banque, et chacun doit contribuer de sa poche. »

Alors que, plus que jamais, les étudiants sont victimes d’une précarité financière étouffante, voilà que l’indolence de l’AÉUM en rajoute : par son inaction, elle force les étudiants à débourser eux-mêmes les frais de leurs passions. Cette réalité va complètement à l’encontre de sa mission et des objectifs de son existence. Comme le rappelle M. Abu Alkhair, « l’AÉUM dispose d’un important Club Fund, destiné aux comités pleinement accrédités » : mais à quoi sert-il, si autant d’embûches se dressent devant ceux qui veulent enrichir la vie étudiante?

L’enjeu n’est pas uniquement monétaire. David a l’impression d’être ignoré par les responsables du destin de l’AÉFM, et il prend les grands moyens pour qu’on lui rende des comptes. « Si le club coordinator ne me répond pas, je passe au VP comités, puis au président de l’AÉUM lui-même! » me dit-il. Il arrive fréquemment à Héloïse « d’attendre plusieurs semaines pour obtenir une réponse », ce qui est jugé « terrible » par David. Et pour cause : les membres de l’exécutif sont sommés d’être au service de la population étudiante, et perçoivent pour ce faire un salaire de près de 40 000 $ par année. Leur silence est le symptôme d’un « manque de responsabilisation, d’une absence de comptes rendus » – il est clair que les aspirants-fondateurs pensent que l’AÉUM peut en faire plus. Qu’elle doit en faire plus. Surtout lorsque l’on apprend que sa masse salariale a triplé depuis 2017–18, passant d’1 M$ à 3,1 M$ lors de l’exercice financier de 2024. Les salaires versés aux membres de l’exécutif connaissent eux aussi une croissance systématique, basée sur des indices de performance. L’AÉUM semble disposer de davantage de ressources et de main-d’œuvre, mais, dans les faits, elle stagne. Elle place supposément la création de comités au sommet de sa liste des priorités, mais se révèle incapable de concrétiser sa volonté : les interminables listes d’attente en sont la preuve. C’est à se demander à quoi elle sert véritablement, si elle est incapable de « gérer efficacement les demandes d’approbation » – son principal secteur d’activité en ce qui a trait aux étudiants, tout en étant rémunérée à leurs frais.

Les deux aspirants-comités se plaignent aussi en long et en large de multiples échecs administratifs : disparition du formulaire de candidature, dédoublement des demandes documentaires, silence radio de la part de la personne-ressource. Notre entretien est plutôt négatif : on sent que les étudiants en ont assez, qu’ils sont frustrés d’avoir à « tout recommencer pour se plier aux échecs de l’AÉUM ». Enfin, David me présente ses récriminations face au processus lui-même : il lui paraît complètement incohérent que chaque aspirant-comité doive « soumettre les mêmes documents alors que leurs missions et leurs moyens sont drastiquement différents ». Malgré cette simplification clairement incohérente, le processus demeure alambiqué, tortueux, presque sans issue. Décidément, peu de choses semblent satisfaire les étudiants quant à l’offre de services de l’AÉUM. Compte tenu des témoignages, il semblerait que la population étudiante se doit également de s’intéresser davantage à l’organisation qui a le contrôle total sur l’approbation des comités qui la composent.

Que feront les étudiants?

Alors, que retenir de cette enquête? Tout d’abord, toutes les parties impliquées reconnaissent que l’AÉUM a échoué dans son devoir de vérification et d’approbation des aspirants-comités dans un délai raisonnable. Les raisons évoquées varient : du côté de l’AÉUM, on déplore des années difficiles, gangrenées par un manque de personnel et un laxisme des vice-présidents précédents. Les étudiants, eux, sont plus critiques : l’administration actuelle ne fait que « pelleter les problèmes vers l’avant » et place le blâme de ses propres échecs sur d’autres circonstances. Elle échoue dans ses devoirs de communication et de reddition de comptes, et force parfois les étudiants à subir des délais prohibitifs à la création et au maintien des comités.

Alors que l’AÉUM devrait servir d’organe permettant aux comités de s’épanouir et de se faire connaître par la population étudiante, la réalité est tout autre : McGill Eloquence, l’AÉFM et bien d’autres comités auront énormément de difficulté à pérenniser leurs activités s’ils n’obtiennent pas le statut tant espéré.

« Si les retards et les délais ne résultent certainement pas d’une quelconque malice de la part de l’AÉUM, n’en demeure pas moins qu’elle est coupable d’une indéniable incompétence, sinon d’une négligence, à l’égard de ses étudiants »

Les étudiants soumettent tous les documents demandés et se plient docilement aux exigences de l’AÉUM. Le problème : on ne leur rend pas la pareille. Les modifications des constitutions prennent « plusieurs mois » à être approuvées, malgré la simplicité des changements effectués, et leurs listes de membres souffrent du roulement inhérent qu’engendre une attente de plusieurs années. La mission première du comité devient donc l’obtention d’un statut plutôt que la planification et l’organisation d’activités, ce qui, pour David, est insensé : « Comment peut-on savoir ce qu’on va faire si l’on ne sait même pas quel genre de financement on va recevoir? »

C’est donc à se demander si l’AÉUM accorde un quelconque avantage aux comités qui veulent l’intégrer. Avec l’avènement des rencontres en distanciel et la numérisation croissante du quotidien des étudiants, il est clair que les bienfaits d’être un comité accrédité sont en baisse, surtout s’il est de plus en plus difficile d’être reconnu. Les étudiants sont proactifs et prennent en charge leurs « propres activités de financement » – signe qu’ils se refusent à abandonner leurs projets et passions simplement parce que l’AÉUM est trop incompétente ou désintéressée pour donner suite à leurs demandes.

Le Clubs Committee aura énormément de travail dans les mois qui suivront : plus de 60 demandes en attente depuis l’année passée seront évaluées. Selon M. Abu Alkhair, tout cela sera bouclé avant décembre 2025 – espérons qu’il saura tenir parole – afin que les aspirants-comités puissent avoir accès à tous les avantages auxquels ils cotisent chaque année par le biais de leurs frais de scolarité.

Il n’est certainement pas souhaitable que, dans leur processus, les étudiants aient pour réponse à leurs interrogations cette phrase ridicule, prononcée avec désinvolture : « Bomboclaat mon vieux, je n’en ai aucune idée. »

Le Délit est ravi d’apprendre que, moins d’une semaine après son entretien avec Hamza Abu Alkhair, le comité McGill Eloquence a enfin reçu une réponse de suivi concernant l’obtention de son statut de comité temporaire de l’AÉUM. Pas encore une accréditation, mais au moins un pas dans la bonne direction. Bien qu’il ne pourrait s’agir là que d’une coïncidence, il est clair qu’un contact direct avec les entités décisionnelles responsables ne peut être que bénéfique à l’avancement des candidatures en attente.

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Les violences invisibles au Mexique https://www.delitfrancais.com/2025/10/08/les-violences-invisibles-au-mexique/ Wed, 08 Oct 2025 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=59008 La criminalisation des migrants comme véhicule d’exploitation.

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Depuis 2006, le Mexique est plongé dans une guerre civile marquée par une lutte acharnée contre le trafic de drogue. Le bilan humain : 450 000 homicides enregistrés en 2024, des centaines de milliers de disparitions et des cas répétés de violations des droits de la personne. Des violences largement attribuables aux cartels, mais aussi à la militarisation de la sécurité publique.

Les populations locales ne sont pas les uniques cibles de ces explosions de violences. En 2011, le Mexique est devenu le corridor de transit le plus emprunté au monde. Ces importants flux migratoires se sont révélés être une source majeure de profit aux yeux des cartels. De ce fait, les migrants sont exposés à de multiples dangers au cours de leur traversée. Les cas d’extorsion, d’enlèvements et d’assassinats sont monnaie courante, et alimentent la peur.

Depuis le début du conflit et l’élargissement du contrôle du territoire par les cartels, les attaques dirigées contre les migrants de transit se sont intensifiées, transformant le pays en un véritable « triangle des Bermudes de l’Amérique latine » selon l’ouvrage de l’anthropologue Wendy A. Vogt, Lives in Transit : Violence and Intimacy on the Migrant Journey. Cette expression employée laisse entrevoir toute la dimension systémique et organisée de ces violences. C’est le « cachuco industry » : construit en parallèle de la guerre des cartels, ce système repose sur un véritable processus de réification qui facilite l’exploitation des migrants. Ces derniers deviennent la proie d’une industrie qui les dépouille de toute humanité, les transformant en une source de productivité dont il faut maximiser la rentabilité. Ils sont désormais réduits à une force de travail, des organes qui peuvent être vendus, un corps qui peut être abusé.

« Les migrants sont exposés à de multiples dangers au cours de leur traversée. Les cas d’extorsion, d’enlèvements et d’assassinats sont monnaie courante, et alimentent la peur »

Parmi les cartels les plus puissants du Mexique figure Los Zetas, fondé à la fin des années 1990. Opérant majoritairement dans la région du golfe du Mexique, il a élargi ses activités à l’extorsion et au trafic d’êtres humains, notamment en organisant des raids contre des trains de marchandises. Il s’agit d’un moyen de transport fréquemment emprunté par les migrants pour effectuer leur transit. Ces attaques reposent sur la complicité du conducteur et, très souvent, des autorités locales. Les acteurs étatiques et non étatiques s’entre-mêlent dans cette exploitation systémique. Les cartels jouissent d’une impunité facilitée par l’incurie de l’État mexicain gangréné par la corruption. N’importe qui peut entretenir des liens avec un cartel comme Los Zetas. De cette présence tentaculaire résulte une incroyable méfiance de la part des migrants. De plus, les rares aides qui leur sont dédiées sont frappées par cette recherche de profit. De nombreux refuges subissent l’influence des cartels : leurs membres infiltrent ces abris à des fins de recrutement et d’exploitation. D’autres acteurs agissent aussi indépendamment, désireux d’en tirer parti. Wendy A. Vogt relate, dans son ouvrage, l’histoire de Mauricio, travailleur social au sein d’un refuge. Il est musicien et se produit régulièrement dans des bars locaux. À l’issue d’une de ses représentations, le patron d’un club de striptease a sollicité son aide pour recruter des danseuses centraméricaines. Une tâche qui serait naturellement rémunérée. Si Mauricio n’a pas accédé à sa requête, cet exemple illustre combien les migrants centraméricains sont vulnérables à bien des égards.

Mais c’est avant tout la criminalisation des migrants qui les rend si vulnérables aux violations des droits de la personne. Loin d’être des cas isolés, ou des dommages collatéraux, ces violences s’inscrivent au cœur d’un système économique et global qui profite de la main-d’œuvre bon marché que sont les sans-papiers. Cette exploitation ne serait pas rendue possible sans le statut d’illégalité imposé par des politiques anti-migrants, qui réduisent la valeur de leur force de travail et, incidemment, leur légitimité au sein de la société. Les médias cultivent cette image de migrants « illégaux » qui représenteraient un danger pour la sécurité du pays, voire la composition ethnique de sa population. Cette illégalité justifie toutes les exactions qu’ils subissent lors de leur passage au Mexique, mais également à leur arrivée aux États-Unis.

« C’est avant tout la criminalisation des migrants qui les rend si vulnérables aux violations des droits de la personne. Loin d’être des cas isolés, ou des dommages collatéraux, ces violences s’inscrivent au cœur d’un système économique et global qui profite de la main-d’œuvre bon marché que sont les sans-papiers »

Les raids du 6 juin à Los Angeles, opérés par la police de l’immigration et des douanes (ICE), ont marqué l’intensification de la répression des sans-papiers dans le pays. Ils illustrent la politique de déshumanisation et de xénophobie portée par l’administration de Trump à l’égard des migrants en situation irrégulière. Relayés sur les réseaux sociaux, de nombreux messages de soutien aux familles de déportés appuient le caractère indispensable de ces individus, peignant l’image de personnes honnêtes et de travailleurs qui contribuent à la vitalité de l’économie américaine. Des économistes confirment : on compte sur le territoire américain huit millions de clandestins qui représentent une force de travail bon marché et flexible, payant à eux seuls 100 milliards de dollars de taxes chaque année. Et s’il est certes important de valoriser leur contribution, la récurrence de ces arguments montre combien nous suivons malgré nous cette logique du profit, comme si la reconnaissance d’un migrant était conditionnelle à son degré de productivité.

Au lieu de parler de profit ou d’utilité, Amnistie internationale part plutôt d’un constat simple. Les migrants sont des personnes disposant de droits, qui méritent d’être protégées et respectées dans leur dignité. L’ONG se réfère notamment à l’article 14 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, laquelle affirme que toute personne a le droit de chercher asile et d’en bénéficier dans d’autres pays. La question des droits de l’homme doit occuper une place centrale dans la protection des migrants, durant leur transit et durant leur rétention.

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La politique des symboles: entre identités et controverses https://www.delitfrancais.com/2025/10/01/la-politique-des-symboles-entre-identites-et-controverses/ Wed, 01 Oct 2025 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=58756 Une activité superficielle ou transformatrice?

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Au moment d’écrire ces lignes, je me trouve devant le consulat italien, un bâtiment facilement reconnaissable grâce aux deux drapeaux plantés devant sa façade : l’un italien et l’autre de l’Union européenne (UE). Au premier regard, ces symboles nous paraissent anodins. Après tout, cela fait plus d’un siècle que Garibaldi a réuni les cités-États d’autrefois, et plus de trente ans que l’Italie fait partie de l’UE. On peut donc en déduire que, dans le contexte canadien, ces symboles ne posent aucun danger à l’unité nationale et constituent au contraire le témoignage d’une amitié durable entre l’Europe et le Canada.

Pourtant, si j’osais transporter ce même drapeau européen en Russie, il me paraît peu probable que j’en sorte indemne : au mieux victime de harcèlement, au pire exposé à une forme de violence étatique ou populaire.

Comment expliquer cette variance dramatique d’interprétation et de réponse émotionnelle à de simples symboles? Je vous propose, dans cette enquête, de vous pencher sur cette question à travers une analyse du rôle du symbole dans nos sociétés contemporaines et une critique du militantisme symbolique.

Marqueur de l’identité

La sémiologie est l’étude des symboles. Cette pratique quasi scientifique a été fondée par des penseurs célèbres, tels que Ferdinand de Saussure et Roland Barthes, qui expliquent que la fonction du symbole est de mettre en relation le signifiant (image, mot) avec le signifié (idée, concept). En partant de cette conception de celui-ci, nous pouvons comprendre son importance et son ubiquité. Il suffit de penser au pictogramme d’homme et de femme à l’entrée des toilettes : ce simple symbole nous réfère au concept du genre, et nous indique même si nous sommes autorisés à entrer aux toilettes ou non.

Mais les symboles ne sont pas toujours aussi futiles. Bien au contraire, ces derniers sont souvent au cœur de polémiques et de conflits en raison du rôle qu’ils jouent sur l’identité. Comme le résume Juliet Johnson, professeure de science politique à McGill, les symboles sont « une manière abrégée pour les personnes de s’identifier entre elles et auprès du reste du monde (tdlr) ».

On pourrait alors déduire que plus un groupe s’élargit , plus il devient difficile de former une identité commune et uniforme. Or, cette rationalité intuitive ne prend pas en compte la fonction cohésive du symbole. Son caractère « non-spécifique » et « facilement reconnaissable » lui donne le pouvoir de maintenir l’unité d’un groupe ou, dans certains cas, de fragmenter ce même groupe en plusieurs identités distinctes . Cette capacité accorde au symbole un prestige incontestable, le situant au centre des débats sociaux et facilitant donc son entrée dans la sphère politique.

Crucifix à l’Assemblée de Québec : un symbole qui dérange

Les expressions issues du milieu clérical nous le démontrent mieux que la statistique quelconque : la culture québécoise est hautement influencée par la religion catholique. Cependant, il est important de souligner que cette influence ne se traduit pas dans la sphère politique en raison de la laïcité d’État. C’est dans ce contexte d’ambiguïté que, perchée discrètement dans le coin de la salle du conseil de la ville de Québec, une figure du Christ sur la croix suscite un degré d’attention qui pourrait, au premier abord, nous surprendre.

Toutefois, en vue de notre analyse révélant la valeur disproportionnée des symboles, cette polémique à la fois sociale et politique nous paraît quasiment inévitable. Pour comprendre les enjeux de ce débat, quant à la validité de la présence d’un symbole religieux dans un lieu public, il suffit de disséquer le symbole en question tout en prenant en compte les dimensions constitutives de son contexte.

Jésus-Christ est le messie et martyr du christianisme, une religion qui a donné lieu à une mythologie complexe et étroitement liée avec la société et les institutions politiques. Cependant, ayant assimilé la laïcité comme principe social, le gouvernement de la ville de Québec se retrouve maintenant déchiré entre conservatisme et libéralisme.

