Archives des Télévision - Le Délit https://www.delitfrancais.com/category/artsculture/television/ Le seul journal francophone de l'Université McGill Wed, 11 Sep 2024 01:14:42 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.8.2 Nouvelle saison, mêmes enjeux : la représentativité culturelle à Occupation Double https://www.delitfrancais.com/2024/09/11/nouvelle-saison-memes-enjeux-la-representativite-culturelle-a-occupation-double/ Wed, 11 Sep 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55725 Des ex-participantes de la téléréalité dévoilent l’envers du décor.

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La nouvelle saison d’Occupation Double (OD) a débuté ce dimanche, dévoilant son tapis rouge emblématique sous la douceur d’une soirée mexicaine. Cependant, ce moment n’est pas seulement marqué par la fébrilité des rencontres et des premiers rapprochements, mais par un enjeu récurrent : la diversité culturelle dans le casting.

À la suite du dévoilement de la distribution d’OD Mexique au mois d’août dernier, les réseaux sociaux se sont enflammés, notamment Tiktok, où les discussions autour de la représentation des minorités visibles sont montées en flèches. Jugée homogène et non représentative de la diversité culturelle du Québec, la sélection des candidats a essuyé de nombreuses critiques — mais ce n’est pas la première fois que l’émission est confrontée à de telles reproches.

« Comment Occupation Double peut-elle évoluer pour véritablement refléter la société québécoise dans toute sa pluralité? »

Pour ceux qui ne seraient pas des adeptes de cette émission, Occupation Double, lancée en 2003 et aujourd’hui diffusée sur la chaîne Noovo, est une télé-réalité québécoise où des célibataires se côtoient durant 10 semaines dans une destination paradisiaque, au fil desquelles ils doivent former des couples et multiplier les stratégies pour éviter l’élimination. Depuis son retour à l’antenne en 2017, ce « phénomène culturel » est devenu le point de mire des débats sur l’inclusion, où beaucoup jugent les efforts en faveur de la représentativité culturelle insuffisants. Sept ans plus tard, les réactions des téléspectateurs donnent l’impression d’un retour à la case départ : pourquoi cet enjeu subsiste-t-il, et comment Occupation Double peut-elle évoluer pour véritablement refléter la société québécoise dans toute sa pluralité?

Des critiques justifiées?

Cette année, avec ledit lancement d’OD Mexique, c’est une vidéo publiée sur la plateforme TikTok qui a été à l’origine d’une cascade de réactions : une utilisatrice déplore le manque de « vraies » femmes noires à OD. Jugée « timide » et pas assez « baddie » (séduisante et sûre d’elle-même), c’est la présence de Shaïna, l’unique femme afro-descendante de la sélection de participantes, qui déclenche un tollé. Les internautes se sont vite divisés sur ce que signifie réellement la « représentation » à Occupation Double. Plusieurs ont exprimé une frustration face à ce qu’ils perçoivent comme une représentation de façade (token representation) ou une inclusivité forcée, dénonçant notamment l’absence de candidats aux teints plus foncés et aux traits afro-centrés. « Chaque année, vous faites la même affaire », affirme une internaute. « Vous croyez vraiment qu’ils [la production, ndlr] vont mettre une majorité d’entre nous [personnes racisées] dans l’émission? », renchérit-t-elle. D’autres utilisateurs évoquent que les candidats choisis pour participer à l’émission seraient davantage en proximité avec leur « côté blanc », afin de rendre le contenu de l’émission plus « digeste » pour l’audience québécoise de souche.

« Quand je dis que je m’adapte, je ne m’adapte pas à la blancheur mais à l’environnement dominant »


- Racky Diop, ex-candidate OD Andalousie

La préoccupation des internautes peut sembler futile lorsqu’on se penche sur les saisons précédentes de la téléréalité : on ne peut nier les efforts de la production en contemplant les récentes victoires de personnes issues de la diversité (Stevens Dorcelus et Inès Lalouad dans OD dans l’Ouest (2021), par exemple). Or, malgré l’inclusion de candidats issus de minorités visibles à l’écran, bien trop souvent, leur élimination survient promptement dans l’aventure, où ils reçoivent une attention moindre par rapport à leurs homologues blancs.

