Archives des Enquêtes - Le Délit https://www.delitfrancais.com/category/societe/enquetes/ Le seul journal francophone de l'Université McGill Thu, 20 Mar 2025 15:32:42 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.8.2 La survie et l’épanouissement de la francophonie à McGill https://www.delitfrancais.com/2025/03/19/la-survie-et-lepanouissementde-la-francophonie-a-mcgill/ Wed, 19 Mar 2025 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=57764 Regard sur 200 ans de résistance.

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La tumultueuse histoire de la langue française à McGill s’inscrit dans un débat endémique à la société québécoise. L’institution académique, héritage d’un controversé marchand de fourrures écossais, est une destination majeure de l’innovation intellectuelle québécoise — et ce, en anglais, depuis 1821. La majorité francophone de la province n’a pas toujours vu d’un œil favorable la présence de l’université sur son territoire, lui attribuant un tort irréparable à la cause de la protection de la francophonie et à l’accès universel à l’éducation universitaire. Chef-lieu tantôt du colonialisme britannique, puis de l’intelligentsia anglo-saxonne, l’Université McGill est aujourd’hui un lieu où règne une impressionnante diversité au sein de laquelle le français a laissé une trace indélébile. Naviguant au travers des remous politiques et de l’évolution culturelle et linguistique de notre province, apprenons ensemble l’histoire de notre langue officielle à McGill. Retour sur 200 ans de combats, de négociations et d’apprentissages grâce aux archives de la BANQ et de McGill.

Siméon Pagnuelo – Assujettir McGill aux institutions québécoises (1886)

La défense du français hors des murs de McGill précède bien entendu sa valorisation au sein de l’établissement. Dans un Canada nouvellement formé, le Québec tente d’asseoir l’utilisation systématique du français — par exemple dans ses ordres professionnels — ce qui est loin de faire l’unanimité chez les administrateurs et diplômés de l’Université McGill.

Une lettre ouverte publiée en mars 1886 par Siméon Pagnuelo, en réponse à Sir William Dawson et James Ferrier, critique l’attaque de ces derniers sur l’examen du Barreau québécois — institution francophone à laquelle tous les avocats sont assujettis. Dans ce document d’archives, Pagnuelo défend la pertinence de l’examen obligatoire et raffermit la dominance du français dans la société québécoise — alors que MM. Dawson et Ferrier reprochent au Barreau de persécuter la minorité anglophone. On observe dès lors une mise en opposition des communautés linguistiques majoritaires de Montréal, un combat bien plus profond que celui de l’accréditation professionnelle : la tension est palpable. Pagnuelo défend le français et sa place dans le Québec alors que MM. Dawson et Ferrier revendiquent la souveraineté éducative de leur établissement, et, par le fait même, la langue qui le sous-tend.

Opération McGill Français : rendre McGill et l’éducation universitaire accessibles aux Québécois (1969)

La montée d’un certain nationalisme francophone québécois de l’éducation atteint son paroxysme en 1969, simultanément à la Crise de Saint-Léonard (Bill 63). À l’époque, de nombreux débats de société font rage quant au financement et à l’encouragement d’une éducation primaire et secondaire en anglais, notamment chez les immigrants d’origine italienne peuplant Saint-Léonard, quartier de l’est de l’île de Montréal. La majorité québécoise francophone défend l’adoption d’un système unilingue, toujours dans un objectif de valorisation de la langue et de protection de l’identité québécoise. Le ressentiment exprimé par les Québécois francophones n’ayant pas un accès équitable à l’éducation universitaire est le miroir d’un combat social opposant une classe gouvernante anglophone aux travailleurs francophones. Les textes d’époque relatent la montée d’un sentiment d’injustice, qui culmine en la cruciale (mais trop souvent oubliée) Opération McGill Français. Cette manifestation prônant l’accès des francophones à l’Université McGill est la plus importante enregistrée au Québec depuis la Seconde Guerre mondiale. Il faut savoir qu’à l’époque, les Montréalais francophones n’ont accès qu’à une seule université offrant un cursus dans leur langue, — l’Université de Montréal — et comptent pourtant plus de diplômés des études postsecondaires que leurs homologues anglophones. C’est donc pour démocratiser l’éducation universitaire et déloger la mainmise de l’anglais sur l’Université que plus de 10 000 Québécois (15 000 selon les sources francophones, 7 000 selon l’Université) prennent d’assaut les rues. Résultat? Un an plus tard, McGill accepte enfin la remise de travaux en français, permettant donc le système de remise bilingue qui bénéficie à un pourcentage conséquent d’élèves d’hier et d’aujourd’hui. Côté gouvernemental, l’Université du Québec (UQAM, UQAC et toutes autres déclinaisons) voit le jour, répondant aux requêtes des cégépiens victimes de la raréfaction des places universitaires. Cette période marque le début d’une série d’accommodements raisonnables de McGill envers les manifestation prônant l’accès des francophones à l’Université McGill est la plus importante enregistrée au Québec depuis la Seconde Guerre mondiale. Il faut savoir qu’à l’époque, les Montréalais francophones n’ont accès qu’à une seule université offrant un cursus dans leur langue, — l’Université de Montréal — et comptent pourtant plus de diplômés des études postsecondaires que leurs homologues anglophones. C’est donc pour démocratiser l’éducation universitaire et déloger la mainmise de l’anglais sur l’université que plus de 10 000 Québécois (15 000 selon les sources francophones, 7 000 selon l’Université) prennent d’assaut les rues. Résultat? Un an plus tard, McGill accepte enfin la remise de travaux en français, permettant donc le système de remise bilingue qui bénéficie à un pourcentage conséquent d’élèves d’hier et d’aujourd’hui. Côté gouvernemental, l’Université du Québec (UQAM, UQAC et toutes autres déclinaisons) voit le jour, répondant aux requêtes des cégépiens victimes de la raréfaction des places universitaires. Cette période marque le début d’une série d’accommodements raisonnables de McGill envers les francophones de la province — une lente évolution vers l’égalité des chances dans l’éducation supérieure.

Création du Délit et Loi 101 : le français prend de la place (1977)

Le Délit, unique journal francophone de l’Université McGill, est publié pour la première fois en 1977 — année coïncidant avec la ratification de la Loi 101 faisant du français la langue d’usage protégée du Québec. Depuis sa création, Le Délit donne une voix aux étudiants francophones et permet une presse réellement libre et représentative de la population étudiante mcgilloise. En effet, au courant des années 1970, McGill voit le nombre de francophones inscrits croître pour atteindre 20% du corpus — statistique similaire aux informations divulguées par l’université pour l’année 2024–25. Cette année-là, 20% des étudiants affirment parler le français comme langue maternelle et plus de la moitié révèlent être capable de parler et de comprendre le français. Une nette amélioration depuis les années 1970, alors que la Loi 101 exclut McGill de son champ d’application et donc ne peut forcer l’établissement à adopter le français comme langue d’enseignement.

Néanmoins, plusieurs balises et règles relatives à l’emploi sont mises en application, interdisant par exemple la discrimination à l’embauche de quelqu’un pour sa compétence en anglais. Au fil des années, cette mesure bénéficie certes aux francophones, mais aussi aux professeurs de partout dans le monde voulant contribuer à la richesse intellectuelle de l’université. Armé à présent d’un journal hebdomadaire tiré à plusieurs milliers d’exemplaires et d’une protection de son droit à l’emploi et à l’étude en français, l’étudiant francophone peut à présent survivre et prospérer à McGill.

Création du portail « Vivre McGill en français » (2015)

Maintenant qu’une équité — du moins dans la Charte constitutive de McGill — est atteinte, l’Université se lance dans des activités de valorisation du français. L’idée novatrice de l’administration? Amener le français à la communauté anglophone montréalaise et internationale par le biais d’activités diverses et de programmes d’attestation d’apprentissage du français. Les francophones semblent avoir gagné énormément de terrain depuis 1821, tellement qu’il est maintenant question de faire du français une langue attirante pour les étudiants partout dans le monde. L’université, très loin de son passé discriminatoire, abrite notamment la Commission des affaires francophones (CAF), organisation s’occupant de la protection des droits des francophones à McGill. D’un point de vue éducatif, plusieurs facultés offrent des cours ou des programmes disponibles en français. C’est le cas notamment de la Faculté de droit, fait qui rendrait sûrement Siméon Pagnuelo très fier d’avoir résisté à l’opposition à l’institution francophone du Barreau! Le portail se consacre aussi à la création de capsules linguistiques, culturelles et touristiques sur le français et la ville de Montréal, prenant l’initiative de présenter avec précision l’importance du français hors du microcosme mcgillois. Une récente campagne publicitaire illustre également le bon vouloir de McGill, valorisant son « French side » et voulant montrer hors de tout doute la réelle inclusion de la francophonie entre ses murs.

Francofête 2025!

Ce bref résumé historique de quelques passages marquants de la francophonie à McGill vise à démontrer toute l’importance de la Francofête organisée par l’université dans l’intégration des francophones, mais aussi du français dans son quotidien. 200 ans d’histoire, de querelles, de manifestations… et pourtant, le français a réussi à se frayer une place dans le monde anglophone de McGill, faisant d’elle une université réellement bilingue. Continuez d’exercer vos droits et de collaborer avec l’université dans ses activités de valorisation de la langue officielle!

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Le Français: un atout? https://www.delitfrancais.com/2025/02/20/le-francais-un-atout/ Thu, 20 Feb 2025 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=57531 Enquête sur l’accès à une correction paritaire bilingue à McGill.

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Le Québec peut se vanter d’être la seule province officiellement et véritablement francophone du Canada — muni de maintes lois et chartes visant à protéger l’intégrité de sa langue officielle. Le français est mis de l’avant comme un pilier de sa culture fondatrice, de ses institutions et de ses services : comment se porte-t-il réellement? En vérité, tous ces efforts législatifs semblent se buter à un inexorable déclin de l’utilisation du français comme langue principale au travail et dans les milieux académiques, tous groupes d’âges confondus. Cette détérioration de la langue nationale est sans doute attribuable à une pléthore de facteurs complexes que la présente enquête ne prétend pas identifier, préférant se concentrer sur des enjeux plus pertinents au quotidien des étudiants francophones mcgillois. L’Université McGill, microcosme anglophone au statut protégé, est tenue d’assurer la protection des droits de ses étudiants francophones de naissance, composant le cinquième de sa population inscrite, toutes facultés confondues. Elle redouble d’initiatives et de campagnes publicitaires, faisant la promotion d’activités valorisant la francophonie ou bien l’usage du français sur le campus — efforts louables dont Le Délit est un des principaux bénéficiaires.

Cette enquête passe outre les engagements parascolaires de l’Université et se penche davantage sur l’expérience académique concrète de ceux qui font le choix de remettre leurs travaux universitaires en français. Cette option, un droit acquis et protégé par la Charte de l’Université, est-elle réellement garantie? Les professeurs (et autres professionnels du milieu académique) engagés par McGill sont-ils réellement capables de fournir une correction paritaire, peu importe la langue utilisée par l’étudiant? La Faculté des arts — ses quelque 8 000 étudiants en faisant la plus fréquentée — est le point focal de cette enquête, choisie pour la diversité des disciplines qui y sont enseignées et pour l’importance de la rédaction dans la remise de travaux académiques. Le statut d’université de prestige qu’arbore fièrement l’Université McGill la rend particulièrement attrayante pour les étudiants internationaux, alors que plus de 150 pays sont représentés au sein de sa population étudiante. Cette diversité s’étend à son corps professoral, qui attire des académiciens des quatre coins du monde, permettant une richesse d’expertise inégalable bonifiant certainement l’enseignement offert. Malgré son statut bien défini d’institution unilingue, le recrutement de professionnels hors Québec expose la Faculté des arts à un dilemme quant à sa promesse de parité linguistique de correction.

Le corps professoral se prononce

Considérant la responsabilité de McGill quant à l’embauche d’employés capables d’assurer la correction (ou du moins une supervision de la correction) de travaux en français aussi qualitative qu’en anglais, quelles sont les attentes de l’institution quant au niveau linguistique initial de ses professeurs? Alain Farah, professeur agrégé du Département de littérature française, affirme que « le processus d’embauche n’exige pas du candidat de maîtriser le français — ni l’anglais! » Lui-même professeur de certains des rares cours pouvant exiger la soumission d’un travail dans une langue spécifique, il déclare ne pas se considérer suffisamment compétent en anglais pour corriger des travaux en cette langue à un niveau universitaire. C’est une chose de comprendre une langue et d’en avoir des compétences conversationnelles, mais c’en est clairement une autre d’analyser la pertinence d’un raisonnement complexe dans un domaine souvent très précis. Il révèle que, dans bien des cas, les professeurs sont unilingues anglophones, évidemment incapables de réaliser une quelconque correction autonome d’un travail en français. Sachant cela, quelles sont les ressources mises à la disposition de ces sommités par l’Université pour assurer un respect des mesures sur la protection des droits des francophones du Québec et d’ailleurs? Professeur Farah dit ne pas être au courant d’un tel système, et il n’est pas le seul.

« La question est de savoir si les travaux en français seront corrigés avec la même compétence et considération que leur contrepartie anglophone »

Dr Judith Szapor, professeure agrégée du Département d’histoire, abonde en ce sens. Citant les exigences du contenu de chaque programme de cours de la Faculté des arts, elle insiste sur le fait que la remise de travaux en français est un droit accordé aux étudiants par l’intermède d’une politique interne obligatoire. Cette déclaration, vous la trouverez formellement dans tout document de ce type transmis aux étudiants par les professeurs — qu’en est-il de son application? Bien qu’elle soit elle-même francophone de naissance, elle affirme ne « plus pouvoir corriger de travaux en français au même niveau qu’en anglais », faisant par exemple ses commentaires de correction en anglais sur les copies francophones. Elle nie cependant un quelconque laxisme quant à la correction, affirmant s’armer « d’un dictionnaire et d’outils grammaticaux lorsqu’elle ne comprend pas certaines tournures de phrase » — travail exemplaire dont elle est très fière. Cette fierté professionnelle et académique, me dit-elle, devrait être le standard du corps professoral, mais elle comprend que sa maîtrise du français n’est pas partagée par l’ensemble de ses collègues. De surcroît, elle n’a pas connaissance d’un centre d’aide à la correction pour les professeurs ou les auxiliaires d’enseignement unilingues et cite une problématique supplémentaire encore plus criante. En effet, dans des cours de niveau 300, 400 et 500, le sujet se raffine, la méthodologie individuelle d’enseignement se précise et les perspectives peuvent changer radicalement selon le chargé de cours. Comment alors déléguer la correction et assurer non pas uniquement une bonne compréhension du français, mais simplement une bonne compréhension du sujet?

Une conformité imparfaite

La question de la parité refait surface dans la barrière que peut causer la langue dans l’accès direct au professeur expert. Si les étudiants savent pertinemment que le professeur ne maîtrise pas le français, vont-ils réellement prendre le risque de soumettre leurs travaux en cette langue? Leurs droits sont-ils bafoués non pas par une mauvaise correction, mais plutôt par la seule crainte d’un manque de parité? Selon la Charte de McGill, le droit pour les étudiants d’être unilingues francophones serait protégé par leur droit de remise en français — aucune mention n’est faite des mécanismes pouvant assurer le respect de ce droit fondamental. Il en va de même pour la Charte de la langue française du Québec, qui prévoit aux articles 45–47 des mesures qui empêchent la mise en danger du français dans les processus d’embauche, sans pour autant garantir les droits des francophones. C’est cette nuance qui crée une zone grise, garantissant par exemple qu’on ne peut pas engager quelqu’un sur la seule base de la maîtrise de l’anglais, mais n’exigeant pas qu’elle sache s’exprimer en français — surtout dans une institution anglophone comme McGill.

Dans ces conversations avec les professeurs de différents départements, difficile d’ignorer la tendance du « don’t ask, don’t tell [ne pose pas des questions, ne dit rien, ndlr] » — alors que Dr Szapor avoue ne pas vraiment savoir comment ses collègues unilingues accomplissent une correction paritaire des travaux reçus. Professeur Farah est encore plus sceptique, sans pour autant mettre en question l’intégrité du corps professoral, alors qu’il affirme ne pas connaître à McGill une quelconque instance assurant une correction paritaire. Personne ne semble savoir ni vouloir s’informer sur les pratiques de ses collègues. Après tout, la correction et le contrôle de la qualité de celle-ci relèvent uniquement du professeur titulaire du cours, m’explique Dr Szapor : le silence règne dans les couloirs de la Faculté. La correction paritaire du français n’est pas un sujet de discussion entre collègues. On ne veut pas froisser ou offusquer, en questionnant la compétence d’un professeur, d’un ami.

Stu Doré | Le Délit

L’expérience francophone étudiante à McGill

Outre les témoignages des professeurs, une recherche de la base de services confirme l’absence d’une quelconque instance rendue directement accessible par les chargés de cours des différentes facultés. On relève l’existence des Services linguistiques de McGill — œuvrant dans la correction et la révision de textes en français —, mais une lecture approfondie montre que ce service s’adresse principalement à l’administration pour ses mémos institutionnels et autres documents officiels. Encore une fois, rien n’est rendu disponible aux étudiants ou aux professeurs pour assurer une correction réellement paritaire lorsque le français est utilisé. Malgré l’absence d’un quelconque système d’encadrement de la correction ou d’une vérification de la compétence linguistique des professeurs, certains étudiants persistent à remettre leurs travaux en français.

Éloïse, étudiante de troisième année en sciences politiques, est de ces irréductibles : Le Délit a donc voulu chercher à connaître son expérience quant à la correction de ses travaux. Il n’est pas question pour elle de juger de la capacité des professeurs à comprendre et à corriger en français : elle n’a aucune attente envers ceux-ci, étant donné leur présence dans une institution anglophone. Elle reconnaît également la variabilité indue causée par les différents professeurs, leurs différents barèmes de correction et les autres modalités de leurs cours. Essentiellement, il semble très difficile selon elle d’évaluer proprement le niveau de français du professeur ou de ses auxiliaires. Éloïse défend l’opinion selon laquelle cette correction en français est un droit qui ne lui est jamais refusé ; elle se questionne cependant sur les méthodes utilisées pour assurer le respect de ce droit. Elle ajoute : « je ne serais pas du tout étonnée si les professeurs ou leurs TAs [auxiliaires d’enseignement, ndlr] utilisent Google Translate (ou une autre plateforme similaire) pour faciliter la correction » — relevant une fois de plus la subtilité de l’enjeu dont cette enquête fait état. La question n’est pas de savoir si les travaux en français seront corrigés, mais bien s’ils seront corrigés avec la même compétence et considération que leur contrepartie anglophone. La correction est faite, la note est acceptée par l’étudiant et le cours est complété : justice est-elle donc rendue? Éloïse affirme n’avoir jamais eu de réel problème avec la correction de ses travaux ; pourtant, l’utilisation potentielle d’un logiciel de traduction n’est-elle pas un signe d’iniquité? Cette affirmation fait écho au message des professeurs Szapor et Farah, comme quoi aucune réelle ressource professionnelle n’est mise à la disposition des membres unilingues anglophones du corps professoral.

Comment prétendre à la parité de la correction si une pluralité de professeurs ne peut corriger ou superviser des travaux en français au niveau universitaire et que l’Université ne possède aucune exigence de maîtrise du français à l’embauche? Il semble donc que, malgré une multitude de politiques mises en place pour assurer le respect des droits des étudiants francophones, ceux-ci sont bien souvent soumis à des conditions de correction inégalitaires. Cela dit, le témoignage d’Éloïse ne se veut pas accusateur ni n’a‑t-il pour objectif de se plaindre : sa perception d’étudiante ne décèle pas l’inégalité recensée par les professeurs interrogés. Pas surprenant, selon Dr Szapor, étant donné l’opacité omniprésente au sein du corps professoral quant aux méthodes utilisées pour la correction : il serait difficile de percevoir une inégalité si l’on n’a même pas conscience du système qui la sous-tend.

« Je ne serais pas du tout étonnée si les professeurs ou leurs auxiliaires d’enseignement utilisent Google Translate pour faciliter la correction »

— Éloïse, étudiante de troisième année

Comment responsabiliser l’institution

Que doit retenir la communauté francophone de cette enquête sur la réelle parité des services linguistiques rendus par McGill? Selon Professeur Farah, il faut chercher à plonger plus profondément dans le système et à exiger davantage de comptes des professeurs et de leurs assistants. Le réel problème en soi n’est pas l’intégrité ou le professionnalisme ; il s’agit simplement d’inciter l’Université à fournir toutes les ressources nécessaires pour faire appliquer les politiques qu’elle rend obligatoires. Comme l’affirme le Dr Szapor, si l’Université et sa Faculté des arts obligent les professeurs à inclure ce droit fondamental dans leur programme de cours, elle doit contribuer à son application. Elle croit fermement que c’est la richesse linguistique — pas seulement du bilinguisme mcgillois — qui donne toute sa valeur à l’Université : il s’agit simplement de laisser tous les étudiants s’exprimer et être considérés équitablement.

Il existe tout de même différentes manières de faire valoir les droits des francophones à McGill. Les étudiants peuvent bien sûr, comme conseillé par Professeur Farah, assurer un suivi plus poussé de leurs travaux remis en français, surtout lorsqu’on « ne sait pas exactement qui corrige la copie », comme le souligne Éloïse. Si cette première mesure s’avère insatisfaisante, l’étudiant peut se tourner vers la Commission des affaires francophones (CAF) et plaider sa cause envers cet organe visant à faire valoir les enjeux de la francophonie sur le campus mcgillois. Bien que la population francophone soit minoritaire, la CAF s’assure qu’elle ne soit pas invisible et que ses intérêts soient défendus — incluant bien entendu la promesse de parité linguistique présente à l’article 19 de la Charte constitutive de McGill.

Cette enquête expose la principale faille des promesses faites par McGill à sa population étudiante francophone, mais montre également le bon vouloir de l’Université à assurer la survie du français en ses murs. Il s’agira simplement de rendre plus accessibles des ressources pour assister les professeurs dans leurs corrections et, surtout, d’imposer davantage de transparence quant aux processus individuels de correction. Le français, comme le dit Éloïse, est un droit. Pas une option, pas un privilège, mais bien un droit pour quiconque est inscrit au sein de cette Université — ceux qui l’utilisent ne devraient pas voir leurs résultats être déterminés arbitrairement ou différemment des autres. Comment protéger ce droit sans pour autant heurter l’immense richesse d’expertise contenue dans la Faculté? À vous de jouer, McGill…

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Les gardiens de la démocratie https://www.delitfrancais.com/2025/01/29/les-gardiens-de-la-democratie/ Wed, 29 Jan 2025 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=57147 Démystifier la pratique et l’encadrement du lobbyisme québécois.

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Le lobbyisme a un problème de personnalité. L’évocation seule du terme rappelle une pléthore de scandales pharmaceutiques (Purdue Pharma), financiers (Crise financière de 2008) ou tabagiques (Affaire Dalli) ; il est, dans l’imaginaire commun, une gangrène sociale cupide. Les reportages sensationnalistes qui vilipendent cet instrument démocratique se concentrent sur un marché dérégulé, voire anarchique – celui des ÉtatsUnis. La mondialisation à laquelle la sphère médiatique est soumise place donc l’ensemble des lobbys et leurs représentants dans une catégorie artificiellement homogénéisée, ignorant les efforts des différents régimes pour l’encadrement de la pratique. Au sein d’une société majoritairement méfiante de la légalité et l’intégrité du lobbyisme et des titulaires de charges publiques (TCP), comment scinder le Québec de l’exemple américain? Présenter le cadre réglementaire québécois – en opposant ses modalités à la perception négative de jeunes universitaires – peut permettre de mettre en lumière le paysage du lobbyisme d’ici. Ainsi, nous saurons si la haine viscérale envers le lobbyisme est justifiée.

Comprendre le système québécois

Si l’on se penche sur les statistiques avancées québécoises, il va sans dire que ce marché parapolitique représente un paradis du plus offrant de par sa nature purement entrepreneuriale. Il ne faut pourtant pas confondre cette flagrante iniquité pour un abus de pouvoir, de confiance ou bien un manquement des élus à leur promesse d’intégrité. L’industrie du lobbyisme est rigoureusement encadrée par Lobbyisme Québec (LQ) – sous-division de l’Assemblée nationale – depuis 2002. Le mot d’ordre : transparence. S’il se révèle sociétalement impossible de combler l’écart des richesses et son influence dans l’accès aux élus, LQ s’assure d’une divulgation complète de toutes les tentatives de lobbyisme effectuées dans la province. Le commissaire au lobbyisme, Jean-François Routhier, œuvre sans cesse pour mettre à jour, réformer, populariser et perfectionner la Loi sur la transparence et l’intégrité en matière de lobbyisme (LTEML). La plateforme de divulgation Carrefour Lobby Québec est primée, moderne, facile d’accès, mais honteusement inconnue. Il semble donc que le problème ne repose pas dans un laxisme législatif, mais plutôt dans une méconnaissance des mécanismes mis en place pour la protection de l’État de droit québécois. Il s’agit donc de comprendre si les jeunes universitaires impliqués en politique sont insatisfaits et trouvent l’effort législatif trop faible ou bien s’ils basent leurs jugements du lobbyisme sur des perceptions injustifiées et externes au Québec.