Au centre de cette fissure s’illustre un conflit entre deux symboles, la Constitution et le Christ. Cet affrontement symbolique est le microcosme d’un débat identitaire, opposant différentes conceptions de l’identité québécoise. Ces dernières sont guidées par le vécu individuel, mais aussi par les mouvements politiques et les médias, qui reprennent les symboles et leur accordent de nouvelles significations. C’est pour cela que Jésus, qui, dans son temps, aurait été considéré comme un révolutionnaire, devient dans l’époque moderne associé à des tendances conservatrices.

Comme nous pouvons donc le déduire, la signification des symboles est dynamique. Professeure Johnson nous aide à comprendre : « Un symbole peut passer du banal au très évocateur selon un moment politique particulier et selon qui en fait l’usage. »

Mais d’autres instances de ce phénomène existent. Prenons par exemple le mouvement Make America Great Again ; la référence que fait ce slogan à une ancienne Grande Amérique est simplement une appropriation et une réinterprétation de l’histoire des États-Unis. En dépit de sa croissance économique fulgurante, l’Amérique du 20e siècle était loin d’être un environnement accueillant pour les minorités raciales et les gens les plus pauvres. La Grande Amérique à laquelle Trump se réfère n’est pas celle de Martin Luther King ou de Franklin D. Roosevelt, mais plutôt celle de Richard Nixon et de Ronald Reagan.

Reconnaissance symbolique : un combat utile?

Marginalisées par la société, les communautés autochtones du Canada refusent désormais de laisser oublier le tort qui leur a été fait. Soutenues par d’autres groupes sociaux et, dans certains cas, par des instances gouvernementales, elles exercent une pression considérable sur les gouvernements fédéraux et municipaux pour obtenir gain de cause. Ces communautés militent pour l’institutionnalisation de nombreux symboles, tels que la reconnaissance de l’appartenance du territoire à leurs ancêtres ou encore la commémoration de figures et d’événements historiques de leur culture.

Cependant, cette forme de militantisme – œuvrant à des fins symboliques – est souvent caractérisée comme superficielle, n’aboutissant pas toujours à des changements tangibles pour les communautés autochtones. Cette réalité nous amène à nous poser la question : est-ce que ce militantisme symbolique est une stratégie efficace qui mène à l’intégration progressive des autochtones, ou n’est-il qu’une distorsion mise en œuvre pour canaliser la frustration et le mécontentement ressentis par ces communautés?

Professeure Johnson répond : « C’est là la promesse et le danger du changement symbolique et du capital symbolique. Il inscrit dans l’espace public qu’un tort a été commis dans le passé, que les nations autochtones sont toujours présentes et ont des droits, et que l’État canadien a la responsabilité de les reconnaître et de les intégrer. En même temps, si cela devient un remplacement à toute action concrète, alors il y a un problème. Si les responsables gouvernementaux peuvent dire : “Nous avons fait notre reconnaissance de territoire, tout est réglé”, alors l’acte symbolique devient, en un sens, simplement un autre acte de colonialisme. »

Elle poursuit en précisant : « Le symbolisme n’a d’importance que s’il est accompagné d’action ; s’il est utilisé comme substitut à un changement matériel, il devient vide. Les symboles rappellent aux gens une réalité, représentent quelque chose, mais, si l’on conserve le symbole sans rien derrière, il devient une parodie de lui-même. »

Palestine : un État reconnu, un peuple en voie d’éradication

Il aura fallu près de 1 000 jours et plus de 65 000 morts pour que l’État palestinien soit reconnu par une partie influente de la communauté internationale. Ce rituel d’intégration a eu lieu au siège des Nations Unies à New York, le 23 septembre, sans qu’aucun membre de la délégation palestinienne ne soit présent – l’entrée aux États-Unis leur ayant été refusée par le gouvernement américain. Le jour suivant, 85 Palestiniens ont été tuée par l’armée israélienne à Gaza.

Alors qu’ils proclament soutenir une solution à deux États, la France et le Canada sont continuellement accusés de livrer des armes à Israël dans un contexte où l’armée perpétue ce que l’ONU décrit comme un génocide.

Daniel Douek, professeur de science politique à McGill, nous aide à élucider ce paradoxe en expliquant que la politique étrangère de ces États est complexe et motivée par plusieurs facteurs. De son point de vue, la reconnaissance de l’État palestinien est un symbole qui cherche à communiquer trois significations, par ordre d’importance : premièrement, à signaler un rejet de l’unilatéralisme belliqueux de Donald Trump (tarifs, délaissement de l’Ukraine, et bien d’autres) ; deuxièmement, à souligner à leurs constituants domestiques que leur gouvernement s’implique dans la résolution d’un conflit qui suscite beaucoup d’émotion ; et seulement troisièmement, dans l’objectif de mettre fin à une guerre sanglante et protéger la vie des civils palestiniens.

Cette analyse nous aide à nuancer les choix symboliques des acteurs internationaux vis-à-vis de la guerre à Gaza. Dépourvus de la capacité d’agir pour empêcher la prolongation de ces atrocités, ces actes symboliques marquent néanmoins le franchissement d’une étape et constituent l’accomplissement d’une condition préalable dans la quête d’une paix durable au conflit israélo-palestinien.

Le symbole et le passage à l’acte

En somme, les symboles en société ne sont pas des éléments décoratifs, mais plutôt des miroirs qui reflètent les tensions, les valeurs et les identités collectives. Dynamiques et adaptables, ils peuvent servir à signaler une conformité ou une résistance, un changement tangible de politique ou un vide sémantique. Cela peut nous paraître ironique, mais, en fin de compte, l’utilité et l’importance des symboles sont entièrement définies par les actions qui les précèdent et celles qui les suivent.

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McGill veut vous réduire au silence https://www.delitfrancais.com/2025/10/01/mcgill-veut-vous-reduire-au-silence/ Wed, 01 Oct 2025 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=58802 L’agonie préméditée du droit de manifester à McGill.

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[Mise à jour du 01/10/25 à 00:20] La demande d’injonction mentionnée dans cet article a finalement été refusée par la Cour supérieure du Québec, le 30 septembre 2025 en fin d’après-midi. Cet article a été rédigé et mis en page un jour avant cette décision. 

Par simple coïncidence spatiale, vous avez le malheur de jeter votre dévolu sur cet article, qui suit une excellente explication des faits entourant l’injonction demandée par McGill pour se débarrasser des manifestants sur son campus. Une explication mesurée et impartiale, une analyse réfléchie d’un enjeu crucial pour tout étudiant de McGill. Un fier exemple de neutralité institutionnelle. Rien de tout ça ici, je vous en assure.

Il y a à peine une semaine, je m’échinais à écrire une tirade enflammée contre la censure politique et les bourreaux de nos libertés individuelles. Je condamnais Trump, Netanyahou et tous les autres tyrans qui font de la sphère publique le canevas de leurs fabrications immondes. De leurs mensonges. De leurs abus. De leurs crimes. Un article braqué sur une réalité lointaine, sur des despotes qui sont heureusement tenus loin de moi (pour l’instant) par les frontières rassurantes de ce satané Canada. Un article essentiellement sans intérêt général ; une page de défoulement, de catharsis, de gestion de la colère.

Le sujet d’aujourd’hui? J’y arrive ; ça me démange. Et en plus, c’est pertinent, pour faire changement.

En me concentrant sur une condamnation justifiée des dérives à l’international, j’en suis presque venu à omettre l’attaque vicieuse des libertés individuelles qui se produit au sein de l’Université McGill. Il y a de cela quelques semaines, elle a déposé, dans sa grande sagesse, une demande d’injonction visant à interdire les manifestations sur son campus pour une durée indéterminée, citant une crainte de la montée d’incidents violents à l’approche du 7 octobre.

Si l’on fait abstraction de l’écœurante langue de bois administrative si chère à notre institution autocratique, on comprend qu’elle recherche avant tout un prétexte pour empêcher toute démonstration subséquente pouvant altérer le déroulement voulu de ses activités. On comprend qu’elle instrumentalise malhabilement un événement tragique pour limiter les libertés individuelles de ses étudiants. Franchement, c’est dégueulasse.

C’est presque hilarant de voir les bonzes de l’administration pleurnicher devant les tribunaux et s’épancher sur les supposés dangers imminents qui planent sur les précieux bâtiments de McGill. Presque. Le rire vire au rictus quand on réalise que nos droits sont entre les mains de quelques fonctionnaires peureux et malléables. Des employés obéissants, à la solde d’intérêts bien plus importants que ceux des misérables étudiants, qui sont supposément le cœur de l’identité mcgilloise.

« Mais les pires des injustices, parmi lesquelles le génocide à Gaza fait office d’apex de la souffrance télédiffusée, ne méritent-elles pas que l’on s’époumone pour elles? »

Sachant qu’il est impossible d’être volontairement aussi idiot (quoi que, cela s’est déjà vu), il faut se demander quelles sont les visées réelles de l’administration. Que veut-elle accomplir en suspendant les droits des étudiants? Pense-t-elle que son recours à une sorte de stalinisme éhonté va faire rentrer dans le rang les plus dissidents de ses étudiants? Franchement! Réfléchissez un peu! Les étudiants sont avant tout des humains, et les humains ont des droits inaliénables, fondamentaux. Parmi ceux-ci, le droit de manifester figure comme une extension directe du droit à la liberté d’expression, complète- ment bafoué par McGill, qui décrète que ses intérêts priment sur ceux de la collectivité.

Ses réels intérêts, ils sont nébuleux, mais surtout, ils nous sont complètement dissimulés. On nous répétera, par le biais de courriels soigneusement polis, que toute cette charade judiciaire n’a comme seul objectif la protection des étudiants. Leur sécurité. Piètre subterfuge.

Tout ce qu’elle veut vraiment, cette Université, c’est vous aseptiser. Vous endormir. Vous faire perdre de vue l’ampleur des enjeux que vous défendez. Elle veut vous faire croire qu’en vous exprimant, vous vous placez dans une situation dangereuse. Qu’en vivant dans un milieu qui s’exprime librement, une épée de Damoclès vous pend juste au-dessus du nez. On dirait qu’il faut absolument que vous deveniez de bons rouages dociles d’un monde qui vous gave de platitudes dégoûtantes jusqu’à vous en faire oublier votre raison d’être. Dans un milieu qui se devrait d’incarner le savoir et la liberté de pensée, vous vous retrouvez enchaînés aux mêmes intérêts qui gouvernent réellement l’administration de l’Université.

Mais nous avons su montrer, nous, les jeunes, les universitaires, que nous résistions aux maintes tentatives des détenteurs du pouvoir de nous faire taire. La lutte contre la guerre du Vietnam, l’apartheid en Afrique du Sud… et maintenant le combat contre les innombrables crimes d’Israël à l’égard du peuple palestinien. Et tant d’autres… Il y a autant de luttes qu’il y a d’injustices.

Mais évidemment, on utilise quelques événements violents isolés pour qualifier tout un mouvement. Pour délégitimiser tout un combat. On prend une décision en prétendant assurer la sécurité collective, mais dont les ramifications perverses et préméditées sont révulsantes.

« Et si on m’enlève ce droit, eh bien je le ferai pareil! Et j’en souffrirai les conséquences, qui seront autrement moins importantes que le sentiment d’avoir abandonné mes convictions pour me conformer à une injustice »

Tous les syndicats, les groupes militants ; toutes les causes humanitaires qui trouvent dans le milieu universitaire leurs plus ardents défenseurs se verraient muselées. On les contraint à l’effacement de la place publique si elles sont jugées intimidantes ou bien si elles font trop de vacarme. Mais les pires des injustices, parmi lesquelles le génocide à Gaza fait office d’apex de la souffrance télédiffusée, ne méritent-elles pas que l’on s’époumone pour elles? Je ne crois pas être moralisateur lorsque je vous réitère l’importance de l’action citoyenne pour dévier, ne serait-ce qu’un instant, l’attention des décideurs publics vers une réalité autre que celle de la ploutocratie qui nous gouverne.

Si vous suivez à peu près le fil de cet article, vous comprendrez que mes récriminations s’orientent autour de quelques problématiques majeures de la démarche de McGill. Entre autres, son hypocrisie et son totalitarisme inquiétant m’enragent profondément. Et vous pouvez penser que j’exagère. Vous avez le droit de croire que j’en fais trop, que mes images sont caricaturales, inexactes, dithyrambiques. Mais franchement! On parle quand même de votre liberté d’expression, votre liberté de manifester, votre liberté d’exister et d’être en désaccord avec le système que vous subissez.

Et pourquoi ne pas manifester en dehors des murs, me direz-vous? Quelle question! Déjà, McGill est souvent visée directement par certaines manifestations (notamment, les syndicats) et est donc le seul lieu pertinent pour la tenue de telles démonstrations. Mais aussi, parce qu’on doit avoir le droit de se faire entendre où on le souhaite. Parce que nul ne peut nous contraindre à nous confiner, à nous cacher pour faire entendre nos volontés. C’est là que se trace la ligne entre la soumission et la liberté.

Et puis, si moi, égoïste comme je pourrais décider de l’être, je veux protester contre le fait que McGill crache sur la fragile francophonie qui l’habite? Si je veux crier haut et fort, pacifiquement, que je trouve que l’AÉUM n’est qu’un gaspillage inefficace de nos ressources financières et administratives? J’ai le droit de le faire! Et si on m’enlève ce droit, eh bien je le ferai pareil! Et j’en souffrirai les conséquences, qui seront autrement moins importantes que le sentiment d’avoir abandonné mes convictions pour me conformer à une injustice.

Alors, syndiqués de McGill, manifestants pacifiques pour la Palestine, étudiants en médecine : plaignez-vous! Vous aurez toujours votre place au sein des pages du Délit, je vous le promets. Ne donnez pas raison à une administration qui vous caractérise comme violents et impertinents. Mais ne voyez aucunement en cet article un appel à la violence, politique ou civile : je me répète peut-être, mais j’en appelle à votre liberté. Ne laissez pas quelques pantins décider de vos droits et forcer votre silence. Car votre dissension n’affaiblit pas la cohésion de l’Université : elle la renforce. Elle donne tout son sens à ce milieu se devant d’être le terreau fertile de la pensée critique, mais dont la mission est gangrénée par quelques bien-pensants serviles.

Votre désir de justice sociale, humanitaire, écologique, féministe… il n’est que l’expression de votre liberté. Et votre liberté, personne ne pourra jamais vous l’enlever. Sauf si vous les laissez le faire.

Ne laissez pas McGill vous faire taire!

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IA et pénurie d’emplois : un défi de taille pour les étudiants https://www.delitfrancais.com/2025/09/24/ia-et-penurie-demplois-un-defi-de-taille-pour-les-etudiants/ Wed, 24 Sep 2025 11:10:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=58634 Midnight Kitchen : l’automatisation infiltre le processus de recrutement.

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Entre pénurie d’emplois, intelligence artificielle (IA), et compétition accrue, le marché du travail est devenu marché du vide. ChatGPT, logiciels automatisés et autres IA génératives se relaient face à un processus d’embauche de plus en plus drainant. Ils permettent aux candidats, mais aussi aux employeurs, d’économiser du temps et de l’énergie. L’IA semble avoir endossé le rôle de candidat et de recruteur.

Le collectif mcgillois Midnight Kitchen (MK), notamment, a dû faire face à cette problématique. Depuis 2002, Midnight Kitchen combat l’insécurité alimentaire et la précarité étudiante, distribuant chaque semaine des paniers-repas à la communauté étudiante. L’association met l’accent sur la solidarité organique, la justice sociale, ou encore la protection environnementale, qu’elle se propose d’enseigner à travers différents ateliers.

« En fait, ça nous a assez surpris. L’utilisation de l’IA par les candidats était juste tellement évidente »

Dania, membre du collectif MK

Le mois dernier, l’association a ouvert trois postes aux étudiants de l’Université en prévision de la rentrée d’automne 2025. Partageant les valeurs portées par ce collectif, et étant par la même occasion à la recherche d’un emploi étudiant, j’ai naturellement candidaté à leur offre d’emploi. Mon profil n’a finalement pas été retenu, et, accoutumée aux courriels de rejet, je n’ai lu que distraitement celui de l’association. Toutefois, son contenu m’a interpellée. Car, d’après MK, au moins un quart (25 %) des postulants a eu recours à ChatGPT pour rédiger sa lettre de motivation et/ou son curriculum vitæ (CV). À ce sujet, j’ai interrogé Dania, membre du collectif
depuis presque cinq ans : « Nous avions un profil très spécifique en tête : actif au sein de sa communauté et politiquement engagé. Les expériences bénévoles et personnelles étaient un atout. » De ce fait, l’utilisation de l’IA a été particulièrement déroutante. Les lettres de motivation rédigées à l’aide de ChatGPT ne permettaient pas d’entrevoir la personnalité ou les convictions du candidat. « Cela semblait très impersonnel », avoue Dania, très étonnée lors de l’examen des candidatures. Les années précédentes, son utilisation était certes décelable, mais plus subtile, « et surtout, pas aussi généralisée », précise-t-elle. « Là, on a retrouvé plusieurs documents presque identiques, reprenant directement des éléments de la description de l’offre. C’était juste bizarre ». Il va sans dire que ces candidatures n’ont pas été sélectionnées.