Entre plaintes et opinions tranchées, nous avons échangé avec deux anciennes participantes d’Occupation Double pour en savoir davantage sur la réalité derrière les caméras : Racky Diop, candidate lors de la saison d’OD Andalousie (2023) et Rym Nebbak, participante à OD Afrique du Sud (2019). Leurs témoignages nous offrent une perspective unique, révélant l’expérience vécue par des femmes racisées dans une émission où l’apparence et la représentativité sont scrutées à la loupe.

Rym et Racky se confient

« Dans la vie, je ne suis pas quelqu’un qui a du mal à attirer les gars, et pourtant, à OD, ils me regardaient à peine. » Ce témoignage de Racky, jeune femme québécoise d’origine sénégalaise, illustre une réalité partagée par plusieurs femmes noires dans l’émission. Son expérience a suscité beaucoup de déception chez les téléspectateurs, exacerbée par son élimination dès la première semaine.

C’est seulement l’année dernière que Mia Bleu Voua devient la première femme afro-descendante à remporter Occupation Double. Cependant, cette même saison, l’enjeu de la représentation et la situation toute aussi pertinente de Racky n’a pas été diffusée : « Quand j’ai été éliminée et que j’étais dans la maison des exclus, l’un des premiers sujets que j’ai évoqué dans mon entrevue était le fait d’être une femme noire à OD et la frustration de partir en premier. Mais la production n’a pas diffusé ces images. » De même, l’ancienne candidate souligne également que certaines de ses interactions, notamment lorsqu’elles touchaient à des sujets culturels ou personnels, n’étaient pas montrées dans le montage final : « J’aurais vraiment aimé que [la production, ndlr] montre davantage ma relation avec Mia. On a eu beaucoup de conversations sur ces sujets-là ; on mettait nos bonnets [pour les cheveux] et on racontait aux autres filles leurs bienfaits… Je pense que s’ils avaient montré ça, le public m’aurait perçue différemment, surtout la communauté noire [qui pense que je “blanchis“ ma personnalité]. Mais c’est ça le truc lorsque que la production est majoritairement blanche ; il ne voient pas l’importance de ces moments là. »

« Mon espoir est que, lorsqu’on voit une femme noire, on la voit hors du groupe dont elle fait partie, et qu’elle puisse exister comme elle l’entend. Ce serait mon utopie »


- Racky Diop, ex-candidate OD Andalousie

En effet, plusieurs internautes considèrent que les participants racisés tentent de répondre aux attentes de l’industrie du spectacle québécois, faisant face à une pression implicite de correspondre au stéréotype de la personne racisée « assimilée ». Cette critique se reflète notamment dans le reproche selon lequel certains participants adoptent des accents québécois de souche, au lieu de leurs « accents d’origine ». Racky, confrontée à ces jugements, offre une perspective nuancée sur la question :

« Je suis quelqu’un qui s’adapte en fonction des gens qui m’entourent ; si j’avais commencé à dire du slang, j’aurais parlé en slang avec qui? Les autres participants ne parlaient pas comme ça. » En grandissant dans un milieu de banlieue majoritairement blanc, elle explique avoir appris à code-switch, c’est-à-dire à adapter son langage en fonction de son interlocuteur. Selon elle, il s’agit d’une stratégie d’adaptation et non de dénaturation : « Quand je dis que je m’adapte, je ne m’adapte pas à la blancheur mais à l’environnement dominant. Je ne considère pas cela comme “me blanchir” ».