« La tendance universitaire identifie non pas un manque de transparence, mais plutôt un partage imparfait des pouvoirs et une méconnaissance des ressources de divulgations comme étant la problématique principale »

L’encadrement législatif

La transparence n’est-elle donc que factice si son existence reste inconnue par les masses? À quoi bon la divulgation du moindre murmure d’un lobbyiste envers un élu si personne ne sait comment l’entendre? Selon Eloïse, étudiante en développement international et en environnement à McGill, le problème est bifocal : l’accès à l’information est imparfait et les visées du lobbyisme ne mènent pas à une amélioration des conditions sociales de la population générale. Elle avance que « même si des mécanismes de contrôle existent, le fait même qu’ils soient inconnus du public rend leur efficacité risible », affirmant elle même n’avoir jamais consulté les ressources de transparence telles que CLQ. De plus, « des milieux sous-subventionnés ou moins financés, comme les organisations non gouvernementales et autres organisations environnementales, sociales, communautaires » voient leur accès aux élus complexifié à cause de lobbyistes qui accaparent l’agenda démocratique. Bogdan, étudiant en sciences politiques à McGill, soulève le problème suivant face au lobbyisme : « l’influence des lobbys [américains, ndlr] ne cesse d’augmenter depuis l’arrêt Citizens United v. FEC (2010) et a pris des proportions hallucinantes dans les dernières années. »

Il supporte ainsi l’idée que le lobbyisme américain est endémique au système, parfois à son détriment. Cependant, il note une lueur d’espoir pour le Québec, alors qu’il explique que la province se débrouille assez bien, citant des outils comme « un registre public assez complet […] et un système de vérification rigoureux. »

La tendance universitaire identifie non pas un manque de transparence, mais plutôt un partage imparfait des pouvoirs et une méconnaissance des ressources de divulgations comme étant la problématique principale. Bien que le modèle législatif québécois soit incroyablement avancé et muni de multiples organes de vérification de la conformité du lobbyisme, ce dernier garde sa réputation négative en raison des objectifs qu’il poursuit. Il paraît impossible d’enrayer l’attitude négative face au lobbyisme – même auprès de jeunes universitaires dont les intérêts académiques s’alignent avec des questions d’administration gouvernementale. Sachant que, comme le dit Eloïse : « le lobbyisme est inhérent, et dans une certaine mesure souhaitable dans le démocratie ; le réel problème, ce sont les manigances et autres actes frauduleux », il faut se pencher sur des façons de rendre le processus toujours plus paritaire et transparent.

Le futur d’un lobbyisme transparent

L’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) – organisme œuvrant dans l’avancement dans la recherche socio-économique et la compilation statistique – recommande une multitude d’ajustements réglementaires qui pourraient faire toute la différence pour ce qui est de la confiance envers le processus démocratique. Ils proposent un meilleur encadrement des normes d’après-mandat – empêchant l’effet des « portes tournantes » chez les TCP et les abus de pouvoir et d’influence. L’organisation fait également la promotion de l’empreinte législative, qui divulgue publiquement et au sein de chaque projet de loi l’influence exacte de chaque groupe de représentation d’intérêts. Après avoir été informée de ces recommandations, Eloïse a semblé plus réceptive, affirmant que : « la meilleure visibilité et transparence ne peut qu’être bénéfique, » ajoutant qu’il fallait rester le plus loin possible du « modèle américain ».

Des leçons à tirer?

Que faut-il donc retenir de cette consultation étudiante? Il semblerait que le lobbyisme soit craint non pas pour sa seule pratique, mais pour les écarts éthiques qui y sont souvent attribués. En renforçant le cadre normatif et législatif actuel, il serait possible de rassurer la population sans pour autant que cette dernière ait l’impression d’être dupée. Malgré l’effritement de la confiance envers les institutions démocratiques, force est de constater que tout n’est pas perdu. Bien que le lobbyisme souffre d’un problème de personnalité, on le tolère, on le comprend et éventuellement on l’adoptera pleinement. Le Québec est sur la bonne voie en ce qui a trait à sa réforme de la LTEML : il doit continuer de surveiller et punir les contrevenants ainsi que s’assurer de divulguer de manière accessible et beaucoup plus publique les activités de lobbyisme. La méfiance est un problème d’accès. Il suffira de donner aux Québécois ce qu’ils désirent, ce qui les aidera à comprendre le côté essentiel du lobbyisme et la représentation d’intérêts. Les étudiants ont parlé : c’est au tour du Québec de se rendre digne de son titre de démocratie fonctionnelle et véritablement transparente!

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Découvrir le quotidien des professeur·e·s‑chercheur·se·s https://www.delitfrancais.com/2025/01/29/decouvrir-le-quotidien-des-professeur%c2%b7e%c2%b7s-chercheur%c2%b7se%c2%b7s/ Wed, 29 Jan 2025 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=57246 Discussion avec Brendan Szendro et Barry Eidlin.

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Trouver un équilibre entre l’enseignement et la recherche est un défi quotidien pour les professeur·e·s‑chercheur·se·s. Ces deux vocations, souvent guidées par les intérêts individuels et les habitudes de travail des professeur·e·s, demandent une gestion rigoureuse de leur temps et des différentes tâches. Comment ces professionnel·le·s parviennent-ils·elles à jongler avec leurs multiples responsabilités? Grâce à deux témoignages de professeurs en sciences sociales et politiques, menant leurs propres projets de recherche, j’ai pu avoir un aperçu des routines, des défis, et des stratégies qu’ils adoptent pour concilier leur double métier. J’ai discuté avec le professeur Brendan Szendro, intéressé en recherche comparative sur les gouvernements et la politique, et le professeur Barry Eidlin, sociologue de recherche historique comparative sur les sujets de classes, inégalités, et changements sociaux.

Au quotidien

Le quotidien du domaine varie beaucoup en fonction de l’horaire et des responsabilités de chacun. Par exemple, combien de cours donnent-ils durant le semestre, combien d’étudiant·e·s ont-ils par classe, ont-ils des assistant·e·s, etc. Szendro explique : « Ce semestre, j’enseigne trois cours, donc, à la place de travailler sur la recherche tous les jours, j’y dédie quelques jours entièrement. Les étés sont plus productifs, parce qu’il y a moins d’obligations liées à l’enseignement (tdlr) ». De plus, relayer les tâches à une équipe de recherche, comme le fait Eidlin, allège sa charge de travail, lui permettant de travailler sur plusieurs projets et de trouver un équilibre avec ses responsabilités de professeur.

Eidlin explique : « Il y a un rythme à la recherche. Il y a l’étape où on conçoit le projet, on développe les idées, on récolte les données, puis il y a l’analyse et la rédaction… mais en vérité, ce n’est pas aussi linéaire. Chaque projet a son propre rythme et chacun a ses contraintes. » La collecte de données qualitative – c’est-à-dire des entrevues individuelles ou en groupe, des questionnaires, et autres – est la méthode la plus courante en sociologie. « Je ne m’assois pas devant l’ordinateur pour faire des calculs et des analyses statistiques, c’est plutôt de la lecture, de la réflexion, de l’analyse des documents, de la recherche des tendances, faire la comparaison entres différentes perspectives. » Tout ce processus demande plus de temps et d’efforts que la collecte de données quantitatives, qui consiste à recueillir des nombres et les codifier pour en faire des statistiques.

Pour mieux séparer travail et vie personnelle, Szendro fréquente un café de son quartier. « Certains jours durant l’été ou le congé d’hiver, je commence la journée en allant à un café prendre quelques notes, ce qui est super relaxant », dit-il. On pourrait définir le café de third space – soit un endroit qui n’est ni la maison (first space), ni le bureau (second space), mais un troisième espace consacré aux loisirs, au social, et dans ce cas-ci, à la recherche. Ce déplacement physique permet au cerveau d’associer chaque lieu avec un état d’esprit spécifique et d’être plus productif.

Être professeur et chercheur

Szendro partage : « Pour certaines personnes, [être professeur et chercheur] s’agit de choses largement distinctes, mais pour d’autres – et c’est l’approche que j’utilise – la recherche constitue la base de ce que nous enseignons. À ce stade, cela devient une question de traduction », afin de rendre la matière accessible autant aux sphères de chercheur·se·s qu’aux étudiant·e·s. Il ajoute que les recherches demandent une approche plus technique et spécialisée, tandis que l’enseignement demande une forme plus éloquente afin de captiver un auditoire.

Pour les nouveaux·lles diplômé·e·s, faire de la recherche permet d’élargir les possibilités de carrière au delà de l’enseignement. Szendro développe que les possibilités d’avancement varie selon ses objectifs personnels et cela l’accorde plus d’indépendance dans la sélection de ses projets. Autant d’indépendance peut être source de stress au début, donc l’enseignement donne une structure sur laquelle se reposer. Finalement, les modes de travail pour les recherches et la structure de l’enseignement s’équilibrent mutuellement.

« C’est comme si on escalade une montagne, et on arrive à ce qu’on pense être le sommet, mais à travers les nuages on voit qu’il y a encore du chemin à faire »
Barry Eidlin, professeur-chercheur de sociologie

Les hauts et les bas

Eidlin partage les craintes des nouveaux·lles diplômé·e·s, qui ont souvent peur de ne pas parvenir à trouver un sujet de recherche, qui ne savent pas où commencer et qui se perdent dans la foule de chercheur·se·s. Il avoue : « J’avais des craintes de ne pas savoir quoi faire, et maintenant j’ai trop à faire. Ça fait en sorte que c’est difficile de poursuivre [les projets] tous en même temps, alors il faut faire des sacrifices. » Il ajoute qu’il faut prioriser quel projet et à quel moment le commencer en fonction de sa pertinence et de sa spécialisation professionnelle. En tant qu’étudiant·e, rendre sa thèse de doctorat semble être l’aboutissement. « C’est comme si on escalade une montagne, et on arrive à ce qu’on pense être le sommet, mais à travers les nuages on voit qu’il y a encore du chemin à faire », décrit Eidlin. Szendro, pour sa part, atteste : « Lorsque vous êtes fier d’un résultat, vous avez vraiment le sentiment d’avoir contribué à l’évolution des connaissances et vous avez le sentiment d’avoir découvert quelque chose d’unique. Cela semble profondément important. »

Tandis que ses recherches portent souvent davantage sur l’histoire, un de ses projets traite d’événements actuels. Je me demandais si, à cause du temps que prend le processus de publication, il est possible que la recherche ne semble pas aussi pertinente une fois publiée. Eidlin explique : « J’ai confiance que les événements que j’étudie actuellement seront toujours importants dans 5 à 10 ans. Je dois faire les recherches en ce moment, mais les trouvailles seront pertinentes dans le futur. »

Le processus d’évaluation par les pairs (peer-review)

Dans certains secteurs de recherche, les revues sont davantage spécialisées. Par exemple, en sociologie, il existe des revues sur la sociologie politique, la sociologie de la famille, des mouvements sociaux, de la vie urbaine, la criminologie, la culture, etc. Il est important pour les chercheur·euse·s de considérer leur auditoire lorsqu’ils·elles établissent leur projet. Cependant, il est possible que la revue rejette leur projet, donc il est préférable d’en sélectionner plusieurs, au cas où. Comme le dit Eidlin : « Une partie intégrale de la vie académique, c’est le rejet. » Un appel aux critiques, qui ont la possibilité d’accepter ou de rejeter la demande. Il ajoute qu’il faut prendre en compte que les chercheur·se·s prennent de leur temps pour donner des évaluations à d’autres projets et ne sont pas rémunéré·e·s pour ce travail.

L’équilibre entre passion et défis

Pour tout dire, l’équilibre entre l’enseignement et la recherche est un défi constant pour les professeur·e·s‑chercheur·se·s. Entre les exigences de collecte de données, la rédaction, l’évaluation par les pairs, et les multiples révisions, ces professionnel·le·s jonglent entre de nombreuses responsabilités qui demandent beaucoup d’organisation et de motivation dans leurs quotidien. Malgré les obstacles et les rejets, le rôle de chercheur·se contribue de manière significative à l’avancement des connaissances et à l’enrichissement des enseignements. Ces efforts, bien que souvent invisibles, façonnent les disciplines académiques et la société en général.

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Un, deux, trois, pitchez! https://www.delitfrancais.com/2025/01/22/un-deux-trois-pitchez/ Wed, 22 Jan 2025 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=57028 Comment les incubateurs universitaires accompagnent-ils les étudiants-entrepre-
neurs vers le succès ?

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Avez-vous déjà imaginé que votre projet de fin de semestre soit plus qu’une présentation PowerPoint et devienne une véritable entreprise? Aujourd’hui, de plus en plus d’étudiants sautent le pas et se lancent dans leur propre aventure entrepreneuriale, et ce, depuis les bancs de l’université. L’entrepreneuriat, aussi stimulant qu’incertain, séduit particulièrement la génération Z, prête à travailler d’arrache-pied pour donner vie à ses idées.

Entre ambitions personnelles, mise à l’épreuve, et soutien institutionnel des incubateurs, nous nous penchons sur le mode de vie et les ressources des étudiants-entrepreneurs sur la voie du succès. Afin de plonger dans la réalité qui se cache derrière les paillettes et les slogans inspirants des start-ups, je suis allée à la rencontre d’étudiants-entrepreneurs et de responsables de l’incubateur Dobson de McGill.

Tremplin ou simple coup de pouce?

Face aux incertitudes de l’entrepreneuriat, de nombreuses universités canadiennes telles que HEC Montréal, l’ÉTS, ou encore Concordia ont créé des incubateurs pour offrir un cadre structuré et maximiser les chances de réussite de leurs étudiants-entrepreneurs. Bien que ces structures jouent un rôle clé dans l’écosystème entrepreneurial, leur efficacité demeure un sujet de débat.

Le Centre Dobson pour l’entrepreneuriat de McGill, actif depuis maintenant 30 ans, incarne bien ce modèle. Ouvert à l’ensemble de la communauté mcgilloise, il propose des programmes structurés et progressifs allant de la conception d’une idée à des tournées internationales. Fonctionnant presque comme un cours, cet incubateur enseigne aux étudiants les étapes clés de la création et de la croissance d’une entreprise, tel que l’art du pitch devant des investisseurs.

« L’outil clé : adopter une posture introspective, se poser des questions sans relâche et accepter que l’échec, loin
d’être une finalité, est une opportunité d’apprentissage »

Selon Marianne Khalil, gestionnaire principale du Dobson Center, l’incubation universitaire présente deux atouts majeurs : un réseau facilitant les connexions avec des investisseurs et des acteurs du secteur, ainsi qu’une réduction des risques grâce à la crédibilité académique. Lors d’une entrevue, elle m’explique que de faire partie d’un incubateur permet avant tout d’avoir un accès direct vers l’industrie visée : « C’est un peu comme du match-making. » En agissant comme un sceau de qualité, l’incubateur rassure les investisseurs et offre aux étudiants un environnement propice à l’innovation. Ces avantages s’illustrent dans l’aventure de l’entreprise Arravon, cofondée par deux étudiants de McGill, qui m’ont expliqué que leur incubation leur a permis de franchir une étape importante. L’un d’eux m’a d’ailleurs confié : « Grâce au centre, j’ai pu rencontrer des investisseurs et des experts qui ont contribué à faire progresser mon projet. »

Rejoindre un incubateur est un atout non négligeable face à toutes les difficultés rencontrées lors d’une aventure entrepreneuriale. Cependant, cela ne garantit pas pour autant le succès. Bien que ces structures offrent un cadre et des conseils précieux, une grande majorité des start-ups incubées finissent tout de même par disparaître. L’entrepreneuriat reste un domaine incertain, où la persévérance et l’agilité sont essentielles. Au-delà du coup de pouce des incubateurs universitaires, la réussite dépend surtout de la capacité des entrepreneurs à s’adapter, à se démarquer et à évoluer dans un milieu de plus en plus compétitif. Pour les étudiants en particulier, réussir à créer une entreprise implique de repenser leur mode de vie afin de trouver un équilibre.

Un mode de vie à double casquette

Le quotidien des étudiants-entrepreneurs repose sur un équilibre délicat entre études et projets professionnels. En effet, bien que beaucoup se lancent initialement pour occuper leur temps libre, rapidement, leurs priorités se réorganisent : leur cursus académique est adapté, presque contraint de répondre aux exigences de leur entreprise. À l’unanimité, on constate que l’entrepreneuriat prend le pas sur les études. « Officieusement, l’entrepreneuriat, c’est mon activité principale, mais il ne faut pas le dire à voix haute », souligne une étudiante anonyme et fondatrice d’une start-up incubée. La gestion de ce double engagement demande une organisation rigoureuse. Il apparaît que les étudiants-entrepreneurs s’accordent à dire qu’il s’agit d’un projet exigeant, nécessitant un engagement total, qui finit par transformer le rapport au temps et aux responsabilités.

Mais dans ce cas pourquoi ne pas attendre pour se lancer? Pour les trois étudiants interrogés, c’est avant tout la recherche de renouveau et de défis qui les motive. L’université représente le terrain de jeu idéal pour expérimenter et faire des erreurs. Cette période de vie, où l’entrepreneuriat ne constitue pas encore une source de revenu principal, limite les risques financiers et les aide à se lancer. Comme le souligne Xavier Niel, fondateur de la station F – un incubateur de start-ups lors d’entrevues : « le moment idéal pour lancer une start-up, c’est celui qui vous met le moins en danger, soit le confort douillet des études. » Il ajoute que « quand vous commencez [votre entreprise] à 19 ans, le risque est faible car c’est la continuité de vos études, que la start-up marche ou non. »

Au-delà des risques, l’ambition joue un rôle clé au sein des étudiants qui choisissent de se lancer : « C’est le plus gros projet sur lequel je pouvais mettre la main », explique Cyril, un étudiant en anthropologie à Concordia ayant lancé deux start-ups dans son temps libre. Cela traduit l’idée que cette opportunité représente un projet d’envergure, qui valorise pleinement leurs capacités et leurs ressources. Cependant, cette valorisation peut être mise à rude épreuve lorsque confrontée à l’échec.

Une jeunesse ambitieuse face aux échecs en entrepreneuriat

Dans le monde de l’entrepreneuriat, les échecs sont non seulement acceptés – quatre idées sur cinq n’aboutissent jamais -, mais sont considérés comme une étape essentielle du processus. Plus que des idées souvent volatiles, c’est la personnalité de l’entrepreneur et la capacité à incarner une vision dans un secteur maîtrisé qui font la différence auprès des investisseurs. « Avoir une idée, ça s’apprend. Ce que tu vends lors d’un pitch, c’est ton ambition », m’explique l’un des cofondateurs d’Arravon Technologie, présentement étudiant à McGill.

Carole Stromboni, autrice du livre Innover en pratique, explique que l’idée représente seulement 10% de l’innovation. Les 90% du chemin restant prennent une dimension profondément personnelle, incluant les premiers grands échecs. Contrairement à l’école ou au monde de l’entreprise, où l’échec peut être dilué parmi les autres, en entrepreneuriat, il semble sans excuses, ni filet de sécurité: ce que l’on crée, c’est soi-même. Cette idée met l’estime de soi à rude épreuve, imposant une capacité à prendre de la distance et se détacher progressivement des échecs. Cyril s’est lancé dans l’entrepreneuriat en fondant Meoria et Jeuno, deux start-ups dédiées à la jeunesse, connaissant à la fois des réussites et des échecs. Il m’explique que la gestion émotionnelle de ces échecs s’avère un long apprentissage, mais demeure essentiel au succès sur le long terme: « Ce n’est pas parce que ça ne fonctionne pas que je ne suis pas fait pour ça. »

Même si l’entrepreneuriat attire une large foule séduite par le prestige, seuls quelques-uns, armés de résilience, parviennent à se démarquer. L’outil clé : adopter une posture introspective, se poser des questions sans relâche et accepter que l’échec, loin d’être une finalité, est une opportunité d’apprentissage. Ainsi, la frontière entre succès et échec se floute, les hauts comme les bas apportant de précieuses leçons.

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La famille nucléaire à l’épreuve de l’époque contemporaine https://www.delitfrancais.com/2025/01/22/la-famille-nucleaire-a-lepreuve-de-lepoque-contemporaine/ Wed, 22 Jan 2025 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56968 Faut-il se tourner vers des alternatives pour mieux « faire famille »?

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La famille nucléaire : voilà un terme un peu niché que j’ai découvert dans mes cours de sociologie au lycée. Initialement définie comme une réalité idéale par des sociologues tels que George Murdock dans Social structure (1949) en tant que « groupe social caractérisé par une résidence commune, une coopération économique et la reproduction », la popularisation des modes de vie alternatifs a amené de nombreuses personnes à questionner le modèle de la famille nucléaire.

C’est cela qui m’a conduite à recueillir les témoignages de mes pairs, Pénélope, Anatole* et Thomas – certains étudiant à McGill et d’autres étant de jeunes professionnels montréalais – afin d’explorer ce qu’il reste de cet idéal aujourd’hui. Certains le perçoivent comme un modèle stable mais contraignant, tandis que d’autres y trouvent une source de désillusions. Ces dialogues révèlent comment la famille nucléaire, bien qu’érodée par des changements sociétaux et des défis actuels, reste un repère ambivalent.

Des interrogations autour de la parentalité

Pour certains de mes interlocuteurs, la question de fonder leur famille nucléaire demeure essentielle, mais elle est souvent liée à des considérations dépassant le simple désir de progéniture. Le contexte climatique, comme les incertitudes économiques et sociales, peuvent notamment les amener à réévaluer ce choix. Pénélope, une jeune barista en pause d’études d’histoire de l’art à McGill, me fait part de ses sentiments sur la question : « Dans l’idée, j’aimerais avoir des enfants, mais avec l’instabilité du monde actuel, je me demande si je serais capable d’offrir un cadre de vie aussi sécurisant que celui que mes parents m’ont donné. »

Elle me confie toutefois la pression sociale qu’elle subit lorsqu’elle partage ses doutes sur la maternité : « Je ne comprends pas pourquoi c’est encore le cas aujourd’hui, mais depuis que j’ai passé les 25 ans, on dirait que la question d’avoir des enfants est devenue centrale dans la manière dont les autres me voient. Ce n’est même pas que j’y ai renoncé complètement, mais la possibilité même que je ne materne pas semble heurter la sensibilité de certains. Ils m’expliquent combien je le regretterai plus tard si je n’en ai pas. Moi, j’aime croire que je pourrais être heureuse avec comme sans enfants. »

« En dépit des réalités économiques, climatiques et des évolutions sociales qui l’ont fragilisée, la famille nucléaire continue d’être perçue par certains comme un pilier de stabilité et un modèle structurant dans un monde incertain »

Pour ceux qui tiennent encore au modèle de la famille nucléaire, il s’agit souvent de reproduire une expérience qui fut positive pour eux, ou bien au contraire, qu’ils aimeraient « corriger » en devenant de meilleurs parents que les leurs. Il y a quelques années encore, Anatole, étudiant en science politique à McGill, pensait fonder sa propre famille. Il m’explique : « Je voulais faire mieux que mon père. Ce ne serait pas très dur : j’aurai juste à ne pas lever la main sur mes gamins. Maintenant je crois que l’envie m’est passée, ce n’est sans doute plus aussi important pour mon égo, ou du moins je préfère ma liberté à ce que des enfants pourraient m’apporter. »

Comme d’autres, Anatole questionne le modèle même de la parentalité dans le cadre nucléaire. Il fait partie de ceux qui veulent vivre « différemment » : « J’ai deux loups en moi. D’un côté je contemple la vie tranquille qu’un job confortable pourrait m’apporter, de l’autre, je me vois voyager en bus et rejoindre mes amis ingénieurs son sur des lieux de fêtes, être libre de mes mouvements, faire ce que je veux sans que ça ait de conséquences sur un autre humain. »

Nombreux sont ceux qui envisagent des alternatives, comme la coparentalité entre amis ou les communautés de vie où les responsabilités parentales sont partagées, comme l’éducation des enfants, ou la gestion des tâches quotidiennes pour leur bien-être. Ces modèles, bien qu’encore marginaux, offrent un soulagement des charges mentale et émotionnelle en créant un réseau d’entraide et un équilibre entre vie personnelle et familiale. Ils témoignent d’une volonté croissante de s’éloigner de l’individualisme inhérent à la famille traditionnelle. En ce sens, ils traduisent une quête de solidarité et d’appartenance plus large, qui dépasse le cercle restreint des relations biologiques.

Modèles alternatifs et solidarités nouvelles

Les modèles alternatifs de famille ou d’habitation apparaissent comme des solutions à l’isolement, comme à Montréal où le modèle de la colocation est largement démocratisé. Pour beaucoup, cette configuration offre une manière plus fluide d’aborder les relations humaines, tout en réduisant la pression qui pèse sur les liens familiaux traditionnels. Thomas, qui partage un appartement avec deux autres jeunes professionnelles depuis 3 ans, affirme : « J’ai commencé à vivre avec Aglaé et Marie sans les connaître, à travers un groupe Facebook, quand on était étudiants à McGill et encore tous les trois fauchés. Mais maintenant qu’on travaille, l’excuse économique n’est plus : on décide délibérément de continuer à vivre ensemble. On aime ça se soutenir dans les moments difficiles, mais c’est aussi le fun de rentrer et d’avoir quelqu’un avec qui tout partager, surtout avec l’hiver qui peut vite ralentir les sorties. On a comme l’impression d’être une famille choisie les uns envers les autres, et comme nos histoires romantiques n’ont pas tant pris ces derniers temps, on se rend encore plus compte de la valeur de la stabilité de ce lien en comparaison à celui d’une famille classique qui repose sur l’amour de deux parents. » Il ajoute : « Plus je grandis, plus je réalise comme c’est rare de rencontrer des adultes dans des mariages heureux. Je ne comprends pas pourquoi ça ne se fait pas plus d’essayer autre chose que la vie en couple. »

Cette notion de « famille choisie » dont parle Thomas a été popularisée par les communautés queer, et trouve de plus en plus d’écho auprès des jeunes générations. Dans ces configurations, le lien affectif prime sur le lien biologique, ce qui permet une réelle réinvention des structures relationnelles. En dépit des réalités économiques, climatiques et des évolutions sociales qui l’ont fragilisée, la famille nucléaire continue d’être perçue par certains comme un pilier de stabilité et un modèle structurant dans un monde incertain. Ce modèle permet aussi de concentrer le soutien émotionnel et matériel sur un cercle restreint, tout en facilitant la transmission intergénérationnelle de valeurs, de traditions et de patrimoine. Ces aspects expliquent pourquoi il reste privilégié par ceux qui cherchent une forme de stabilité ou un héritage culturel fort, malgré ses limites perçues. Pour beaucoup, la famille nucléaire garantit néanmoins une organisation claire des rôles et des responsabilités, offrant un cadre rassurant dans une société où les repères changent rapidement. Idéale pour certains et source de rejet pour d’autres, la famille nucléaire incarne ainsi la nostalgie d’une époque perçue comme plus ordonnée, tout en soulignant les contraintes d’un modèle parfois trop rigide pour s’adapter aux attentes contemporaines.