Dans le cas de Midnight Kitchen, l’utilisation de l’IA s’est révélée contre-productive. Toutefois, on ne peut ignorer la quasi-nécessité d’en faire usage dans un contexte où l’obtention d’un emploi étudiant relève presque du miracle.

La recherche d’emploi : un parcours du combattant

Pendant près d’un an, Bryanna, 19 ans, a multiplié les candidatures. En l’interrogeant sur ses qualifications, force est de constater que ce n’est pas le manque d’expérience qui lui a fait défaut. Avec trois années en service à la clientèle, elle a concentré ses efforts sur ce secteur. Et sur les 200 offres d’emploi auxquelles elle a postulé, seulement deux ont débouché sur un entretien.

Elle a finalement trouvé un emploi au sein d’une compagnie de tutorat, à raison de quatre heures par semaine. Si ce temps de travail ne la satisfait pas, elle s’en contente, consciente de la pénurie actuelle d’offres d’emploi.

« Le sentiment que, fournir des efforts pour produire une candidature qualitative, avec des compétences qui correspondent à la demande du recruteur n’est plus récompensé »

En effet au Québec, le nombre de postes à pourvoir a atteint son niveau le plus bas depuis 2018, soit 119 175. Une pénurie d’emplois qui pénalise particulièrement les plus jeunes, âgés entre 15 et 24 ans, dont le taux de chômage s’élève à 14,2 % en 2025. Ventes en baisse, pouvoir d’achat réduit, tarifs douaniers : au cœur de ce contexte économique incertain, les recruteurs ne recrutent plus vraiment… De nombreux emplois n’ont pas survécu à ces coupes budgétaires, en particulier ceux à temps partiel : 16 500 ont disparu cette année, au détriment d’un bon nombre d’étudiants.

Les postes disponibles, notamment en service à la clientèle ou dans l’alimentation, font donc face à une augmentation accrue de candidatures. L’annonce de MK a cumulé près de 100 postulants, un nombre inhabituellement élevé pour l’association. Les jeunes à la recherche de leur premier petit boulot ont donc peu de chance de se démarquer face à des profils bien plus qualifiés.

Privilégier la quantité à la qualité

Pour obtenir un emploi coûte que coûte, certains étudiants sont donc bien contraints de répondre à un nombre considérable d’offres, parfois sans vraiment prendre le temps de lire la description ou les attentes du poste. L’IA apparaît alors comme une aide bien fortuite. Les 25 postulants de MK ayant eu recours à ChatGPT étaient sans doute soucieux d’économiser du temps dans leur recherche d’emploi, espérant maximiser leur chance de déboucher sur une réponse positive. Piètre stratégie, certes, mais légitime.

Au-delà d’une volonté de gagner du temps dans leurs recherches, il y a aussi cette impression d’un processus de recrutement complètement arbitraire. Le sentiment que, fournir des efforts pour produire une candidature qualitative, avec des compétences qui correspondent à la demande du recruteur n’est plus récompensé. Le mérite personnel ne semble plus prévaloir : le piston et les relations préalables constituent la voie royale pour être embauché. 80 % des emplois sont obtenus par l’intermédiaire d’une connaissance personnelle ou professionnelle.

« Cette sélection automatisée est devenue toutefois indispensable, compte tenu de la hausse de candidatures pour une seule offre d’emploi »

En ce qui concerne Bryanna, elle a effectué sa recherche d’emploi sans l’aide de ChatGPT, pour des considérations éthiques et environnementales. Cela dit, elle peut concevoir qu’un nombre croissant de postulants y aient recours. Après tout, c’est de bonne guerre : « un pourcentage élevé de candidatures doit très probablement être examiné par une IA », présume-t-elle.

Un marché de l’emploi du vide

Effectivement, les employeurs ne s’en privent pas non plus. Afin d’accélérer le processus de recrutement, les candidatures doivent passer par un logiciel informatique, lequel est paramétré et entraîné par la base de données de la compagnie. S’opère alors un tri minutieux : les CV sans mots-clés précis, incluant localisation géographique, compétence linguistique ou encore années d’expérience, sont rejetés d’office. L’IA ne conserve que les meilleurs candidats, qui sont dès lors recommandés et priorisés pour un entretien. Un processus assez déshumanisant, puisque les logiciels sont incapables de détecter l’intelligence émotionnelle du candidat, qui doit apparaître notamment dans sa lettre de motivation.

Cette sélection automatisée est devenue toutefois indispensable, compte tenu de la hausse de candidatures pour une seule offre d’emploi. D’après un rapport publié en 2025 par Indeed, 51 % des compagnies américaines y ont recours. Pour leurs voisins canadiens, le pourcentage s’élève à 27 %.

Beaucoup de postulants ont conscience de ne pas correspondre au profil recherché, mais tentent leur chance malgré tout. C’est un véritable cercle vicieux qui s’est créé : la pénurie d’emplois pousse les postulants à déposer leur CV n’importe où, souvent à l’aide de ChatGPT. Pour gérer cette demande accrue, les compagnies n’hésitent pas à les filtrer au moyen d’une IA. Les candidats, eux, continuent d’intensifier leur recherche.

En tout cas, le climat professionnel actuel est décourageant pour plus d’un. Dania en a bien conscience. C’est pourquoi « l’organisation a pour politique de répondre à chacune des candidatures, même si la réponse est négative », m’a‑t-elle assuré. L’intelligence artificielle, quant à elle, n’a pas fini de redéfinir le marché du travail, et semble annonciatrice d’un effritement des liens organiques que nous entretenons les uns avec les autres.

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La liberté qu’il nous reste https://www.delitfrancais.com/2025/09/24/la-liberte-quil-nous-reste/ Wed, 24 Sep 2025 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=58630 L’inquiétante recrudescence de la censure politique.

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J’avais comme idée cette semaine d’écrire sur la nomination de Robert Leckey, ex-doyen de la Faculté de droit de McGill, à titre de juge à la Cour supérieure du Québec. J’aurais décrié une décision fédérale complètement inacceptable, et critiqué un juriste sous-qualifié, opposé aux lois 96 et 21 et fervent partisan du Parti libéral du Québec et du Canada. Je me serais vertement opposé à cet affront à l’autonomie législative québécoise, malgré mon désaccord avec les motivations parfois xénophobes du projet caquiste en ce qui a trait à la loi 21. Bref, une autre démonstration de mon mécontentement face aux incursions du fédéral dans notre démocratie québécoise, jamais tout à fait omnipotente.

Mais face aux affronts répétés à la liberté d’expression dans la dernière semaine, ma conscience me dicte de laisser la politique tranquille un moment. C’est franchement inquiétant, et en tant que (pseudo-) journaliste, je ne peux rester muet. C’est mon droit, ce l’est encore et ça doit le rester. Alors voilà. Ce n’est que partie remise pour Leckey.

« Pour savoir qui vous dirige vraiment, il suffit de regarder ceux que vous ne pouvez pas critiquer »
- Voltaire

Le propos qui suivra se veut simplement un regard critique sur les abus oppressifs de certaines nations dont la puissance inquiétante enraye la possibilité pour tous de s’exprimer librement. Il n’est pas une condamnation, mais plutôt un cri désespéré pour la liberté.

Difficile de braquer le regard ailleurs que sur les États-Unis et leur inquiétante ploutocratie. Une nation dirigée par une sorte de monstre bicéphale, alliance d’un tyran sénile et d’intérêts étrangers génocidaires. Une nation supposément obsédée par son archaïque Bill of Rights – mais qui en fait une écoute sélective. Une nation se croyant hégémonique, toute-puissante, invincible. Une nation en perdition.

Mais surtout, une nation dont on ne peut critiquer le pouvoir en place, sous peine d’exclusion de la sphère publique, d’une perte d’emploi sans sommation ou bien même d’attaque directe par un bonhomme orangé ayant oublié de désactiver le verrouillage des majuscules.

Donald Trump, que j’ai pu décrire comme sénile et orangé ci-haut, est tout de même un ingénieux propagandiste, un maître de la distraction et de la confusion. Un hypocrite de la pire espèce. Quand il s’agit de pleurer la mort d’un homme haineux, raciste et homophobe comme Charlie Kirk, on ne trouve pas en Trump un plus grand défenseur de la liberté d’expression et d’opinion. Il condamne toute violence politique et déifie un débatteur populiste somme toute médiocre, juste assez intelligent pour retenir et recracher les grandes lignes de la révulsante idéologie trumpiste.

Mais gare à celui qui oserait le critiquer! La liberté d’expression défendue par le Premier amendement se métamorphose en une obligation de complimenter. On ne peut plus critiquer Trump ou son administration et ses alliés : il n’aime pas ça. Ça l’offusque et ça le frustre, quand les journalistes parlent en mal de lui. Il use de son pouvoir pour bannir certains médias de ses mêlées de presse, réduire au silence ses critiques médiatiques et se débarrasser de fonctionnaires qui osent se dresser contre lui.

Et on ne pourra pas dire que l’on ne s’y attendait pas! C’est un déjanté de la première heure, un malade à la tête de la nation la plus puissante au monde! L’élire une fois en 2016, je peux le comprendre. Une femme au pouvoir, pour nos voisins du Sud, c’était peut-être trop en demander. Mais le réélire? Quelle infamie! Un homme qui n’est loyal qu’envers lui-même, qui ne défend la Constitution que lorsqu’elle sert ses intérêts les plus égoïstes, et qui, en plus, est un criminel! C’est dystopique.

Fasciste, le Donald? Je n’irai pas jusque là, mais on n’en est pas très loin. On n’a pas non plus à se rendre bien loin pour en trouver un, un État fasciste, ethnonationaliste et génocidaire.

Le plus fidèle allié des États-Unis, Israël, est une autre nation qu’il semble impossible de critiquer sans s’exposer formellement à une panoplie d’accusations. Vous critiquez l’éradication du peuple palestinien? Antisémite! L’exécution d’enfants? Haineux! La famine orchestrée et planifiée? Menteur! Cette auto-victimisation est si efficace que les gens en oublient les images diffusées de massacres et de morts à longueur de journée, preuves directes des crimes israéliens. La famine devient un mensonge parce que quelques Gazaouis grassouillets existent. On transforme les enfants exécutés en apprentis terroristes. On parle du génocide des Palestiniens comme d’une guerre. Les mots et les images perdent leur sens, et les téléspectateurs y laissent leur raison.

À la lumière des discours remâchés cent fois truffés de mensonges éhontés, il est clair que la machine de guerre israélienne n’est pas qu’une puissance militaire financée par les États-Unis. Elle est passée maître dans l’art de nous flouer, de nous ensorceler et de nous aveugler. Elle est insidieuse, elle s’infiltre dans les rouages du pouvoir par l’intermédiaire d’organisations telles que l’American Israel Public Affairs Committee (AIPAC) et installe son narratif facétieux dans l’imaginaire collectif. Et l’argent, que dire de l’argent! Tout le monde a son prix, et chaque politicien un seuil d’intégrité.

Pour les vendus à l’entreprise israélienne, tout devient un affront. On leur parle de Palestine libre, et on dirait qu’on vient de leur annoncer que l’on voudrait éliminer les Juifs de la surface de la Terre. C’est absurde, toute cette gymnastique pour défendre ce que même l’ONU qualifie de génocide. J’ai de la difficulté à le mettre en mots, tellement c’est délirant. On ne peut plus rien dire, on ne peut plus critiquer, on n’est véritablement pas libres de s’exprimer.

Je n’incite personne à la haine ou à la violence en m’exprimant ainsi. Je ne franchis aucun seuil passible d’une sanction selon la loi canadienne. Et pourtant, la publication d’un article tel que celui-ci pourrait m’attirer bien des ennuis. Pourquoi? Parce qu’il existe de toute évidence, comme Voltaire a su le dire, une sphère du pouvoir que l’on ne peut se permettre de critiquer. Il existe réellement des entités qui peuvent moduler le sens des mots, qui peuvent réduire au silence les critiques à leur égard de manière systématique.

« C’est en se lassant de défendre ses droits qu’on les perd pour de bon, et que l’on concède la victoire à ceux qui déploient tant d’efforts pour nous faire taire »

Je n’accuse pas Israël de contrôler le monde, de contrôler nos intérêts et nos industries. Vous ne ferez pas une Elisa Serret de moi! Mais il est impossible d’ignorer qu’Israël a mainmise sur de nombreux enjeux de la politique américaine. C’est factuel, rapporté par des intellectuels comme Mearsheimer et Sachs et des politiciens comme Bernie Sanders, tous trois Juifs, mais capables d’un jugement critique. Ils ne sont pas antisémites mais anti-ingérence, anti-génocide, anti-apartheid!

Il est important que les mots conservent leur sens, sans quoi tout débat devient complètement inutile et dépourvu de rationalité. Une critique de Netanyahou et son régime génocidaire n’est pas antisémite parce qu’il gouverne un état à majorité juive. Une critique de Trump, un président despotique et antidémocratique, n’est pas illégale parce qu’il le décrète.

Il ne faut pas rester muet ou indifférent face à toutes ces entraves à la liberté d’expression. Il ne faut pas avoir peur de les défier, sans quoi on risque de les normaliser. C’est en se lassant de défendre ses droits qu’on les perd pour de bon, et que l’on concède la victoire à ceux qui déploient tant d’efforts pour nous faire taire.

Je pense réellement que, si vous ne devez retenir qu’une chose de cet article, c’est de ne pas craindre les conséquences de l’expression de votre liberté. Je n’ai pas dit l’expression de votre haine, ou de vos insultes sans fondement. J’en appelle à votre liberté. À notre liberté à tous. Si vous vous taisez maintenant, vous le regretterez lorsque vous n’aurez plus de choix à faire entre la parole ou le silence. Vous le regretterez pour toujours.

Et aux despotes de se réjouir de votre apathie.

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L’ambiguïté des relations entre les Premières Nations et McGill https://www.delitfrancais.com/2025/09/17/lambiguite-des-relations-entre-les-premieres-nations-et-mcgill/ Wed, 17 Sep 2025 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=58506 Le projet Nouveau Vic réveille les tensions historiques entre l'Université et les communautés autochtones.

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La présentation du Projet « Nouveau Vic » commence par un court message de reconnaissance historique du territoire, comme la majorité des vidéos promotionnelles de McGill. « L’Université McGill est située sur un territoire qui a longtemps servi de lieu de rencontre et d’échange autochtone. Nous saluons et remercions les divers peuples autochtones qui ont enrichi de leur présence ce territoire accueillant aujourd’hui des gens de partout dans le monde ».

Et pourtant, le projet du Nouveau Vic est un sujet de contention majeur entre McGill et les Mères mohawk – aussi connues sous le nom de Kanien’kehá:ka Kahnistensera. L’organisation soutient que l’ancien hôpital Royal Victoria abrite très probablement des tombes non marquées d’enfants victimes des expériences MK-Ultra, certains étant des enfants autochtones. De 1950 à 1970, des expérimentations psychiatriques ont été réalisées dans cet hôpital, déjà affilié à l’Université McGill. Dans un affidavit, Lana Ponting raconte son expérience de patiente dans l’établissement et les méthodes de torture qu’elle a subies. Selon elle, les individus responsables du programme sont des meurtriers, et elle croit fermement qu’il y a bel et bien des corps enterrés sur la propriété. Le territoire sur lequel a été bâti l’hôpital n’ayant jamais été cédé par ses habitants autochtones, les Mères mohawks revendiquent que les Kanien’kehá:ka en ont encore la juridiction. En 2015, lorsque McGill a annoncé sa volonté de rénover le bâtiment pour en faire une nouvelle branche de son campus, les Mères mohawks ont envoyé une mise en demeure demandant à l’Université de cesser toute invasion, exploitation et atteinte au territoire. S’ensuit une longue bataille légale qui perdure encore aujourd’hui.

« Les individus responsables du programme sont des meurtriers, et elle croit fermement qu’il y a bel et bien des corps enterrés sur la propriété »

Le 13 juin 2025, les Mères mohawks se retrouvent une nouvelle fois devant les tribunaux pour défendre leur cause. Le procureur général du Québec et la Société québécoise des infrastructures (SQI) ont présenté une requête visant à faire rejeter les revendications du groupe autochtone, alléguant que celles-ci seraient « infondées en fait et en droit ». « À ce jour, aucune preuve ne permet de confirmer la présence de sépultures, malgré les recherches menées dans l’ensemble des secteurs d’intérêt identifiés dans le plan de recherche archéologique (tdlr) », a affirmé Anne-Marie Gagnon, porte-parole de la SQI, quelques mois plus tôt. Elle ajoute que tout se déroule « conformément aux recommandations du comité d’experts en archéologie ».