D’un autre côté, Rym Nebbak, ancienne participante québécoise d’origine algérienne, perçoit cette dynamique différemment. Selon elle, l’émission ne l’a pas changée, mais elle reconnaît l’influence du showbiz québécois sur son parcours : « J’ai été choisie pour une raison et la production nous a toujours encouragé à rester fidèles à nous-mêmes puisqu’ils nous ont choisis pour qui nous sommes », explique-telle. « Évidemment, à ma sortie, il était clair que je commençais à baigner dans le monde du showbiz québécois. Mon auditoire est principalement de souche québécoise. Par contre, OD n’a jamais changé ma personnalité, mon identité, ni mes valeurs. Je reste exactement la même personne, sauf que maintenant j’ai un accent québécois plus prononcé, que j’assume totalement d’ailleurs. »

La perspective de Rym met en lumière une autre facette du débat sur l’identité culturelle dans le contexte de la télé-réalité québécoise, où celle-ci peut amener une pression de représenter leur communauté. Certaines, comme Racky, ressentent un poids lié à cette représentation : « Une partie de moi se disait que [ j’allais participer à OD seulement] pour moi, mais en sachant que tu seras sûrement l’une des seules Noires, il y a une partie de toi qui se dit “merde, il faut que je nous représente bien”, parce que si je fais quelque chose qui paraît mal, ça ne sera pas seulement “Racky a mal agi”, ce sera “les Noirs agissent mal.” »

Elle ajoute : « Mais comment pourrais-je représenter toutes les femmes noires? C’est irréaliste. Je ne veux pas être la seule Noire à OD, je veux que toutes les femmes noires soient représentées. Mon espoir est que, lorsqu’on voit une femme noire, on la voit hors du groupe dont elle fait partie, et qu’elle puisse exister comme elle l’entend. Ce serait mon utopie. »

Cependant, cette utopie, elle semble accessible. Rym, en se concentrant sur l’expression de son individualité, se détache du devoir d’incarner une représentation collective : « Personnellement, lorsque j’ai participé à OD, j’avais 23 ans, je venais de quitter une relation toxique de six ans. Mon seul but et objectif était de m’amuser, de rencontrer des gens formidables et de vivre l’aventure d’une vie. Je n’avais évidemment pas l’intention de venir représenter une communauté. Je suis venue représenter Rym. Et Rym est plus que juste son origine. » L’influenceuse poursuit en expliquant qu’elle comprend que certains participants issus de la diversité peuvent ressentir cette pression de représenter leur communauté, mais que cela n’a jamais été son cas. « Je suis fière d’être algérienne, mais Rym ne peut pas assumer la pression de représenter l’Algérie au grand complet. […] C’est de vivre dans une illusion que de croire qu’une seule personne peut représenter une communauté entière. Je ne crois pas avoir bien représenté les Algériens mais j’ai représenté ma propre personne, avec mes qualités et mes gros défauts, et cela me suffit. »

Il est important de noter que Rym a eu l’opportunité de rester plus longtemps dans l’émission, ce qui lui a permis de vivre plus largement l’expérience. Ce contraste souligne l’impact qu’une distribution diversifiée peut avoir non seulement sur les candidats eux-mêmes, mais sur le succès global de l’émission également: « L’édition d’OD Afrique du Sud comptait le plus grand nombre de candidats issus de la diversité et l’émission a connu un succès pour cette raison! C’était de loin l’une des meilleures saisons produites par Production J puisque les côtes d’écoutes étaient plus élevées qu’à l’habitude. OD a réussi à conquérir un nouvel auditoire multiculturel et c’est dans leur intérêt de continuer d’augmenter le nombre de candidats issus de la diversité », explique Rym.

