Yéraldyn Rousseau - Le Délit Le seul journal francophone de l'Université McGill Tue, 18 Sep 2012 12:16:29 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.7.2 Coca, les raisins de la colère https://www.delitfrancais.com/2012/09/18/coca-les-raisins-de-la-colere/ Tue, 18 Sep 2012 12:16:29 +0000 http://www.delitfrancais.com/?p=14098 « Alors, tu sors six, sept feuilles de ta chuspa. Tu les mets en boule, juste entre la joue et les dents. Tu rajoutes un peu de llujkta. Et puis tu t’y remets tranquillement…» ( Ramón à Lucho, sur le Marché central de La Paz)

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Mmm… ces vacances exotiques et sportives dans les Andes: sympa… Le vol: un peu cher, c’est vrai, mais le voyage valait vraiment le coup! Les souvenirs à rapporter?

Pulls d’alpaga, bijoux d’argent, deux-trois tissus d’aguayos éclatants et, tant qu’à faire… quelques petits sachets de feuilles de coca à distribuer, pour épater les amis.

Le hic, ce sont juste ces quelques mots qu’on n’a pas lus sur le site du Ministère des Affaires Etrangères consacré à la Bolivie: «Les peines encourues en cas d’importation vers l’étranger peuvent aller jusqu’à cinq ans de prison, quelle que soit la quantité de feuilles importées. Il est recommandé de ne pas voyager avec des sachets d’infusion de coca, même si vous pouvez en acheter à l’aéroport de La Paz». Aïe…

n janvier 2012, la Bolivie se retire de la «Convention unique sur les stupéfiants» de l’ONU signée en 1961. «L’Etat Plurinational de Bolivie» se voyant refuser par les pays signataires la dépénalisation de la mastication de la feuille de coca (acullico), il se retrouve seul dans sa lutte pour la reconnaissance de ses droits traditionnels.

Mama Coca, aimante et bienveillante

La Bolivie, comme d’autres pays du cône sud, entretient avec «la feuille sacrée» une relation multimillénaire. Mama Coca, fille de la toute puissante et créatrice Pachamama – la Terre Mère -, tient un rôle central dans la société depuis la civilisation ancestrale des Tihuanacotas jusqu’à, par la suite, celles des Incas de l’Altiplano. Elle guérit de tous les maux, soigne toutes les blessures. Elle soulage même la fatigue et la faim. A l’arrivée du colon espagnol sur le continent, elle fut interdite par l’Eglise qui l’associa rapidement au Tio, équivalent syncrétique du diable.

La main‑d’œuvre africaine issue du commerce triangulaire, puis amérindienne, ne survit pas au climat glacé aride du «Haut Pérou»: la montagne de Potosi, dont le labyrinthe de mines à cinq milles mètres regorge d’argent, engloutira les mineurs par milliers: certaines estimations montent jusqu’à six millions. La Couronne espagnole se hâte de remettre la mastication de la feuille de coca au goût du jour. En effet, les mineurs à la peau de cuivre, habitués qu’ils sont aux rudes travaux dans les hauteurs inhospitalières, la réclament pour pouvoir supporter leur peine. C’est à leur robustesse et à leur aptitude à survivre dans les chatières que les indigènes de Bolivie devront de ne pas être décimés comme les Tainos des Caraïbes ou les Guaranis d’Argentine. Ils doivent donc en partie leur survie à la feuille de coca…

La feuille de coca diabolisée

C’est au XIXème siècle que le statut de la feuille de coca bascule de nouveau. Au travers de son dérivé, l’erythroxyline, on lui découvre tout d’abord des vertus d’anesthésiant local, utilisées par les médecins occidentaux. Rapidement, elle devient un substitut à l’opium, à l’alcool et aux autres stimulants d’usage récréatif de l’époque.

C’est à partir de 1961, avec la Convention Unique sur les Stupéfiants de l’ONU que la coca tombe dans l’illégalité, en raison de son association avec la poudre d’alcaloïdes, qui sera désormais désignée par le terme «cocaïne».