Ce n’est pas un avis que partagent les Mères mohawks, pour qui les démarches archéologiques entreprises par la SQI ont été bâclées. Philippe Blouin, doctorant en anthropologie et accompagnant les Mères mohawks depuis plusieurs années dans ce processus judiciaire, a livré plus de détails lors d’une entrevue téléphonique avec Le Délit. Il rapporte notamment les inquiétudes de l’archéologue mohawk Lloyd Benedict, présent sur le site comme moniteur culturel. Ce dernier critique dans un affidavit « le fait qu’ils n’ont pas tamisé les sols immédiatement, comme l’avait demandé le panel d’experts et comme c’est l’usage en archéologie », explique Philippe Blouin. « Ils les ont laissés pendant plusieurs mois dans de grosses piles, à la merci des éléments. Puis, ils les ont déplacés sur un autre site. Là, les sols ont enfin été tamisés… par de grosses machines utilisées dans le domaine minier. » C’est particulièrement grave dans ce cas-ci, où les ossements pourraient appartenir à des enfants enterrés sans cercueil – soit des ossements fragiles sans protection contre les ravages du temps et de la décomposition, explique le doctorant.

Un rapport obtenu par les Mères mohawk et combinant les résultats de trois moyens de détection – chiens renifleurs, géoradar et plus récemment une sonde spécialisée – semble pointer plus fermement vers la présence de sépultures illégales. Pour elles, la décision de la SQI et du procureur général du Québec de rejeter leurs revendications porte atteinte à leurs droits d’user de leurs terres ancestrales et de protéger les sites de sépultures autochtones. Ce genre d’argument va à l’encontre de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

« À ce jour, aucune preuve ne permet de confirmer la présence de sépultures »

Les Mères mohawks ont dû soumettre une réponse à la requête, ainsi que les accusés. Juge Moore n’a pas encore pris la décision de rejeter – ou non l’affaire.

Si l’on observe en détail le message de reconnaissance du territoire avec lequel l’Université McGill introduit sa vidéo, un détail se détache : « Un territoire qui a longtemps servi de lieu de rencontre […] les divers peuples autochtones qui ont enrichi de leur présence ce territoire accueillant aujourd’hui des gens de partout dans le monde. » Tout est écrit au passé, sans tenir compte du fait que ces territoires n’ont jamais été officiellement cédés et que ces individus sont encore vivants. « L’usage du passé composé… c’est comme si ces gens n’existaient plus, souligne Philippe Blouin, alors qu’en fait, il y a trois communautés mohawks majeures à moins de deux heures de route ».

De fait, se renseigner à propos des allégations de sépultures anonymes et des conflits légaux sur le site de McGill n’est pas une tâche facile, surtout si on ne sait pas où, ni quoi, chercher. De même pour les expériences MK-Ultra, qui ne sont mentionnées qu’une demi-douzaine de fois sur le site web de l’Université, et encore plus rarement en détail. Beaucoup sont ceux qui ne sont que vaguement conscients que ces événements ont eu lieu. Il n’est pas rare que des étudiants croient que ce ne sont que des rumeurs, des faits non avérés, ou encore en soient entièrement ignorants. Une étudiante en deuxième année qui n’était pas au courant de ces expériences avant notre entrevue conclut : « C’est important que McGill soit transparente à propos de son histoire et des controverses qui en font partie ; il est crucial d’éduquer et sensibiliser les étudiants. »

McGill maintient néanmoins sa volonté de reconnaître et de respecter « l’héritage [et] l’histoire autochtone du territoire ».

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Les impôts du contribuable n’ont pas été payés en vain… https://www.delitfrancais.com/2025/09/17/les-impots-du-contribuable-nont-pas-ete-payes-en-vain/ Wed, 17 Sep 2025 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=58533 Quelles seront les conséquences du scandale SAAQclic?

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À noter que la plateforme SAAQclic s’est vu attribuer un budget de 638 millions de dollars en 2017, qu’elle aura dépassé de 462 millions en 2027 (1,1 milliard en coûts totaux), selon un rapport de la Vérificatrice générale du Québec.

Permettez-moi de vous proposer cette semaine un format quelque peu inusité : l’opinion-experte. Moins clivante, à défaut d’être véritablement innovante. À mes opinions cinglantes, vous préférerez sans doute des opinions cinglantes, éduquées. Ma cible aujourd’hui : le scandale SAAQclic, un marasme administratif et financier dans lequel se sont égarés près de 500 millions de dollars de fonds publics. Mon expert : Maître Vincent Ranger, spécialiste en droit civil et procureur nommé à la commission Gallant, chargée d’enquêter sur la gestion de la modernisation des services informatiques de la Société de l’assurance automobile du Québec.

Évidemment, il est tenu à l’impartialité. Personne ne comprend mieux que lui les rouages de cette commission d’enquête ; je m’en suis donc tenu à sa compréhension de la procédure pour bâtir mon opinion. Cet article sera scindé ainsi : une pure présentation de faits suivie d’une envolée cynique, pour laquelle je prends l’entière responsabilité. Je m’assagis, sans doute. Je vous laisse donc, en premier lieu, décortiquer notre échange.

L’entrevue

Le Délit (LD) : Quelle forme de justice représente une commission d’enquête, et de quels pouvoirs est-elle investie?

Vincent Ranger (VR) : Une commission relève du pouvoir exécutif et non de la branche judiciaire de l’État, et n’a donc pas pour objectif d’arriver à un verdict ou une condamnation. Elle ne tranche pas de litige. Elle s’apparente davantage à une enquête qu’à un procès, et le travail du procureur se fond davantage dans le rôle d’un enquêteur.

LD : Quelle est donc votre responsabilité en tant que procureur? À quoi êtes-vous tenu dans la défense des intérêts des Québécois?

VR : Les audiences de la commission et l’entièreté de son contenu sont disponibles pour consultation publique. C’est l’objectif même d’une commission. Mon travail, c’est de présenter les bons documents et de décider d’une ligne directrice des interrogatoires pour assurer de brosser le portrait le plus complet possible de la situation.

LD : Comme procureur, que pouvez- vous nous dire sur le déroulement de la commission? Dans les témoignages publics, quel semble être le message principal?

VR : Je suis tenu à l’impartialité la plus stricte, et je ne peux donc formuler de commentaires sur la procédure en cours. Toute prise de position pourrait sembler éditoriale, et cela est strictement interdit d’un point de vue éthique. Je vous propose par contre d’aller consulter le site web officiel de la Commission, qui regroupe tous les témoignages et les preuves déposées durant les commissions.

LD : Que risquent les acteurs impliqués du gouvernement à l’issue de la commission? Je pense notamment à des ministres très influents comme Geneviève Guilbault, François Bonnardel ou même notre premier ministre, François Legault.

VR : Encore une fois, il est important de préciser que la commission ne prévoit pas de sanctions, pénales ou civiles. Son seul objectif est de dresser un rapport construit par les témoignages des acteurs impliqués et de formuler des recommandations. La commission est une demande du pouvoir exécutif, et son rapport pourra être décortiqué par des groupes d’opposition ou des organisations diverses.

LD : Quelles sont les dates clés dans le déroulement de la commission Gallant? Comment va se conclure cette saga quelque peu sensationnaliste?

VR : Pour ce qui est des conclusions durapport, je ne peux rien divulguer. Par contre, je rappelle que la date du dépôt du rapport est fixée pour le 15 décembre 2025 – date qui devrait aussi signifier la dissolution de la commission d’enquête. La suite des choses dépendra de la réception du public et des acteurs de la société civile. Il faudra aussi voir ce qu’en dira le pouvoir exécutif qui a demandé cette commission, et ce qu’il fera des recommandations formulées.

« À quand un système politique au sein duquel nos élus n’oseraient jamais prélever ne serait-ce qu’un dollar appartenant au contribuable sans en justifier la raison? »

L’opinion

Avouez qu’une entrevue avec ce procureur tenace et sympathique, ça crédibilise quelque peu mes opinions de frustré compulsif. Malgré son discours très neutre, on comprend que, pour qu’une situation fasse l’objet d’une commission telle que celle-ci, il faut quand même un scandale d’une certaine ampleur. J’admets que j’ai confiance en sa capacité à faire poindre la vérité des tréfonds de ce bourbier de partenariats public-privé truffé d’attributions de contrats à la valeur douteuse. Mais bon, là n’est pas la question.

Ils en on fait quoi de mon argent? De notre argent? C’est ce que chaque Québécois qui a financé cette initiative en payant ses impôts à reculons se demande. De ce que j’en comprends (et vous l’avez lu comme moi), la commission n’aboutira qu’à une suggestion, une humiliation publique de quelques figures emblématiques d’une administration caquiste de plus en plus impopulaire. Au lieu du bûcher, ce sera le pilori. On en fait quoi, de ce rapport? C’est enrageant de penser que les élus impliqués dans une négligence criminelle déprimante (ou un détournement volontaire) des finances de l’État s’en tireront sans aucune sanction tangible.

Cette immunité est un enjeu qui semble faire l’objet d’une considération cyclique, mais éternellement stérile. À l’occasion de la commission Charbonneau, en 2011, le public avait été sidéré par la corruption qui gangrenait alors le secteur québécois de la construction. Avait suivi un débat sociétal, politique et judiciaire qui s’était achevé par quelques sanctions financières, quelques destitutions, quelques démissions d’élus en disgrâce. Quelques emprisonnements anecdotiques. Mais c’est tout. Pas très cathartique. La preuve : on est aujourd’hui au même endroit, à quelques détails techniques près, qu’il y a quinze ans. Des élus qui contournent (plus ou moins habilement) les règles éthiques et les formalités d’attribution des contrats pour favoriser leurs amis. « Un chum, c’t’un chum », disait-on à l’époque. La formule est toujours d’actualité.

L’appât du gain y est certainement pour quelque chose. Mais enfin, combien d’Unités permanentes anticorruption (UPAC) allons-nous devoir créer pour empêcher nos élus de profiter de nous! Pourquoi est-ce que ça prend cinq, dix ou quinze ans avant que l’on se rende compte qu’on a été complètement floués! À quand un peu de responsabilisation? À quand un système politique au sein duquel nos élus n’oseraient jamais prélever ne serait-ce qu’un dollar appartenant au contribuable sans en justifier la raison?

De mon côté, je suis allé voir quelques extraits des témoignages de nos grands dignitaires démocratiques. Quelle honte! C’est à croire qu’on a élu une bande d’amnésiques aphasiques. Personne ne se parle, personne ne peut se rappeler exactement un échange ou une conversation, personne n’est au courant de rien. On ne se souvient pas des montants, des contrats, des courriels. On ne se souvient de rien. La devise du Québec en devient presque ironique.

Heureusement que les procureurs font un travail admirable. Ils sont le seul pont qui peut bien nous rattacher à une certaine vérité. Mais leur exemplarité a des limites. Leur travail herculéen ne produira qu’un rapport. Un maudit rapport.

Si vous me le permettez, je réponds d’office à ma propre interrogation. Quelles seront les conséquences du scandale SAAQclic? Si on se fie à notre modus operandi, un autre SAAQclic, dans quinze ans. Préparez-vous, pendant que vos futurs élus ourdissent déjà des plans pour contourner les réglementations factices proposées comme baume sur la plaie publique. Ne soyez pas surpris quand vous apprendrez que, pour une énième fois, les intérêts d’une caste dirigeante intouchable priment sur les vôtres. En 2039–40, si mes calculs se révèlent exacts.

462 millions. Quand même, il y a de quoi se laisser corrompre. Il y a de quoi trahir son peuple.

Et puis, comble de l’ironie, SAAQclic n’est pas foutue de fonctionner correctement!

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Quand le Canada ferme ses portes, qu’advient-il des étudiants internationaux? https://www.delitfrancais.com/2025/09/10/quand-le-canada-ferme-ses-portes-quadvient-il-des-etudiants-internationaux/ Wed, 10 Sep 2025 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=58369 IRCC annonce un nouveau plan d’immigration pour 2025-2027.

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Alors que l’effervescence étudiante de McGill a repris son cours en cette rentrée 2025, certains étudiants internationaux n’ont pas pu assister à leurs premiers cours de l’année. Pour cause : de plus en plus de retards, voire de refus, dans l’obtention de leurs permis d’études. Ainsi, tandis que de nombreux élèves restent actuellement bloqués dans leurs pays d’origine, les universités canadiennes, telles que McGill, doivent, quant à elles, faire face à la baisse des arrivées d’étudiants internationaux provoquée par le virage politique du gouvernement canadien en octobre 2024. Depuis bientôt un an, le gouvernement libéral cherche à réduire le nombre de résidents permanents et temporaires dans le pays, y compris les étudiants étrangers ; des changements qui vont probablement redessiner le visage d’universités multiculturelles, telles que McGill, au cours des prochaines années.

Un plan de limitation d’ici 2027

En octobre 2024, le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, Marc Miller, annonçait dans un communiqué la mise en place du Plan des niveaux d’immigration 2025–2027. Ce dernier prévoyait de réduire la croissance démographique à court terme durant les trois prochaines années, avec une baisse marginale de la population de 0,2% en 2025 et 2026. Cela se traduirait par la réduction de résidents permanents de 500 000 à 395 000 en 2025, et de 500 000 à 380 000 en 2026, pour finalement atteindre un seuil de 365 000 résidents permanents en 2027.

Les personnes cherchant à obtenir la résidence permanente ne sont pas les seules concernées par ces changements ; les résidents temporaires, tels que les étudiants internationaux, sont pour la première fois également la cible de ce plan annoncé par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC). D’ici la fin de 2026, l’IRCC veut tenter de réduire à 5% de la population canadienne le nombre de résidents temporaires, contre près de 7% actuellement. Il est ainsi prévu que la population temporaire du Canada diminue d’environ 445 000 personnes par an en 2025 et 2026. Pour les étudiants, cela se traduit par un nombre plus élevé de permis d’études refusés : depuis janvier 2024, le gouvernement a établi un plafond d’approbation de permis d’études sur deux ans pour les étudiants étrangers.

À l’époque, l’ancien premier ministre Justin Trudeau avait déclaré que ce plan visait principalement à donner aux gouvernements provinciaux le temps de rattraper le retard en matière de logement, soins de santé et services sociaux. Réduire le nombre de permis de travail ou d’études permettrait ainsi d’alléger les pressions sur les demandes de logement et autres services.

Le rôle de la francophonie

Si la plupart des immigrants vont sans doute voir leur quota être réduit dans les prochaines années, un groupe échappe toutefois à ces restrictions : les arrivants francophones s’installant dans les provinces canadiennes hors Québec. En effet, durant sa campagne électorale, le premier ministre Mark Carney avait promis aux Canadiens d’augmenter l’immigration francophone pour atteindre le seuil de 12% des résidents permanents hors Québec d’ici 2029.

« La baisse d’entrée d’étudiants internationaux dans les universités canadiennes risque par ailleurs d’enfoncer les dettes que présentent déjà certains établissements »

Cette démarche s’inscrit plus globalement dans la volonté du gouvernement de privilégier le développement de la francophonie à travers le pays. Depuis 2003, ce dernier s’est engagé dans des efforts, plus ou moins marqués, pour maintenir la langue française dans la culture canadienne. Il a d’ailleurs fallu 19 ans, de 2003 à 2022, pour atteindre la cible des 4,4% de francophones hors Québec. Celle-ci va probablement continuer d’augmenter au cours des prochaines années, mais ne concerne néanmoins pas les francophones souhaitant immigrer au Québec.

Quelles implications pour McGill?

Près d’un an après l’annonce de ces réformes, les secousses se font déjà ressentir sur les campus. Aisling, étudiante de première année, a fait face à de multiples problèmes avec IRCC avant même sa rentrée à McGill : « Tout était en ordre dans mes documents, j’avais prévu mon arrivée à Montréal le 19 août, puis j’ai reçu un refus, car je n’avais pas fait un examen médical – qui n’était pas nécessaire dans mon cas. J’ai alors dû reporter de nombreuses fois mon vol pour Montréal et passer cet examen médical, ce qui avait un coût financier important. » Comme beaucoup d’autres étudiants de première année, elle s’est retrouvée dans la détresse de ne pas pouvoir commencer ses études à temps : « C’était de réelles montagnes russes : j’étais tout d’abord très étonnée, puis rapidement je suis devenue anxieuse. » Elle explique qu’à cause de ces retards, de nombreux étudiants ont d’ailleurs été dans l’obligation de reporter leur rentrée à janvier 2026.

Ces changements au sein d’IRCC semblent également avoir des conséquences sur les demandes administratives des résidents temporaires déjà sur le territoire. Les personnes possédant un permis d’études, mais nécessitant une extension – telles que Julie, étudiante française de quatrième année à McGill – voient déjà les effets dans leurs propres démarches. Elle explique : « J’ai envoyé ma demande de renouvellement fin avril, et je n’ai toujours pas de réponse d’Immigration Canada. Cela est frustrant, car, si je ne reçois pas mon permis d’étude d’ici le 1er décembre, je serai dans l’obligation de payer les frais de scolarité d’un étudiant international. Je vais obtenir mon diplôme à la fin de l’année 2025, et cela rend mon avenir à Montréal assez incertain. » Pour rappel, à McGill, les étudiants français et belges disposent d’une exemption de frais de scolarité internationaux, et paient ainsi le même montant que les Canadiens non québécois.