Vers une approche plus nuancée de la représentation

Ce à quoi les spectateurs s’attendent, c’est une inclusion authentique qui permet à ces candidats de se sentir à l’aise et de ne pas être réduits à des rôles secondaires. Pour progresser, la production doit veiller à ce les participants ne soient plus confrontés à des barrières invisibles qui limitent leur parcours : « La production doit sélectionner des hommes qui sont ouverts à l’idée de sortir avec des femmes de couleur afin de favoriser la formation de véritables couples », affirme Racky. « On ne veut plus voir des femmes issues de la diversité quitter dès la première semaine. Cela implique que les personnes qui s’occupent de sélectionner les candidats doivent être également issues de la diversité puisqu’ils comprennent mieux les enjeux sociaux-culturels et l’impact positif que pourrait avoir la représentativité audio-visuelle dans le showbiz québécois », conclut Rym.

Ainsi, si le tapis rouge d’OD promet une diversité de visages, il ne garantit pas toujours une diversité d’expériences authentiquement vécues et représentées. Il reste à voir si les émissions futures sauront aller au-delà de l’apparence pour embrasser la complexité des identités qu’elles souhaitent mettre en lumière.

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S’enfuir pour se reconstruire https://www.delitfrancais.com/2022/02/23/senfuir-pour-se-reconstruire/ Wed, 23 Feb 2022 13:26:31 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=47484 Une question d’identité entre mémoire et histoire.

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Entre souvenirs d’enfance, récits de fuite et questionnements identitaires, le documentaire d’animation Flee est basé sur le témoignage poignant d’Amin Nawabi (nom de plume), un réfugié afghan vivant au Danemark. Ce film, né de longs entretiens entre le réalisateur danois Jonas Poher Rasmussen, et Amin, son ami de longue date, a une particularité peu commune au genre documentaire : il alterne entre images d’archives et animation. Ainsi, le récit intime basé sur la vie d’Amin, qui apparaît à l’écran sous la forme d’un réconfortant dessin animé entre en dialogue avec les images d’archives d’une violence parfois crue. L’animation permet à la fois de jeter un voile pudique sur le récit d’Amin et de créer une distance nécessaire et saine pour les spectateur⋅rice⋅s: elle permet d’éviter les images spectaculaires d’un récit parfois violent tout en gardant à l’esprit que l’histoire d’Amin est avant tout adaptée de faits vécus. 

Double mensonge

Au cœur du récit d’exil d’Amin se trouve un questionnement identitaire. L’animation du documentaire n’est pas un choix purement esthétique: elle permet aussi de préserver l’anonymat de l’ami du réalisateur. Le protagoniste raconte son histoire pour la première fois, après l’avoir cachée à tous ses proches pendant de longues années, de peur de se faire dénoncer aux autorités. Il a également caché son homosexualité à sa famille afghane depuis sa plus tendre enfance. Ce double mensonge oblige Amin à refouler une grande partie de son identité, qu’il soit avec son entourage au Danemark ou avec sa famille afghane. Cette situation difficile à gérer est amenée à son paroxysme lorsque le protagoniste décide d’épouser son conjoint Kasper. Il n’a alors d’autre choix que de cesser de fuir et de mentir pour enfin révéler son passé et son identité. Les longues séances d’entrevue entre Amin et son ami réalisateur prennent alors une tournure thérapeutique et permettent au protagoniste de faire face à son passé pour mieux appréhender son futur. 

«L’animation du documentaire n’est pas un choix purement esthétique: elle permet aussi de préserver l’anonymat de l’ami du réalisateur»

Un témoignage historique

Le fait que le récit d’Amin soit un témoignage individuel n’en fait pas pour autant un récit dénué de contexte. Le constant va-et-vient entre la voix d’Amin et les images d’archives rappelle tout au long du film que le témoignage se doit d’être appréhendé avec une perspective historique: il ne s’agit pas d’un récit isolé. À l’inverse, il est important de garder à l’esprit que les images d’archives de foules et de guerre racontent, elles aussi, de multiples histoires individuelles que l’on voit sans regarder. Flee réussit le coup de force de passer avec tant de fluidité du récit d’Amin aux images d’archives que ces deux modes de narration finissent par se compléter et par raconter la même histoire. Le⋅a spectateur⋅rice est alors amené⋅e à côtoyer deux représentations très différentes du souvenir: l’une intime et poétique, l’autre crue et détachée.