*Nom fictif

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Vivre en résidence : mélange culturel ou simple colocation améliorée? https://www.delitfrancais.com/2025/01/22/vivre-en-residence-melange-culturel-ou-simple-colocation-amelioree/ Wed, 22 Jan 2025 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=57025 McGill : résidences universitaires, entre diversité et repli social.

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Si les étudiant·e·s en première année à l’université font souvent l’expérience de vivre loin de leurs parents, cette transition prend une dimension particulière en résidence universitaire, où la mixité culturelle et les affinités sociales s’entrelacent. Ainsi, lorsqu’ils·elles arrivent à McGill, une question majeure se pose : résidence ou colocation? Cet éloignement de la bulle familiale offre une opportunité unique de rencontrer des personnes aux parcours, langues et habitudes de vie différents, élargissant ainsi le cercle social habituel. En 2022, 29,8 % des étudiant·e·s inscrit·e·s à McGill étaient internationaux·ales. Les résidences concentrent une grande partie de cette population en première année. Dans ce saut vers l’inconnu et face aux défis de l’intégration, la résidence étudiante peut être perçue comme un accélérateur de relations dans un cadre multiculturel souvent bien différent de ce à quoi on a été habitué auparavant. Pourtant, bien que généralement proposée par McGill pour les nouveaux·lles venu·e·s, loger dans une résidence demeure une option coûteuse et qui n’est pas systématiquement envisagée.

Pour mieux cerner l’impact des résidences universitaires sur l’intégration sociale et la diversité culturelle à McGill, j’ai mené plusieurs entretiens avec des étudiantes ayant connu différents parcours. Parmi elles, Rosa Benoit-Levy, en première année, ainsi que Susana Baquero, Auxane Bussac, et Marguerite Lynas, toutes en troisième année, ont partagé leurs expériences dans diverses résidences. Cette enquête explore si ces lieux de vie collective tiennent leur promesse de diversité et favorisent la formation de liens sociaux durables.

La diversité en résidence, une réalité?

Dans les résidences universitaires de McGill, les espaces communs partagés comme les cuisines, les réfectoires ou les salles de bain sont souvent des lieux de socialisation. Ce type d’environnement favorise des interactions fréquentes et informelles entre les résident·e·s, confronté·e·s à la vie en communauté. Auxane Bussac, élève de troisième année, souligne : « En termes de vie sociale ça me paraît évident que vivre en résidence facilite la création de liens avec les autres étudiants pour la simple et bonne raison qu’on vit ensemble 24 heures sur 24 et sept jours sur sept […] il y a aussi l’esprit de communauté qui est non négligeable en résidence, être en permanence à quelques pas les uns des autres et partager une intimité de vie au quotidien ça crée des liens très forts. »

« Les témoignages recueillis auprès de nombreux·ses étudiant·e·s montrent que l’année en résidence constitue un
tremplin important pour l’intégration sociale et l’exploration de la diversité culturelle »

Sur le site officiel du Logement étudiant de McGill, l’Université dit offrir des espaces adaptés à chacun·e (selon le coût, le bruit…) avec son slogan : « Nos résidences reflètent la diversité de la population étudiante ». Cette promesse de diversité est perçue différemment selon les expériences des résident·e·s. Dans les premières semaines, ce contexte si particulier, où l’on ne choisit pas qui sera notre voisin·e, donne l’impression de pouvoir connaître beaucoup de monde, provenant de larges horizons. Et en théorie, oui ; comme le souligne Marguerite Lynas (élève de troisième année ayant vécu à la Nouvelle Résidence) : « Quand tu vis dans la résidence c’est très sympa puisque tu as toujours l’opportunité de rencontrer des nouvelles personnes si tu veux. Cela permet de ne pas te fermer dans un groupe mais de diversifier le genre de personnes que tu vas fréquenter, et les langues que tu vas parler. »

Cependant, en pratique, selon les caractères, langues parlées, expériences vécues… chacun·e a tendance à rester essentiellement avec des personnes de même origine ou parlant la même langue que lui·elle, comme le rapporte Auxane. Cela peut se produire plus naturellement du fait d’une culture, de références, d’habitudes, d’humour, qui peuvent amener à une entente tacite et renforcée par l’éloignement géographique du pays natal. Face à la réalité de ses liens, Auxane explique : « On a tous tendance à rester vachement avec nos pairs. […] Donc je ne dirais pas qu’on est particulièrement confronté à des interactions interculturelles, ça demande de l’effort, mais c’est clair que vivre en résidence ça facilite n’importe quel type d’interactions. »

Comme l’étudiante l’explique par la suite, rencontrer de nouvelles personnes nécessite parfois de sortir de sa zone de confort et d’aller vers les autres : « Tu peux vivre en résidence et pour autant te renfermer sur toi-même et tu feras beaucoup moins de rencontres que d’autres qui ne vivent pas en résidence, mais sont ouverts et avenants. » La résidence n’est donc pas toujours une précondition pour nouer des liens forts avec des personnes provenant du monde entier.

« Un refuge culturel »

Toutefois, pour certain·e·s, les similarités culturelles offrent un confort qui facilite l’adaptation et la confiance dans ce nouvel environnement. Susana Baquero, étudiante colombienne en troisième année, a trouvé un refuge culturel en partageant son étage avec une Panaméenne et une Mexicaine à l’une des Résidences supérieures : « Je me suis sentie plus à l’aise en parlant ma langue natale, je sentais que j’étais entourée de personnes qui comprenaient certaines choses dans ma culture. Ça ne veut pas dire que je ne m’entendais pas avec les autres gens de mon étage, mais ça me faisait me sentir plus proche de la maison. »

À l’inverse, au-delà d’une recherche de diversité culturelle, certaines résidences sont connues pour être dominées par une ou plusieurs nationalités, contrastant avec le slogan affiché sur le site du Logement étudiant. Par exemple, Rosa Benoit-Levy, actuellement en première année, remarque qu’à la Nouvelle Résidence : « Il n’y a pas beaucoup de diversité, dans la mesure où c’est une majorité de Français. Mais après, il y a pas mal d’Américains. Ça m’a plu, même s’il y a moins de diversité à Nouvelle Résidence que dans d’autres résidences. »

Les témoignages recueillis auprès de nombreux·ses étudiant·e·s montrent que l’année en résidence constitue un tremplin important pour l’intégration sociale et l’exploration de la diversité culturelle. Bien qu’aucune résidence ne soit exclusivement composée d’une seule nationalité, des regroupements naturels peuvent influencer l’expérience de la diversité. Néanmoins, la structure inclusive des résidences de McGill offre à tous·tes les étudiant·e·s une opportunité d’interagir dans un cadre multiculturel, même si la pleine exploration de cette diversité dépend de la volonté individuelle de chacun·e à sortir de sa zone de confort.

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Nos bibliothèques du futur https://www.delitfrancais.com/2024/11/13/nos-bibliotheques-du-futur/ Wed, 13 Nov 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56598 Le Centre des collections de McGill débarrasse McLennan de ses livres.

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Depuis octobre 2023, les livres de la bibliothèque de McLennan disparaissent petit à petit. C’est un vide auquel il faudra s’habituer : ces ouvrages ont à présent trouvé refuge dans un entrepôt. Chacun a une place bien enregistrée, parmi les 95 092 bacs manipulés quotidiennement par des robots. Fini l’expérience du rayonnage, l’emprunt d’un livre se fait désormais sur la plateforme Sofia, un système interbibliothèquaire utilisé depuis des années par les bibliothèques de McGill. Afin d’en savoir plus, Le Délit a interrogé la doyenne des bibliothèques de McGill, Guylaine Beaudry, et visité le Centre des Collections situé à 45 minutes du centre-ville, guidé par le directeur associé du bâtiment.

« Ça finit par coûter cher, de conserver les ouvrages imprimés sur le campus, et on n’a plus assez de place pour les étudiants qui étudient dans ces espaces »

Guylaine Beaudry, doyenne des bibliothèques de McGill

Le vestige McLennan

En revisitant l’histoire des bibliothèques universitaires, Guylaine Beaudry souligne l’importance des projets de rénovation pour adapter nos espaces à nos besoins actuels. « Le rayonnage dans les bibliothèques tel qu’on le connaît aujourd’hui ne date que depuis la fin de la seconde guerre mondiale » explique la doyenne. « Avant, les grandes bibliothèques universitaires avaient un “magasin”, comme dans les musées, où s’entreposaient les livres jusqu’à ce qu’on ait besoin de les sortir pour les prêter ou les exposer. Les architectes ont pensé ces espaces pour l’entreposage de livres, pas pour l’expérience du public. »

Aujourd’hui, seulement 8% des collections imprimées sont consultées à McGill, soit une baisse de 90% en 30 ans. La consultation numérique a quant à elle dépassé celle papier, et le budget s’est lui aussi adapté : selon la doyenne, 95% du budget des bibliothèques est alloué aux ressources numériques. « Ça finit par coûter cher, de conserver les ouvrages imprimés sur le campus, et on n’a plus assez de place pour les étudiants qui étudient dans ces espaces » revendique-t-elle. Ainsi, la préservation de la collection générale de 200 ans de travail académique à McGill tient de la responsabilité des bibliothèques. Elles doivent assurer des conditions optimales pour leur conservation : une luminosité réduite, une humidité à 40% et une température de 18 degrés. Cependant, l’évolution de l’utilisation des espaces laisse les étudiants dépourvus de lieux pour se rencontrer, étudier, et créer.

Bibliothèque du XXIe siècle

Le projet de rénovation de la bibliothèque McLennan, FiatLux, en cours de conception depuis 2014, réimagine l’espace pour les étudiants qui veulent y étudier dans le silence autant que pour ceux qui veulent débattre de leurs idées pour un projet d’équipe. « La bibliothèque est un des rares lieux à Montréal où les étudiants peuvent travailler en silence ; et où d’autres viennent pour discuter et travailler en collaboration, dans une ambiance qui ressemblerait à un bistrot », imagine Dr. Beaudry.

Celle-ci réimagine ce que pourrait être une bibliothèque dans la vie des étudiants : « Entre les espaces de silence et “bistrot”, il y a les salles de travail en collaboration, les salles pour pratiquer ses présentations, des espaces pour faire des balados, et expérimenter avec la visualisation des données, des espaces sans Wi-Fi pour minimiser les distractions. » Le but de la bibliothèque est de créer un espace social « fait pour les humains, pas pour les livres », ironise-t-elle.

Anouchka Debionne | Le Délit

Afin de résoudre la question du manque d’espace, McGill s’est inspiré de ce qui se fait dans les autres universités : des centres de collections, bâtiments extérieurs aux bibliothèques de l’université, où sont entreposées les collections et où les livres peuvent être commandés par les étudiants et les employés des institutions académiques. Ça ressemble étrangement aux « magasins » de l’époque, mais on exporte ces magasins pour adapter nos espaces du centre-ville pour les utilisateurs. Cinq universités en Ontario partagent un même centre de collections, dont celles de Toronto et d’Ottawa. Bien qu’elle ait tardivement ouvert son centre en juin 2024, l’Université McGill est la première à y avoir plus de robots que d’employés.

« Nos critères étaient de trouver un lieu à moins d’une heure du centre-ville qui entre dans notre budget », renseigne la doyenne. La construction du centre a ainsi commencé en mars 2022 à Salaberry-de-Valleyfield, à 50 minutes en voiture du centre-ville et à 25 minutes du campus MacDonald. « Les déplacements de livres se font quotidiennement par camions électriques », assure Dr. Beaudry.

Une « usine de connaissances »

Le Délit a visité le centre de collections à Salaberry-de-Valleyfield, accueilli par Carlo Della Motta, directeur associé du centre, et Mary, la superviseure de la bibliothèque du centre. Le bâtiment est divisé en deux grandes unités : l’une est un grand espace de cotravail pour les cinq employés à temps plein, où sont reçus les retours de livres. « Ici, » montre Carlo Della Motta en désignant une grande salle vide avec seulement deux, trois tables, « on entreprend des petites réparations si les matériaux du livre tombent, et ensuite ils peuvent retourner dans l’entrepôt ».

« Nous avons reçu environ 20 000 livres par jour du centre-ville, dont le code-barre était numérisé dans les bacs, puis les bacs ont été insérés dans la grille. Ce processus a duré environ six à sept mois »

Guylaine Beaudry, doyenne des bibliothèques de McGill

Passé deux ensembles de portes, on entre dans un entrepôt où se dresse un mur rouge, derrière lequel s’échafaudent 95 092 bacs contenant 2,4 millions de livres. Les livres proviennent des collections de McLennan et Redpath, ainsi que du gymnase Currie où étaient entreposés les livres de la bibliothèque Schulich lors de ses rénovations de 2019 à 2023. Les robots sont disposés sur des rails juste au-dessus de caisses empilées qui forment un mur de plusieurs mètres de haut. Ils se déplacent pour soulever des bacs afin d’en atteindre d’autres, et faire descendre la caisse qui contient le livre commandé. Les robots sont programmés pour mener un travail d’équipe : chacun à son poste, deux peuvent bouger du nord au sud de la grille, et deux bougent d’est en ouest. Ainsi, les quatre robots orientés vers le sud sont ceux qui peuvent prendre un bac et le livrer au port. Quant aux deux robots orientés vers le nord, leur principale responsabilité est de pré-trier les bacs pour les quatre autres robots. Le personnel cherche ensuite le livre dans le bac, le sort et le traite pour l’envoyer au centre-ville. La fonction du robot se limite donc à récupérer le bac qui se trouve à l’intérieur de la grille. Le reste du travail est effectué par le personnel de la bibliothèque.

Anouchka Debionne | Le Délit

Les livraisons ont commencé en octobre 2023. « Nous avons reçu environ 20 000 livres par jour du centre-ville, dont le code-barre était numérisé dans les bacs, puis les bacs ont été insérés dans la grille. Ce processus a duré environ six à sept mois », souligne Carlo Della Motta. « On travaille avec trois systèmes indépendants : AutoStore, qui a créé le système automatisé de récupération des caisses et qui localise les caisses et contrôle les robots, le système Dematic, qui suit l’inventaire des livres dans les bacs, et enfin le système interbibliothèques Sofia, utilisé par les utilisateurs pour commander les livres » explique le directeur associé du centre. Ce genre d’entrepôt est d’habitude utilisé par les industries qui entreposent des marchandises. Il a séduit McGill comme une alternative aux autres centres de collections plus traditionnels, qui se font d’habitude avec des chariots élévateurs ou des assistants virtuels. Pour l’instant, les deux personnes interrogées ne connaissent que deux autres lieux au monde qui utilisent cette technologie pour entreposer des documents : le FBI, et un centre d’archives à Abu Dhabi. « Depuis notre mise en service en juin, notre moyenne est d’environ 850 livres commandés par semaine », renseigne Carlo Della Motta. « On s’occupe aussi d’envoyer des livres pour être scannés dans le centre, qui nous sont ensuite retournés. »

Certification faible impact

Le centre de collection a été certifié LEED GOLD (Leadership de conception en énergies et environnement, tdlr) pour ses efforts en termes d’utilisation des ressources énergétiques comme l’électricité et d’aménagement intérieur et extérieur pour les cinq employés qui viennent quotidiennement sur place. « Nous avons un bac à compost, nos meubles viennent du campus du centre-ville et nous avons gagné la certification Pelouse Fleurie pour notre engagement envers la biodiversité de la ville de Valleyfield. On n’utilise pas de pesticides, pas d’engrais, pas de dérogation. Il y a un certain nombre de plantes endémiques nécessaires pour obtenir la certification », raconte Carlo Della Motta. Le bâtiment est fourni d’une salle de conférence, d’une cuisine, et même d’une douche, pour ceux qui voudraient venir à vélo au travail. Les robots chargés avec des batteries de voiture électriques, eux, consomment en 24 heures ce que consomme un aspirateur branché durant 30 minutes.

« Le but de la bibliothèque est de créer un espace social fait pour les humains, pas pour les livres »

Projet de rénovations retardé

Le Centre des Collections a accueilli les premiers livres à Salaberry-de-Valleyfield en octobre 2023 afin de vider la bibliothèque McLennan pour le début des travaux en 2025. « C’est seulement après avoir déplacé les livres que le projet de rénovation a été mis en pause » informe Carlo Della Motta. Les travaux, retardés dû à « une augmentation des coûts dans la construction », ont été impactés par l’augmentation des frais de scolarité pour les étudiants hors Québec. La doyenne Dr. Beaudry précise : « c’est certain que ça a contribué, parce que c’est la santé financière de McGill qui a été touchée, et la capacité d’emprunt de notre Université ». Les plans de rénovation sont actuellement retravaillés afin de rentrer dans le budget. La doyenne précise que les étagères de McLennan resteront vides et ne seront pas démantelées tout de suite : « Pour le moment, on a confiance que d’ici au printemps, on saura où on s’en va. Si l’on démantèle les rayons et qu’on crée des espaces avec les moyens qu’on a, on risque de devoir tout changer à nouveau au printemps, quand on aura plus de visibilité sur la poursuite des travaux. »

Anouchka Debionne | Le Délit

Le futur du centre

Le centre ne restera donc pas seulement un entrepôt durant les travaux, et compte d’ailleurs accueillir les collections d’autres universités. Selon Carlo Della Motta, « lorsque d’autres bibliothèques, comme la bibliothèque d’Études islamiques, le campus MacDonald ou celle de l’École de musique commenceront à manquer d’espace, nous devrons mettre en place des protocoles et des procédures pour qu’elles puissent déplacer des documents ici. Nous ne sommes pas encore au maximum de notre capacité ». Le centre de Collections accueille actuellement 2,4 millions de livres, et la doyenne mentionne qu’ils prévoient le retour de 400 à 500 000 livres dans la bibliothèque McLennan. « On se pose la question en discutant avec les étudiants mais aussi avec les professeurs : de quelles collections a‑t-on besoin au centre-ville? » S’y retrouveront sûrement les livres qui ont été empruntés récemment, les nouveaux livres achetés par l’Université et ceux qui figurent sur les syllabus des professeurs.

Ainsi, les bibliothèques sont des espaces dans lesquels les étudiants passent un grand pourcentage de leur temps : le centre de Collection est une première étape vers l’adaptation de nos bibliothèques pour nos besoins numériques du XXIe siècle.

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Remettre les femmes à leur place https://www.delitfrancais.com/2024/10/30/remettre-les-femmes-a-leur-place/ Wed, 30 Oct 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56338 Carrière ou famille : un choix trop souvent genré.

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Eilearwah Rizqy, députée québécoise, a relancé un débat sociétal majeur à travers sa déclaration à l’Assemblée il y a plusieurs semaines : « Aujourd’hui, je n’annonce pas ma démission. J’annonce simplement que je ne reviens pas en 2026, car moi, personnellement, je n’arrive pas à tout conjuguer. » Concilier carrière professionnelle et vie de famille est un vrai dilemme, et ne semble pas être un choix personnel pour beaucoup de femmes. Entre les attentes des superwomen qui arrivent à tout combiner, les stigmatisations sur les femmes sans enfants, et le jugement porté à celles qui restent à la maison, il semblerait que tous ces choix portés par les femmes deviennent un poids sur leurs épaules. Mais quels sont les facteurs qui influencent ce choix? Comment choisir entre prioriser sa carrière ou sa famille? Ou alors comment arriver à concilier les deux?

Différents milieux

Il y a encore des grandes différences entre les milieux à prédominance masculine et féminine : ces derniers ont été le théâtre de luttes sociales qui ont permis aux femmes de gagner en flexibilité au travail pour pouvoir répondre à l’appel de leur vie de famille. Jessica Riel, professeure à l’UQAM en études féministes et bien-être au travail, soulève les différences de la réalité des femmes dans les milieux à prédominance masculine et ceux à prédominance féminine. « Dans les milieux masculins, c’est très difficile de penser avoir un horaire différent. Je parle des métiers où les horaires commencent avant les heures de la garderie et se terminent après les heures de garderie, comme le secteur de la construction qui a parfois des quarts de travail de douze heures. » Dans les milieux de l’éducation et des centres de la petite enfance, où la majorité des employées sont des femmes, « il y a une certaine flexibilité pour gérer des choses familiales au travail, faire des appels pendant les pauses avec le médecin ou la maison », ajoute Dre Riel. « Il y a aussi des mesures, gagnées par les syndicats, pour que les employées gardent leur ancienneté au retour de congé de maternité. » Ce sont les combats syndicaux des milieux féminins qui ont permis des mesures adaptées à la conciliation de vie de famille et vie de travail des employées, « ce dont les hommes pourraient aussi bénéficier », défend la professeure.

La différence avec les milieux à prédominance masculine se remarque aussi à l’embauche, notamment par des remarques discriminatoires quant au choix d’avoir des enfants. Dre Riel raconte : « Lors de mes recherches, nous avons obtenu des témoignages de femmes qui se sont fait offrir un poste à condition de ne pas avoir d’enfants avant d’avoir trois ans d’ancienneté. » Ana de Souza doctorante à l’Institut d’études religieuses de McGill, remarque que ces commentaires ne semblent pas s’appliquer à part égale aux deux sexes : « Je pense que lorsque [les patrons, ndlr] voient des pères avec de jeunes enfants, ils ne supposent pas que le congé de paternité va affecter leur travail de manière significative. »

La peur que l’efficacité d’une femme au travail soit affectée par ses enfants motive ses collègues à confier des tâches à d’autres collègues masculins, lorsqu’ils en ont le choix. C’est la pénalité causée par la maternité (« motherhood penalty »). « Nous pensons, même inconsciemment, que cette femme a peut-être un enfant, ou alors qu’elle en aura un dans le futur », précise Darren Rosenblum, professeur·e à la faculté de droit de McGill, et spécialisé·e dans les démarches prises par les entreprises pour favoriser la diversité et l’égalité des genres. Cette pénalité semble s’atténuer lorsque la femme atteint la quarantaine, mais les différences hiérarchiques se font toujours ressentir.

« Si vous avez de l’aide, ou si vous faites appel à quelqu’un d’autre, si vous ne le faites pas de vos propres mains, vous n’êtes pas une aussi bonne mère »

Ana de Souza, doctorante à l’Institut d’études religieuses de McGill

La place du congé familial

Au Québec, le Régime québécois d’assurance parentale (RQAP) finance le congé à hauteur de 70% du salaire : quatre mois pour la mère, cinq semaines pour le deuxième parent et une banque commune de 32 semaines à se partager au choix. Dre Riel constate que le congé parental commun est généralement attribué à la mère : « C’est souvent la travailleuse qui a un plus petit salaire que le père de l’enfant, donc c’est légitime que ce soit elle à qui revient le congé. C’est absurde, car ça reproduit les rôles sociaux. » Ana ajoute que le « choix » que fait la femme de rester à la maison s’étend au-delà du congé parental : « Disons que le coût de la garde d’enfants est égal ou supérieur au salaire de la femme, et que son mari gagne plus. La carrière en vaut-elle vraiment la peine? »

Eileen Davidson

Les pays scandinaves, quant à eux, mettent en place des politiques qui encouragent le partage plus égalitaire de la responsabilité parentale. « Dans les pays scandinaves, si le deuxième parent prend aussi son congé parental, la famille reçoit beaucoup plus de compensations », explique Darren Rosenblum. « Ça encourage notamment les hommes à être présents dès le début de la vie de l’enfant et à bâtir un monde où il est typique, voire même obligé, pour les hommes qui ont des nouveaux-nés de prendre congé. » Montrer l’exemple grâce à cette démarche, c’est la décision qu’a prise le ministre de la Défense finlandais, Antti Kaikkonen en 2022, lorsqu’il a pris son congé de paternité pendant deux mois à l’occasion de la naissance de son deuxième enfant. « Je crois que quelque chose qui a eu un grand effet dans les pays scandinaves, c’est quand les dirigeants, qui sont des hommes, prennent leur congé comme ils doivent le faire », affirme Rosenblum. Dans le cas de Kaikkonen, en effet, l’impact fut d’autant plus retentissant, car la Finlande, en pleine négociation d’adhésion à l’OTAN, traversait une situation politique critique.

Cependant, Ana de Souza souligne que le congé n’est pas nécessairement vécu de la même manière par les deux parents, puisque la femme doit récupérer physiquement de l’accouchement : « Le simple fait d’accorder du temps [aux hommes, ndlr] ne permet pas d’égaliser les chances, car la relation à la parentalité est très différente. »

« Personne ne devrait avoir à choisir entre sa carrière et ses enfants. Personne ne devrait avoir à se prouver Superwoman »

Jessica Riel, professeure à l’UQAM en études féministes

Le sacrifice de la santé

La conciliation de la garde d’enfants avec un emploi du temps de travail se fait au détriment de la santé des femmes, surtout dans les métiers où elles ont l’option de travailler la nuit. « Il y a des femmes qui préfèrent travailler la nuit pour pouvoir voir leurs enfants, alors qu’on sait que le travail de nuit trouble les rythmes de sommeil, prédispose au cancer du sein et pose d’autres risques sur la santé », déplore Dre Riel. « Les besoins de souplesse pour la conciliation travail-famille se font surtout pressants lorsque l’enfant a entre zéro et cinq ans, avant qu’il ne rentre à l’école. » Une triste ironie semble parcourir le secteur de la santé : les plus jeunes travailleuses sont en « bas de la hiérarchie » et sollicitées par leur supérieur à travailler la nuit. Ce sont également elles qui sont plus enclines à avoir de jeunes enfants, et elles se trouvent dans la tranche d’âge la plus à risque pour le cancer du sein.