L’impact des étudiants internationaux

La baisse d’entrée d’étudiants internationaux dans les universités canadiennes risque par ailleurs d’enfoncer les dettes que présentent déjà certains établissements. Les étudiants internationaux paient généralement des taux de scolarité bien plus élevés – jusqu’à cinq fois plus – que les étudiants provinciaux et nationaux. À McGill, les revenus générés par ces frais servent à financer non seulement les cours, mais aussi des services, la recherche et les infrastructures des différents campus. Il se pourrait donc que différents départements se voient dans l’obligation de réduire l’offre de cours sur les prochaines années scolaires, et que certains services aux élèves soient réduits sur le campus. Les étudiants internationaux forgent le caractère de McGill ; la baisse du nombre de ces arrivées pourrait avoir un impact culturel sur la vie étudiante de l’Université. Avec des centaines de clubs et associations en tout genre, réduire l’immigration étudiante étrangère risque d’impacter la diversité et les expériences interculturelles dont s’est toujours vantée McGill.

Si des universités canadiennes comme la nôtre ont bâti leur réputation sur la richesse de leur diversité étudiante et l’accueil d’un grand nombre d’élèves internationaux, les prochaines années pourraient marquer un tournant. La diminution de ces arrivées menace non seulement l’équilibre des campus et les ressources qui en dépendent, mais aussi l’image d’un pays longtemps perçu comme une destination privilégiée pour s’établir en tant qu’étudiant ou travailleur.

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T.O.C. (Trouble d’opposition colonial) https://www.delitfrancais.com/2025/09/10/t-o-c-trouble-dopposition-colonial/ Wed, 10 Sep 2025 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=58449 L’illusion du désir d’un McGill en français.

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Les opinions exprimées sur les retombées de la loi 96 (sur la langue officielle et commune du Québec) par la communauté mcgilloise sont pour le plus souvent articulées par des crétins, non-Québécois de surcroît. Je n’ai pas moi-même la prétention de ne pas être un crétin, mais au moins, je suis un Québécois. Francophone. Une précision quelque peu pléonastique, si vous voulez mon avis.

En premier lieu, je vous avertis. Ne vous avisez même pas de m’accuser frénétiquement d’être moi-même un avide colonialiste quant au sort linguistique des Premières Nations et des Inuit. Leur combat est le plus ardu de tous, et leur souveraineté se doit d’être une priorité étatique. Mais, par pitié, lisez la loi d’abord! Lisez le préambule! Elle n’est pas parfaite. Elle est même nettement insuffisante dans certains aspects. Mais elle vise à faire du français la seule vraie langue d’État québécoise. C’est tout. Il est carrément ignoble de démoniser les actions qu’un peuple prend pour assurer sa survie, et de présenter de manière malhonnête un projet de protection du français et de l’identité nationale. Un combat ne voit pas sa légitimité amoindrie par l’existence d’une autre injustice.

Il fallait bien sûr que la minorité anglophone y voie une tentative ethnonationaliste de les éradiquer, de faire de leur vie un calvaire, le français faisant office d’engin de torture moyenâgeux. Il en faudra davantage pour me soutirer des larmes. Ce sont ces mêmes geignards anglophones qui ont rendu nécessaires les mesures de protection démocratiques législatives de la langue officielle du Québec! Le français n’est parlé au Québec que grâce à la résistance, la survivance courageuse de nos ancêtres colonisés, rabroués, humiliés et vassalisés. Ils ont donné leurs vies pour se réapproprier les systèmes démocratiques et économiques du Québec, pour se retirer du joug étouffant d’une minorité d’aristocrates et de bourgeois voraces.

Vous avez encore le droit de parler en anglais, je vous rassure. Comme j’ai le droit de parler français en Hongrie. Ou bien de baragouiner quelques phrases d’italien en Indonésie. Mais ce n’est pas la langue d’État. On ne peut pas s’attendre à ce que toute une société se contorsionne et renie son identité pour accommoder nos caprices linguistiques. On doit bien être la seule nation qui doit se justifier de vouloir protéger sa langue! Au Québec, c’est en français que ça se passe. C’est en français que ça doit continuer de se passer.

Sauf à McGill, évidemment.

Le fier bastion du bilinguisme approximatif (on y alterne l’anglais et la langue de bois) mène des campagnes pour essayer de nous faire croire que le français lui importe. Qu’il faut vivre McGill en français, ou du moins être capable de le faire. Soyons sérieux : il est impossible de vivre McGill dans une autre langue que l’anglais, exception faite de quelques facultés. J’ai rarement vu plus hypocrite. Mais, je vais donner raison à l’administration sur un point : les hausses des tarifs pour les étudiants hors Québec sont paralysantes et administrées de manière bancale par les législateurs de la Coalition Avenir Québec (CAQ). C’est complètement contre-productif d’induire des coupes budgétaires alors que l’on souhaite que l’Université amplifie la prestation de services de francisation. Colossale erreur de jugement, sans doute.

Vous avez encore le droit de parler en anglais, je vous rassure. Comme j’ai le droit de parler français en Hongrie. Ou bien de baragouiner quelques phrases d’italien en Indonésie. Mais ce n’est pas la langue d’État. On ne peut pas s’attendre à ce que toute une société se contorsionne et renie son identité pour accommoder nos caprices linguistiques

Quand des mesures concrètes sont implantées par le gouvernement pour franciser la population étudiante, l’Université s’oppose. Et ça, il fallait s’y attendre. Pourtant, le seuil de francisation fonctionnelle des étudiants, établi à 80%, est bien loin d’être déraisonnable, quoi qu’en dise la Cour supérieure du Québec (dont les juges sont nommés, évidemment, par le fédéral). Ça pourrait même être 100%, quant à moi. Mais pour McGill, il n’en est pas question. Franciser, c’est trop cher, pas assez important, trop relatif, trop chronophage… franciser, ça les emmerde!

Et bon, pragmatisme oblige, les étudiants internationaux anglophones sont tellement plus lucratifs!

Je suis aussi tanné d’entendre régurgiter l’espèce d’adage débilitant qui affirme que « si on force les gens à apprendre le français, ils ne s’en servent pas sur le long terme, ils ne seront pas motivés à le faire ». Ils sont par contre assez motivés pour choisir consciemment de venir s’installer au sein d’une nation francophone, mais pas assez pour l’intégrer. Étrange. C’est sûr que la motivation tend à s’effacer quand on sait pertinemment que l’on peut s’établir dans une enclave unilingue anglophone et être parfaitement fonctionnel.

Si on veut s’installer au Québec, il faut apprendre à parler français. C’est enrageant de voir qu’une logique qui s’applique à absolument toutes les nations du monde (si on se refuse à appeler le Québec un pays) se bute à tellement de gens qui ignorent l’histoire et la réalité de l’endroit qu’ils habitent. Relisez (ou, pour la plupart, lisez) votre histoire québécoise : vous serez moins récalcitrants. Vous comprendrez pourquoi une multitude de gouvernements ont fait des efforts herculéens (et parfois maladroits) pour protéger la langue du peuple. Je me répète, me direz-vous, mais ça me paraît tellement simple! Tellement évident!

Un autre argument inventé pour s’opposer à la loi 96 repose sur un refus total de reconnaître le déclin du français au Québec. Refus complètement insensé : le français perd du terrain, surtout chez les jeunes, et les Québécois francophones ont le poids démographique le plus faible de leur histoire, en comparaison au reste de la population canadienne. Les Québécois francophones ont beau être majoritaires sur leur territoire, ils perdent du terrain, confinés à leur protectorat néocolonial. Nier un déclin qui crève les yeux, c’est vraiment un non-sens. Dites-le, si vous ne voulez pas parler français, mais ne faites pas semblant que vous n’avez aucun impact sur l’existence de notre société.

Bon, et quel rapport avec l’Université?

Dans l’imaginaire collectif francophone, elle reste le symbole de l’Anglo-patroneux-arrogant. L’université du petit bourgeois qui fait son chemin du manoir de Westmount de son papa, le grand bourgeois, jusqu’au pied du Mount Royal. En saisissant la Cour supérieure du Québec pour s’opposer à la francisation de son corps étudiant, elle entretient soigneusement cette image. McGill veut éduquer ses étudiants en anglais, strictement en anglais, toujours en anglais. Elle continue d’asseoir sa supériorité sur le peuple québécois francophone, ne lui jetant que quelques miettes minables pour calmer son appétit.

Je suis très loin d’aimer la CAQ. Même que je l’abhorre. Mais la loi 96, malgré ses défauts, sera assurément un outil de protection et de promotion de la langue assez formidable. Tout devra être produit ou traduit en français, des documents légaux aux promesses d’affaires… et c’est normal! Le français, c’est encore notre langue, et en dépit des efforts d’une minorité qui a longtemps agi comme une majorité, j’ose espérer que ce le sera toujours.

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Je suis un lâche… https://www.delitfrancais.com/2025/09/01/je-suis-un-lache/ Mon, 01 Sep 2025 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=58268 On vous attend dans la section Opinion.

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Prise de conscience estivale : je suis un lâche. J’écris mes articles et je règne en despote sur la section Opinion. Je critique tout ce qui me déplaît et je défends farouchement mes convictions. Borné? Pas vraiment. Opiniâtre? Peut-être. Acharné? Résolument. Mais quel est l’intérêt de cette section, si personne n’en discute, ne s’y oppose ou n’exprime quoi que ce soit d’autre qu’une indifférence apathique?

« Je me refuse à croire que, des 3 500 copies du Délit distribuées chaque semaine, aucune d’elles ne se trouve entre les mains d’une personne en désaccord avec le propos présenté! »

J’ai fait mon entrée au sein du Délit en critiquant un article – disons-le – propagandiste. Lèche-bottes. Ma lecture initiale achevée, j’avais immédiatement contacté mon patron actuel (le moins despotique Vincent Maraval) pour formuler une réponse – un peu dithyrambique, je l’avoue. Mais pas lèche-bottes. On peut m’accuser de bien des choses, mais on ne peut pas dire que je vis sur les genoux. Je suis certain de ne pas être le seul.

C’est là tout l’intérêt d’une section Opinion! Je ne veux pas vivre dans une chambre d’écho, comme les éditorialistes insipides de La Presse ou les loyaux sujets de Sa Majesté à Radio-Canada. Je veux que vous, les étudiants, donniez libre cours à vos idées, à vos argumentaires et à vos critiques.

Je veux bien me faire traiter d’imbécile, de petit provincial et d’impertinent, tant que c’est par le biais d’un argumentaire minimalement bien ficelé, pertinent et structuré. Je ne suis pas masochiste, quand même.

Je me refuse à croire que, des 3 500 copies du Délit distribuées chaque semaine, aucune d’elles ne se trouve entre les mains d’une personne en désaccord avec le propos présenté. Exprimez-vous! Écrivez, ça déniaise. Comme éditeur d’opinion, je m’engage à deux choses : ne pas être insignifiant et vous laisser la place que vous méritez au Délit. En retour, vous devez me laisser le droit de vous répondre. C’est de bonne guerre. Si vous y consentez, on s’engage, vous et moi, dans une entente tacite. Pas une guerre ou un conflit, mais un dialogue.

Voilà que, quelques paragraphes plus tard, je me suis délesté de ma lâcheté. Au sens journalistique du terme, à la rigueur. À vous de jouer.

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L’assurance collective : une accessibilité compromise https://www.delitfrancais.com/2025/09/01/lassurance-collective-une-accessibilite-compromise/ Mon, 01 Sep 2025 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=58273 Le débat du retrait.

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Maintenir un régime d’assurance accessible pour la communauté étudiante ou protéger les étudiants en tant que consommateurs et consommatrices? C’est le dilemme que pose le régime d’assurance collective fourni par l’Alliance pour la santé étudiante au Québec (ASEQ) et Desjardins, et qui devra être étudié par la Cour supérieure du Québec.

Depuis 1996, des milliers d’étudiants québécois et canadiens bénéficient d’une assurance collective négociée par l’association étudiante de leur université respective. L’adhésion au régime d’assurance est automatique, avec la possibilité de s’en désinscrire à chaque nouvelle rentrée de session d’automne. À McGill, c’est Studentcare qui est derrière ce plan de santé, courtier entre Assurance Desjardins et l’Association étudiante de l’Université McGill (AÉUM). Les avantages sont nombreux : couverture d’un large éventail de services, allant des soins dentaires aux conseils juridiques, le tout à un prix compétitif. Une offre trois à cinq fois moins chère qu’une couverture classique, se voulant accessible pour tous. Ces assurances font surtout office de complément pour les étudiants, dont la plupart sont déjà couverts par un régime de base. Elles prennent en charge les soins dentaires, ophtalmologiques, de santé mentale et autres services non inclus dans le plan provincial.

« Le rapport suggère une simplification des démarches de retrait, un rallongement du délai et une meilleure communication »

Si ce système d’assurance semble en tout point avantageux pour la communauté étudiante, des voix s’élèvent à son encontre. Les critiques sont principalement dirigées contre le caractère automatique de ce régime d’adhésion, jugé illégal. Déposée en juin 2023 et menée par deux anciennes étudiantes de McGill et Concordia, une action collective conteste le modèle de retrait (opt-out). Manque d’informations et de transparence, délais de retrait trop limités, collection de données personnelles non consenties, voilà les principaux reproches adressés à l’assurance collective.

En détaillant la facture de frais d’étude, on peut s’apercevoir que la communication laisse effectivement à désirer : les dépenses optionnelles et automatiques ne sont pas explicitées. À la manière du petit poucet, McGill semble les dévoiler au compte-goutte, nous dirigeant d’un site à l’autre. Il n’est donc pas étonnant que de nombreux étudiants ignorent jusqu’à l’existence de cette couverture. Certains frais, comme le programme de protection juridique et les frais dentaires de l’AÉUM sont accompagnés d’un astérisque, signifiant qu’ils sont facultatifs. Mais cela, la page ne le précise pas, et indique encore moins la démarche à suivre pour se retirer. Il faudra passer par la page intitulée « Description des frais », puis à nouveau par Minerva, puis enfin par Studentcare pour y parvenir. Et si les étudiants viennent à bout de cette chasse au trésor, il faut leur souhaiter d’y être arrivés avant la fin du délai de retrait. Cette année, la fenêtre de délai s’étend du 13 août au 26 septembre. En moyenne, les étudiants bénéficient de trois à six semaines pour se désinscrire. De nombreux étudiants déjà couverts l’ont manqué, et se sont vus contraints de payer une année entière d’assurance sans possibilité de remboursement.

Face aux critiques autour de l’assurance collective, la transition vers un régime d’adhésion individuelle semble être une solution idéale. Pourtant, un bon nombre d’étudiants reste attaché à son maintien.

En 2024, l’Université de Montréal a tenté de s’en défaire, soucieuse de se conformer à la Loi 25 sur la protection des renseignements personnels au Québec. L’Université voulait adopter un modèle d’adhésion. Cette démarche a été largement contestée par son association étudiante, la FAÉCUM. Défendant le droit à une assurance collective, elle a lancé une pétition cumulant près de 1 400 signatures. Ce refus de la part de la FAÉCUM n’est pas surprenant, car c’est le modèle de retrait qui garantit l’accessibilité à l’assurance. En effet, l’adhésion du plus grand nombre d’étudiants au régime permet une plus grande répartition des coûts, au profit des étudiants les plus défavorisés. À l’inverse, une adhésion individuelle serait beaucoup moins rentable pour les fournisseurs d’assurance, qui verraient une baisse des montants perçus.

Dans un rapport publié en janvier 2024, l’Autorité des marchés financiers a lancé une consultation publique ouverte à diverses parties prenantes. Parmi celles-ci, 95% étaient favorables au maintien du modèle actuel et 43% jugeaient souhaitable que des améliorations soient mises en place. Le rapport suggère une simplification des démarches de retrait, un rallongement du délai et une meilleure communication.

Devons-nous donc totalement changer de modèle, en faveur d’un régime d’adhésion, ou seulement réexaminer certaines modalités de l’assurance collective? C’est la Cour supérieure du Québec qui tranchera.

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Repenser la ville https://www.delitfrancais.com/2025/09/01/repenser-la-ville/ Mon, 01 Sep 2025 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=58276 Un projet de piétonnisation soulève autant d’espoirs que de tensions.