«Le⋅a spectateur⋅rice est alors amené⋅e à côtoyer deux représentations très différentes du souvenir: l’une intime et poétique, l’autre crue et détachée»

Ces deux formes narratives ont pourtant un point commun: elles sont nécessaires à une prise de conscience de la réalité de la crise des réfugié·e·s. En somme, c’est grâce au dialogue entre la mémoire individuelle et la mémoire collective que le récit d’Amin se transforme en témoignage et qu’il vient prendre sa place au sein de l’histoire.

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Être sans exister https://www.delitfrancais.com/2022/02/16/etre-sans-exister/ Wed, 16 Feb 2022 13:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=47242 Apatrides examine le retrait rétroactif de la citoyenneté en République dominicaine.

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À l’occasion du Mois de l’histoire des Noir·e·s, l’Office national du film du Canada (ONF) présente gratuitement sur sa plateforme en ligne Apatrides, le dernier long-métrage documentaire de la réalisatrice et productrice Michèle Stephenson. Le documentaire de Stephenson, qui mêle plans statiques et usage de caméras légères et en mouvement, se penche sur les tensions raciales et le statut d’apatride (être dépourvu·e de nationalité légale) sur l’île d’Hispanolia, où se situent Haïti et la République dominicaine. Apatrides est basé sur une trame narrative qui entremêle le conte de Moraime, jeune fille qui a fui le massacre des Haïtien·ne·s se trouvant en sol dominicain de 1937, aux luttes respectives contemporaines de l’avocate et militante Rosa Iris Diendomi-Álvarez, l’apatride Juan Teofilo Murat et la membre du mouvement nationaliste dominicain Gladys Feliz. 

«Tu es ici, mais n’existes pas»

En 2013, le documentaire explique qu’une résolution adoptée par la Cour suprême de la République dominicaine a «retiré la citoyenneté à toute personne ayant des parents haïtiens, avec effet rétroactif jusqu’en 1929, rendant ainsi plus de 200 000 personnes apatrides», c’est-à-dire sans nationalité légale. Des milliers de personnes d’origine haïtienne nées en République dominicaine se sont alors retrouvé·e·s dans une situation précaire; ils et elles ne peuvent obtenir ni la nationalité de leurs parents ni celle du pays dans lequel ils et elles sont né·e·s.  

«Des milliers de personnes d’origine haïtienne nées en République dominicaine se sont alors retrouvé·e·s dans une situation précaire; ils et elles ne peuvent obtenir ni la nationalité de leurs parents ni celle du pays dans lequel ils et elles sont né·e·s»

Apatrides offre un regard double sur la situation en contrastant la campagne électorale de Rosa Iris Diendomi-Álvarez, qui désire défendre les droits et revendications des milliers d’apatrides en République dominicaine, avec la lutte nationaliste républicaine et anti-immigration haïtienne de la politicienne Gladys Feliz. Le climat divisé et tendu dans lequel Diendomi-Álvarez milite est constamment souligné, et les inquiétudes de Feliz et de ses collègues à l’encontre de l’immigration sont dénoncées à travers les témoignages de plusieurs apatrides d’origine haïtienne. L’inaction du gouvernement dominicain vis-à-vis des messages haineux et des menaces grandissantes reçues par Diendomi-Álvarez et sa famille est aussi mise en évidence; l’intensité de ces menaces deviendra telle que Rosa Iris sera éventuellement contrainte de demander l’asile aux États-Unis.