Elles ont également permis d’obtenir le droit au « retrait préventif » visant à ce que les travailleuses enceintes ne soient pas exposées à des risques chimiques ou ergonomiques. Ce droit, enchâssé dans la Loi sur la santé et sécurité du travail, concerne surtout les postes où la travailleuse est debout, dans les secteurs alimentaires et manufacturiers. « Si l’employeur n’est pas en mesure de faire des changements pour accommoder la travailleuse par rapport à ce qui est indiqué dans le certificat médical du médecin, il doit la retirer de son poste pour ne pas qu’elle soit exposée à ces risques-là, et lui attribuer un autre poste du même niveau de compétence. S’il n’est pas en mesure de le faire, la femme est retirée du travail et elle reçoit une indemnité qui équivaut à 90% de son salaire », explique Dre Riel.

Culpabilité du « lien maternel »

Attribuer un congé parental aux femmes davantage qu’aux hommes pourrait provenir de l’instinct sociétal du « lien maternel », qui se construit tout au long de la grossesse : « La femme (en supposant qu’elle ait été enceinte) est beaucoup plus impliquée dans l’existence de l’enfant. Ce lien s’exprime différemment chez l’homme, et cela le pousse à travailler plus dur pour obtenir des promotions et essayer de fournir davantage de revenus. Mais je pense que parce qu’elle est plus impliquée dans la vie quotidienne de l’enfant et qu’elle en est la source physique, la femme a tendance à penser qu’il est de sa responsabilité de gérer les enfants », affirme Ana de Souza. Cependant, selon elle, cette logique reposerait en partie sur l’intériorisation de l’existence de ce lien maternel, qui serait encouragée par la société : « Je pense qu’il y a une tendance sociétale à faire culpabiliser les femmes. Si vous avez de l’aide, ou si vous faites appel à quelqu’un d’autre, si vous ne le faites pas de vos propres mains, vous n’êtes pas une aussi bonne mère ».

Le susdit lien maternel est sujet aux controverses, puisqu’il apparaît plus comme une invention de la société pour justifier l’absence de l’homme dans l’éducation directe de ses enfants, et non pas comme un phénomène propre au genre féminin. Au Canada, les luttes féministes ont permis de rendre les centres de la petite enfance accessibles à tous, afin d’accorder aux mères le temps de travailler. Des listes d’attente existent cependant partout au Québec à cause de la saturation des centres, empêchant la réinsertion des femmes sur le marché du travail. L’organisme à but non lucratif Ma place au travail a organisé une grève d’occupation cet été devant l’Assemblée nationale pour manifester au gouvernement l’urgence de la situation.

« Il faut créer une société qui lie moins le fait d’être parent au sexe biologique, et imaginer un monde où les femmes ne sont pas nécessairement obligées d’être le parent primaire »

Darren Rosenblum, professeur·e à la faculté de droit de McGill

Le modèle du travailleur idéal

« Je pense que le système dans lequel nous évoluons a été conçu selon des normes qui ne fonctionnent ni pour les femmes, ni pour les hommes », énonce Dre Riel. « Elles s’inscrivent dans un modèle du travailleur idéal, qui est disponible tout le temps, qui n’a pas d’enfant, ou qui a une femme qui s’en occupe. Cela fait en sorte que le milieu professionnel n’est pas adapté pour une conciliation travail-famille saine. » La culture de la performance aurait un impact direct sur les caractéristiques qu’une femme se doit de combiner, aux yeux de la société : « Je pense que l’image de ce qu’est une “bonne” femme a beaucoup évolué », explique Ana de Souza. « Aujourd’hui, il s’agit d’avoir une carrière, des enfants et d’être en pleine forme. Je voudrais que la culture devienne plus saine, ce qui aiderait les femmes à se sentir moins obsédées et plus à l’aise avec qui elles sont, plutôt que d’encourager des pratiques mauvaises pour la santé. »

« Avoir un équilibre, ce n’est pas juste pour les femmes et/ou les hommes, ça devrait être pour tout le monde », ajoute Dre Riel. « Personne ne devrait avoir à choisir entre sa carrière et ses enfants. Personne ne devrait avoir à se prouver “ Superwoman ”. Il y a quelque chose à repenser au niveau de la place du travail [dans la société, ndlr], des conditions de travail, mais aussi de la performance attendue, et ça passe par une reconsidération de la “norme”. »

La place des hommes

Les changements sociétaux et culturels ne peuvent se profiler sans la participation active des hommes, d’abord en tant que pères, et dans leurs postes politiques et d’entreprise. Ana ne doute pas de la motivation masculine à établir ces changements, puisqu’ils sont eux aussi impactés par le problème de la conciliation du travail et de la famille : « Je pense qu’ils devraient être motivés parce que cela va au-delà de l’intérêt personnel ; la plupart des personnes ayant des enfants en bas âge veulent que la vie soit plus facile, ce qui inclut la santé mentale de son ou sa partenaire. » Rosenblum appuie ce constat : « Il faut créer une société qui lie moins le fait d’être parent au sexe biologique, et imaginer un monde où les femmes ne sont pas nécessairement obligées d’être le parent primaire. »

Le chemin vers une conciliation travail-famille reste complexe, mais d’abord faut-il s’assurer que ce choix demeure féminin, et non pas sociétal. Les rôles sociétaux offrent des modèles à suivre, celui de la femme qui s’occupe des enfants ou celle qui gère tout à la fois, ou encore la « femme à chat sans enfants » comme le dit Vance, le vice-président du candidat à l’élection présidentielle américaine. « C’est le choix de chaque femme d’avoir des enfants ou pas, c’est tout autant le choix de chaque femme de prendre son congé ou pas et d’être parent comme elle le veut », conclut Rosenblum. « Si une femme veut continuer à travailler, c’est vraiment à elle seule de le décider, ce n’est pas à nous [la société, ndlr] et ce n’est pas au grand public de juger. Il n’y a qu’une personne qui peut prendre ces décisions, et il s’agit d’elle-même. »

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Naviguer sur l’océan Indien depuis McGill https://www.delitfrancais.com/2024/10/09/naviguer-sur-locean-indien-depuis-mcgill/ Wed, 09 Oct 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56197 Redécouverte de la place de l’environnement dans l’Histoire.

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C’est en préparant le départ pour mon échange universitaire en Australie que j’ai découvert le cours Histoire du monde de l’Océan Indien à McGill (HIST206). Ce cours offre une autre façon d’étudier l’Histoire, en explorant les interactions entre les humains et le monde naturel au fil du temps, et en mettant en lumière les facteurs environnementaux qui ont façonné nos sociétés. Élaborée par Fernand Braudel, la théorie exposée dans le cours avance que les histoires et les cultures des régions sont largement déterminées par leurs environnements géographiques et climatiques. Braudel, né en 1902 en France, a enseigné en Algérie et noté que cette région, influencée par l’environnement méditerranéen, diffère profondément de la France. Cela l’a amené à élaborer une théorie, en collaboration avec l’École des Annales, soulignant l’importance des facteurs géographiques dans l’évolution des sociétés et des civilisations. Cette théorie admet comme prémisse que des événements significatifs pour l’humanité, tel que les famines et les migrations, peuvent avoir pour origine des facteurs environnementaux. Un autre exemple serait les changements climatiques comme des variations de températures causées par les éruptions volcaniques. Ainsi, il est véritablement surprenant de constater que ce concept, qui semble évident, est peu connu de la majorité des étudiants.


Histoire environnementale

La façon de naviguer à travers l’océan Indien dans ce cours remet au centre l’interconnexion indubitable entre notre histoire et environnement. Depuis les débuts de l’humanité, les écosystèmes ont connu des transformations qui ont influencé l’évolution des sociétés. Prendre en compte l’environnement est crucial pour obtenir une vue d’ensemble de notre histoire. Gwyn Campbell est un pionnier dans ce domaine, en tant qu’auteur de nombreuses études complètes et détaillées sur les droits humains, l’Histoire et l’économie en Asie et en Afrique. Né à Madagascar et élevé au pays de Galles, le professeur Campbell possède des diplômes en histoire économique des universités de Birmingham et du pays de Galles. Il a enseigné en Inde (avec le Service Volontaire Outre-mer) ainsi que dans des universités à Madagascar, en Grande-Bretagne, en Afrique du Sud, en Belgique et en France. De plus, il a été consultant académique pour le gouvernement sud-africain lors d’une série de réunions intergouvernementales qui ont conduit à la création d’une association régionale de l’océan Indien en 1997. Durant les premières années de sa carrière universitaire, le professeur Campbell s’est spécialisé dans l’histoire de Madagascar, où la population parle le malgache, une langue austronésienne originaire de l’Indonésie. Les Malgaches présentent des gènes à la fois africains et austronésiens, ce qui suppose des échanges séculaires anciens à travers l’océan Indien. Cette découverte l’a incité à explorer l’histoire globale des riverains de l’océan Indien, en se concentrant sur l’histoire économique et environnementale de la région. Ce projet, initié lors de son séjour en Afrique du Sud et en France, s’est concrétisé grâce à la Chaire de recherche financée par l’Université McGill, où il enseigne aujourd’hui.

« La façon de naviguer le monde de l’océan Indien dans ce cours remet au centre l’interconnexion entre notre histoire et notre environnement »

L’océan Indien à McGill

Le professeur Campbell est le directeur-fondateur de l’Indian Ocean World Centre (IOWC, Centre du monde de l’océan Indien, tdlr) à McGill. Fondé en 2007, le Centre a formé de nombreux étudiants devenus professeurs dans d’autres établissements. Il a pour mission de promouvoir l’étude de l’histoire, de l’économie et des cultures des terres et des peuples de l’océan Indien, qui s’étend entre le Moyen-Orient, l’Asie du sud-est et le sud de l’Afrique. Il a accueilli des chercheurs et professeurs invités du monde entier, et organisé des colloques sur des sujets tels que l’esclavage, les maladies, la monnaie et les échanges d’animaux dans cette région. « Dans trois ans, nous célébrerons le 20e anniversaire du Centre. Depuis sa création, il a su se distinguer comme le meilleur au monde pour les études sur l’océan Indien », affirme-t-il. Le Centre publie une revue universitaire : le Journal of Indian Ocean World Studies (JIOWS, Journal des études de l’Océan Indien), en collaboration avec la Presse universitaire Johns Hopkins. « [Le journal JIOWS, ndlr] publie des articles originaux évalués par des pairs et rédigés par des chercheurs établis et émergents dans les sciences sociales, les sciences humaines et les disciplines connexes qui contribuent à une compréhension du monde de l’océan Indien et de ses éléments constitutifs depuis les premiers temps. » Il ajoute que le journal a pour but de réexaminer les paradigmes spatiaux, temporels et thématiques eurocentrés qui ont dominé les perceptions académiques des régions et des sociétés non-européennes, que la plupart considèrent comme les principaux éléments déclencheurs de l’histoire. En effet, les travaux du journal contribuent à la compréhension du monde de l’océan Indien et de ses composantes, des temps anciens à aujourd’hui, selon les interactions humains-environnement.


Partager l’océan

En 2019, l’IOWF lance un balado éponyme intitulé « Indian Ocean World Podcast » (Le balado du monde de l’océan Indien, tdlr). Ce projet s’inscrit dans le partenariat actuel avec le Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) nommé « Évaluation des risques », qui implique des partenaires et collaborateurs internationaux d’Amérique du Nord, d’Europe, d’Afrique, d’Asie et d’Australasie. Le Dr. Campbell affirme que la plupart des intervenants présentent des exposés sur divers aspects de l’histoire environnementale de l’océan Indien, abordant des sujets tels que les relations entre l’homme et l’animal aujourd’hui, les maladies et les voyages océaniques, la science météorologique coloniale du 19e siècle, ainsi que le patrimoine environnemental actuel et les perceptions du passé. « Ils utilisent également les méthodes des Systèmes d’Information Géographique (SIG) dans la gestion des catastrophes », soutient le professeur Campbell. Le Centre a publié un total de 53 épisodes, la plupart diffusés durant les semestres d’automne et d’hiver sur les plateformes de diffusions en ligne et sur le site Internet du centre.

L’influence et la reconnaissance internationale du Centre ont ainsi permis au professeur Campbell de proposer une nouvelle initiative : la Speaker Series. Cette série de conférences permet au centre de transmettre les connaissances de ses chercheurs. « Nous invitons des conférenciers de toutes disciplines et possédant un large éventail d’expériences : anglophones et francophones ; des universitaires et des étudiants établis ; et sur des sujets qui couvrent toutes les régions du monde de l’océan Indien, de l’Afrique de l’Est à la Chine, et sur des sujets divers », ajoute-t-il. Les intervenants de la Speaker Series présentent des versions préliminaires de leurs travaux afin d’obtenir des commentaires constructifs d’un public dynamique. Le professeur Campbell souligne: « Ce sont des discussions savantes, mais dans un environnement amical et solidaire ». Tel que l’indique le site Internet du IOWC, les conférences se tiennent généralement le mercredi après-midi à 15 heures dans le hall Peterson 116. Le programme complet est disponible sur le site du Centre pour tout le monde, dont les novices au sujet, curieux d’en apprendre sur l’océan Indien.

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Ôde à la créativité en milieu académique https://www.delitfrancais.com/2024/10/02/ode-a-la-creativite-en-milieu-academique/ Wed, 02 Oct 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56107 Rencontre avec le Building 21, incubateur d’idées créatives.

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Parfois nos idées nous paraissent « trop ». Trop grandes. Trop abstraites. Trop étranges. Elles ne rentrent pas dans les normes universitaires. Et face aux défis qui nous attendent, nous devons justement apprendre à nous défaire de ces cadres. Alors, en 2017, le professeur Ollivier Dyens a mis en place une initiative : il codirige avec Anita Palmar le Building 21. Cette organisation extérieure à McGill offre un cadre à tous ces étudiants désireux de s’impliquer dans la communauté et prêts à partager un projet personnel qu’ils souhaiteraient pouvoir réaliser. Son but? Donner aux étudiants les clés pour sortir des sentiers battus, de manière à « enrichir notre parcours intellectuel », comme le souligne le codirecteur. Ce dernier m’a en effet confié s’être penché sur les questions suivantes : l’université est-elle assez créative pour le siècle qui nous attend? Pour ceux encore à venir? L’éducation permettra-t-elle d’obtenir des outils de résolution efficaces face aux problèmes qui nous attendent? Sa réponse fut sans appel : non.

Des idées inspirées par Google et MIT

Ollivier Dyens s’est inspiré de deux modèles américains. D’une part, Google X, un laboratoire créatif de la multinationale, qui concrétise des idées ambitieuses et invraisemblables en projets technologiques réalisables. D’autre part, Building Twenty-One, au Massachussets Institute of Technology (MIT), fait office d’incubateur d’idées dont est sorti pas moins de neuf prix Nobel. Ainsi, Ollivier Dyens a fondé le Building 21, situé au 651 Sherbrooke Ouest, un bâtiment souvent méconnu de la communauté étudiante, qui offre pourtant des ressources créatives, de partage et d’imagination collective. Ce bâtiment à la porte verte accueille de nouveau les étudiants, après avoir été momentanément fermé lors des vacances d’été.

« Cette organisation extérieure à McGill offre un cadre à tous ces étudiants désireux de s’impliquer dans la communauté et prêts à partager un projet personnel qu’ils souhaiteraient pouvoir réaliser »

Pluridisciplinarité et humilité

Le Building 21 accueille cette semaine sa première lighting session : un cercle de discussion au cours duquel chacun des étudiants présents parle de son projet ; on peut penser par exemple au projet de Rebecah Kaplun et de sa recherche sur ce qu’est la sagesse. Ils conversent pendant deux heures sur leurs idées, leurs doutes et leurs réussites. Ils partagent leur point de vue sur les projets des autres et reçoivent des pistes de réflexion sur le leur, qu’il soit artistique, axé sur la science, la sociologie, la phénoménologie ou encore pluridisciplinaire. Deux étudiants ont par exemple centré leur recherche sur la formule mathématique du sublime.

Le professeur Dyens explique que nous sommes façonnés par notre éducation, on pense comme on a été formé à « penser ». Il peut nous arriver de manquer d’opportunités nouvelles d’exploration, comme les études académiques peuvent porter les étudiants à une réflexion scientifique uniforme. Le Building 21 aspire à ne pas laisser les étudiants manquer de pistes jusqu’alors inexplorées et invisibles. Ainsi, outre les lighting sessions, le Building 21 propose de nombreux ateliers tel que le catlab, mêlant poterie et art numérique. Selon le codirecteur, la pluridisciplinarité et le partage enseignent l’humilité. En effet, les étudiants sont constamment en contact avec des personnes aux compétences et connaissances variées. De ce fait, il y existe toujours quelqu’un « plus » informé qu’eux, de plus compétent concernant un domaine particulier. L’humilité se trouve alors dans l’acte d’avouer que l’on est ignorant sur tel ou tel sujet, d’oser demander, d’oser se tromper.

Building 21 s’axe également sur « l’exploration libre des idées », notamment à travers un atelier qui se tient ce lundi 30 octobre intitulé : « discussion sur des sujets inhabituels ». Chaque idée mérite d’être réfléchie, chaque question mérite d’être posée et débattue. Par exemple : la sirène est-elle un mammifère ou un poisson? Malgré l’apparente étrangeté de cette question, elle nous amène à réfléchir quant à notre perception du monde et la façon dont nous le catégorisons.

« Les étudiants partagent leur point de vue sur les projets des autres et reçoivent des pistes de réflexion sur le leur, qu’il soit artistique, axé sur la science, la sociologie, la phénoménologie ou pluridisciplinaire »

Ancrer son imaginaire dans des rencontres

Le Building 21 offre des moments de rencontres avec des invités de tous les horizons, dont la politique, avec notamment une rencontre avec le délégué général du Québec, qui y a expliqué comment faire son entrée en diplomatie. Un des seuls résultats escomptés au Building 21 est un changement d’état d’esprit, de façon de penser. Dans ce lieu où les notes et l’obligation de fournir des résultats concrets et tangibles sont abolies, la seule attente véritable est l’apprentissage : l’apprentissage de soi-même, d’autrui, du monde qui nous entoure et du monde tel qu’il pourrait être.

Collectifs étudiants : collaboration et engagement

Des collectifs étudiants sont également présents au Building 21 et tendent à s’y impliquer davantage. C’est notamment le cas de la Collation, le collectif de poésie francophone de McGill. Il est important de souligner que les membres des collectifs étudiants doivent s’impliquer dans la communauté du Building 21. C’est-à-dire participer à des lighting sessions une fois par semaine, entre autres. Un exemple de collaboration créative réalisée au Building 21 a été la traduction musicale et numérique d’un poème écrit dans le cadre d’un atelier de la Collation. Comme me l’indique André, coordinateur de la Collation, le Building 21 permet d’appuyer les collectifs à qui l’Université offre moins de soutien, en leur offrant de nouvelles opportunités, ainsi que la création d’un véritable réseau.

Bourses et soutien

Afin d’encourager les étudiants, le Building 21 a mis en place en 2018 la bourse BLUE (Beautiful Limitless Unconstrained Exploration, Belle Exploration Illimitée et Sans contraintes, tdlr). À hauteur de 3 000 dollars canadiens, elle est accordée aux étudiants montrant un fort engagement dans la communauté afin qu’ils puissent aller jusqu’au bout de leur processus de réflexion et de réalisation de leur projet sans contraintes financières. Cette dernière est ouverte à tous les étudiants membres du Building 21, peu importe leur nationalité.

Un objectif d’expansion du projet

Les codirecteurs du Building 21 partagent des objectifs d’expansion, sans compromettre l’échelle humaine de la communauté. Ils souhaitent ainsi en préserver l’essence : l’attention personnelle qui est intimement liée au nombre restreint d’étudiants. L’idée est de multiplier le principe du Building 21 dans le monde, en conservant ses valeurs tout en l’adaptant aux conditions et aux préoccupations locales, et prévoir par la suite des mises en relation entre les diverses institutions. Des échanges entre universités sont également envisagés, notamment avec l’Université Catholique de Lille, avec qui le codirecteur est actuellement en contact. Chaque pays apporte en effet sa façon de percevoir le monde. En créant des échanges entre des instituts créatifs, c’est une collectivité qui se mettra en marche vers des solutions aux enjeux politiques, sociaux, économiques ou encore écologiques. L’objectif du Building 21 est de permettre aux étudiants de partager leurs connaissances, d’apprendre d’autres cultures. De ce fait, en rencontrant, en débattant, en acceptant l’inconnu, ils n’affrontent pas l’incertitude de l’avenir mais seront capables de le créer.

Un appel à la créativité

Cette semaine, des ateliers et événements ouverts à tous invitent chacun à découvrir ce « laboratoire inversé », qualifié de « home away from home » (second chez-soi, tdlr) par le Professeur Dyens. Si cela vous intéresse, passez la porte verte, laissez vos souliers à l’entrée et trouvez votre place dans cet espace d’innovation.

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Mademoiselle, s’il-vous-plaît! https://www.delitfrancais.com/2024/10/02/mademoiselle-sil-vous-plait/ Wed, 02 Oct 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56112 La réalité éreintante du service de restauration à Montréal.

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Débit ou crédit? La machine tendue vers le·la client·e, l’écran propose 10, 15 ou 20% de pourboire en fonction du service. Ancré dans la culture nord-américaine, la valeur du service rendu est explicitement attribuée à un chiffre, qui viendra s’additionner à celui de la nourriture. À Montréal, l’un des emplois étudiants les mieux payés est celui de serveur·se : selon les chiffres de l’Association Restauration Québec (ARQ), le salaire horaire moyen d’un·e serveur·se est de 38,63$ – un dollar de plus que celui des TAs (Teaching Assistant ou auxiliaires d’enseignement, tdlr) de McGill. Bien que ce soit une option de revenus alléchante pour une population étudiante qui a besoin de payer ses courses, son loyer et ses sorties, la pression dans le milieu de la restauration ne vaut parfois pas parfois la quantité de dollars sur la paie. Pour tenter de comprendre leur réalité qui est invisible aux yeux du·de la consommateur·rice, Le Délit s’est entretenu avec six serveur·se·s étudiant·e·s.

Des relations humaines malsaines

Dans un milieu de travail qui mélange toutes les générations et toutes les expériences de vie, les comportements abusifs sont fréquents : les serveur·se·s interrogé·e·s mentionnent avoir vécu des expériences comme des « tapes aux fesses », des frôlements aux hanches, et se sont même vu·e·s offrir de l’alcool par un gérant à la fin d’un quart de travail. Angelo, ancien serveur dans un bar proche de McGill, remarque qu’ « à McGill, les gens qui nous entourent sont “woke”, on a l’impression que ces comportements n’existent pas. Pourtant, dans ce milieu-là, il y a encore de l’homophobie et des comportements déplacés en masse ». Rania, qui travaille dans un restaurant au quartier chinois, précise que les comportements déplacés viennent aussi des client·e·s : « On est souvent confronté à des clients qui flirtent avec nous et souvent on ne sait pas comment réagir ». L’intensité des demandes des client·e·s et des gérant·e·s rend les relations humaines sur le lieu de travail toxiques. Marie, qui a servi dans un restaurant étoilé et un bar à cocktails à Montréal, se souvient que son travail était teinté d’un rapport malsain avec ses gérants : « Je respecte énormément les gens qui font ça toute leur vie, mais je ne pourrai pas. Entre micromanagement (microgestion) et sexisme constant, tu reçois des remarques sur ton physique et sur tes relations privées. Mes collègues hommes me prenaient pour leur assistante et me parlaient très mal lors du service. Il n’y a pas de bureau d’éthique ou de ressources humaines en restauration, ce genre de comportement est banalisé. Si tu oses te plaindre, t’es ingrate, t’es faible. » Rania a vécu une expérience similaire : « Il y a beaucoup de drames et de manigances avec les managers [qui ont l’âge de Rania, ndlr] et les gérants. Les managers parlent dans le dos des employés et les gérants essayent de faire en sorte que l’on se batte pour nos shifts (quarts de travail). » Charlotte, étudiante à McGill et ancienne serveuse dans deux bars du boulevard Saint-Laurent, relève aussi les relations très hiérarchisées dont elle a souffert : « Je trouve qu’il y a, en tout cas dans mon expérience, beaucoup de gossip (potins). C’était malsain à long terme. La hiérarchie entre managers et employés rendait aussi le travail instable – ils ont le pouvoir de me renvoyer d’un jour à l’autre ».