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L’architecture nous explique que l’espace dirige notre comportement, tout comme la science, qui proclame que les conditions environnementales déterminent l’évolution des corps humains, et plus largement celle des corps sociaux. De ce fait, il ne semble ni bénéfique ni même logique de consacrer à l’année deux tiers de nos espaces publics aux voitures. Nous constatons que ces machines qui polluent de plus en plus sont un danger à court et à long terme. Et pourtant, l’internationalisation d’une configuration urbaine optimisée non pour la sociabilisation, mais pour la circulation fait qu’une importante majorité de grandes villes, qu’elles soient au Canada, en Europe, ou en Asie, maintiennent un rapport inégal entre piétons et automobilistes. Se présentant comme réformateur, le projet de piétonnisation mis en œuvre par la mairie rencontre de nombreuses critiques de toute partie prenante, démontrant ainsi les limites d’initiatives qui peinent à s’attaquer aux causes structurelles d’un problème tentaculaire.

Étant donné l’ampleur de cette hégémonie machinale, est-il encore possible pour la mairie de Montréal de mettre en application une politique urbaine favorisant les rapports interpersonnels? Et si oui, est-ce que cette initiative est suffisamment robuste pour répondre aux enjeux sociaux, économiques et environnementaux?

Face à ces questions délicates, qui remettent en question la pertinence sociale et économique du projet de lamairesse Valérie Plante, cette dernière est catégorique : aucun compromis ne sera fait. Son parti, Projet Montréal, défend l’idée que c’est précisément à travers une politique urbaine radicalement centrée sur l’humain que la mairesse parviendra à démontrer les bénéfices sociaux et économiques d’une approche politique communautaire.

Hausse du budget pour financer les projets municipaux

Cette vision urbaniste s’appuie sur une remise en cause de l’individualisme engendré par l’omniprésence de séparations physiques – illustré par la surabondance des automobiles – et par la favorisation d’une approche conviviale. En assurant que l’accès exclusif aux cinq artères majeures de Montréal soit accordé annuellement aux piétons, la Ville cherche à concrétiser une certaine dynamique sociale pour les années à venir. De ce fait, elle a choisi en 2024 de consacrer 12 millions de dollars sur trois ans au financement d’anciens et de nouveaux projets de piétonnisation. En outre, afin de mieux répondre aux besoins exprimés à l’échelle locale, le plafond de financement de projets municipaux, qui sera pris en compte dans le budget de 12 millions de dollars, passera désormais de 375 000 à 700 000$, une hausse de près de 100%. Alors que cet aspect de l’initiative piétonne semble relégué au second plan, elle nous paraît, au contraire, être un de ses éléments les plus importants : comment serait-il possible de mettre en valeur les rues piétonnes si elles restent dans un état de délabrement et de négligence?

Même si ce projet rencontre plus de résistance que prévu de la part de certains acteurs économiques, d’autres voix s’élèvent. En effet, certains propriétaires d’entreprises se plaignent des effets négatifs de la congestion automobile dans les rues autour des secteurs piétons. Il faut les comprendre, cet encombrement a pour conséquence une diminution des fréquentations quotidiennes de leurs établissements en raison d’une difficulté d’accès pour des personnes vivant plus loin. Mais à l’inverse, d’autres commerçants se réjouissent d’un afflux soudain de touristes et de locaux qui viennent profiter de l’accès paisible et privilégié aux rues et de ce qu’elles leur proposent.

La nuance de ces points de vue nous indique que le problème ne peut pas simplement se réduire à un affrontement entre automobilistes et piétons, ou même écologistes et libéraux. Au contraire, elle nous révèle une dysharmonie structurelle. Peut-on vraiment s’attendre à ce que des Montréalais habitant à Longueuil profitent pleinement des zones piétonnes en centre-ville si les transports publics restent insuffisamment entretenus et même dans certains cas dangereux?

Cela étant dit, d’un point de vue social, pas de surprise : le projet est source de réjouissance. Saransh, habitant du Plateau Mont-Royal et étudiant à McGill, témoigne de la réussite du projet sur la Promenade Ontario : « Avant, c’était juste unerue à traverser. Maintenant, c’est un endroit où on s’arrête, on se parle, on vit un peu. »

En dépit de son caractère progressiste, il est important de s’interroger sur le véritable potentiel de cette initiative. En s’adressant seulement aux symptômes d’une configuration urbaine défaillante, la ville fait le choix d’ignorer les causes sousjacentes de l’hégémonie des automobiles. Force est de constater notre dépendance historique aux infrastructures routières et l’influence pernicieuse des intérêts économiques de l’industrie automobile. Donc, d’un point de vue pragmatique, cette approche rend le projet de piétonnisation particulièrement vulnérable aux pressions politiques, économiques et environnementales.

Étant donné les fluctuations macroéconomiques soudaines dues aux tarifs imposés par les États-Unis, le risque d’une coupe budgétaire imprévue est fortement ressenti. Cette austérité ne serait pas sans précédent, comme l’a démontré en 2023 le drastique « resserrement budgétaire de 100 millions de dollars ». La situation étant plutôt désavantageuse à ce type de projet social, il risque d’être pointé du doigt par des entreprises y étant défavorables, qui appelleront à son démantèlement. Si cela se produit, il ne restera de ce projet idéaliste qu’une poignée d’agréables souvenirs de balades à pied et entre amis, au lieu d’un changement concret et radical.

D’autre part, cette initiative est aussi menacée par la perspective d’un virage politique dans les élections municipales, prévues en novembre 2025. En effet, Soraya Martinez Ferrada, la principale figure de l’opposition, s’est déjà exprimée en critiquant la forme qu’a prise ce projet, proclamant qu’elle serait en faveur d’une approche consultative, au risque de freiner l’élan actuel du projet.

Si nous mettons de côté la rhétorique politique et le jargon économique, le débat que ce projet suscite nous fait nous poser une question fondamentale : est-il possible de former une société cohésive dans un milieu fracturé par des barrières physiques et des idéologies individualistes? Si nous continuons sur cette trajectoire, pouvons-nous nous imaginer perdre contact avec la réalité des rapports humains ; les lapsus, les sentiments, et les quiproquos vont-ils nous manquer, une fois seuls dans le siège passager de notre boîte en métal automatisée?

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À la petite fille que j’étais https://www.delitfrancais.com/2025/04/02/a-la-petite-fille-que-jetais/ Wed, 02 Apr 2025 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=58033 Et à la femme que je deviens.

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Ê tre une fille, c’est souvent apprendre à se surveiller. À être jolie mais pas trop, brillante mais pas arrogante, gentille mais pas soumise. Être rayonnante sans être fake, être forte sans être envahissante. Être intelligente, mais en n’osant jamais faire d’ombre aux hommes qui nous entourent. Occuper la place qui nous est réservée sans jamais trop sortir du moule.

Être une fille n’a jamais été simple. Au 19e siècle, on attendait des femmes qu’elles soient silencieuses et décoratives, confinées à la sphère domestique et réduites au statut de simples accessoires. Au 20e, elles ont acquis des droits, mais pas sans devoir se révolter. On leur a demandé de travailler sans déranger, de s’émanciper sans trop ébranler le statu quo, de devenir modernes tout en demeurant modestes. Aujourd’hui, la femme — et la fille qui l’a précédée — jongle avec cette myriade d’injonctions contradictoires, mais tellement normalisées : être ambitieuse mais douce, indépendante mais désirable aux yeux des hommes, affirmée mais jamais trop bruyante, jamais trop dérangeante.

Ce texte se veut un rappel, à moi et à toutes les filles de ce monde. Un rappel qu’on a le droit de vivre pleinement, sans permission. Que le regard des autres ne devrait en rien influencer notre trajectoire, qu’elle est valide quelle qu’elle soit, que l’indulgence est le secret d’une relation saine avec soi-même.

Girlhood : grandir fille

À l’école primaire, j’étais en tout point ce qu’on attendait d’une jeune fille. Relativement performante à l’école, avide de lecture, attirée par les arts plastiques. J’étais douce, calme, je ne faisais jamais trop de bruit. J’étais celle qui faisait tout comme il faut, celle qui plaisait aux adultes. Mais en vieillissant, quelque chose a changé. J’ai pris de l’assurance. J’ai commencé à parler plus fort, à défendre mes idées, à dire non. J’ai occupé un peu plus d’espace, sans m’excuser. Et ça, ça n’a pas toujours plu.

On nous apprend à être sage, pas à être libre. À être aimables, pas affirmées. Très tôt, on intègre — pas par choix, mais par une sorte de mimétisme des femmes qui nous ont élevées — l’idée qu’il faut se faire petite pour être acceptée, pour plaire. Qu’il faut mériter l’amour, l’attention, l’écoute. Qu’il ne faut surtout pas déranger. Alors, chaque fois que je m’autorise à vivre un peu plus pleinement — sortir, danser, dire ce que je pense — une petite voix me demande si je ne vais pas trop loin. Être une fille, c’est souvent avoir peur d’être trop. Trop bruyante, trop visible, trop vivante. Et paradoxalement, pas assez : pas assez mince, pas assez jolie, pas assez douce, pas assez parfaite.

Chaque petite chose que je fais pour moi, pour ma propre jouissance, vient avec un prix : culpabilité, justification, jugement. Comme s’il fallait mériter la joie. Comme si vivre librement, c’était déjà transgresser quelque chose. Être une fille, c’est souvent être sa première ennemie. Mais j’apprends, doucement, à devenir ma meilleure alliée.

Vivre comme des filles

Hier, on m’a tirée au tarot. La scène illustrait parfaitement les meilleurs aspects du girlhood : un groupe de copines assises au sol après une longue soirée à danser, à chanter. Il devait être quatre heures du matin quand une amie a sorti ses cartes et m’a demandé de réfléchir à ce que je voulais vraiment. Instinctivement, avec tous les questionnements qui me hantent à l’aube de ma graduation, c’est d’être acceptée par mon entourage qui m’est immédiatement venu à l’esprit.

Pourquoi toujours vouloir plaire? Vais-je toujours me soucier du regard des autres? Et si mes amies me disent souvent envier ma confiance, à quel point d’autres peuvent-elles sentir les yeux constamment rivés sur elles?

On en a parlé longuement avec ces copines, et la conclusion à laquelle nous sommes parvenues est que c’est un sentiment quasi universel, et ce, encore plus chez les filles. Cette conversation faisait écho aux idées d’une professeure qui nous parlait des pressions sociétales ressenties par les femmes partout à travers le monde : d’être de bonnes mères tout en contribuant à l’économie nationale via l’intégration professionnelle des femmes. Elle comparait ces pressions au panoptique décrit par Michel Foucault dans Surveiller et punir ; l’idée d’une société disciplinaire et contrôlante.

Se faire plaisir et dire oui

Ces derniers temps, je pense souvent aux petits plaisirs. Ceux qu’on minimise, qu’on croit anodins, presque superficiels ou dispensables. Une soirée improvisée entre copines. Un café en terrasse quand il fait juste assez doux. Complimenter quelqu’un dans le métro. Être une fille, bien que la société nous indique le contraire, c’est aussi se faire plaisir, traiter ces moments qui peuvent sembler superflus comme des choses précieuses. Parce qu’à quelque part c’est ça, la vraie résistance : se faire plaisir.

La vie est courte, mais surtout, elle est imprévisible. Et, dans un monde qui pousse les jeunes filles à la performance constante, au contrôle de soi et au dépassement, ralentir, savourer et dire oui à ce qui nous fait du bien devient un acte presque radical, une forme de défiance de l’ordre établi. S’autoriser ces petits plaisirs, ce n’est pas être égoïste, c’est être vivante, c’est se permettre de vivre sans entraves ou inhibitions.

Et ça, ça commence souvent par l’entourage. Par les gens qu’on choisit d’aimer, avec qui on se sent pleinement soi. Ceux — et souvent celles — qui nous célèbrent sans nous comparer, qui nous applaudissent quand on ose, qui nous accueillent et nous tiennent la main quand on en a besoin. Ce sont ces personnes qui comptent vraiment, parce que ce sont celles-ci qui ne nous jugeront jamais, qui nous aideront à bâtir la vie dont on rêve.

« Et, dans un monde qui pousse les jeunes filles à la performance constante, au contrôle de soi et au dépassement, ralentir, savourer et dire oui à ce qui nous fait du bien devient un acte presque radical, une forme de défiance de l’ordre établi »

Pour mes amies, j’essaie d’être celle qui dit toujours oui. Qui dit « vas‑y ». Qui dit « t’as le droit, c’est important ». Celle qui applaudit, qui admire : on m’a déjà dit que j’étais la plus grande fan de mes amies, et cette idée résonne encore aujourd’hui en moi. Le regard extérieur a la tendance pernicieuse de dresser une compétition malsaine et factice entre les filles, alors qu’entre nous, on devrait cesser de se comparer et enfin s’autoriser à vivre notre vie.

Et après?

Il n’y a pas de conclusion parfaite à ce genre de texte. Pas de leçon toute faite, pas de mode d’emploi préétabli pour se libérer du regard des autres. Seulement une main tendue. Un rappel qu’être fille, c’est quelque chose de beau. Quelque chose qui devrait être célébré. Et que sortir du moule, c’est ce qui fait de chacune de nous celle que nous sommes. Sois douce avec toi. Sois ta meilleure amie. Sois honnête, mais indulgente avec celles qui t’entourent. Danse un peu plus longtemps. Ris fort. Pleure sans gêne. Dis oui à ce qui te fait réellement envie, et non à ce que les autres attendent de toi. Parce que la vie est trop courte pour se priver de vivre au maximum, et que, en tant que fille, tout est à portée de main.

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Le temps des bouffons https://www.delitfrancais.com/2025/04/02/le-temps-des-bouffons/ Wed, 02 Apr 2025 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=58104 Réflexions sur la soumission volontaire.

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Dans une lettre ouverte publiée le 11 janvier dernier, Jean Chrétien, laquais loyal de sa Majesté Charles III des Rocheuses, défend son illustrissime pays, le Canada, contre des menaces d’annexion proférées par Donald Trump. Un monument poussiéreux des hautes sphères du Canadian Establishment qui fait la promotion des vertus de la souveraineté et de l’indépendance – mais quelle farce!

Les sparages incohérents du président des États-Unis ont l’effet pernicieux de rallier les pleurnichards fidèles à l’unifolié. L’union fait la force! Long Live the King! On veut nous voir ramper en rang docilement vers l’idéal d’une nation canadienne qui refuse de plier l’échine face au monstre américain. Moi, ramper, ça me fait mal aux genoux, je préfère m’abstenir. Pourtant, je l’avoue, je partage la complaisance fédéraliste pour nos arrogants voisins du sud. Leur cirque d’illuminés ploutocrates ne fait plus rire personne. Ce que j’abhorre, c’est plutôt l’utilisation canadienne des conjectures trumpiennes pour marteler d’éternelles tentatives hypocrites de suppression de l’identité québécoise.

L’ex-premier-ministre libéral Jean Chrétien (ministre de l’In-Justice sous Trudeau père, illustre mentor!) en profite pour jouer de sa réputation, nous rappelant dans sa lettre son fort goût pour les pirouettes politiques à l’intégrité douteuse. L’épouvantail de l’indépendance aura passé sa carrière à faire de l’ingérence son modus operandi, effrayant les Québécois pour mieux les assimiler à une confédération restrictive et abusive. Le Scandale des commandites? C’est lui. Le love-in du Non quelques semaines avant le référendum? Encore lui. Chrétien ne recule devant rien pour frauduleusement dilapider les fonds publics et détruire le projet indépendantiste apportant des contributions déterminantes aux défaites du Oui en 1980 puis en 1995. Effronté tout de même de faire la leçon à qui que ce soit sur l’importance de l’autodétermination d’un peuple quand on a dédié sa vie politique à l’éradiquer systématiquement.

« Avides de pouvoir et d’influence, ils s’entretuent pour gravir les échelons de l’administration néocoloniale. Premier-bouffon. Bouffon-général. Bouffon-gouverneur. Quand on est tanné de se battre, mieux vaut se vautrer dans une lâcheté aseptisée et défendre une ribambelle d’enjeux minables »

La quête pour l’indépendance n’est pas un caprice. La frayeur fédéraliste actuelle, ironiquement, le démontre parfaitement. La campagne de propagande pro-Canada orchestrée par les élites du pouvoir martèle que jamais le pays ne cédera sa terre, son pouvoir, sa culture et son identité – peu importe les bienfaits socio-économiques proposés par l’envahisseur. Voilà qui est curieux. La menace hypothétique auquelle fait face le Canada s’avère étrangement similaire au traitement que celui-ci réserve aux Québécois depuis 265 ans déjà. On redoute ce que l’on sème. Destruction de la langue et de la culture, partage des pouvoirs inéquitable, chantage économique… toutes les méthodes sont bonnes pour bâillonner le peuple québécois et le priver de son identité distincte. On réduit le passé de notre glorieux pays francophone à quelques allusions folkloriques dont les souvenirs s’effacent graduellement de la mémoire collective. Le gouvernement canadien résiste à « l’envahisseur » tout en servant d’exemple aux États-Unis quant à l’assimilation répugnante d’une nation souveraine. Pathétique. À des fossiles néo-colonialistes comme Trudeau (le père, le fils et le Saint-Esprit) et Chrétien, l’Histoire ne donne que très peu souvent raison.