Miser sur la force des gens

Même si Apatrides rend compte des effets dévastateurs de la rétraction injustifiée de la citoyenneté de plusieurs apatrides dont celle de Juan Teofilo Murat, le documentaire de Stephenson évite le piège de la représentation des apatrides sous l’angle de la recherche axée sur les dommages (damage-centered research, tdlr). En effet, selon la chercheuse en études autochtones et en éducation Eve Tuck, la représentation basée sur la recherche axée sur les dommages, qui consiste à représenter des communautés vulnérables en se concentrant uniquement sur leurs problèmes et difficultés, peut être dévastatrice car elle contribue à perpétuellement réduire ces communautés à un statut unidimensionnel de marginalité. En démontrant notamment la détermination et la solidarité dont fait preuve la communauté majoritairement apatride avec laquelle Rosa Iris travaille et collabore, Apatrides évite ainsi l’impression de brosser un portrait réducteur de la situation tout en dénonçant de façon percutante les tensions raciales et xénophobes qui subsistent en République dominicaine. 

«Le documentaire de Stephenson évite le piège de la représentation des apatrides sous l’angle de la recherche axée sur les dommages (damage-centered research, tdlr)»

Apatrides peut être visionné gratuitement sur le site web de l’ONF.

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Une perle de créativité https://www.delitfrancais.com/2022/02/02/une-perle-de-creativite/ Wed, 02 Feb 2022 13:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=46765 La série Arcane transcende son médium.

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La série d’animation Arcane, alliant le genre «steampunk» et le fantastique, est un miracle et une bénédiction. Un miracle, parce qu’il s’agit tout de même d’une adaptation qui aura été en préparation durant six longues années, basée sur quelques pages d’histoire parsemées dans le jeu vidéo League of Legends. Miraculeuse aussi est la collaboration entre une vaste entreprise américaine, Riot Games, et un humble studio d’animation français, Fortiche, de laquelle résulte une vraie œuvre artistique, originale, sombre et courageuse, faisant office de bénédiction pour le domaine du divertissement grand public largement dominé par des super-héros à toutes les sauces. À travers une histoire sombre qui n’hésite pas à explorer des thèmes comme les liens familiaux, l’exploitation juvénile ou la santé mentale, Arcane présente des personnages variés, troublés et troublants. Loin d’un typique produit aseptisé, la série est élevée à un autre niveau grâce à un style d’animation exceptionnel (mélange de 2D et de 3D), une esthétique particulière et une superbe bande-son. C’est bien simple, Arcane est l’une des meilleures séries de l’année 2021.

Des mots, des humains, des larmes… 

Rassurez-vous, aucune connaissance du jeu vidéo n’est requise afin d’apprécier la série à sa juste valeur. La trame narrative principale d’Arcane suit les péripéties de deux sœurs, Vi (Hailee Steinfield) et Powder (Ella Purnell), tantôt unies puis séparées, aux personnalités diamétralement opposées. D’autres personnages plus ou moins secondaires viennent compléter le tableau, tels que deux jeunes scientifiques idéalistes, des frères d’armes désormais ennemis, et une ambitieuse jeune femme luttant contre l’ombre oppressive de sa mère. Le principe de la dualité est ici roi, se déclinant notamment dans l’opposition séparant la ville où évoluent les personnages: d’un côté la riche et hautaine Piltover, et de l’autre Zaun et ses quartiers mal famés dans lesquels évoluent criminels en tout genre. 

«Résulte une vraie œuvre artistique, originale, sombre et courageuse, faisant office de bénédiction pour le domaine du divertissement grand public largement dominé par des super-héros à toutes les sauces»

La première réussite du scénario est d’éviter avec succès le piège manichéen en présentant de multiples points de vue. À coups de dialogues travaillés et variés, il en résulte une histoire moralement grise où aucun personnage ne semble caricatural ou enfermé dans un carcan moral statique. Les moments comiques sont rares, mais bien placés, et n’enlèvent rien à la gravité de l’histoire. Les raccourcis scénaristiques sont absents, et les actions des personnages – et conséquences de celles-ci – dictent l’intrigue plutôt que le contraire. Le tout rend le monde vivant et les péripéties organiques.