« Il n’y a pas de bureau d’éthique ou de ressources humaines en restauration »

- Marie, serveuse en restaurant étoilé

Un rythme éreintant

Au-delà des relations épuisantes avec le·la client·e et avec les gérant·e·s, la réalité du métier de serveur·se est teinté de conditions de travail épuisantes. Bien que le code canadien du travail stipule que tout·e employé·e a droit à une pause non rémunérée d’au moins 30 minutes pour chaque période de cinq heures consécutives de travail, cette règle n’est souvent pas respectée en restauration. En effet, les client·e·s arrivent en continu à l’heure des repas, rendant le travail particulièrement physique. « En restauration tu n’as pas de pauses, sauf quand tu fais un double shift », remarque Ylan, serveuse dans un restaurant aux nombreuses tables sur la Rive-Sud de Montréal. « Même si tu as une pause dîner à deux heures, on peut te demander d’aider les serveurs sur le plancher à cause de l’achalandage, et tu n’auras donc pas le temps de prendre une bouchée avant quatre heures. En plus du manque de temps pour manger, c’est un travail physique : il faut apporter des gros plateaux qui peuvent être très lourds, et, surtout, on est constamment debout en train de courir partout. » Eva, étudiante serveuse pendant l’été, ajoute à ça la difficulté de se concentrer pendant une longue période : « Il faut avoir le sourire et ne pas perdre sa concentration pendant tellement de temps. Il faut vraiment avoir un bon cardio. »

Pas des machines

Les petits pots sur les comptoirs de service où l’on dépose des « pourboires » sont à l’origine disposés pour que les gens pressés puissent recevoir un service plus rapide. Aujourd’hui, le pourboire est rendu presque obligatoire pour un service de table, et tous les client·e·s se sentent prioritaires et pressé·e·s. Marie et Charlotte soulignent que, dans le service à la clientèle, la patience et l’humanité peuvent se perdre : le·la client·e a tendance à oublier que le service de leur nourriture est assuré par des humains, des étudiant·e·s qui ont une vie en dehors de leur lieu de travail : « Les clients ont du mal à comprendre qu’on peut aussi avoir une mauvaise journée, recevoir une mauvaise nouvelle, que l’on est fatiguée après huit heures sur nos pieds et que si l’on ne sourit pas ou que l’on regarde mal ça n’a rien à voir avec lui. » Selon Rania, reconnaître l’humanité de celles et ceux qui nous servent peut se traduire dans des gestes concrets : « J’aimerais que l’on sache qu’on apprécie toujours les clients qui empilent les couverts et les assiettes, et qui déplacent les plats quand on en apporte un nouveau. Ceux qui ne nous regardent pas galérer sans broncher. »

Une consommation d’alcool systématique

Il est aujourd’hui amusant de s’imaginer que le pourboire eut été un temps offert aux serveur·se·s pour leur permettre de se payer un verre à boire. Aujourd’hui, la consommation d’alcool est non seulement accessible pour les serveur·se·s, mais elle est également encouragée. Charlotte, qui a travaillé dans deux bars sur le Boulevard Saint-Laurent et le Plateau Mont-Royal, soulève que la consommation d’alcool est normalisée au travail, autant par les client·e·s que par l’équipe. « Dans le premier bar où j’ai travaillé, les clients me payaient énormément de boissons et c’est dur de dire non à quelqu’un que tu sers, parce que c’est cette personne qui va te tip (donner un pourboire). Au deuxième bar, l’équipe avait la tradition de taper sur une certaine lampe et on prenait tous un shot ensemble – et ce, plusieurs fois par soir. Ça dépendait du bartender (serveur de bar), quand il voulait. Si toute l’équipe prend un shot comme ça en tapant la lampe devant tout le monde dans le bar, toi aussi, tu es incité à en prendre un. À la fin de la soirée, l’équipe entière est alcoolisée. Certain·e·s consomment même du cannabis et d’autres drogues. »

Outre ces vices qui peuvent accompagner l’emploi dans le monde nocturne, la pression est telle dans le milieu de la restauration que certain·e·s serveur·se·s peuvent être incité·e·s à prendre des drogues pour tenter de maintenir un rythme pendant le service. D’après nos sources, la réouverture des restaurants à la suite de la pandémie de COVID-19 a été particulièrement achalandée. Le stress généré par une demande exponentielle et des équipes en sous-effectif a amené certain·e·s à devenir dépendant·e·s, au détriment de leur santé.

Devenir plus humain

Avoir un emploi étudiant a le bienfait de comprendre l’autre côté du tablier, et développer de l’empathie dans toutes les sphères du service à la clientèle. Marie remarque qu’elle arrive à mieux comprendre la personne qui la sert : « Tu te rends compte à quel point la plus simple gentillesse est hyper importante. Bonjour, merci, un compliment, bonne journée, bon courage, un sourire. Toutes ces choses là, si simples à faire, permettent de rendre le travail du serveur un peu plus simple et agréable. Être patient et comprendre que l’on ne sait pas ce qu’il se passe dans la vie des autres ». Rania, elle, s’assure de « toujours empiler les plats avant de partir », et Ylan offre un plus grand pourboire.

Montréal est une ville vibrante qui regorge de restaurateur·rice·s et d’expériences gustatives, et le message unanime de leurs employé·e·s est d’ouvrir les yeux sur la réalité de celui ou celle qui sert!

Le Délit se dégage de toute incitation à consommer Alcool et Drogues.

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Horizon 2035, un tri à la fois https://www.delitfrancais.com/2024/09/25/horizon-2035-un-tri-a-la-fois/ Wed, 25 Sep 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55964 Enquête sur les réussites et freins sur la route du zéro déchet à McGill.

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Dans les 70 bâtiments fréquentés par plus de 40 000 étudiant·e·s et employé·e·s, les poubelles se remplissent au même rythme que les têtes « forgées par McGill » : des emballages de nourriture, de café, des papiers, des maquettes d’architecture, des chaises cassées ou encore des matières de laboratoire. « Qui n’a pas retrouvé une tasse de café dans les trois poubelles de tri?! », ironise le Dr Grant Clark, professeur du cours de Gestion des détritus organiques au campus Macdonald. Selon un sondage mené par le Bureau de développement durable de McGill et communiqué au Délit par sa directrice, seulement 33% des étudiant·e·s sont au courant des objectifs du projet Zéro Déchet 2035 et de neutralité carbone 2040 de l’Université. Ce pourcentage n’est pas totalement alarmant, mais les objectifs sont ambitieux et les erreurs de tri et le manque de bennes de compost dans les bâtiments y sont des freins. Continuer la mise en place de mesures infrastructurelles sans éduquer les cerveaux qui devront les utiliser ne permettra pas d’atteindre ces objectifs. À l’échelle d’une communauté diversifiée regroupant étudiant·e·s et employé·e·s, tant locaux·les qu’étranger·ère·s, faire avancer tout le monde d’un même geste peut s’avérer être un casse-tête.


En s’entretenant avec la directrice du Bureau de Durabilité de McGill, Shona Watt, le professeur de sciences environnementales, Dr Grant Clark, ainsi que la conseillère d’orientation du Département de géographie, Michelle Maillet, Le Délit tente de démystifier les freins aux pratiques de recyclage à McGill.

« Les déchets organiques, qui représentent 40% des déchets résiduels, se décomposent dans les décharges et deviennent une source importante de méthane »

Dr. Grant Clark, professeur en Gestion des déchets organiques à McGill

Le compost comme angle d’attaque pour le zéro déchet

Contrairement à ce que suggère son nom, le zéro déchet ne signifie pas que l’on ne pourra plus rien jeter à McGill. La certification internationale du zéro déchet est attribuée aux entreprises et communautés qui réacheminent 90% de leurs déchets hors des décharges et des incinérateurs – en éduquant la population et en offrant des solutions de recyclage et de compost. L’enfouissement des déchets ou leur combustion étant une source importante de méthane, un gaz à effet de serre 30 fois plus polluant que le dioxyde de carbone, ce but s’inscrit dans l’objectif de McGill d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2040.

Le Dr Grant Clark explique l’importance du compost pour réduire la quantité de déchets dans les décharges et l’impact de leurs émissions. « Lorsqu’ils sont acheminés dans les décharges, comme celle de Terrebonne pour l’agglomération de Montréal, les déchets sont entassés en montagne que l’on recouvre d’argile. Les déchets organiques, qui représentent 40% des déchets résiduels, se décomposent sous l’argile et deviennent une source importante de méthane. Pour diminuer son émission, ils doivent être séparés du reste des déchets et traités en contact avec l’oxygène (tdlr). » Le méthane étant un gaz à effet de serre que la plupart des gouvernements, dont celui du Canada, visent à réduire, le compost est une alternative privilégiée qui est graduellement mise en place par d’autres institutions et municipalités du pays. Le Dr Clark explique les enjeux liés au mélange des déchets organiques et généraux : « Nous avons besoin d’une séparation claire entre les flux de déchets organiques et autres déchets, car ils se contaminent l’un et l’autre lorsqu’ils sont en contact. Si des déchets généraux se retrouvent dans le bac de compost, celui-ci sera contaminé de déchets qui ne se décomposent pas, et, à l’échelle microscopique, pourra être contaminé de plastiques qui se retrouveront dans les sols fertilisés par le compost. Si les déchets généraux sont contaminés par des déchets organiques, ils produiront plus de méthane, comme expliqué plus tôt ».

« Encourager des milliers d’étudiant·e·s, de professeur·e·s et de membres du personnel très occupé·e·s à réduire et à trier de manière réfléchie leurs déchets quotidiens sur le campus est un véritable défi »


Shona Watt, Directrice du Bureau de développement durable à McGill


Pratiquer ce que l’on prêche

En 2024, McGill réachemine 45% de ses déchets hors des décharges, via son système de recyclage et de compost. L’installation de stations de triage dans plusieurs bâtiments et sites extérieurs du campus a été le mandat principal de sa stratégie de réduction et de réacheminement des matières résiduelles 2018 – 2025. Shona Watt, directrice associée au Bureau de la durabilité de McGill, informe des actions entreprises ces cinq dernières années : « Depuis 2018, nous avons installé plus de 715 stations de tri des déchets à flux multiples dans des emplacements centraux à travers 27 bâtiments universitaires majeurs. Depuis l’introduction du flux de compostage, la quantité de déchets organiques collectés est passée de 0% des déchets collectés en 2015 à 7% en 2022 ».

Cependant, l’installation de poubelles de tri prend du temps et certains bâtiments en sont encore dépourvus. Michelle Maillet, conseillère d’orientation du Département de géographie, déplore le manque de compost dans le pavillon Burnside, qui accueille pourtant des étudiant·e·s en programme de Développement durable, sciences et société. « On est une institution qui fait de la recherche de haut niveau sur ces enjeux-là, c’est frustrant de ne pas pouvoir pratiquer ce que l’on prêche. » Le Dr Grant Clark ajoute que face à une poubelle à deux flux (général et recyclage, sans compost), il est préférable de jeter les ustensiles « compostables » dans le bac général, car ils ne sont pas faits de matériaux recyclables. « S’ils sont mis dans la poubelle de recyclage, ils seront simplement triés à nouveau, ou ils contamineront le matériau recyclable et diminueront sa qualité globale ou conduiront à son rejet ».

Michelle Maillet ne se sentirait pas légitime de promouvoir son programme en Développement durable, sciences et société sans participer à son échelle à une transition vers le zéro déchet. Faute de poubelles compost dans le pavillon Burnside, elle a elle même créé et imprimé des affiches pour renseigner sur les endroits où trouver les bennes de compost sur le campus.

Lors de l’événement d’orientation de son département, elle a dû également elle-même repasser derrière le tri des déchets mené par les étudiant·e·s. « On a été certifié événement durable par le bureau de développement durable de McGill, on m’a donné des bacs de compost, mais les déchets étaient mélangés dans chaque bac », raconte ‑t-elle. Cela soulève une autre problématique : celle du manque d’éducation et de renseignements immédiatement disponibles proche des flux de tri.

Enjeux d’une communauté étudiante diversifiée

« Encourager des milliers d’étudiant·e·s, de professeur·e·s et de membres du personnel très occupé·e·s à réduire et à trier de manière réfléchie leurs déchets quotidiens sur le campus est un véritable défi » confie Shona Watt. Le site de McGill offre une base de connaissance sur le gaspillage qui permet d’apprendre les pratiques de séparation des déchets, et de mettre à l’épreuve ses capacités avec un test. On peut facilement se rendre compte, par nos propres erreurs, qu’il y a encore un fossé dans les connaissances. « Personne ne va sur le site web de McGill chaque fois qu’il a besoin de jeter quelque chose à la poubelle » soulève Michelle Maillet. McGill offre pourtant de nombreuses ressources d’apprentissage et de renseignement sur ses pratiques de tri de déchets. Shona Watt mentionne le module étudiant de durabilité, un cours qui « inclut une étude de cas sur les déchets et une activité sur comment faire des choix réfléchis sur le rejet de ses déchets ». Ce module permet d’avoir des crédits extra-curriculum, qui peuvent être mis en avant sur le CV. Shona Watt mentionne également les ressources médiatiques mises en place par le Bureau de développement durable de McGill, dont l’application Ça va Où et le compte Instagram @sustainmcgill, qui publie dans ses stories à la une des conseils pour trier les différentes composantes des tasses de bubble tea, de café, de contenants de repas à emporter ou encore d’agrafes dans le papier.

« Il y a des fonds qui sont disponibles pour faire bouger les choses, notamment le FPD qui pourrait financer des affiches plus claires au-dessus des poubelles »


Michelle Maillet, conseillère d’orientation du Département de géographie

Une communauté aussi diversifiée que celle de McGill peut également devenir un enjeu à la participation active de tous. « Les gens à McGill sont originaires de pleins d’endroits et de cultures dans le monde, et ne savent pas nécessairement comment trier à Montréal », rappelle Michelle Maillet. « Il y a beaucoup de monde à McGill : est-ce que tout le monde se soucie des enjeux du zéro déchet, ou plus largement, de la durabilité? » questionne le Dr Grant Clark. « L’éducation est une grande partie de la solution, et la mise en application de règles aussi. McGill devra dépenser beaucoup de temps et d’argent pour motiver l’ensemble de sa communauté, investir dans ses établissements et poser des instructions claires. » Le professeur mentionne un des problèmes qui peut survenir lorsqu’on essaye de changer les habitudes de vie d’une communauté aussi large : « Des villes ont déjà mis en place des amendes aux ménages qui ne respectent pas les tris de poubelles. Comment savoir à McGill qui a fait quoi? » Il mentionne aussi qu’il serait idéal mais bien futuriste de reposer sur une technologie qui ouvre les poubelles en fonction du déchet scanné.

Des solutions pour s’engager

Michelle Maillet rappelle que le Fonds des projets durables (FPD) est accessible et disponible pour que les étudiant·e·s entreprennent des projets pour le campus, là où ils sentent qu’il manque d’alignement avec les objectifs de durabilité. « Il y a des fonds qui sont disponibles pour faire bouger les choses, notamment le FPD qui pourrait financer des affiches plus claires au-dessus des poubelles. », dit-elle. Le Fonds des projets de durabilité est un des plus grands fonds de son genre au Canada, estimé à un million de dollars. Financé au moyen de 55 cents par crédit par étudiant·e, il a permis le développement du projet Zéro Déchet 2035 dans les salles à manger de résidences à hauteur de 100 000$, transformant leurs formules pour des buffets « à volonté » et le nouveau projet de 400 000$ de gestion des déchets de laboratoires. Le Dr Clark mentionne également qu’il est impératif d’uniformiser le type de matériaux des emballages distribués. « On devrait regarder en amont dans la chaîne de consommation et changer les produits utilisés. Si tous les contenants et ustensiles étaient compostables, il y aurait moins d’erreurs au moment du tri! » s’engoue-t-il.

Une enquête difficile à mener

Un des objectifs du plan d’action 2020–2025 de la neutralité carbone 2040 est de renseigner la communauté et son gouvernement sur les pratiques responsables. Cependant, l’Université manque parfois de transparence sur les problèmes liés au développement de ses stratégies. Lors de son enquête sur la réalisation des objectifs de chacune des unités responsables, Le Délit s’est fait redirigé à de nombreuses reprises. Le Département des bâtiments et terrains, responsable de la collecte des déchets, ainsi que le Service de logement étudiant et hôtellerie n’ont pas voulu se prononcer autrement que par le biais du Bureau du développement durable – et ce dernier a rassemblé des informations disponibles sur le site. Aucune réponse n’a été apportée à la question de comment les erreurs de contamination sont gérées par le Département des bâtiments et terrains.

L’Université est avant tout un espace où chacun·e peut trouver sa place pour essayer de construire son monde idéal, pour ensuite le traduire dans ses gestes du quotidien. Instaurer ces bonnes habitudes sur des jeunes adultes entraînera leur conscientisation pour la vie et « forgera » des acteurs qui dirigeront entreprises et municipalités. La mise en oeuvre de l’objectif zéro déchet peut être améliorée, notamment avec des affiches plus claires sur toutes les stations de poubelles et des modules obligatoires de test des connaissances sur le tri. Le Dr Clarke salue néanmoins les initiatives : « Bien qu’ils ne seront probablement pas respectés, les objectifs de 2035 ne sont pas inutiles. C’est important de se les fixer pour commencer quelque part ». Cela n’empêche pas l’Université de devoir montrer plus de transparence à sa communauté quant aux lacunes de ses avancements, et à la façon dont ses déchets sont triés au quotidien.

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Comment poussent mes légumes? https://www.delitfrancais.com/2024/09/18/comment-poussent-mes-legumes/ https://www.delitfrancais.com/2024/09/18/comment-poussent-mes-legumes/#respond Wed, 18 Sep 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55851 Découverte d’une ferme biologique du Québec avec le WWOOFing.

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Le WWOOFing (World Wide Opportunities on Organic Farms, Opportunités Mondiale Sur Fermes Biologiquestdlr) est une plateforme de mise en relation de fermes biologiques avec des bénévoles dans 132 pays. Au Québec, en échange d’un couvert et d’un toit, les « WWOOFeurs » – nom donné aux utilisateurs du site – contribuent à diverses tâches dans des productions maraîchères, apicoles, d’élevage, ou de récolte de sirop d’érable. La plupart travaillent bénévolement dans les fermes pour découvrir les régions où elles sont établies. Il est également possible de faire du WWOOFing par curiosité d’en apprendre plus sur la culture biologique, pour comprendre la réalité des producteurs, ou pour couper avec le quotidien de la ville.

Le Délit est allé à la rencontre des propriétaires de la ferme des Jardins du Cheval blanc, situés à 50 minutes de Montréal, qui accueillent des bénévoles pour le temps d’une fin de semaine ou de plusieurs mois.

Donner et apprendre

Jean-François, qui a ouvert sa ferme biologique il y a quatre ans, raconte avoir pour projet de bâtir une entreprise éco-responsable, qui produirait de la nourriture de proximité pour la communauté du village de Saint-Antoine-de-Richelieu. Il a commencé à utiliser la plateforme de WWOOF par nécessité de main‑d’œuvre : « On en accueillait entre un et quatre [bénévoles, ndlr]. On s’est finalement plu à rencontrer des gens, à recevoir du monde, à avoir de l’aide, à partager, à échanger. C’est devenu à la fois le moteur des ressources humaines de la ferme et une façon d’offrir un lieu d’apprentissage pour les gens, de donner au suivant. » L’une des bénévoles, Amélia, étudiante à McGill au baccalauréat, s’y est rendue deux jours de fin de semaine au mois de septembre. Elle a offert de son temps à l’entretien de la ferme et à la récolte des légumes de saison. « J’ai eu envie de travailler ici parce que j’entreprends quelque chose de concret, qui fait changement des cours universitaires. J’aimerais bien avoir mon propre potager un jour, et c’est important de savoir comment mettre les mains dans la terre de la bonne façon, et comment faire pousser ses légumes dans un écosystème qui a du sens! »

Amélia Oudinot

Découvrir la réalité d’un projet agricole

Faire du WWOOFing, c’est avant tout être curieux de la façon dont on produit nos fruits et légumes. « Je veux comprendre d’où vient la nourriture que l’on consomme et le travail nécessaire à sa production », explique Amélia. Les échanges lors des repas permettent aux bénévoles de comprendre la gestion d’une ferme. Le rêve de Jean-François est de trouver des fermiers motivés pour former une coopérative : « Il y aurait des gens qui s’occupent des animaux, des gens qui s’occupent des céréales, puis de la transformation des céréales. Nous, on s’occuperait des légumes et on aimerait avoir des arbres fruitiers. On aimerait que ça devienne une espèce d’écosystème avec un étang, des lacs, en suivant un modèle d’agriculture régénératrice. » Ce type de modèle agricole consiste à produire soi-même de quoi fertiliser et semer sa terre : le fumier, aujourd’hui acheté à l’élevage intensif, et l’engrais vert et semences, achetés à des fermes qui ne produisent que ça.

Jean-François évoque un problème auquel font face de nombreux petits agriculteurs : la différence de prix entre le moment où il a établi son plan d’affaires, il y a cinq ans, et le prix actuel des terres. « La location de nos terres, des équipements et les semences ont doublé de prix alors que le prix des légumes a augmenté seulement de 25% ou 30%. C’est en train de ne plus devenir rentable de faire pousser des légumes bio sur des petites surfaces. Il y a énormément de fermes sur notre modèle qui ferment ou qui sont menacées de fermeture en ce moment, dont certaines qui existaient depuis longtemps. » Il mentionne que la seule façon d’être rentable est d’accroître sa production, ou simplement d’en réduire la taille, pour que sa famille soit autosuffisante. « En ce moment, 50 paniers à notre kiosque du marché de Saint-Hilaire, ce n’est pas rentable. Il faut augmenter la production pour pouvoir être rentable parce qu’il y a des frais fixes auxquels on ne peut pas échapper », déplore-t-il.

« Pour moi, c’est vraiment une expérience humaine. C’est rencontrer des gens qui ont les mêmes valeurs que toi » 

Julie, associée à la ferme Les Jardins du Cheval Blanc

Des valeurs en commun

L’aventure du WWOOFing a motivé Julie, immigrée de France, à s’engager dans la ferme en tant qu’associée. « Dès que je suis arrivée, je me suis sentie vraiment à ma place. C’est incroyable de se dire que là, j’ai préparé la terre, j’ai planté les semences, elles ont poussé, je les ai arrosées, je les ai plantées dans le sol, j’ai préparé les planches et elles deviennent des légumes. » Julie avait déjà eu une expérience de WWOOFing en France, proche de chez elle, avec un couple qui avait le projet de rebâtir une maison en ruine. « Pour moi, c’est vraiment une expérience humaine. C’est rencontrer des gens qui ont les mêmes valeurs que toi. » Arrivée depuis mars au Québec, elle a choisi de s’associer à cette ferme, car elle partage la vision de Jean-François : « J’aime l’idée de pouvoir nourrir son monde. Jean-François décide de rester à Saint-Antoine, parce qu’il a envie de nourrir Saint-Antoine. »

Amélia Oudinot

L’image du colibri

Julie continue de travailler à la ferme avant tout parce que c’est un travail gratifiant, non seulement dans le suivi des pousses de ses plants, mais aussi dans le contact humain au marché. « Je suis très adepte de l’image du colibri. Chaque petite action est nécessaire et une toute petite action peut avoir une grande conséquence. C’est une petite ferme, et c’est un travail énorme de faire pousser des légumes. Mais tu l’offres à des gens, tu leur donnes à manger, ils vont souper avec mes légumes le soir, tu leur donnes des idées de recettes. C’est un contact intime avec les gens, de les nourrir et d’y mettre du sien. C’est beaucoup de travail, mais pour la bonne cause. » Julie aime accueillir des « WWOOFeurs » à la ferme, parce qu’elle aime leur enseigner : « Je trouve que c’est vraiment important de savoir pourquoi tu fais les choses. Ce n’est pas simplement: « Je te donne une tâche de désherbage à faire. C’est “je t’explique pourquoi c’est important de désherber cette culture-là et qu’est-ce que ça va faire après.” » Elle ne sépare pas sa journée de travail du reste : pour elle, c’est un tout, un quotidien qu’ils partagent ensemble, dans le champ la journée, et en chantant le soir.

Hugo, présent en même temps qu’Amélia, est étudiant en horticulture. Il apprécie l’impact qu’il peut avoir en tant que main‑d’œuvre extérieure au projet. « J’adore que chacun apporte une aide précieuse à la ferme, et que la plupart des propriétaires soient à l’écoute de nos idées. Parfois cela peut se développer en projet ou plan pour plus tard. »

Bien que les valeurs puissent être communes à la plupart des utilisateurs de la plateforme, c’est la diversité des expériences possibles dans les fermes du Québec ainsi que leur proximité à de grandes villes comme Montréal qui fait leur richesse. Travailler chez un producteur de sa région permet de comprendre ce qui pousse au gré de nos saisons et les enjeux auxquels font face ceux qui remplissent nos assiettes.

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Quand on a 20 ans, on doute, on tombe et on apprend https://www.delitfrancais.com/2024/08/28/quand-on-a-20-ans-on-doute-on-tombe-et-on-apprend/ Wed, 28 Aug 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55515 Voyage au coeur de parcours d’étudiantes à McGill.

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Le 20 août 2024. Sous les nuages gris de fin d’été montréalais, le campus du centre-ville reprend l’accueil annuel des nouveaux arrivants. Chaque année, plus de 6 000 étudiants âgés pour la plupart de 17 à 20 ans entrent dans leur première année universitaire à McGill. Ces premiers pas dans la vie autonome sont accompagnés des premiers doutes. Est-ce qu’on se lance dans des études parce que c’est la suite logique du secondaire, cégep, lycée? Est-ce que l’on vient y creuser une passion, une curiosité, y chercher un diplôme ou une éducation à la vie adulte? Erik Erikson, psychanalyste germano-américain du 20e siècle, théorise l’entrée dans « l’âge adulte » comme un stade d’exploration et d’affirmation de l’identité, autant académique qu’idéologique. À McGill, la plupart des nouveaux étudiants ne doutent pas de leur capacité à poursuivre des études rigoureuses, dans un cadre académique prestigieux. La fin des années d’enseignement obligatoire annonce, cependant, le début de questions existentielles sur la place que ces jeunes souhaitent occuper dans le monde des adultes.

Le Délit a interrogé cinq étudiantes à McGill en sciences cognitives et sociales sur leur parcours universitaire, afin d’explorer leurs doutes et les remises en question qui en ont découlé.

Une entrée en matière motivée

Toutes les étudiantes interrogées ont choisi une majeure dans un domaine qui les intéresse. Aucune n’a entrepris des études que pour les débouchés qu’elles offrent ou pour satisfaire les attentes de leurs parents. Certaines, comme Samah, ont développé un intérêt pour leur majeure au cours de leur scolarité pré-universitaire : « Mes parents ne m’ont jamais mis de pression pour suivre un cheminement particulier, j’ai poursuivi mes études en psychologie car c’est une matière qui m’intéresse depuis mes premiers cours en secondaire cinq. » Gabriela et Kira, qui ont toutes deux choisi une majeure en linguistique, ont passé beaucoup de temps à apprendre des langues, à l’école et de façon autonome. « Pour moi, la suite logique du lycée était de continuer des études qui me permettent d’enrichir mes compétences linguistiques et d’apprendre de nouvelles langues » affirme Gabriela. Le choix de McGill a semblé évident pour certaines des étudiantes interrogées car l’Université offre des programmes qu’elles n’avaient trouvé nulle part ailleurs. Juliette a choisi les neurosciences parce qu’elle voulait un programme interdisciplinaire, qui lui permet d’explorer la psychologie de façon scientifique.