Pour faire oublier à un peuple qu’il existe, il faut lui faire oublier qu’il a pu exister. Chrétien et ses sbires sont les artisans de cette identité canadienne illusoire, un nationalisme artificiel financé par les bénéficiaires du fédéralisme néocolonial. Les grands aristocrates du Beaver Club, les quartermasters et autres voraces WASPs (White Anglo-Saxon Protestants) se liguent depuis des siècles pour faire des Québécois un petit peuple, un bassin de cheap labor insignifiant. Quand il s’agit d’exploiter les ressources québécoises, l’amour canadien est sans mesure. Même chose quand un référendum s’annonce.

On est exploités par nos geôliers, jusqu’à ce que leurs chaînes nous meurtrissent trop et que par la force du nombre on gagne la volonté d’aspirer à la libération absolue de notre peuple.

Nous sommes les victimes inféodées d’un Canada hypocrite, profiteur, menteur, assimilateur un Canada bâti sur les larmes et la sueur des Québécois francophones. Un pays de Frobisher, de Molson et de McGill, aidés
dans leur funeste entreprise par quelques déserteurs opportunistes trahissant leur peuple. On me dira que ces temps sont révolus, que le patronat anglo-protestant n’est plus une menace à l’épanouissement de notre Québec, que le combat pour l’indépendance est un vestige archaïque dans un système de mondialisation frénétique. Voilà une belle pensée d’adorateur du Commonwealth, qui frémit d’excitation quand on aligne statu quo, oppression et assimilation dans un plan de société. Quand on profite de la misère de l’autre, il suffit de le nourrir juste assez pour ne pas qu’il crève de faim. Les boss sont peut-être bien morts, mais leur héritage gruge encore la détermination des Québécois. L’enjeu de la libération du Québec, tout comme sa culture et son identité, n’est pas un combat statique, monolithique. Par la montée de mouvements de valorisation de l’identité québécoise et de la nécessité de son indépendance au 20e siècle, le peuple condamné à se prostrer pour l’éternité prend son destin en main. Ainsi naissent le Rassemblement pour l’indépendance nationale, le Front de libération du Québec, le Parti Québécois déterminés à octroyer une souveraineté chèrement payée et amplement méritée aux Québécois.

Le sabotage fédéral s’amorce aussitôt que le mouvement se démocratise et gagne en importance pas question de laisser un petit peuple réaliser qu’il peut devenir grand. On nous menace de refuser le résultat du référendum, de nous soutirer nos maigres pensions, de faire du Québec le paria miteux de l’Amérique. Le Québec, étouffé par un Canada qui dépend de lui, ne trouve pas la force de se séparer. Les chaînes sont rouillées mais on se refuse à s’en débarrasser, on y est trop habitués.

À l’incertitude, certains préfèrent la servitude.

L’internalisation de l’oppression canadienne donne naissance à un infect regroupement de bouffons fédéralistes obsédés par l’unité d’un pays dysfonctionnel depuis sa création. Avides de pouvoir et d’influence, ils s’entretuent pour gravir les échelons de l’administration néocoloniale. Premier-bouffon. Bouffon-général. Bouffon-gouverneur. Quand on est tanné de se battre, mieux vaut se vautrer dans une lâcheté aseptisée et défendre une ribambelle d’enjeux minables. Pour essayer d’oublier qu’on trahit son peuple, rien de plus efficace que se liguer avec ceux qui affirment qu’il n’existe pas. Le pire dans tout ça? L’oppresseur fédéraliste originel cède sa place à une confrérie de bouffons qui se portent volontaires pour assujettir leurs frères québécois contre un titre, médaille de l’Ordre du Canada en option.

Les Québécois libéraux fédéralistes comme Chrétien, ils pullulent. Ils empestent la petite bourgeoisie (ou la grande aristocratie) et les idées de grandeur opportunistes. Par leurs manigances, ils corrompent la pureté
du débat identitaire québécois. Ils s’appliquent minutieusement à rendre le statu quo alléchant, indispensable. Ils rendent l’indépendance partisane, ils profanent l’idéal de liberté, ils crachent sur l’identité québécoise.

L’indépendance, je le répète, ce n’est pas une idéologie qu’on peut placer bêtement sur un spectre. C’est une évidence, un instinct, une nécessité à la condition humaine.

Sont Québécois tous ceux qui aiment la culture québécoise et veulent s’en faire les bâtisseurs.

Sont Québécois tous ceux qui désirent l’avancement collectif de la société qu’ils intègrent.

Sont Québécois tous ceux qui veulent voir la nation prospérer loin du joug abusif d’une confédération qui ne voit en nous qu’une vache à lait gouvernée par une assemblée de bouffons.

Sont Québécois tous ceux qui rêvent d’indépendance.

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Pop : Éclater l’enseignement sélectif https://www.delitfrancais.com/2025/03/26/pop-eclater-lenseignement-selectif/ Wed, 26 Mar 2025 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=57915 Des cours gratuits proposés par l'UPop Montréal.

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Pourquoi notre éducation supérieure devrait-elle se cloisonner à l’apprentissage d’une seule discipline, de nos 18 à nos 25 ans? Comment se fait-il qu’il faille payer et s’investir à temps plein ou partiel pour se renseigner, discuter, débattre en société? À l’heure où le président américain tente d’étouffer la science pour en balancer les cendres sous le tapis, des chercheur·se·s bénévoles et passionné·e·s continuent de solidifier les bâtisses de notre démocratie avec le ciment de leurs questions, hypothèses, découvertes et critiques. Ils·elles s’appliquent à partager des cours compréhensibles et accessibles pour nous tous, acteur·rice·s de notre démocratie.

Créer une société vivante

UPop Montréal, créée en 2010, est un organisme à but non lucratif qui s’inspire du mouvement alternatif des universités populaires européennes. Sa mission est de rendre le savoir accessible, en créant des lieux de rencontre, de réflexion et de partage des connaissances, le tout dans des espaces conviviaux, tels que des cafés et librairies. L’UPop soulève le couvercle de questions socialement vives : des objets de débats et d’incertitudes qui invitent les gens à enquêter sur leur quotidien de façon interdisciplinaire. « La gestion des déchets est une question socialement vive », soutient Blandine, le micro en main, éclairée par un projecteur d’appoint dans le Café les Oubliettes près du métro Beaubien. Postdoctorante en éducation à l’écocivisme, la chercheuse présente à une quarantaine de participant·e·s le deuxième panel de son cours : « Décoloniser la gestion des déchets. »

« C’est l’esprit critique du citoyen qu’elle veut stimuler plutôt qu’enseigner une technique ou une théorie »

L’intervention de Blandine est suivie d’une heure de discussion ouverte où le micro chemine entre les mains des différent·e·s participant·e·s, une « petite communauté éphémère », peut-on lire sur le site, composée de personnes de tous âges et origines. Ici, les gens viennent et reviennent à chacune des quatre séances du cours organisé par Blandine. Les cours proposés ne présentent pas un savoir tout clé en main : le propre d’une question vive est qu’elle n’a pas de solution évidente, ne suit ni une théorie prescrite ni un activisme particulier. Un angle de recherche est une prise de position, surtout quand il s’agit d’en faire une histoire ludique pour enseigner à des novices. Il s’agit avant tout d’une proposition, qui est ensuite enrichie par les débats de groupe. On se rend alors compte qu’il y a dans ce même café des professionnel·le·s du milieu, des enseignant·e·s, des gens qui travaillent pour la ville ou qui partagent leur expérience personnelle. On peut lire sur le manifeste de l’UPop : « Les personnes présentes seront des peintres, des plombiers, des sculptrices, des charpentiers, des informaticiennes. Peut-être bien des astronomes, des architectes, des musiciennes, des poètes. Des libraires, des typographes, des flâneurs. Nous aurons besoin de beaucoup de flâneurs. Beaucoup. »

Des chercheur·se·s engagé·e·s

À l’hiver 2025, la programmation annonce six thèmes présentés chacun par un·e chercheur·se qui décline sa recherche sous ses différentes facettes lors de deux à quatre rencontres. Les présentateur·rice·s bénévoles, sont conscient·e·s que la recherche ne doit pas être choyée et noyée dans une pile d’articles scientifiques, et que le savoir n’a de portée que si reçu par un·e citoyen·ne. Blandine explique qu’elle a contacté l’UPop pour proposer son cours quand elle est arrivée au Canada l’année dernière. Elle mène une recherche transculturelle en Corse, au Cameroun, et au Québec. Même si elle venait à enseigner dans un contexte universitaire traditionnel, c’est l’esprit critique du citoyen qu’elle veut stimuler plutôt qu’enseigner une technique ou une théorie : « J’aimerais enseigner aux professionnels, aux ingénieurs de l’environnement. Je pense qu’on devrait les aider à travailler leur propre rapport à l’environnement pour voir des répercussions positives sur leur travail. » Lors de son cours sur la gestion des déchets, elle a apporté une valise entière de livres qui ont nourri sa recherche. Elle les dispose sur une table du café pour que les participant·e·s puissent les regarder, voire les emprunter.

« Au-delà des droits et des devoirs du ou de la citoyen·ne, l’éducation est un muscle d’empathie et d’émerveillement pour tout ce qui nous entoure au quotidien »

Ouvrir notre troisième oeil

Une question socialement vive donne l’occasion d’enquêter sur son quotidien et d’aiguiser un regard sur la réalité de nos rues, de nos voisin·e·s, du contenu sur notre flux en ligne, des aliments que l’on mange. C’est ce qui peut manquer à l’université, qui nous apprend des cas pratiques et des théories du 20e siècle alors que le 21e siècle continue de se dérouler, qu’on y participe activement ou non. Blandine soulève que « 60 à 80% des apprentissages se font en dehors des institutions ». Rien qu’en assistant à l’intervention engagée de Blandine, le jet d’ordures dans la rue, l’emballage de tofu jeté après la préparation d’un repas et le passage du camion poubelle le lundi matin peuvent être perçus différemment. L’œil est aiguisé sur le présent parce qu’il a compris le passé : la recherche est contextualisée dans l’Histoire et les définitions de ses termes clés. Par exemple, Blandine brosse le portrait du déchet dans son contexte sociohistorique, en comparant des sociétés, la représentation du déchet pour les pauvres et les riches, sa symbolique, et se concentre ensuite sur le présent et la façon dont il est abordé aujourd’hui. Elle compare sa place dans nos rues et dans les rues du Cameroun et de Corse, où elle a aussi mené sa recherche. Blandine mentionne la façon dont les objets ont remplacé les mots dans les déclarations d’amour, d’amitié, de félicitations : on offre des cadeaux plutôt que de parler, ce qui participe à une consommation démesurée.

Une organisation qui reflète la mission

Au sein de l’UPop, il n’y a pas de recteur·rice ni d’administration : tous les membres du collectif bénévole proposent des chercheur·se·s à contacter et reçoivent les propositions de chercheur·se·s enthousiastes. La mission de l’UPop ne s’arrête d’ailleurs pas à l’organisation des rencontres : les séances sont publiées sur leur site sous forme de balados ou de vidéos. « On fait avec ce qu’on a! », s’enthousiasme Alex, membre du collectif organisationnel. Un pot est placé à la fin de la séance pour amasser des dons qui servent au bon fonctionnement de l’UPop, comme l’achat de micros-cravates pour enregistrer les prochaine séances.

Dans les universités classiques, des conférences ouvertes au public rendent accessibles des angles d’actualité aux citoyen·ne·s – souvent les étudiant·e·s de l’université – dans tous les départements. Au-delà des droits et des devoirs du ou de la citoyen·ne, l’éducation est un muscle d’empathie et d’émerveillement pour tout ce qui nous entoure au quotidien.

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Une année de plus, mais toujours pas plus certaine https://www.delitfrancais.com/2025/03/26/une-annee-de-plus-mais-toujours-pas-plus-certaine/ Wed, 26 Mar 2025 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=57921 Choisir entre études, travail, voyage ou tout ce dont on rêve.

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Hier, je célébrais mon anniversaire. Aujourd’hui, je suis une année plus vieille, et une année plus proche de la fin. Malgré tout, je vois cette nouvelle année comme un nouveau début. Cette année marque aussi la fin d’un chapitre important, avec ma remise de diplôme qui arrive à grands pas. Bien que je tente de me rassurer et de rester optimiste face au futur, ça reste une période d’instabilité, d’incertitude, et je ne sais à quoi m’attendre des mois qui viendront.

On parle souvent de la vingtaine comme des plus belles années d’une vie, d’une ère de liberté teintée par la frivolité et la légèreté d’esprit. On en parle comme d’une période d’exploration de soi. On souligne ces soirées qui ne finissent jamais, ces départs en voyage sur un coup de tête, cette liberté intarissable. Et quelque part, il y a du vrai dans ce portrait de la vingtaine. Mais, on parle beaucoup moins souvent du vertige que cette période peut impliquer, surtout vers la fin des études. Ce moment étrange où les repères tombent un à un, où les échéances changent de nature. Ce ne sont plus des devoirs à remettre ou de la matière à apprendre par cœur, mais plutôt des candidatures à envoyer, des décisions à prendre, et des portes qui se ferment parfois avant même qu’on ait pu les pousser.

Depuis que je suis toute jeune, les différentes étapes de la vie étaient relativement balisées : l’école primaire, le secondaire, le cégep, puis l’université. On avançait tous ensemble à travers ces étapes préétablies, ce calendrier commun. Notre vie était dictée par un rythme que l’on partageait tous plus ou moins, qu’on suivait tous. Et maintenant? Il n’y a plus de sentier battu. Certains d’entre nous cesseront leurs études, certains poursuivront des études universitaires de deuxième cycle. Certains travailleront dans le champ professionnel auquel ils ont dédié leurs études. D’autres changeront complètement de milieu. Il n’y a plus de guide : nous sommes, plus que jamais, libres. Cette liberté, bien qu’elle ait une part de beauté, est profondément angoissante — du moins, pour moi.

J’ai 23 ans. Je suis jeune. C’est ce qu’on me répète souvent. Mais pourquoi, alors, ai-je l’impression d’être en retard? Pourquoi est-ce que chaque jour passé à ne pas « avancer » me semble perdu? Ce sentiment, je sais que je ne suis pas seule à le ressentir. Autour de moi, plusieurs amis vivent la même chose : une sensation d’être suspendus dans les airs, entre deux mondes, celui de la vie académique et l’autre de la vie professionnelle, à la fois pressés d’agir et paralysés par la peur de se tromper. Détenteurs de baccalauréats, nous espérons pouvoir faire ce que nous désirons, mais rien n’est si simple. Un dilemme se présente à moi et à tous ceux qui graduent : poursuivre ses études, entrer sur le marché du travail ou voyager, lâcher tout pour voir le monde? Faire une maîtrise, accepter n’importe quel emploi en attendant, prendre une année de pause, déménager loin d’ici, rester? Chaque option semble valide. Et chaque option semble risquée. Chaque option a une part de bien, mais peu importe ce qu’on choisit, des sacrifices devront être faits.

Ajoutons à mes angoisses un marché du travail extrêmement compétitif qui n’aide en rien.

Trouver un emploi à Montréal en ce moment, ce n’est pas une mince affaire. Même avec un baccalauréat en main, même en étant bilingue, même en ayant fait tout ce qu’il fallait. Les stages, le bénévolat, les jobs étudiants. On m’avait dit que ça paierait. Pourtant, tous les emplois qui semblent intéressants exigent souvent plusieurs années d’expérience ou des qualifications qu’aucun jeune diplômé ne peut espérer avoir. Comment peut-on commencer au bas de l’échelle si ce bas est lui-même inatteignable? Comment puis-je prouver que j’en vaux la peine?

« Autour de moi, plusieurs amis vivent la même chose : une sensation d’être suspendus dans les airs, entre deux mondes, celui de la vie académique et l’autre de la vie professionnelle, à la fois pressés d’agir et paralysés par la peur de se tromper »

Tout ce qu’il reste à faire, c’est se comparer. Comment peut-on l’éviter? On se compare à ceux et celles qui ont obtenu la maîtrise de leurs rêves, qui partent en Europe vivre leurs ambitions, qui démarrent un projet, qui semblent avoir trouvé leur voie. Une part de moi est heureuse pour eux, mais il est quasi impossible d’éviter de ressentir un peu de jalousie. Je tente de me convaincre que chaque parcours est unique, que ce n’est pas une course. Et surtout, que même ceux qui semblent les plus confiants ont aussi des doutes, des échecs et des questionnements.

Le plus important, à mon avis, c’est d’apprendre à normaliser l’incertitude. À se dire que c’est pas si
mal de ne pas savoir tout de suite. Qu’il est acceptable de prendre une pause, de réfléchir, de se tromper de chemin pour mieux avancer par après. Que de faire un choix maintenant ne signifie pas se condamner à jamais à cette décision. C’est mon cas actuellement, et on ne m’a pas assez souvent dit que c’était normal de se tromper, de se questionner, d’angoisser face au futur.