Les personnages, d’ailleurs, sont tous, sans exception, bien écrits et distincts les uns des autres; c’est là une deuxième réussite. Par-dessus tout, ils ne sont pas unidimensionnels, et il est possible de constater une véritable évolution de chacun d’entre eux à travers les arcs narratifs qui s’entrecroisent continuellement. Pas de gentils, pas de méchants, seulement des humains animés par des intentions plus ou moins louables, mais toujours compréhensibles. 

La troisième réussite de l’écriture de la série a trait aux thèmes qu’elle n’hésite pas d’aborder à travers ses personnages. L’amour, la haine, la vengeance, les liens familiaux ainsi que la lutte sociale font figure de grands classiques, mais viennent s’y greffer une exploration douce-amère de l’idéalisme scientifique, une représentation nuancée de la santé mentale, ainsi qu’une relation particulièrement toxique entre une enfant et un adulte. Arcane ne mâche pas ses propos et va jusqu’au bout de ses idées, quitte à parfois proposer des scènes assez troublantes et lourdes de sous-entendus mais qui mènent invariablement à une réflexion. Impossible, notamment, de ne pas penser à la scène où Powder aide son père adoptif à s’administrer un remède, adoptant une attitude plus proche d’une amante que d’une fille. Le tout est élevé par une tension scénaristique jusqu’à produire un dénouement toujours satisfaisant et logique. Le résultat: une sorte de catharsis. Ici, le spectateur est considéré comme un être pensant, et on ne cherche pas à lui tenir la main. 

«C’est une histoire magistralement racontée, chargée d’émotion, avec des personnages variés et différents les uns des autres»

Une image vaut mille mots

Si tout ce qui est mentionné plus haut est aussi efficace, c’est en grande partie grâce à la présentation artistique de la série. Chaque plan est coloré et chamarré, offrant souvent des métaphores et des symboles à déchiffrer. Le tout donne un style visuel exceptionnel s’apparentant à la peinture. L’usage de certaines couleurs semble aussi servir à attirer l’attention du spectateur sur des éléments du décor ou des objets importants. Par exemple, les teintes vertes et mauves sont omniprésentes dans les quartiers criminels, alors que la haute ville est baignée de lumière aux teintes blanchâtres et dorées. De plus, la direction cinématographique est léchée, la caméra restant le plus souvent terre-à-terre et ne s’affolant que pour les brefs combats répartis sur neuf épisodes. Le résultat est saisissant de fluidité. 

Les tics d’un personnage stressé, les larmes d’un autre en état de choc, ou bien la folie passagère d’un dernier paraissent absolument réels. Cela permet à la série d’utiliser des images plutôt que des mots pour souligner des traits de caractère ou des indices scénaristiques. Consciente de cette force, Arcane multiplie les gros plans sur les visages des personnages, à l’affût de la moindre expression magnifiée par un doublage vocal réussi. Le tout est accompagné d’une bande-son mélangeant des tonalités plus électriques avec des instruments plus classiques, comme le violon, et de quelques chansons originales souvent placées à des moments clés de l’intrigue afin de donner une dimension émotionnelle supplémentaire à ce qui se passe sur l’écran. Difficile de croire qu’il ne s’agit que d’une série d’animation tant les visages et les mouvements des personnages sont semblables à ceux des séries télévisées avec prises de vue réelles. Il y a fort à parier qu’il s’agira du nouveau standard à atteindre pour les futures productions d’animation de Netflix. 

Arcane est bien plus qu’un simple produit dérivé d’un jeu vidéo. C’est une histoire magistralement racontée, chargée d’émotion, avec des personnages variés et différents les uns des autres. Ces derniers permettent de s’intéresser à des thématiques souvent survolées dans le divertissement grand public. Difficile de ne pas ressortir du visionnement vidé, lessivé, et profondément impressionné par cette petite perle de créativité. 

Arcane est disponible sur Netflix.

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