Quand les pistes se brouillent

Les doutes ont nourri le parcours de toutes et chacune, que ce soit dans le choix des cours, des mineures, ou du choix de l’université. Samah n’a pas douté du métier de psychologue pour lequel elle fait des études, mais regrette son choix de parcours pour arriver au doctorat. « Je me suis demandée si je n’aurais pas mieux fait d’étudier les sciences naturelles et de passer par un programme en santé plutôt que par la Faculté d’arts. Si je ne suis pas prise au doctorat, j’aurais aimé avoir des options plus en santé comme l’ergothérapie. » Pour d’autres, les doutes naissent après avoir choisi des études par passion. Lorsque le domaine d’études n’a pas de débouchés prédéfinis, comme en sciences cognitives, l’avenir peut faire peur. « D’un autre côté, je pense que ça offre aussi plus de liberté, » s’enthousiasme Amélia.

La candidature en Honours lors de la deuxième année est un nouveau choix qui peut faire douter. Jeanne, qui entreprend une double majeure histoire et sciences politiques, n’avait pas les préalables pour postuler en Honours mais était consciente que graduer d’un tel programme était avantageux pour intégrer la maîtrise.

Pour Kira, les doutes se sont concentrés autour de son choix de faculté : baccalauréat d’arts uniquement ou baccalauréat d’arts et sciences? « J’ai aimé qu’on puisse ajouter une deuxième majeure, que je puisse étudier deux sujets différents et complémentaires. J’aime mes cours, mais je ne connais pas d’étudiants sur la même voie que la mienne. J’ai senti peu de soutien de la part des conseillers académiques de la Faculté d’arts. Les conseillers de chacune de mes majeures se contredisent souvent. »

« Je pense que c’est la philosophie de cette université : c’est à toi d’aller chercher des opportunités, pas à elle de venir te les présenter! »

Une mineure qui se forme et se transforme

Toutes les étudiantes interrogées ont changé de mineure après leur première année. La plupart des étudiants se concentrent sur des cours de majeure en première année, et décident par la suite de leur mineure ou seconde majeure. Les combinaisons de programmes sont très flexibles, chacun étant libre de les modifier au cours de son baccalauréat tant qu’il en complète les 120 crédits. Certaines ont entrepris une mineure par complémentarité avec leur majeure, d’autres pour combler un intérêt adjacent. « Un de mes objectifs dans la vie était d’apprendre l’arabe, alors j’ai changé ma mineure en sociologie pour une mineure en études islamiques », raconte Samah. Pour Amélia, le choix des mineures a pris son sens en deuxième année : « J’avais eu le temps de m’habituer au système de sélection de cours et préalables, donc j’en avais une meilleure compréhension et j’ai pu aiguiller mon choix vers celle qui proposait le plus de cours que je trouvais intéressants : l’étude du genre. »

« Le manque de soutien et de conseil académique à McGill semble être un regret commun à plusieurs étudiants, qui ont chacun mené un parcours unique semé de doutes. »

Le clash de la réalité universitaire

La façon dont un sujet est enseigné à l’université ne correspond pas nécessairement aux attentes des étudiants en première année. Juliette a senti un décalage avec le reste de sa cohorte en neurosciences, lorsqu’elle s’est rendu compte que la plupart avaient choisi neurosciences plus comme pont vers la médecine plutôt que par intérêt pour cette matière. Le manque d’intérêt pour certains des cours, la performance et la compétition ont aussi fait partie de sa réalité universitaire. « Je n’ai pas trouvé ma place dans la recherche, qui est selon moi disproportionnellement valorisée à McGill. » Juliette ajoute que ses doutes se sont propagés à son choix d’université, incertaine de sa place dans le monde anglophone de McGill et dans une cohorte internationale qui semblait déjà se connaître après U0 (« l’année 0 ») et la vie en résidence. « J’ai aussi eu le sentiment que la plupart des étudiants à McGill ne sont que de passage à Montréal. »

Pour Gabriela, l’enseignement de la linguistique n’était pas ce à quoi elle s’attendait. « J’avais envie d’étudier la langue comme outil de liaison entre les gens, et les cours à McGill m’ont enseigné l’étude scientifique de la structure de la langue. » Elle a senti un manque de place pour une réflexion culturelle. « J’ai commencé par une mineure en allemand puis en russe, mais je trouve que l’enseignement des langues à l’université donne trop d’importance à la grammaire au détriment de l’utilité communicationnelle. C’est comme ça que j’ai découvert que je préfère apprendre les langues par moi-même, à mon propre rythme. » C’est en tâtonnant dans les départements de langues qu’elle a finalement trouvé une mineure en études de l’Amérique latine, pour lesquelles elle s’est découverte une passion : « Si je l’avais découvert plus tôt, je l’aurais changé pour une majeure! » Ce département multidisciplinaire lui a permis d’accéder à ce qu’elle cherchait dans l’étude des langues : développer des réflexions sur sa culture brésilienne, ses origines – par le biais de la littérature, l’anthropologie et les sciences politiques.

« Ce que j’aurais aimé savoir lors de ma première année »

Tout parcours est semé de doutes et regrets, que les étudiants voient souvent comme des apprentissages qui s’avèrent fructueux pour la suite. La plupart des regrets sont liés au manque de connaissance du système de McGill. « J’aurais aimé savoir plus tôt que l’on peut prendre une mineure en Faculté de sciences, et que des bourses sont accessibles pour rémunérer la recherche que l’on fait avec des professeurs de McGill, comme l’ASEF [Art Student Employment Fund, Fond d’Emploi pour les Étudiants en Art, ndlr] par exemple. Ces deux informations ne sont pas assez communiquées par la Faculté des arts selon moi », regrette Samah. « Je pense que c’est la philosophie de cette université : c’est à toi d’aller chercher des opportunités, ce n’est pas elle qui va venir te les présenter! » Amélia partage ce regret et ajoute avoir eu peur d’utiliser les ressources que propose la faculté pour les stages, les aides ou la vie étudiante. Kira offre comme conseil d’être prudent avec les avis d’autres étudiants et des conseillers académiques. « Chaque programme est différent et chaque parcours unique, alors ne t’inquiète pas si le tien ne ressemble pas à celui d’autres! » Les doutes de Juliette ont été relativisés lors de son échange étudiant à Copenhague. Elle a pu découvrir une autre université qui ne partage pas le côté compétitif de McGill. « J’ai témoigné d’une jeunesse qui prend le temps de choisir et de vivre sa vingtaine, dans une culture où les années sabbatiques sont complètement normales. »

Le manque de soutien et de conseil académique à McGill semble être un regret commun à plusieurs étudiants, qui ont chacun mené un parcours unique semé de doutes. Écouter le témoignage d’autres qui ont déjà traversé des épreuves similaires peut se révéler clé dans le développement du parcours universitaire. Le podcast Nouvel Oeil, par exemple, tente de répondre aux questionnements du début de la vingtaine sur la confiance en soi, la liberté, l’amour, l’écologie, à travers le parcours inspirant de personnalités qui ont elles aussi traversé des doutes lors de leur parcours personnel et professionnel.

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Varsity : passion sous pression https://www.delitfrancais.com/2024/03/20/varsity-passion-sous-pression/ Wed, 20 Mar 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55194 Enquête sur la santé mentale des étudiants-athlètes.

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*Tous les noms ont été modifiés pour des raisons d’anonymat.

Pour beaucoup d’étudiants, intégrer l’équipe Varsity de leur discipline sportive au sein de McGill est un rêve. Le sport est pour eux une passion, et Varsity peut être un tremplin : les enjeux sont donc grands. L’Université soutient que la priorité doit toujours être la réussite académique de ces étudiants-athlètes, pourtant la réalité est plus complexe, et cette affirmation peut se traduire en un manque de soutien des besoins spécifiques à ces étudiants. Que se passe-t-il quand les désillusions et les déceptions impactent la confiance en soi de ces étudiants-athlètes? Le soutien de l’Université est déterminant pour leur santé mentale, eux qui jonglent entre de nombreux impératifs, et qui subissent de nombreuses pressions extérieures, en plus de celle qu’ils se mettent.

Les équipes sportives universitaires (Varsity en anglais) font partie intégrante de la culture universitaire en Amérique du Nord et contribuent activement au rayonnement et au prestige des institutions qui les accueillent. Pour les étudiants-athlètes, Varsity est une opportunité de pratiquer leur sport, de manière intensive, à un plus haut niveau. Néanmoins la charge mentale des étudiants-athlètes est significative, puisqu’ils combinent un entraînement sportif exigeant à un programme académique complet.

Il faut également considérer que les budgets alloués aux équipes universitaires canadiennes sont relativement bas comparés aux États-Unis. Le nombre de bourses disponibles est extrêmement limité et elles sont seulement assignées en fonction des performances sportives des étudiants-athlètes, qui doivent obtenir des lettres de recommandation pour pouvoir postuler. En plus de devoir maintenir leur niveau athlétique et académique, les étudiants reçoivent difficilement une compensation financière pour le temps consacré à la pratique sportive. Or, l’ampleur du temps consacré à leur sport les empêche d’exercer un emploi à temps partiel. Une préoccupation économique s’ajoute ainsi à la charge mentale de ces étudiants. Le guide du sport interuniversitaire de McGill précise : « La participation au sport interuniversitaire est un privilège et non un droit. » Pourtant, l’Université ne propose pas réellement les accompagnements nécessaires pour permettre aux étudiants-athlètes de jouir pleinement de ce « privilège ». Plusieurs étudiants-athlètes rencontrés par Le Délit nous ont témoigné des difficultés qu’ils ont pu rencontrer, et de la solitude à laquelle ils ont souvent dû faire face.

« Je séchais [mon cours] la plupart du temps, mais il y a eu quelques fois où j’étais obligé d’aller en cours et on m’a fait comprendre que c’était tant pis pour moi et que ça impacterait mon rôle dans l’équipe »

Jody*, ancien membre de l’équipe de basketball de McGill

Un emploi du temps qui donne le tournis

Dans le guide de Varsity Sports de l’Université McGill, aucune limitation du nombre d’heures de pratique sportive n’est précisé, et le document indique seulement que « les étudiants-athlètes de l’équipe universitaire sont tenus de participer pleinement à tous les entraînements et à toutes les compétitions exigées par l’entraîneur principal, à condition qu’il n’y ait pas de restrictions médicales ou académiques. (tdlr) » L’Université ne propose pas d’aménagement des cours pour les étudiants-athlètes, contrairement aux universités américaines. Les étudiants-athlètes doivent donc se débrouiller seuls pour concilier pratique sportive et études, et les entraîneurs peuvent parfois s’avérer plus ou moins compréhensifs.

Jesse*, membre de l’équipe féminine de hockey de McGill, nous explique que les professeurs ont souvent été très accommodants, mais elle avoue néanmoins devoir rater plusieurs cours par semaine pour sa pratique du hockey, et doit ainsi être très organisée. Bien que la plupart des étudiants-athlètes interrogés réussissent à jongler les cours et le sport à haut niveau, plusieurs nous ont confié s’être sentis tiraillés entre les impératifs scolaires et athlétiques, et insuffisamment soutenus. Jody*, un ancien étudiant-athlète membre de l’équipe de basketball pendant deux ans, nous explique que lors de sa première année, il avait un cours qui avait lieu en même temps que certaines heures d’entraînement. « Je séchais donc la plupart du temps, mais il y a eu quelques fois où j’étais obligé d’aller en cours et on m’a fait comprendre que c’était tant pis pour moi et que ça impacterait mon rôle dans l’équipe ». Cleo*, étudiante-athlète ayant récemment quitté l’équipe de basketball féminine pour plusieurs raisons, raconte à propos des cours : « Pendant ma première année, une assistante coach avait nos emplois du temps [ceux des nouveaux dans l’équipe, ndlr] avec nos examens et nos devoirs aussi, et toutes les semaines nous devions aller la voir pour lui dire où on en était dans notre travail. Ça m’a vraiment beaucoup aidée. La deuxième année, elle est partie et on était complètement livrées à nous-mêmes. La moyenne académique des membres de l’équipe n’était vraiment pas bonne. Une de mes amies a échoué dans une classe et a donc perdu sa bourse. » Malgré le postulat de l’Université, la réussite sportive reste primordiale pour les entraîneurs ainsi que pour les sportifs, et la vie des étudiants-athlètes s’organise autour des entraînements qui ont lieu presque tous les jours, durant toute l’année. La charge mentale de ces étudiants peut s’avérer compliquée à gérer lorsqu’ils ne sont pas suffisamment soutenus par leurs entraîneurs et par l’Université. Charlie*, membre de l’équipe de basketball de McGill, regrette que l’Université n’offre pas suffisamment de ressources pour les étudiants-athlètes. Il ajoute : « Nous sommes encouragés à parler de la santé mentale en général, à dire quand ça va, mais je ne pense pas que nous soyons suffisamment encouragés à tendre la main en cas de problème. » De plus, le calendrier des entraînements ne se limite pas au calendrier scolaire, et s’étend en réalité toute l’année. Les étudiants-athlètes doivent ainsi continuer d’être présents pendant la période de Noël et pendant l’été. Bien que les étudiants locaux interrogés n’aient pas relevé de problème à ce sujet, qu’en est-il des étudiants internationaux? Cleo, étudiante internationale, nous raconte que durant sa deuxième année dans l’équipe, après avoir passé l’été loin de sa famille, elle a voulu rater quatre jours d’entraînement pendant l’hiver. Les membres de l’équipe n’avaient qu’une semaine de vacances accordés, ce qui n’était pas suffisant pour que Cleo rentre chez elle. « Elle [l’entraineuse] a fait une intervention surprise devant l’équipe pour leur demander comment elle se sentait par rapport au fait qu’une membre de l’équipe rate des entraînements, et quelle devrait être sa punition. Comme j’en avais déjà parlé, tout le monde savait que c’était moi ». Cleo était la seule étudiante internationale à ce moment-là, et cet événement a contribué à son sentiment d’isolement.

Le rôle des entraîneurs

L’ensemble des entrevues a révélé qu’un important esprit d’équipe et une forte entraide règne au sein des différentes équipes Varsity. Paul*, membre de l’équipe de soccer de McGill, explique que l’ambiance dans l’équipe est très agréable, ce qui change de l’atmosphère compétitive qui régnait dans son club en France : « L’esprit de groupe prime sur le reste. Notre ancien capitaine poussait toujours les joueurs à s’améliorer, mais ne critiquait jamais juste pour critiquer. » Jules*, ancien joueur de l’équipe de basketball de McGill, nous raconte qu’un jour, leur entraîneur a fait des réflexions et a eu un comportement qui s’apparentaient, pour lui, à de la moquerie, et un autre joueur a pris sa défense. Il ne s’agit pas d’une action facile, car comme toutes les entrevues l’ont révélé, l’avis des entraîneurs est très important pour les étudiants-athlètes parce que ce sont eux qui déterminent le rôle des athlètes dans l’équipe.

« Nous sommes encouragés à parler de la santé mentale en général, à dire quand ça va, mais je ne pense pas que nous soyons suffisamment encouragés à tendre la main en cas de problème »

Charlie*, membre de l’équipe de basketball de McGill

Paul a reconnu avoir toujours entretenu une bonne relation avec ses entraîneurs de soccer, ce qui a sûrement contribué à sa réussite. Charlie, de son côté, raconte avoir passé beaucoup de temps à parler à ses entraîneurs pour tenter de comprendre et d’améliorer sa position dans l’équipe de basketball. « Je me suis senti soutenu par l’entraîneur principal. Je me mettais beaucoup de pression lorsque je lui parlais parce que, bien sûr, ces choses ont de l’importance. Comment vous interagissez avec lui contribue à ce qu’il pense de vous, et ce qu’il pense de vous se traduit par ce qu’il vous fait faire pendant les matchs ». Il raconte avoir passé beaucoup de temps à bâtir une relation avec ses entraîneurs, et que cela l’a aidé à se sentir plus à l’aise au sein de l’équipe et à s’améliorer. Jody, au contraire, a beaucoup souffert du manque de communication naturelle avec les entraîneurs. « En cinq mois, j’ai perdu un peu plus de dix kilos et personne ne l’a remarqué. En plus, il [l’entraîneur ndlr] ne restait jamais à la fin des entraînements, il partait tout de suite après et il n’engageait jamais la discussion avec les joueurs. On nous disait que si quelque chose n’allait pas, on pouvait aller voir les entraîneurs, mais quand j’ai tenté de leur en parler, on a nié l’angoisse que je pouvais ressentir ». Jules avoue également avoir eu l’impression que la priorité de l’entraîneur n’était pas suffisamment le bien-être des joueurs.

Les entrevues ont ainsi révélé que les interactions avec les entraîneurs peuvent être une source d’angoisse et de frustration, car elle s’avèrent déterminantes de leur rôle au sein de Varsity, et il n’est pas toujours évident d’engager une communication avec eux. Les étudiants-athlètes ne reçoivent pas toujours l’aide nécessaire pour faire face à la pression qu’ils subissent.

Rose Chedid | Le Délit

La loi du plus fort

La principale conséquence négative sur la santé mentale des étudiants-athlètes est liée à la pression constante de performer, afin de rester et d’évoluer dans l’équipe. Cette pression est exacerbée lorsque les étudiants-athlètes savent qu’ils ne sont pas encore indispensables à l’équipe, mais elle est globalement vécue par tous. Jesse nous explique que le hockey est mentalement épuisant. Pendant sa deuxième année dans l’équipe, étant donné que le programme académique qu’elle suit est très intensif, et qu’elle a joué pour de nombreux matchs, elle avoue avoir subi beaucoup de stress. À ceci s’ajoute l’obligation de maintenir un certain GPA pour s’assurer de garder sa bourse.

Aurore*, ancienne coureuse pour l’équipe d’athlétisme de McGill, confie que la pression constante de performer était le principal point négatif qui différencie l’expérience sportive à McGill de celle vécue en France. « Quand tu es dans une équipe universitaire, tu dois maintenir ta place dans l’équipe si tu ne veux pas être viré. Il y avait cette pression de toujours faire plus, de tout donner, de dépasser les limites de ton corps jusqu’à la blessure. C’est ce qui m’est arrivé. Après ça j’ai vécu un enfer. Le semestre qui a suivi, je ne pouvais plus rien faire, ma vie était réduite à aller voir le kiné et à rester chez moi, déprimée. Parce qu’en fait, le sport était tout pour moi. J’ai gardé contact avec certaines de mes anciennes camarades. Il y en a plein que je connais qui se sont blessées par la suite ». Elle ajoute : « Une fois, on avait une compétition un weekend. Normalement, avant les compétitions, les séances d’entraînement sont un peu plus légères pour ne pas trop se fatiguer. Au lieu de ça, l’entraîneur nous a donné une séance énorme avec beaucoup de kilomètres, quelque chose que je n’avais jamais fait. Ça me semblait clairement dangereux au vu de la compétition qui nous attendait ».

Jody nous raconte une expérience arrivée au début de sa deuxième année au sein de l’équipe : « Après un mois d’entraînement intensif et déterminant pendant le mois d’août, je me suis arraché un bout de ligament, donc je ne pouvais plus jouer au basket. Quand j’ai dû arrêter de jouer j’ai senti que le coach était énervé contre moi, et donc, je suis allé lui parler. Il m’a expliqué qu’il ne croyait pas au fait que j’étais réellement blessé, qu’il supposait plutôt que je n’étais pas assez motivé et que je ne voulais pas jouer. Pour lui prouver que j’avais encore envie de jouer et que je n’étais pas juste là pour m’amuser à être assis sur le côté pendant que les autres jouaient, il fallait que pendant tous les entraînements, je sois là et que je fasse des exercices de rééducation. Pendant tout l’entraînement, pendant deux heures, je ne devais pas m’asseoir, parce que si je m’asseyais, il aurait pensé que j’étais fainéant. » Les étudiants-athlètes subissent ainsi une pression indéniable de performer, parfois au détriment de leur santé mentale et physique.

« Il y avait cette pression de toujours faire plus, de tout donner, de dépasser les limites de ton corps jusqu’à la blessure. C’est ce qui m’est arrivé. Après ça, j’ai vécu un enfer »

Aurore*, ancienne coureuse pour l’équipe d’athlétisme de McGill

Un système d’aide à la santé mentale défectueux

Dans le cadre de Varsity spécifiquement, Jesse explique que lorsqu’elle était très stressée lors de sa deuxième année, elle a pu s’adresser à la coach mentale qui travaille avec les joueuses. Ces dernières peuvent s’adresser à elle de manière anonyme pour obtenir de l’aide. Elle a beaucoup aidé Jesse à s’organiser, et à trouver des astuces pour gérer son stress.

Cleo, quant à elle, a également tenté de s’adresser à la coach mental de l’équipe après l’épisode douloureux durant lequel son entraîneuse avait demandé à ses coéquipières d’exprimer publiquement leur ressenti face à sa décision de rater des jours d’entraînement pendant les vacances de Noël. « J’ai essayé de contacter la coach mental. Toutes les équipes en ont une. Je lui ai alors demandé ce qu’elle en pensait et je lui ai expliqué pourquoi cette situation m’avait autant fait souffrir pour le reste de la saison. Je n’ai pas trouvé qu’elle m’ait aidée à me sentir mieux, j’ai même presque eu l’impression qu’elle me disait que c’était moi le problème. »

Jody a décidé de quitter Varsity, car la pédagogie de l’entraîneur et le fonctionnement de l’institution avait des conséquences trop importantes sur sa santé mentale. Il raconte alors « Quand ça n’allait vraiment pas et que j’ai arrêté au milieu de l’année, d’abord provisoirement, on m’a dit qu’on allait mettre à ma disposition toutes les ressources nécessaires pour que j’aille mieux. En fait, ils m’ont simplement référé au Wellness Hub de McGill. C’est assez simple d’avoir un rendez-vous avec le Access Advisor qui va juste évaluer le problème et te rediriger. Après par contre, si tu veux avoir des rendez-vous avec des professionnels de la santé mentale à McGill, tout est surbooké ». Le Pôle bien-être étudiant de McGill [Wellness Hub], principale entité s’occupant des problèmes de santé mentale et autres problèmes médicaux des étudiants, est souvent décrit comme manquant cruellement d’organisation, de flexibilité et de disponibilités. La note de 1,8 étoiles sur 5 avec 129 commentaires sur Google Maps est révélatrice : le Pôle bien-être ne parvient pas à satisfaire le grand nombre de demandes des étudiants. Le principal problème ne semble pas être la qualité du service, avec des infirmiers et médecins compétents dans la plupart des cas, mais bien le manque de disponibilités. Certains élèves sont même allés jusqu’à faire la queue devant le bâtiment à 6h du matin afin de pouvoir être pris en charge. La capacité du pôle à recevoir des rendez-vous est variable et imprévisible. Certains étudiants rapportent avoir appelé à l’heure d’ouverture, soit 8h30 le matin, et ont attendu plusieurs dizaines de minutes avant d’apprendre qu’aucun créneau n’était disponible. Les étudiants qui rencontrent des problèmes de santé mentale impactant profondément leur parcours académique et athlétique ignorent souvent à qui s’adresser, et se retrouvent livrés à eux-mêmes. Ce problème est clairement exacerbé pour les étudiants internationaux, pour qui trouver des psychologues dans un pays qu’ils ne connaissent pas est bien plus compliqué.

Et finalement?

Les expériences des étudiants-athlètes au sein de Varsity à McGill divergent grandement, et offrent un portrait nuancé de la question de la santé mentale au sein des équipes sportives. Certains évoquent des situations qui ont eu des conséquences à long-terme sur leur santé mentale, d’autres sont parvenus à naviguer le système et à recevoir de l’aide pour faire face aux pressions multiples, et d’autres encore se sont toujours sentis accompagnés. Une des variables majeures qui semble affecter, positivement ou négativement, la majorité des expériences des étudiants, est leur relation avec les entraîneurs. Leur rôle dans l’équipe est également un facteur important. De plus, nos recherches ont montré que la mise à disposition de ressources pour accompagner la santé mentale des étudiants-athlètes est largement limitée, et qu’elle est placée entre les mains d’une poignée d’individus qui apportent une aide inégale aux étudiants. Charlie a beaucoup insisté sur la stigmatisation qui existe autour de l’aide à la santé mentale parmi les athlètes, et qui les pousse à ne pas toujours s’adresser à des professionnels, mais seulement aux membres de l’administration par exemple. Il regrette que l’Université ne facilite pas suffisamment l’accès à des services d’aide à la santé mentale spécialisés. Ceux qui ne reçoivent pas un accompagnement adapté au sein du programme Varsity se retrouvent alors livrés à eux-mêmes, ce qui peut impacter leur performance académique, leurs relations sociales et leur confiance en soi. Une perte de confiance dans le cadre du sport, qui est une passion centrale à la vie de nombreux étudiants-athlètes, peut avoir des conséquences néfastes et dangereuses à long terme sur leur santé mentale. Si faire partie d’une équipe Varsity est un « privilège et non un droit », alors l’Université se doit de faire en sorte que l’expérience soit vécue ainsi, par tous les athlètes. Bénéficier d’un privilège ne devrait pas les priver de leurs droits.

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L’extrême droite s’impose en Europe https://www.delitfrancais.com/2024/02/14/lextreme-droite-simpose-en-europe/ Wed, 14 Feb 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=54652 Comment le populisme entretient des relations ambiguës avec l’Europe

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Les 6 et 9 juin prochains se dérouleront les futures élections de l’Union Européenne. Elles se font au suffrage universel direct et ont lieu tous les cinq ans. À l’issue de ces élections, 720 députés seront nommés dans les vingt-sept pays membres pour prendre des décisions et voter les textes au parlement européen. Mais parallèlement à l’approche de ces élections, une tendance politique s’impose de plus en plus et prend de la place dans les médias : la montée en puissance de l’extrême droite en Europe. Entre la victoire électorale italienne en 2022 de Georgia Meloni du parti politique post-fasciste ou, plus récemment, la montée en puissance de l’Alternative pour l’Allemagne (AfD), parti d’extrême droite, l’Europe fait face à la montée d’un mouvement nationaliste qui influencera certainement les résultats des élections européennes. Tandis que le paysage politique se transforme en Europe, des questions se posent : d’où vient cette popularité de l’extrême droite en Europe et comment s’est elle imposée au fil des décennies?