Pourtant, Mama Coca, sous sa forme première, ne quittera jamais les marchés andins: le paysan gagne mieux avec la feuille de coca qu’avec le café ou la banane! Les cartels s’emparent de ce juteux marché, s’associant parfois officieusement avec des politiciens locaux. La demande ne fera que croître pendant les années 70–80: c’est l’âge d’or de la feuille verte! C’est le début, également, d’une ère de violence inouïe, de part et d’autre, abondamment illustrée par le polar ou le cinéma, de Scarface à Blow, ou La Reina del Sur.

Depuis les années 2000, la violence ne fait qu’augmenter, du Mexique aux pays andins, pour subvenir aux besoins de l’énorme marché nord-américain. Les civils sont les premières victimes de la lutte féroce dans laquelle les groupes se sont engagés pour maîtriser le marché, de la source au client. Des cartels sanglants, comme celui de Sinaloa au Mexique, recrutent des enfants de force, n’hésitant pas à faire de ceux qui refusent de collaborer des exemples pour les autres (kidnappings, mutilations…).

Evo et la science au secours de la coca:

Dans ce climat brutal, dans un contexte d’augmentation exponentielle de la demande de cocaïne, les défenseurs de la mastication traditionnelle de la feuille de coca peinent à plaider leur cause, malgré l’arrivée au pouvoir d’un syndicaliste cocalero, le président indigéniste bolivien, et en dépit des interventions de ses ambassadeurs, dûment mandatés, au nom de la «protection de la diversité culturelle».

A Vienne, en mars 2009, à la conférence de l’ONU sur les stupéfiants, Evo Morales Ayma mâche des feuilles de coca, tout en prononçant son discours devant l’assemblée, affirmant que La coca no es cocaina». Certes, si pour les spécialistes, il y a loin de la feuille verte à la poudre blanche, la confusion entre coca et cocaïne reste fréquente pour le profane.

La science va servir la cause indigéniste en analysant les effets de la prise de coca sur le corps humain. Lors d’une conférence donnée en 2010 à La Paz, le Dr. Mercedes Villena, chercheuse à l’Institut bolivien de Biologie de l’Altitude, présente les résultats de ses recherches sur les effets de la feuille de coca. D’après ses conclusions, la substance n’agit en fait ni comme coupe-faim, ni comme substitut alimentaire, ni comme source d’énergie permettant de porter des masses plus lourdes. Le seul effet identifié scientifiquement porte sur les fonctions respiratoires. Le consommateur montre en effet une plus ample capacité de respiration, la perméabilité de ses bronches s’améliorant. Ainsi, ce remède naturel, mâché ou bu en maté dans les hauteurs andines, allège le sort du travailleur en l’aidant à supporter sa peine. La feuille de coca, pourtant, intéresse moins la communauté scientifique que… les fabricants de sodas, les recherches de ses effets sur les systèmes cardiovasculaire et neurologique manquant encore pour soutenir les propos d’Evo Morales.

Zorka Domic, psychologue, auteur de l’ouvrage Etat Cocaïne, paru aux Presses Universitaires de France, révèle une société bolivienne partagée entre culture traditionnelle et celle des conquérants, ou immigrants occidentaux. «Deux cultures composent l’essentiel de la trame du tissu socioculturel, politique et économique de la Bolivie, elles forment d’une certaine façon l’identité du pays. L’interaction des cultures constitue une constante, du fait du caractère multiethnique de la société. Nous côtoyons ainsi quotidiennement l’usage traditionnel de la feuille de coca qui imprègne le mode de vie […] Le groupe dit «occidental» a ménagé une place pour cette feuille (Nuestra coca) Ainsi, même les populations dont les traditions n’incluaient pas la coca, intègrent totalement son image maternelle et inoffensive. Boire du maté de coca, l’utiliser lors d’une ch’alla ou en posséder dans son armoire à pharmacie devient donc courant dans tout foyer bolivien».