On a grandi dans un monde qui valorise la productivité, la performance, la rapidité. Ce que j’ai envie de dire aujourd’hui, c’est que ce qui demande le plus de courage, c’est de ralentir, de se poser les questions, de prendre le temps de se demander ce qu’on veut vraiment. J’ai eu envie moi aussi de sauter immédiatement vers la maîtrise, parce que c’était un choix qui impliquait peu de remise en question, peu de changement dans mes habitudes. Il aurait été bien plus facile pour mon esprit de continuer dans la lignée où j’évolue déjà, mais il est bien plus courageux que je me pose pour réfléchir à ce que je désire vraiment. Bien que cela puisse donner l’impression de stagner, c’est un travail qui représente largement plus pour mon futur.

Je ne sais pas exactement où je serai dans six mois. Peut-être ici, peut-être ailleurs. Peut-être à la maîtrise. Peut-être en plein changement de domaine — pas parce que je n’aime pas ce que je fais, mais parce que ça fait longtemps que je me suis demandé si j’aimais vraiment ce que je faisais. Peut-être que je serai encore à la recherche de ce qui me passionne réellement. Et honnêtement, ce n’est pas aussi dramatique qu’on nous le fait croire.

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Étudier en anglais comme francophone https://www.delitfrancais.com/2025/03/19/etudier-en-anglais-comme-francophone/ Wed, 19 Mar 2025 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=57735 Travestir sa francophonie.

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N ous n’étudierons plus en anglais. Voilà où, après trois années à suivre des cours dans la prestigieuse université qu’est la nôtre, nos pensées s’arrêtent lorsqu’il s’agit d’envisager la suite. Que ce soit pour la maîtrise ou pour se lancer dans le monde professionnel, il est certain (ou presque) que nous chercherons désormais un environnement qui fait place à notre langue maternelle. Malgré tous les efforts que McGill puisse entreprendre afin de valoriser la langue française, choisir une université anglophone en tant que francophone nous apparaît aujourd’hui comme un travestissement d’une part intégrale de notre identité. Nous sommes avant tout francophones, et nous espérons ne pas l’oublier.

L’expérience d’une française à McGill

Éloïse : Venue de France comme un bon nombre de mes compatriotes afin de profiter d’une expérience internationale et d’une certaine renommée universitaire, j’ai laissé derrière moi ma langue maternelle lors de mes heures de cours. J’avais en effet décidé d’étudier à McGill car elle me permettait à la fois de conserver mon français en dehors de l’enceinte de l’université, ainsi que de remettre mes devoirs dans la langue qui me chantait (comprendre en français ou en anglais).

Finalement, la langue, avant même les frais universitaires — les universités hollandaises, plus abordables pour les Européens, ayant également été dans mon viseur —, a été le facteur déterminant de mon choix d’établissement. J’y voyais l’opportunité de confirmer un niveau d’anglais universitaire tout en gardant un pied dans une communauté francophone qui m’est chère.

À l’instar des communautés latines ou chinoises qui peuplent Montréal, il me semble que le français ne m’a jamais tant paru agir comme un ciment entre les habitants, une marque de nos origines respectives mais aussi un sujet à débat brûlant. En effet, tant pour les questions de protection de la francophonie, que pour ceux qui s’aventurent à mettre le doigt sur la bonne façon de parler le français, la francophonie est un sujet qui exalte le Québec et qui me paraît vivre à travers tout un chacun, bien davantage encore que dans la France que j’ai quittée depuis maintenant quelques années.

Seulement, aussi reconnaissante que je puisse être d’étudier ici et de pouvoir y pratiquer mon anglais, chaque conférence à laquelle j’assiste ou chaque publication scientifique que j’ai à lire m’apparaît comme un effort me distançant jour après jour d’un plaisir que j’avais jadis à étudier. Je ne sais pas entièrement quelle est l’origine de ce sentiment, s’il repose sur la frustration de ne pas pouvoir m’exprimer et élaborer ma pensée avec la même facilité qu’en français, sur la manière de réfléchir et d’enseigner, inévitablement influencée par la langue, ou encore sur le simple manque du plaisir de lire et d’entendre ma langue. Je sais néanmoins que ce sentiment est loin de m’être propre.

Et les Québécois?

Jeanne : Je ne prétends en rien parler au nom de tous les Québécois, mais je crois juste d’affirmer que pour une majorité d’entre nous, le français est un pilier identitaire indéniable.

Ayant grandi dans une famille francophone où j’ai toujours parlé le français à la maison, le choix d’une université anglophone en a surpris plus d’un. Certains amis de mes parents l’ont même perçu comme une insulte à mes racines francophones, estimant ce choix comme une forme de trahison, voire un quasi-blasphème, réaction largement plus dramatique qu’elle n’aurait dû l’être.

En toute franchise, choisir d’étudier en anglais était avant tout un choix pratique. J’en avais marre qu’on ridiculise mon accent, et je me disais que l’immersion dans un milieu anglophone serait la meilleure stratégie pour ne plus me sentir limitée. Après quelques années à remettre mes travaux en anglais, à me mettre au défi de prendre la parole en public dans cette langue, je ne ressens plus la même angoisse qu’autrefois à la simple pensée de devoir m’exprimer en anglais.

Pourtant, aujourd’hui, c’est un tout autre sentiment qui m’habite quand je pense à l’anglais : celui d’un certain détachement de ma langue natale.

Le paradoxe de la francophonie québécoise, c’est d’évoluer dans un environnement où le bilinguisme est omniprésent, mais continuellement critiqué de part et d’autre. Comme francophone, c’est dès l’enfance qu’on nous apprend que notre langue est fragile, qu’il faut la défendre, qu’il faut surveiller l’utilisation d’anglicismes et qu’il faut résister à l’attrait du bilinguisme. Pourtant, parler anglais est un atout, voire une nécessité, dans de nombreux domaines professionnels, et il est difficile d’ignorer la pression qui nous pousse à maîtriser cette langue pour réussir. On est en quelque sorte tiraillé entre notre langue maternelle et l’anglais, cette langue qui représente souvent une ouverture vers un monde d’opportunités académiques et professionnelles autrement inaccessibles. Que ce soit pour travailler à l’étranger, poursuivre des études supérieures à l’international ou simplement élargir son réseau, l’anglais nous est présenté comme la clé du succès.

« L’anglais a certes ouvert mon horizon, multiplié mes chances et renforcé ma confiance. Mais en même temps, il a créé une distance insidieuse avec mon français natal, me laissant cette impression étrange de naviguer entre deux mondes sans totalement appartenir ni à l’un ni à l’autre »

Jeanne, étudiante à McGill

J’ai senti que l’anglais prenait peut-être une place trop grande dans ma vie lorsqu’une dame nous a interpellés dans la rue, un ami et moi, pendant que nous discutions en franglais. Nous parlions comme nous avons l’habitude de le faire, dans une langue hybride qui me semble propre à Montréal. Cette dame, bien que plaignarde et quelque peu effrontée, complètement désemparée par le fait que nous parlions un français tant influencé par l’anglais, tenait une part de vérité : notre langue évolue, et avec elle, notre manière de nous exprimer, mais à quel prix? Cette interaction m’a fait prendre conscience que, sans m’en rendre compte, je m’éloignais peut-être de cette langue que j’avais pourtant toujours considérée comme acquise.

Bien que je chérisse ce franglais si propre à mon identité, j’ai parfois l’impression d’être coincée entre deux réalités. L’anglais a certes ouvert mon horizon, multiplié mes chances et renforcé ma confiance. Mais en même temps, il a créé une distance insidieuse avec mon français natal, me laissant cette impression étrange de naviguer entre deux mondes sans totalement appartenir ni à l’un ni à l’autre.

Retrouver sa langue

Que l’on soit Français, Québécois ou francophone d’ailleurs, il arrive un moment où l’on se rend compte que notre rapport à la langue s’étend au-delà de l’utile. C’est une part de nous, une façon de penser et d’exister. Après ces années, nous savons maintenant que nous n’étudierons plus en anglais, et qu’il nous faut désormais renouer pleinement avec le français pour nous retrouver.

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La survie et l’épanouissement de la francophonie à McGill https://www.delitfrancais.com/2025/03/19/la-survie-et-lepanouissementde-la-francophonie-a-mcgill/ Wed, 19 Mar 2025 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=57764 Regard sur 200 ans de résistance.

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La tumultueuse histoire de la langue française à McGill s’inscrit dans un débat endémique à la société québécoise. L’institution académique, héritage d’un controversé marchand de fourrures écossais, est une destination majeure de l’innovation intellectuelle québécoise — et ce, en anglais, depuis 1821. La majorité francophone de la province n’a pas toujours vu d’un œil favorable la présence de l’université sur son territoire, lui attribuant un tort irréparable à la cause de la protection de la francophonie et à l’accès universel à l’éducation universitaire. Chef-lieu tantôt du colonialisme britannique, puis de l’intelligentsia anglo-saxonne, l’Université McGill est aujourd’hui un lieu où règne une impressionnante diversité au sein de laquelle le français a laissé une trace indélébile. Naviguant au travers des remous politiques et de l’évolution culturelle et linguistique de notre province, apprenons ensemble l’histoire de notre langue officielle à McGill. Retour sur 200 ans de combats, de négociations et d’apprentissages grâce aux archives de la BANQ et de McGill.

Siméon Pagnuelo – Assujettir McGill aux institutions québécoises (1886)

La défense du français hors des murs de McGill précède bien entendu sa valorisation au sein de l’établissement. Dans un Canada nouvellement formé, le Québec tente d’asseoir l’utilisation systématique du français — par exemple dans ses ordres professionnels — ce qui est loin de faire l’unanimité chez les administrateurs et diplômés de l’Université McGill.

Une lettre ouverte publiée en mars 1886 par Siméon Pagnuelo, en réponse à Sir William Dawson et James Ferrier, critique l’attaque de ces derniers sur l’examen du Barreau québécois — institution francophone à laquelle tous les avocats sont assujettis. Dans ce document d’archives, Pagnuelo défend la pertinence de l’examen obligatoire et raffermit la dominance du français dans la société québécoise — alors que MM. Dawson et Ferrier reprochent au Barreau de persécuter la minorité anglophone. On observe dès lors une mise en opposition des communautés linguistiques majoritaires de Montréal, un combat bien plus profond que celui de l’accréditation professionnelle : la tension est palpable. Pagnuelo défend le français et sa place dans le Québec alors que MM. Dawson et Ferrier revendiquent la souveraineté éducative de leur établissement, et, par le fait même, la langue qui le sous-tend.

Opération McGill Français : rendre McGill et l’éducation universitaire accessibles aux Québécois (1969)

La montée d’un certain nationalisme francophone québécois de l’éducation atteint son paroxysme en 1969, simultanément à la Crise de Saint-Léonard (Bill 63). À l’époque, de nombreux débats de société font rage quant au financement et à l’encouragement d’une éducation primaire et secondaire en anglais, notamment chez les immigrants d’origine italienne peuplant Saint-Léonard, quartier de l’est de l’île de Montréal. La majorité québécoise francophone défend l’adoption d’un système unilingue, toujours dans un objectif de valorisation de la langue et de protection de l’identité québécoise. Le ressentiment exprimé par les Québécois francophones n’ayant pas un accès équitable à l’éducation universitaire est le miroir d’un combat social opposant une classe gouvernante anglophone aux travailleurs francophones. Les textes d’époque relatent la montée d’un sentiment d’injustice, qui culmine en la cruciale (mais trop souvent oubliée) Opération McGill Français. Cette manifestation prônant l’accès des francophones à l’Université McGill est la plus importante enregistrée au Québec depuis la Seconde Guerre mondiale. Il faut savoir qu’à l’époque, les Montréalais francophones n’ont accès qu’à une seule université offrant un cursus dans leur langue, — l’Université de Montréal — et comptent pourtant plus de diplômés des études postsecondaires que leurs homologues anglophones. C’est donc pour démocratiser l’éducation universitaire et déloger la mainmise de l’anglais sur l’Université que plus de 10 000 Québécois (15 000 selon les sources francophones, 7 000 selon l’Université) prennent d’assaut les rues. Résultat? Un an plus tard, McGill accepte enfin la remise de travaux en français, permettant donc le système de remise bilingue qui bénéficie à un pourcentage conséquent d’élèves d’hier et d’aujourd’hui. Côté gouvernemental, l’Université du Québec (UQAM, UQAC et toutes autres déclinaisons) voit le jour, répondant aux requêtes des cégépiens victimes de la raréfaction des places universitaires. Cette période marque le début d’une série d’accommodements raisonnables de McGill envers les manifestation prônant l’accès des francophones à l’Université McGill est la plus importante enregistrée au Québec depuis la Seconde Guerre mondiale. Il faut savoir qu’à l’époque, les Montréalais francophones n’ont accès qu’à une seule université offrant un cursus dans leur langue, — l’Université de Montréal — et comptent pourtant plus de diplômés des études postsecondaires que leurs homologues anglophones. C’est donc pour démocratiser l’éducation universitaire et déloger la mainmise de l’anglais sur l’université que plus de 10 000 Québécois (15 000 selon les sources francophones, 7 000 selon l’Université) prennent d’assaut les rues. Résultat? Un an plus tard, McGill accepte enfin la remise de travaux en français, permettant donc le système de remise bilingue qui bénéficie à un pourcentage conséquent d’élèves d’hier et d’aujourd’hui. Côté gouvernemental, l’Université du Québec (UQAM, UQAC et toutes autres déclinaisons) voit le jour, répondant aux requêtes des cégépiens victimes de la raréfaction des places universitaires. Cette période marque le début d’une série d’accommodements raisonnables de McGill envers les francophones de la province — une lente évolution vers l’égalité des chances dans l’éducation supérieure.

Création du Délit et Loi 101 : le français prend de la place (1977)

Le Délit, unique journal francophone de l’Université McGill, est publié pour la première fois en 1977 — année coïncidant avec la ratification de la Loi 101 faisant du français la langue d’usage protégée du Québec. Depuis sa création, Le Délit donne une voix aux étudiants francophones et permet une presse réellement libre et représentative de la population étudiante mcgilloise. En effet, au courant des années 1970, McGill voit le nombre de francophones inscrits croître pour atteindre 20% du corpus — statistique similaire aux informations divulguées par l’université pour l’année 2024–25. Cette année-là, 20% des étudiants affirment parler le français comme langue maternelle et plus de la moitié révèlent être capable de parler et de comprendre le français. Une nette amélioration depuis les années 1970, alors que la Loi 101 exclut McGill de son champ d’application et donc ne peut forcer l’établissement à adopter le français comme langue d’enseignement.

Néanmoins, plusieurs balises et règles relatives à l’emploi sont mises en application, interdisant par exemple la discrimination à l’embauche de quelqu’un pour sa compétence en anglais. Au fil des années, cette mesure bénéficie certes aux francophones, mais aussi aux professeurs de partout dans le monde voulant contribuer à la richesse intellectuelle de l’université. Armé à présent d’un journal hebdomadaire tiré à plusieurs milliers d’exemplaires et d’une protection de son droit à l’emploi et à l’étude en français, l’étudiant francophone peut à présent survivre et prospérer à McGill.

Création du portail « Vivre McGill en français » (2015)

Maintenant qu’une équité — du moins dans la Charte constitutive de McGill — est atteinte, l’Université se lance dans des activités de valorisation du français. L’idée novatrice de l’administration? Amener le français à la communauté anglophone montréalaise et internationale par le biais d’activités diverses et de programmes d’attestation d’apprentissage du français. Les francophones semblent avoir gagné énormément de terrain depuis 1821, tellement qu’il est maintenant question de faire du français une langue attirante pour les étudiants partout dans le monde. L’université, très loin de son passé discriminatoire, abrite notamment la Commission des affaires francophones (CAF), organisation s’occupant de la protection des droits des francophones à McGill. D’un point de vue éducatif, plusieurs facultés offrent des cours ou des programmes disponibles en français. C’est le cas notamment de la Faculté de droit, fait qui rendrait sûrement Siméon Pagnuelo très fier d’avoir résisté à l’opposition à l’institution francophone du Barreau! Le portail se consacre aussi à la création de capsules linguistiques, culturelles et touristiques sur le français et la ville de Montréal, prenant l’initiative de présenter avec précision l’importance du français hors du microcosme mcgillois. Une récente campagne publicitaire illustre également le bon vouloir de McGill, valorisant son « French side » et voulant montrer hors de tout doute la réelle inclusion de la francophonie entre ses murs.

Francofête 2025!

Ce bref résumé historique de quelques passages marquants de la francophonie à McGill vise à démontrer toute l’importance de la Francofête organisée par l’université dans l’intégration des francophones, mais aussi du français dans son quotidien. 200 ans d’histoire, de querelles, de manifestations… et pourtant, le français a réussi à se frayer une place dans le monde anglophone de McGill, faisant d’elle une université réellement bilingue. Continuez d’exercer vos droits et de collaborer avec l’université dans ses activités de valorisation de la langue officielle!

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