Les extrêmes droites en Europe

Officiellement, deux pays de l’Union Européenne sont gouvernés par l’extrême droite : l’Italie et la Hongrie. La Finlande et la Slovaquie ont chacun un gouvernement composé de membres aux idéologies nationalistes proches de l’extrême droite, et la Suède reçoit le soutien idéologique du parti populiste. Néanmoins, comprendre quels sont les pays gouvernés ou influencés par l’extrême droite se révèle être plus complexe. Certains gouvernements de la droite classique décident de faire une coalition avec l’extrême droite, comme l’Autriche avec l’association entre le Parti de la liberté (ÖFP) et le Parti populaire (ÖVP). Aux Pays-Bas, une collaboration est en cours entre l’extrême droite de Geert Wilders (PVV) qui a remporté les législatives du pays et le président du Parti populaire pour la liberté et la démocratie (VVD) de Mark Rutte. D’autres pays comme la France voient la droite centriste au pouvoir prendre des décisions propres aux idées politiques de l’extrême droite. L’académicienne et spécialiste des politiques européennes et migratoires à McGill, Terri E. Givens, explique que ce rapprochement entre la droite classique et l’extrême droite n’est pas un phénomène récent : dès les années 2000, l’ancien président de la république française Nicolas Sarkozy adoptait déjà des discours d’extrême droite et « ce phénomène s’expliquait par le fait que Nicolas Sarkozy redoutait la popularité croissante de l’extrême droite en vu des futures élections présidentielles (tdlr) ». Plus récemment, le président français Emmanuel Macron et son projet de loi sur l’immigration confirmait une influence claire de l’extrême droite. Ces idées nationalistes deviennent un outil politique pour le gouvernement en place afin de rester au pouvoir tout en empêchant le parti extrémiste de gagner du terrain. Mais selon professeure Givens, il ne s’agit pas d’un phénomène propre à l’Europe : Bill Clinton, ancien président des États-Unis, adoptait cette même tactique politique en limitant aux migrants l’accès aux allocations. Or, cette approche peut se révéler contradictoire : l’académicienne de McGill explique que si un gouvernement centriste met en place des politiques extrémistes pour garder ses électeurs, cela ne garantit pas que ces derniers soutiendront le gouvernement. En effet, si le ministère actuel suggère des propositions de lois extrémistes, pourquoi ne pas directement voter pour le parti qui affirmait depuis le début ces idéologies?

« Afin de mobiliser tout un groupe de manière homogène, l’extrême droite utilise la crise migratoire afin d’instrumentaliser la peur de la population. Le migrant devient alors le bouc émissaire qu’il faut expulser pour retrouver contrôle et prospérité dans le pays »

L’importance du discours

Selon Michael Minkenberg, professeur de science politique à l’université européenne de Viadrina, les partis populistes de chaque pays partagent un socle idéologique commun basé sur le nationalisme et le désir utopique d’une société homogène. En parallèle, les pays européens connaissent simultanément les crises économiques, migratoires et sociales que chacun cherche à contrôler en fonction de sa politique nationale. L’accumulation de ces crises est propice à l’inquiétude partagée par la population qui se sent alors ignorée par le gouvernement en place. Les différences de salaire entre le travailleur et le PDG, et l’émergence et croissance d’une classe sociale ultra-riche creuse le fossé des inégalités sociales et contribue à la frustration de la population. Entre l’inflation et le déclin du secteur industriel, le chômage accroît et la peur s’installe. Si le gouvernement n’écoute pas les demandes du peuple, il apparaîtra déconnecté de la réalité et la population cherchera confort autre part. C’est dans ce contexte que l’extrême droite gagne en crédibilité. Elle s’impose comme la solution à ces crises à travers des discours populistes et elle crée un lien entre crise économique et migration. Ces discours sont pleins de promesses et de solutions faciles face à des difficultés économiques et sociales. Le mot d’ordre des extrémistes est le « contrôle », que le gouvernement est incapable de mettre en place face aux écarts de salaires et la crise migratoire. La population est alors prête à accepter ces discours souvent discriminants qui promettent un renouveau économique, car les électeurs sont désespérés par la crise qui pèse sur leur quotidien. Si nous prenons l’exemple des Pays-Bas, ces derniers ont connu en juillet 2023 un taux d’inflation de 5,3% selon un sondage mené par Eurostat. Dans son discours après sa victoire aux élections législatives de novembre 2023, Geert Wilders promet que « les gens auront de nouveau de l’argent dans leur porte monnaie » en combattant « le tsunami de l’asile et de l’immigration ». Le message est clair : le migrant est la cible première pour combattre les inégalités sociales.

Une politique basée sur l’exclusion

L’extrême droite cherche souvent cherche aussi à exclure l’Union Européenne à travers ses politiques. Par exemple, le candidat français du Rassemblement National (RN) aux européennes Jordan Bardella décrivait l’agence européenne de garde-frontières Frontex comme « une hôtesse d’accueil pour migrants ». En effet, les partis nationalistes refusent de déléguer leur souveraineté à l’Union Européenne en termes de frontières. Les pays extrémistes ont une seule priorité : remettre la souveraineté nationale au premier plan. Cependant, afin de mobiliser tout un groupe de manière homogène, l’extrême droite utilise la crise migratoire afin d’instrumentaliser la peur de la population. Le migrant devient alors le bouc émissaire qu’il faut expulser pour retrouver contrôle et prospérité dans le pays. « Tout le monde est pour le contrôle de l’immigration, que ce soit la gauche ou la droite précise professeur Givens, cependant, il y a une différence avec la gauche qui cherchera a être pro-intégration et contre la discrimination ».

Clément Veysset | Le Délit

D’où vient cette « logique » discriminatoire?

Le fait de percevoir la crise migratoire comme la cause de la crise économique n’est pas un phénomène récent, et encore moins le fait d’exclure une minorité pour affirmer un nationalisme. Dans le livre La Politique du Voile, Joan Scott explique la manière dont la défaite coloniale de la France en Algérie en 1962 a contribué aux politiques racistes envers la communauté musulmane immigrant en France les décennies suivantes. La création du parti Front National en 1972 fait écho à cette problématique mais s’inscrit aussi dans la récession économique de cette époque. En 1978, le parti adopte le slogan « Trois millions de chômeurs, ce sont trois millions d’immigrés de trop! – La France et les Français d’abord! », faisant un lien direct entre crise économique et migratoire. Par la suite, la crise migratoire de 2015 accentue l’hostilité envers les migrants et certains pays comme l’Allemagne, pourtant en capacité d’accueillir, se voient rejeter les demandes d’asile car aucun des autres pays de l’Union Européenne n’accepte de coopérer. Ce manque de solidarité entre pays va renforcer le sentiment nationaliste et eurosceptique, car il donne raison à l’extrême droite en termes « d’ingérence » de la part de l’Union Européenne.

Les responsables de la montée populiste

Selon professeure Givens, « Il s’agit de la faute de tout le monde », surtout les gouvernements actuels qui n’accordent pas assez d’importance aux inquiétudes sociales et économiques de la population. L’Union Européenne peut aussi être pointée du doigt : en 2015, l’Italie, mais aussi la Grèce, sont les pays qui ont accueilli le plus de migrants car géographiquement situés sur des points stratégiques entre l’île de Lampedusa et l’île de Lesvos respectivement. Selon les données de Frontex, l’Italie a accueilli 157 220 migrants de janvier à novembre 2015 et selon l’Agence des Nation Unies pour les réfugiés (HCR), la Grèce en a accueilli 50 000 au cours du mois de juillet seulement. Pourtant, les autres pays membres de l’Union fermaient leurs frontières au même moment, laissant la Grèce et l’Italie isolées durant cette crise. Cela laisse alors la place au développement de l’euroscepticisme et l’extrême droite gagne en crédibilité en pleine crise.

« L’Union Européenne est lâche, beaucoup d’académiciens, moi comprise, sommes frustrés face à la manière dont l’Europe reste passive quant aux transgressions récurrentes de la Hongrie »

Terri E. Givens, professeure de science politique spécialiste de l’immigration

L’extrême droite dans l’Union Européenne

L’extrême droite apparaît comme hétérogène et s’affiche sous différents groupes politiques de l’Union. Par exemple, le parti post-fasciste d’Italie et le parti extrémiste polonais PiS sont membres du groupe Conservateurs et Réformistes Européens (CRE) avec les élus du parti Finlandais tandis que le RN en France se retrouve sous la même branche politique que les euro députés néerlandais au sein du groupe Identité et Démocratie (ID). Le Parti Populaire (PPE) est majoritaire au parlement européen avec 177 euro députés des 27 pays membres et est composé de partis de la droite centriste comme de la droite extrémiste. Par exemple, le président de la Hongrie illibérale Viktor Órban en faisait partie jusqu’en 2021. La Hongrie est la représentation même de la contradiction européenne entre les institutions libérales et le régime autoritaire illibéral hongrois ; les Reporters sans Frontières sont alarmés face à la manière dont la liberté d’expression se dégrade dans ce pays. « L’Union Européenne est lâche », confie Givens, « beaucoup d’académiciens, moi comprise, sommes frustrés face à la manière dont l’Europe reste passive quant aux transgressions récurrentes de la Hongrie ». En effet, malgré quelques sanctions de la part de la commission européenne, les vétos constants posés par le régime autoritaire contre les aides en Ukraine posent problème et empêchent l’Union Européenne d’agir. Toutefois, ce manque de pénalités est justifié par la peur partagée de voir la Hongrie partir de l’Union pour se retrouver sous influence russe selon professeure Givens. Parallèlement, la Commission européenne doit aussi faire face à la montée en puissance de partis pro-russes d’extrême droite en Autriche avec le FPÖ et en Slovaquie avec le parti Smer au pouvoir.

De plus, l’extrême droite empêche le parlement européen d’adopter certains textes en imposant sa politique climatosceptique : l’Union Européenne recule sur la question environnementale, notamment avec le rejet du texte sur l’arrêt de l’usage des pesticides. Patrick Martin-Genier, politologue spécialiste dans la politique en Europe, parle d’un « arrêt de la construction européenne » impacté par l’hétérogénéité des groupes politiques et des penchants extrémistes. Cette appellation est justifiée par le fait que le dernier traité à être entré en vigueur au sein de l’Union est le traité de Lisbonne, en 2009. Cependant, professeure Givens perçoit de manière positive le mélange hétérogène des partis au sein des groupes politiques: « c’est aussi une bonne nouvelle car cela permet de faire des compromis et de trouver des accords avec d’autres partis qui ne sont pas extrémistes ». Elle souligne que la droite centriste peut influencer l’extrême droite sur des décisions moins radicales mais souvent, c’est la droite classique qui se laisse influencer par les nationalistes au sein de ces groupes.

« La droite centriste peut influencer l’extrême droite sur des décisions moins radicales mais souvent, c’est la droite classique qui se laisse influencer par les nationalistes au sein de ces groupes »

La « vague » européenne d’extrême droite

Pour professeure Givens, plutôt que d’appeler le phénomène actuel une « vague », nous ferions mieux de parler de « hauts et bas ». Finalement, certains pays anciennement extrémistes connaissent actuellement une politique plus centriste. En Pologne, le parti d’extrême droite du PiS, au pouvoir depuis 2015 fait face à une opposition majoritaire pro-centriste. Au Danemark, le nouveau gouvernement de Mette Frederiksen est partagé entre libéraux et sociaux-démocrates alors que l’extrême droite était longtemps en position de force. Pour ce qui concerne les actuelles craintes d’une montée du parti de l’AfD en Allemagne, les médias parlent de plus en plus d’une opposition de la part des citoyens allemands qui protestent contre les politiques extrémistes du parti. Ces échecs nationalistes peuvent se justifier par le fait qu’au pouvoir, les partis d’extrême droite ne répondent pas aux promesses formées dans leurs discours et les problèmes économiques ne sont pas réglés. En Italie par exemple, l’une des premières mesures de Giorgia Meloni était la suppression du revenu sur la citoyenneté, l’équivalent de l’aide sociale, pour une partie de la population. Cela illustre le fait que ces partis ne proposent finalement pas une politique sociale et la population finit par s’en rendre compte. Certains diront aussi que la montée de l‘extrême droite n’est pas significative et qu’il s’agit seulement d’un vote contestataire contre le gouvernement actuel. Cependant, le sociologue Wilhelm Heitmeyer souligne que cet argument n’est plus valable puisque d’année en année, les partis nationalistes gagnent un électorat de plus en plus fidèle et croissant.

Les prochaines élections européennes

Cet article a aussi pour but de comprendre l’enjeu existant à l’approche des élections européennes. Professeure Givens explique que « l’extrême droite va certainement s’imposer aux européennes, surtout parce que les voteurs ne portent pas assez d’attention aux élections parlementaires et ne sont pas renseignés sur son mode de fonctionnement ». Ce phénomène peut s’expliquer par le fait que les élections européennes ne seront jamais autant médiatisées que des élections présidentielles par exemple. Pourtant, elles sont toutes aussi importantes et les résultats des prochaines élections changera forcément les tendances politiques d’une manière ou d’une autre. Mettre en lumière l’enjeu de ces élections est alors primordial tant à l’échelle européenne qu’internationale, dans un contexte complexe de tensions et de guerres.

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Être Noir·e à McGill https://www.delitfrancais.com/2024/02/07/etre-noir%c2%b7e-a-mcgill/ Wed, 07 Feb 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=54546 Professeur·e·s et étudiant·e·s s’entendent qu’il faut faire plus

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L’expérience académique pour les étudiant·e·s noir·e·s de McGill s’avère être sensiblement différente de celle du reste des élèves. Pour en apprendre plus sur le bien-être de la communauté noire au sein de l’environnement étudiant mcgillois, Le Délit s’est entretenu avec Reggie, Kendra-Ann et Sophie, qui étudient respectivement en science politique, développement international et Med‑P (année préparatoire pour le programme de médecine). Le Délit a aussi eu la chance de discuter avec deux professeurs noirs au sein de l’Université : Khaled Medani, professeur en science politique, et N. Keita Christophe, professeur au sein du département de psychologie. Les prochaines sections ont pour objectif d’offrir un portrait général des expériences vécues par les étudiant·e·s et professeur·e·s noir·e·s à McGill, en identifiant les défis récurrents auxquels ceux·celles-ci ont pu faire face dans le milieu académique.

« En tant qu’élève, il faut vraiment que tu recherches les professeurs noirs, que tu essaies de les trouver. C’est ce que j’ai fait. Je n’ai pas eu de professeur noir dans mes cours. Pour les rencontrer, il faut aller à des événements »


Kendra-Ann, étudiante en développement international

Ressentis sur la sous-représentation

Malgré leurs différents programmes, les trois étudiantes se sont toutes accordées sur la sous-représentation évidente, ou du moins le sentiment de sous-représentation dans leurs classes et sur le campus en général. Reggie explique avoir l’impression « qu’en science politique il n’y a pas beaucoup de personnes noires dans les cours. La majorité des gens sont blancs ». De son côté, Kendra-Ann raconte son ressenti durant ses premières semaines à McGill : « Je ne rencontrais pas beaucoup de personnes noires, j’en trouvais peu dans mes cours. J’ai pris un cours de macroéconomie, et je dirais qu’on était environ cinq élèves noirs dans le cours, alors qu’il comptait plus d’une centaine d’étudiants au total. Je pense que la sous-représentation est claire. J’ai l’impression que spécifiquement, il n’y a pas assez d’hommes noirs. Je vois pas mal de femmes noires, mais pas assez d’hommes noirs, je ne sais pas pourquoi c’est le cas. » Dans son programme Med‑P, une classe préparatoire destinée à intégrer les prestigieux programmes de médecine de McGill, Sophie complète le tableau : « J’ai ressenti une certaine isolation parce qu’on n’est vraiment pas beaucoup de personnes noires comparé au reste de la classe. On est peut-être quatre ou cinq sur une centaine d’étudiants. De ce côté-là, j’ai quand même eu un choc. Par exemple, on avait eu notre journée d’orientation en août avant de commencer l’école. On était assis dans la salle, j’ai vu qu’on était très peu, et j’ai eu un peu peur parce que je me suis dit : « quand je vais étudier à McGill, ça sera comment? »

Cependant, Sophie a confié avoir constaté un certain progrès dans la représentation des Noir·e·s dans son programme, notamment grâce à une initiative de l’administration : « Ça s’est amélioré au fil des années parce qu’ils ont mis en place le Black Candidate Pathway. Les étudiant·e·s noir·e·s peuvent passer par ce processus qui facilite leur entrée. Ça encourage beaucoup les élèves noirs à appliquer dans ce programme-là. De ce qu’on m’a dit les autres années, il y avait beaucoup moins d’étudiant·e·s noir·e·s que maintenant. » Cependant, les initiatives de ce genre restent limitées, notamment selon le domaine d’étude. Le Black Student Pathway reste limité à la faculté de médecine, et sur le site on comprend rapidement que le processus vise directement à pallier les différences au niveau du nombre de personnes provenant de populations sous-représentées strictement en médecine.

Pour ce qui est des professeur·e·s interrogé·e·s, il semblerait que ceux·celles-ci perçoivent la communauté étudiante d’un œil différent que les étudiantes rencontrées. Le professeur N. Keita Christophe nous confie : « Je constate facilement en me promenant sur le campus et dans mes cours que McGill a un corps étudiant très diversifié. (tdlr) » Professeur Medani renchérit : « Je pense que la plupart reconnaîtraient fièrement que le corps étudiant de McGill est diversifié, et, qui plus est, que c’est l’un des aspects les plus admirables de la communauté du campus. » Cette discordance entre la perception des étudiant·e·s et des professeur·e·s de McGill peut être due aux différents domaines d’études, certains étant beaucoup plus diversifiés que d’autres, ou encore à une compréhension différente de ce qu’est la diversité : du côté des étudiant·e·s, l’enjeu est de trouver des personnes qui leur ressemblent en classe, alors que du côté des professeur·e·s, c’est de voir une salle de classe marquée par sa diversité. On peut notamment se référer à la faculté de droit de McGill, qui a une politique claire recommandant l’auto-identification des membres de la communauté noire lors du processus d’admission. Malgré sa reconnaissance de la diversité du corps estudiantin, le professeur N. Keita Christophe conclut en disant : « Il y a encore tellement plus à faire dans ce domaine. » Ainsi, bien que les professeur·e·s notent une certaine diversité culturelle sur le campus mcgillois, il reste encore du travail à faire du côté de l’administration pour véritablement permettre aux personnes noires de se sentir incluses.

« Le niveau actuel de représentation des personnes noires au sein du corps professoral mcgillois est encore relativement bas, mais il s’est certainement amélioré grâce à l’initiative Anti-Black Racism (ABR) de McGill »

Khaled Medani, professeur en science politique et études islamiques

Le professeur N. Keita Christophe a également soulevé sa préoccupation quant au projet d’augmentation des frais de scolarité pour les étudiant·e·s internationaux·ales, qui a le potentiel de limiter directement l’accès à l’éducation supérieure pour les personnes noires. Il affirme que ce projet met en danger l’inclusion des personnes noires à McGill : « Le gouvernment du Québec prévoit d’offrir des frais de scolarité provinciaux aux étudiants francophones venant exclusivement de la France, de la Belgique et de la Suisse, alors que ces tarifs réduits ne sont pas disponibles pour les étudiants provenant d’autres pays francophones. Je suis certain que ce n’est en rien une coïncidence : tous ces pays francophones dont les ressortissants n’ont pas accès à ces tarifs réduits sont majoritairement non blancs. Le français est la seule langue officielle dans 10 pays en Afrique, il est parmi les langues officielles dans de nombreux autres pays et est encore couramment utilisé dans les anciennes colonies françaises telles que le Maroc, la Tunisie et l’Algérie. Il est à noter qu’il y a une population haïtienne particulièrement importante à Montréal, ce qui peut rendre McGill attrayante pour les personnes en provenance d’Haïti (un autre pays francophone à majorité noire), mais cette réduction de frais ne s’appliquerait pas non plus à eux. Cela constitue une preuve flagrante de majoritairement non blancs. À mon avis, McGill, en tant qu’institution d’enseignement supérieur, a la responsabilité de dénoncer cela et de veiller à pallier à cette décision. »

Antoine Chedid

Représentation au sein du corps professoral

Les ressentis sur la sous-représentation des professeur·e·s noir·e·s semblent similaires, voire même plus inquiétants. Quand on lui demande si elle estime qu’il faudrait avoir plus de professeur·e·s noir·e·s à McGill, Kendra-Ann raconte : « En tant qu’élève, il faut vraiment que tu recherches les professeurs noirs, que tu essaies de les trouver. C’est ce que j’ai fait. Je n’ai pas eu de professeur noir dans mes cours. Pour les rencontrer, il faut aller à des événements, notamment ceux de Black Student Network (BSN). Sinon c’est très compliqué. Dans les cours obligatoires que je dois prendre, la plupart du temps, il n’y a pas de personnes de couleur, mais bien souvent des hommes blancs. » Sophie et Reggie confient avoir des impressions similaires.

Les professeur·e·s avec lesquels Le Délit s’est entretenu partagent aussi l’avis qu’il existe une disparité au niveau de l’embauche chez les professeur·e·s embauché·e·s par McGill. Professeur Medani relève que « Le niveau actuel de représentation des personnes noires au sein du corps professoral mcgillois est encore relativement bas, mais il s’est certainement amélioré grâce à l’initiative Anti-Black Racism (ABR) de McGill. Le fait que McGill ait mis en place ce projet suggère qu’il y a une reconnaissance étendue que l’Université doit encore atteindre des objectifs plus élevés en termes de recrutement et de rétention des membres du corps professoral noir ». L’initiative ABR est un programme valant 15 millions de dollars, qui s’étend de 2020 à 2025, qui cherche à s’attaquer à différentes préoccupations de la communauté noire de McGill, notamment de promouvoir le recrutement, la représentation, la rétention, le bien-être et le succès des employé·e·s noir·e·s à McGill. L’initiative a également pour but d’améliorer l’expérience étudiante pour les étudiant·e·s noir·e·s à McGill, de s’engager à examiner les liens institutionnels entre l’Université et la traite transatlantique des esclaves, de mettre en lumière les contributions de la communauté noire à McGill à travers son histoire, ainsi que d’établir des liens avec les communautés locales afin de mieux représenter la diversité montréalaise sur le campus, tout en créant un campus plus accueillant pour la communauté noire. Les entrevues menées par Le Délit ont permis de relever l’importance d’avoir un corps professoral plus inclusif, notamment en encourageant l’embauche de professeur·e·s noir·e·s. Selon professeur Medani, « c’est la diversité au sein du corps étudiant qui rend nécessaire le recrutement de davantage de professeurs noirs dans le cadre des politiques de diversification et d’inclusion. De nombreuses études ont montré un écart important entre la diversité du corps étudiant et celle du corps professoral au sein de multiples établissements d’enseignement en Amérique du Nord. C’est cet écart qui doit être comblé, non seulement pour des raisons de collégialité et de représentation, mais aussi parce que réduire cet écart engendre des avantages académiques, intellectuels et pédagogiques concrets pour tous les membres de la communauté universitaire ». Il ajoute que « l’environnement académique bénéficie de la diversification du corps professoral en termes de production de connaissances, de diversité pédagogique, d’élargissement du contenu du programme, et contribue à moderniser l’institution en harmonie avec un corps étudiant de plus en plus diversifié ». Le professeur N. Keita Christophe confie : « Du côté des étudiants, je pense qu’un énorme manque de professeurs noirs signifie implicitement aux étudiants noirs que les personnes qui leur ressemblent et viennent des mêmes endroits qu’eux ne sont pas les bienvenues dans les espaces académiques. »

Sentiment d’isolation et difficulté d’intégration

Cette impression de sous-re-présentation a un impact déterminant sur l’intégration des élèves noirs dans la communauté mcgilloise, et crée un sentiment d’isolation. Reggie, étudiante de première année, raconte : « C’est mon deuxième semestre, personne n’est venu me parler dans mes classes. J’ai moi-même seulement interagi avec d’autres étudiants noirs. Eux-mêmes m’ont dit la même chose. Ils m’ont expliqué que parfois, ils pouvaient se sentir inconfortables, que les gens vont rarement faire le premier pas pour devenir amis. Au final, ils sont souvent dans un coin en classe, écoutent leur cours et rentrent chez eux. Ce n’est pas vraiment le type de vie sociale auquel tu t’attends avoir à l’université. » Cette difficulté d’intégration semble toucher particulièrement les étudiant·e·s noir·e·s à McGill, et il peut en découler un véritable mal-être pendant les cours et sur le campus en général. Reggie continue : « Il y a une sorte de malaise dans ce que les gens attendent de toi. J’ai beaucoup de cours qui parlent de l’esclavage ou de la colonisation en Afrique. Plusieurs fois, les professeurs, quand ils en parlent ou posent des questions qui abordent ce sujet, ils vont te regarder toi, ou ils vont pointer vers toi pour répondre à la question. C’est comme si c’est toi qui devenait le professeur, celui qui doit éduquer la classe au complet sur le sujet, juste parce que ça parle de quelque chose qui entoure la communauté noire. Ils veulent que tu deviennes la personne qui va éduquer les gens, mais en réalité, tu n’as pas envie de faire ça. »

Par ailleurs, cette difficulté d’intégration semble impacter plus profondément les étudiant·e·s noir·e·s internationaux·ales. Interrogée sur les besoins des étudiant·e·s noir·e·s internationaux·ales en matière de santé mentale, Reggie exprime ses inquiétudes : « Je pense que c’est très important [la santé mentale, ndlr] surtout pour les élèves qui ne viennent pas d’ici. Personnellement, j’avais des amis noirs au cégep, puis au secondaire aussi. J’avais déjà cette communauté ou cet entourage, mais les étudiants qui viennent d’autres pays ou qui viennent d’autres provinces canadiennes, eux, ils n’ont souvent pas cette chance. Il y a alors un risque de dépression, ou un sentiment d’isolement. Ça serait bien d’avoir quelqu’un qui peut aider pour ça. »

McGill : une image à retravailler

Les étudiantes avec les quelles Le Délit a pu discuter se sont entendues sur la question de l’image particulière projetée par McGill. « Quand je suis arrivée ici, je me suis dit que je ne trouverais personne comme moi, que ça serait difficile de m’intégrer. Concordia et l’Université de Montréal, par exemple, sont connues pour avoir une assez grande communauté noire, et aussi africaine. Il y a beaucoup de choses qui se rattachent à l’image élitiste de McGill. Avant même de regarder les exigences de l’Université, les gens se disent que McGill c’est prestigieux et qu’ils ne pourront jamais y rentrer. C’est très décourageant, alors que c’est souvent très probable qu’ils soient acceptés », confie Sophie. De son côté, Reggie identifie ce point comme un problème majeur à régler pour McGill : « Je pense que McGill doit changer un peu son image pour avoir l’air plus attrayant pour la communauté noire. Je pense que d’autres universités comme Concordia n’ont pas ce genre de problèmes. Le prestige, c’est bien, mais il faut quand même aussi avoir l’air ouvert et accueillant pour toutes les communautés. Moi, j’ai été motivée à postuler parce que des étudiants noirs de McGill sont venus visiter mon cégep, et nous ont parlé de la sous-représentation noire à l’université. Alors, ça m’a motivée. S’ils continuent à faire ça, ça pourrait encourager d’autres étudiants également. »

« Je pense que McGill doit changer un peu son image pour avoir l’air plus attrayant pour la communauté noire. Je pense que d’autres universités comme Concordia n’ont pas ce genre de problèmes. Le prestige, c’est bien, mais il faut quand même aussi avoir l’air ouvert et accueillant pour toutes les communautés »

Reggie, étudiante en science politique

Le vécu des étudiant·e·s noir·e·s à McGill est marqué d’une sous-représentation sur le campus, suscitant des sentiments d’isolement et des défis d’intégration. Les étudiant·e·s comme les professeur·e·s soulignent un besoin clair pour une plus grande inclusion des personne·e·s noir·e·s parmi le corps professoral, affirmant que des mesures favorisant l’embauche et la rétention de professeur·e·s noir·e·s pourraient jouer un rôle considérable dans la création d’un espace plus accueillant et inclusif à McGill. En outre, le professeur N. Keita Christophe a noté sa préoccupation quant au manque de données sur la situation de la communauté noire à McGill : « L’une des plus grandes lacunes au niveau universitaire, qui, selon moi, perpétue les disparités existantes, est l’absence de collecte (ou du moins de publication) de données démographiques sur la race des étudiants. Je ne suis pas sûr s’il s’agit d’une politique de McGill, du Québec ou du Canada, mais de ce que je comprends, l’université n’est soit pas disposée à collecter, soit pas disposée à publier des données sur l’origine ethnique-raciale des étudiants. Des données sur la nationalité existent, mais bien sûr, la nationalité n’est pas synonyme d’origine raciale. » Nous aimerions faire écho à cette inquiétude, et souligner l’importance de mettre en avant ces chiffres, qui permettraient sans doute d’avoir une meilleure idée quant à la situation à McGill, mais surtout, quant aux défis qu’elle se doit de relever.

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L’appétit du profit https://www.delitfrancais.com/2024/01/24/lappetit-du-profit/ Wed, 24 Jan 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=54325 Comment l’industrie agroalimentaire nous rend-elle malade?

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Au cours de l’écriture de cet article, et souffrant d’un véritable manque d’inspiration, j’ai décidé de sortir de ma cave (comprenez mon bureau) et d’aller m’acheter un thé aux perles (bubble tea) dans une chaîne proche de chez moi. Dès la première gorgée, je me suis fait la réflexion que « quand même, c’est vachement sucré ». J’ai donc décidé d’aller me renseigner, et de trouver la quantité moyenne de sucre dans un thé aux perles de 500 ml, un format assez standard. Une étude réalisée à Singapour, commanditée par la chaîne de télévision CNA, révèle des faits plus qu’inquiétants : un thé aux perles typique, avec des perles, du sucre brun et du thé noir, contient jusqu’à 92,5 grammes de sucre, soit environ deux fois plus que dans une quantité équivalente de Coca-Cola. La limite fixée par l’Organisation Mondiale de la Santé pour les sucres ajoutés est 10% de l’apport calorique journalier, ce qui équivaut environ à 50 g par jour. Cette limite est déjà élevée selon d’autres organismes, et la dose recommandée (et non maximale) est seulement de 25 g de sucre. Ainsi, mon thé aux perles, que je ne pensais pas aussi sucré qu’un soda, explosait à lui tout seul les recommandations journalières de consommation de sucre. Pour vous donner une meilleure idée de ce que cela signifie, quatre grammes de sucre sont équivalents à une cuillère à thé. Dans ma boisson, il y avait donc presque 24 cuillères à thé de sucre, un chiffre absolument astronomique. À la maison, dans un thé vert de mi-journée, vous les mettez, vous, ces 24 cuillères?

Cette courte anecdote à laquelle bon nombre de lecteurs, je l’espère, auront pu s’identifier, représente parfaitement le but de cet article. Se rendre compte de la réelle nature de ce produit m’a poussé à me questionner plus profondément sur les non-dits de l’agroalimentaire. Le système de consommation moderne a tellement dénaturé notre façon de nous alimenter, à grands coups de processus industriels et d’expériences chimiques, que nos achats alimentaires ne satisfont plus un besoin, mais bien un désir. Au fond, la clé de tout ça c’est l’essor des supermarchés, soit d’une société consumériste à grande échelle.

« La multiplication des produits mis à notre disposition fait que l’on a beaucoup de choix, trop de choix. Nous n’avons pas besoin de tout ça pour nous nourrir. C’est de la nourriture conçue pour remplir un portefeuille, pas un estomac »

En quête de bon conseil, j’ai demandé à ma grand-mère, qui vit dans le Sud de la France, comment sa famille faisait les courses quand elle était adolescente, entre les années 50 et 60. Dans sa ville, il n’y avait qu’une petite épicerie, et quelques commerces spécialisés. Selon elle, la grande différence avec aujourd’hui, c’est la quantité de produits disponibles dans cette épicerie, ainsi que la diversité de produits. Des pâtes? Seulement une ou deux marques. Du fromage? Quelques variétés, souvent locales. Des yaourts? Que des petits suisses nature et du fromage blanc. Malgré le manque de choix en comparaison aux rayons bien remplis de nos supermarchés modernes, elle ne préfère pas ces derniers pour autant. Selon elle, « nous sommes en quelque sorte noyés sous la quantité. La multiplication des produits mis à notre disposition fait que l’on a beaucoup de choix, trop de choix. Nous n’avons pas besoin de tout ça pour nous nourrir. C’est de la nourriture conçue pour remplir un portefeuille, pas un estomac ».

La mentalité « toujours plus, toujours mieux » a‑t-elle donc été également appliquée à ce que nous mangeons? Il semble que non. Alors que la quantité de produits et leur diversité ne cessent de croître (on arrive quand même à nous vendre des croustilles goût « zombie »), la qualité des produits est en chute libre. Profitant de l’ignorance des consommateurs à ce sujet, de leur manque de temps disponible, et utilisant des techniques marketing visuelles toujours plus agressives pour stimuler la nostalgie ou l’idée de « qualité maison », les industriels de l’agroalimentaire ont réussi à bénéficier du système en place. Les aliments sont déconstruits, modelés, chauffés, surtraités, congelés et mélangés à un niveau extrême, si bien que pour de nombreux produits présents dans nos supermarchés, il est impossible de retrouver visuellement l’aliment de base dans le produit final. La prochaine fois que vous allez en magasin, faites le test vous-même, vous verrez que c’est surprenant.

Sucre et alimentation moderne : un goût de « reviens‑y »

L’histoire de l’agroalimentaire ne peut pas être séparée de celle du sucre. Les industriels le savent, et ce depuis bien longtemps : le sucre est une substance fortement addictive. Elle suit un modèle similaire à d’autres types de substances addictives. Dans un article de Healthline, des médecins reconnaissent que « le sucre peut être aussi addictif que la cocaïne (tdlr) ». Le processus est très simple : « la consommation de sucre libère de la dopamine dans notre corps. C’est le lien entre les sucres ajoutés et les comportements addictifs. » Un produit addictif, c’est un produit que les consommateurs achèteront encore et encore. Le problème, c’est que le sucre est largement responsable de l’augmentation des cas de surpoids, d’obésité, ou encore de diabète de type 2. Aujourd’hui, une alimentation plus saine pourrait prévenir une mort sur cinq à travers le monde, et le sucre y est évidemment pour quelque chose. Comme l’explique le docteur Anthony Fardet dans son livre Pourquoi tout compliquer? Bien manger est si simple : « le surpoids, puis l’obésité, le diabète de type 2 et la stéatose hépatique (maladie du foie gras non alcoolique) sont les portes d’entrée des maladies chroniques graves, souvent fatales, comme certains cancers, les maladies cardio-vasculaires, l’insuffisance rénale, la stéatohépatite non alcoolique, et la cirrhose. »

« La principale raison pour laquelle ces sucres sont massivement utilisés pour faire de la malbouffe est qu’ils ne coûtent pratiquement rien »

Christophe Brusset, La malbouffe contre-attaque

Malheureusement, la prévention a été insuffisante pendant de nombreuses années, au moment même où elle aurait été nécessaire pour éviter le développement d’habitudes alimentaires délétères. Encore une fois, l’industrie a ajouté son grain de sel, sans vouloir faire de mauvais jeu de mots. En guise d’exemple, un article publié dans le journal JAMA Internal Medicine en 2016 met en lumière le rôle de l’industrie du sucre dans le développement du paysage alimentaire mondial. Comme l’explique un article de Radio-Canada, qui relaie l’étude : « L’industrie du sucre est tombée dans le marketing au début des années 60, au moment même où la communauté scientifique s’interrogeait sur la responsabilité du sucre et du gras dans les maladies cardiovasculaires. En 1964, elle a payé trois scientifiques de l’Université Harvard 6 500 $ chacun – ce qui correspondrait aujourd’hui à 50 000 $ – pour publier des travaux de recherche blâmant les problèmes cardiovasculaires uniquement sur le gras. » L’impact de cette véritable corruption agroalimentaire fut significatif : « La publication a influencé pendant des décennies la communauté scientifique, qui s’est concentrée sur le cholestérol et les gras saturés dans sa lutte contre l’obésité » et, par conséquent, a laissé de côté le sucre. Comme le raconte Christophe Brusset dans son livre La malbouffe contre-attaque, c’est évidemment le côté addictif qui pousse les industriels à utiliser massivement le sucre, mais également le côté financier : « la principale raison pour laquelle ces sucres sont massivement utilisés pour faire de la malbouffe est qu’ils ne coûtent pratiquement rien. Le sucre de table, le saccharose, est côté à la Bourse de Londres et son prix évolue généralement entre 30 et 50 centimes d’euro le kilo [entre 45 et 75 sous en dollars canadiens, ndlr]. Le glucose est habituellement encore moins cher. »

Additifs alimentaires : une liste bien (trop) longue

Quand le sucre a commencé à réellement être considéré comme un problème, les industriels de l’agroalimentaire ont sauté sur l’occasion. En effet, au lieu de réduire la quantité de sucre dans leurs produits, ou d’essayer de changer les recettes, ils ont découvert l’important filon marketing du « light » ou du « diet ». Ce marché est surtout important pour les boissons sucrées type soda, mais également dans d’autres produits, comme les gommes à mâcher sans sucre, les sirops ou les pâtisseries industrielles. C’est un raisonnement logique pour un industriel, un raisonnement qui conserve les profits du marché du sucre, tout en ouvrant un nouveau marché du sans sucre. La simulation du goût sucré, qui est réalisée grâce à des édulcorants de synthèse dont les plus connus sont sans doute l’aspartame et l’acésulfame‑K, a donc connu un succès massif.

Ces édulcorants font néanmoins l’objet d’un vif débat. Alors que certaines études ont démontré un lien de causalité possible entre leur consommation régulière et le développement de diabètes ou de cancers, les preuves restent limitées et plus de recherches doivent être réalisées. Beaucoup d’études suggèrent que leur consommation pourrait générer des problèmes de santé, mais il n’y a bien souvent pas de certitude officielle reconnue par toute la communauté scientifique. Par exemple, certains colorants utilisés majoritairement en confiserie, comme la tartrazine, le « jaune orangé S » ou encore le « rouge allura AC » sont parfois suspectés de générer des réactions allergiques, ou encore de l’hyperactivité chez les enfants. Ces trois colorants font partie de la liste d’ingrédients des fameux bonbons Sour Patch Kids. Certains pays ont préféré prendre des mesures préventives et bannir ces colorants en se fiant aux doutes des scientifiques, sans attendre de preuves unanimes. Dans son livre Additifs Alimentaires : ce que cachent les étiquettes, Hélène Barbier du Vimont explique que le rouge allura AC « fait partie d’une réévaluation des additifs menée à Southampton en 2007–2008 », et qu’il est déjà « interdit au Danemark, en Belgique, en Allemagne, en Suisse, en Suède, en Autriche, en Norvège [et] autorisé sous certaines conditions en France ».

Aliments ultra-transformés : un fantôme dans l’assiette

Bien que beaucoup d’additifs ne soient pas réellement problématiques pour la santé, ils cachent quelque chose de bien plus profond : l’avènement des produits ultra-transformés dans nos assiettes depuis des décennies.

En réalité, cela convient bien à tout le monde. Prenons l’exemple des plats préparés : l’industriel peut augmenter sa marge de profit, car il a rendu un « service » en préparant le plat ; le distributeur peut proposer des produits très attirants pour les consommateurs ; et ces derniers font une précieuse économie de temps. Christophe Brusset inclut les aliments ultra-transformés dans son approche de la malbouffe, qu’il faut éviter à tout prix. Il explique : « Les chercheurs ont constaté que plus un aliment est transformé, moins il est sain. Les transformations successives détruisent la structure protectrice de l’aliment, ce que l’on appelle “la matrice”, et altèrent son équilibre nutritionnel. Fibres et nutriments sont éliminés ou dégradés, sucres et graisses sont concentrés, sel et additifs sont ajoutés, et certains toxiques sont générés. » Clara Butler, ingénieure diplômée de l’école de chimie de Toulouse, qui s’est renseignée pendant de nombreuses années sur les possibles origines des problèmes liés à la nutrition moderne et qui intervient occasionnellement en milieu scolaire en France afin d’y sensibiliser les enfants (et leurs parents par extension), explique lors d’un entretien avec Le Délit : « Lorsque vous allez faire vos courses au supermarché, prenez le temps de vous demander si vous auriez pu cuisiner ce produit vous-même, chez vous, en termes d’ingrédients et de transformation. Si la réponse est oui, c’est super, quelqu’un a cuisiné pour vous, profitez-en! Si la réponse est non ou « je ne sais pas trop », car la liste des ingrédients est très longue et contient des choses que vous ne comprenez pas, vaut mieux reposer le produit. »

« Regarder au dos de l’emballage d’un produit afin de voir sa liste d’ingrédients est un réflexe rare parmi les consommateurs […] Pourtant, cette liste est révélatrice des produits ultra-transformés »

Regarder au dos de l’emballage d’un produit afin de voir sa liste d’ingrédients est un réflexe rare parmi les consommateurs, car cela ne leur passe pas par la tête, ou qu’ils estiment cela tout simplement inutile. Pourtant, cette liste est révélatrice des produits ultra-transformés. Par exemple, si la liste contient un nombre anormalement élevé d’ingrédients, ainsi que certains que vous ne connaissez pas, posez-vous des questions. Croyez-moi, j’ai fait le test, et on peut rapidement se retrouver avec des réponses surprenantes. Je suis personnellement assez fan d’une certaine catégorie de biscuits français, qui ont une fine couche de chocolat renfermant de la marmelade d’orange, le tout déposé sur un biscuit moelleux. Dans sa liste d’ingrédients, on s’attendrait donc à y retrouver de la farine, du sucre, des oranges, du chocolat, et peut être un conservateur. Pourtant, on y trouve des substances suspectes comme la gomme xanthane, le sirop de glucose-fructose, le pyrophosphate acide de sodium, l’amidon de blé, la lécithine de soja, ou encore du noyau de mangue! Quand même étrange pour un simple biscuit à l’orange, non?

Même si ces additifs sont tous sans réel danger à petite dose, ces listes d’ingrédients à rallonge témoignent d’un traitement industriel ou chimique lourd. L’aliment a été déconstruit, puis reconstruit dans son entièreté. La précieuse « matrice » a été complètement détruite. Cette décomposition de la matrice a un fort impact sur la qualité nutritionnelle du produit final : les sucres deviennent « simples », et sont absorbés plus facilement par l’organisme, ce qui a des conséquences plus graves. Clara Butler ajoute que : « boire un jus d’orange et manger une orange, ce n’est pas du tout équivalent d’un point de vue nutritionnel. Lorsque vous mangez une orange, vous mangez toute la matrice du fruit, c’est-à-dire ses fibres, que votre estomac doit casser pour les assimiler. Alors que lorsque vous buvez un jus d’orange, pour lequel il a fallu presser quatre oranges en moyenne, celui-ci contient autant de sucre qu’un soda et est dépourvu de fibres et donc très facilement assimilable. Le jus a donc un fort impact sur votre glycémie [taux de sucre dans le sang, ndlr]» . Cette déconstruction alimentaire, et les « effets destructeurs » de ce processus sur le goût, l’apparence, la texture, doivent être compensés par des additifs, ce qui est le propre des aliments ultra-transformés, qu’il faudrait donc éviter de consommer, ou alors le faire très occasionnellement.

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Intégrer Montréal par les salles de spectacle https://www.delitfrancais.com/2024/01/17/integrer-montreal-par-les-salles-de-spectacle/ Wed, 17 Jan 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=54177 La musique peut-elle aider à promouvoir la culture montréalaise à McGill?

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Certains étudiants anglophones de McGill se sentent aliénés par l’environnement dans lequel se trouve l’Université, réticents à s’immerger dans la culture francophone montréalaise. Il deviendra impératif de réduire ce clivage culturel et linguistique à travers la musique, en vue de nombreuses politiques gouvernementales de francisation.

Obstacle à l’intégration de McGill

McGill semble exister dans son propre écosystème, communément appelé « the McGill bubble », ou « la bulle McGill ». Malgré son emplacement en plein centre de Montréal, l’Université est isolée du reste de la ville, et ses étudiants hors province et internationaux semblent rarement interagir avec les quartiers francophones. Cependant, des mesures imposées par le ministère de l’Éducation du Québec dès le semestre d’automne 2024 demanderont à 80% des étudiants de premier cycle d’acquérir un niveau intermédiaire de français avant la fin de leur scolarité. Le maintien de la division entre McGill et Montréal ne pourra pas persister face à la francisation prônée par ces mesures.

Pour mieux comprendre la source de cette séparation, je me suis entretenue avec Molly Spisak et Ady Jackson, deux étudiantes anglophones à McGill. Molly, d’origine américaine, et Ady, venant de la Saskatchewan, étudient à McGill depuis deux ans, mais ne maintiennent qu’un niveau débutant en français. Selon elles, la langue française, un outil essentiel pour aborder une grande partie de la culture québécoise, reste inaccessible à beaucoup d’étudiants. Bien que McGill offre des cours de français intensifs et d’histoire québécoise, « ceux-ci sont exigeants, et souvent incompatibles avec d’autres programmes (tdlr) », explique Molly qui est aussi sur une liste d’attente gouvernementale pour des cours de français depuis mai 2023.

Pourtant, l’accès aux cours de français n’est pas le seul enjeu. En effet, Ady et Molly identifient le manque de compassion pour la courbe d’apprentissage du français chez certains Québécois. Molly explique avoir rencontré une dame dans un magasin : « Elle s’est mise à me parler français, et du mieux que j’ai pu, j’ai essayé de lui expliquer que je ne parlais pas français, mais que j’essayais d’apprendre. Elle a roulé ses yeux et a marmonné quelque chose que je n’ai pas compris. » Ady a vécu des expériences similaires, qui font qu’elle hésite à s’intégrer dans la culture francophone de Montréal. « Je suis réticente à faire l’effort de parler français, je ne sais jamais si je vais me faire insulter si j’essaie. C’est décourageant », explique-t-elle.

« C’est vraiment une belle communauté qui se forme autour d’un amour de la musique. Que les artistes parlent français ou anglais, ce qui émerge est propre à Montréal »

Lysandre Ménard, autrice-compositrice-interprète québécoise

La musique québécoise : un pont culturel et linguistique

Le problème d’intégration des anglophones à Montréal, décidément complexe, aurait peut-être une solution simple : la musique. Je m’entretiens donc avec Lysandre Ménard, autrice-compositrice-interprète québécoise basée à Montréal, pour comprendre ce qui distingue la culture musicale montréalaise, et ce qui pourrait faire d’elle une bonne porte d’entrée à la langue française.

Lysandre affirme qu’« il y a beaucoup d’artistes francophones émergents à Montréal, qui font de la musique pour l’amour de cette dernière. Ils écrivent en français parce que c’est leur langue maternelle, c’est pour ça que moi je le fais. Mais au fond, ils ont tous la musique à cœur ». Ayant une perspective unique sur le sujet grâce à son expérience dans l’industrie de la musique, elle décrit d’un autre point de vue l’inclusivité de la scène musicale montréalaise. Elle-même joue dans des groupes francophones et anglophones à Montréal, et explique que ces différences linguistiques n’empêchent pas la synergie entre les musiciens. « C’est vraiment une belle communauté qui se forme autour d’un amour de la musique. Que les artistes parlent français ou anglais, ce qui émerge est propre à Montréal », remarque-t-elle.

Cet esprit universel qui imprègne la musique montréalaise fait d’elle un pont parfait pour l’intégration culturelle, et par extension linguistique, des étudiants anglophones de McGill. Ce que Lysandre observe dans les coulisses ferait des salles de spectacles et des bars de Montréal l’endroit idéal pour les étudiants anglophones cherchant à tremper le petit orteil dans la culture québécoise, sans se sentir trop dépaysés. En effet, la musique sert de médium interculturel, par lequel n’importe qui peut saisir les valeurs, l’histoire, les imperfections, et la beauté de la société hôte. Cette diversité est mise en évidence dans les styles musicaux et les paroles d’artistes québécois comme Jérôme 50. Dans une entrevue avec Radio-Canada, il décrit l’identité linguistique québécoise, notant « une ouverture vis-à-vis de la question linguistique identitaire ». « Les locuteurs et locutrices au Québec sont fiers d’emprunter au créole haïtien, à l’arabe, à l’argot français, au verlan, au slang américain », explique-t-il. Une étude ethnolinguistique réalisée par deux professeures de l’Université Laval démontre que l’inclusivité du milieu musical de Montréal dont parlent Lysandre et Jérôme facilite l’intégration de nouveaux arrivants. Elle leur permet d’affirmer leur propre identité, tout en en apprenant plus sur la ville hôte.

McGill, responsable de l’intégration de ses étudiants

Est-il possible de promouvoir l’intégration à travers la musique? Les étudiants anglophones de McGill ne peuvent contribuer à la diversité de Montréal, si celle-ci n’est pas mise en valeur sur le campus. Lysandre, ayant elle-même brièvement étudié à McGill, remarque que combattre « l’autosuffisance du campus » dans un écosystème anglophone nécessite l’encouragement de l’administration de McGill. Elle affirme qu’ « il faudrait impliquer un corps étudiant, un comité de la vie sociale qui puisse coordonner les activités en français, pour faire le pont entre les communautés anglophones et francophones. C’est un effort que McGill ne fait pas nécessairement, et je l’avais remarqué quand j’étudiais là ». Elle admet également qu’il « faudrait qu’il y ait un minimum d’invitation de la part des francophones, parce que c’est épeurant d’arriver dans une nouvelle université, et dans une ville majoritairement francophone ».

Lysandre n’est pas la seule à identifier l’administration de McGill comme acteur principal dans l’intégration des étudiants anglophones dans un Montréal francophone, par la musique. Ady note que « le Québec a beaucoup à offrir, mais je ne pense pas que tous les étudiants en profitent pleinement ». Il est donc important de donner la possibilité aux étudiants de McGill de s’intégrer. « Ceci est la responsabilité de l’étudiant, du gouvernement, mais aussi de l’Université », affirme Molly. Ady, qui va souvent au bar étudiant Gerts, ajoute ne jamais avoir entendu une seule personne parler français dans l’établissement. « Peut-être que si l’Université et la société étudiante de McGill faisaient un plus gros effort pour que la culture québécoise franchisse le seuil des portes Roddick, ce serait plus facile », remarque-t-elle. « C’est une question d’habitude. Les étudiants hors province sont déjà dépaysés, il serait plus productif de faire venir la culture québécoise sur le campus, où ils sont à l’aise » continue-t-elle.

Découvrir la musique québécoise dans les deux langues, dans un contexte familier, faciliterait donc la transition vers une plus grande appréciation du Québec francophone chez les anglophones de McGill. Ceci, comme le fait remarquer Lysandre, est une simple question de publiciser les événements et concerts francophones sur le campus en anglais. Sur ce, elle suggère aux lecteurs du Délit, et aux étudiants de McGill de s’informer du « Taverne Tour », qui se déroule notamment au Quai des Brumes et à l’Escogriffe entre le 8 et le 10 février, et qui présente une grande variété d’artistes. Un plan parfait pour celui ou celle cherchant à en apprendre un peu plus sur le Québec.

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