Felipe Cáceres, vice-ministre de la Défense Sociale, assure que 62,2% des Boliviens ont pour habitude de mastiquer. La Bolivie, contrôlée par les pays étrangers, les Etats-Unis et l’Union Européenne, autorise la culture de la coca sur 12 000 hectares pour les «usages traditionnels». L’objectif des politiques serait d’obtenir la permission de la communauté internationale afin que 8 000 autres hectares puissent exister afin d’alimenter la demande du pays. D’après la Convention, tout autre mètre carré où pourrait se trouver un pied de cocaïer est totalement illégal. Les propriétaires sont passibles d’amendes et même d’incarcération si l’ombre du doute plane sur l’usage final des feuilles récoltées.

La constitution de l’Etat Plurinational de Bolivie, adoptée en 2009 au suffrage universel avec 60% des voix exprime pourtant clairement la position du gouvernement bolivien. L’article 384 affirme que «l’Etat protège la feuille de coca originaire et ancestrale comme patrimoine culturel, ressource naturelle renouvelable de la biodiversité de la Bolivie et comme facteur de cohésion sociale; dans son état naturel elle n’est pas un stupéfiant. La revalorisation, production, commercialisation et industrialisation seront régies par la loi».

La coca, à jamais condamnée?

La Chine, qui coopère en Bolivie, est le seul pays ayant un siège permanent au Conseil de Sécurité de l’ONU à avoir montré un peu de soutien à la requête du président bolivien. Elle a même comparé la place de la coca dans la société bolivienne à celle du thé chinois, ridiculisant donc l’illégalité de la feuille. L’Union Européenne, quant à elle, subventionne à grands frais des études sur des cultures alternatives à la feuille de coca. Peu de fonds étant consacrés à ses usages médicamenteux éventuels. Les pays occidentaux ne semblent d’accord sur ce sujet ni entre eux ni avec la Bolivie.

Verra-t-on une dépénalisation de la production la feuille de coca au niveau international? La raison du plus fort étant toujours la meilleure… rien n’est moins sûr! Et pourtant, n’est-il pas suffisant, pour en démontrer l’innocuité, de rappeler le rapport de la matière base à son dérivé? Il faut trois kilogrammes de feuilles de coca pour extraire un seul gramme de cocaïne, au prix d’un processus long et compliqué de raffinage, aisément repérable, où l’on mélange kérosène, chaux, acide, éther, acétone, permanganate de potassium, ammoniaque et alcool concentré, entre autres précurseurs chimiques.

Mais alors cette classification du cocaïer parmi la liste des stupéfiants n’est-elle pas quelque peu arbitraire, les mauvaises pratiques étant toujours les pratiques de l’autre, en matière de drogue comme ailleurs? Ni le raisin des vignobles, ni les plants de tabac n’ont été déclarés illicites, et pourtant l’addiction que produisent leurs dérivés peut être comparée.

C’est qu’il faudrait savoir discuter au niveau international, de façon parallèle, mais distincte, de deux questions différentes, parfois liées: celle de la culture de la feuille de coca et celle de la production et de l’exportation de la cocaïne.

Les cocaïnomanes, très majoritairement, se trouvent en Amérique du Nord et en Europe. Ne sont-ils pas directement, responsables des conséquences que leur addiction provoque dans les pays du sud: la corruption des uns, la misère des autres et la violence extrême qu’engendre le prix exorbitant qu’ils sont prêts à dépenser pour assouvir leur besoin?

Les gouvernements occidentaux semblent cependant considérer le phénomène de civilisation qu’est la cocaïnomanie comme un problème relevant davantage des pays du sud que de leur propre responsabilité. En matière de stratégie anti-narcotique, en tout cas, ils privilégient la solution du tarissement de l’approvisionnement en matière première de base dans le tiers-monde. Ils délèguent ainsi la lutte ingrate contre les trafiquants et ne s’impliquent qu’indirectement, par des experts et des subventions. A titre d’exemple, on mentionnera les 500 millions de dollars déboursés par les Etats-Unis pour la répression du narcotrafic en Amérique latine durant la dernière décennie.

Cocaïne, or not coca?

Comment donc légaliser ce produit ailleurs qu’en Bolivie, pour produire des médicaments ou autre? Faut-il donner à l’Etat le monopole de culture? Le cas de Noel Kempff-Mercado (cf. encadré), laisse planer le doute sur l’honnêteté de certains gouvernements. Si les fonctionnaires d’état et de police étaient mieux payés, peut-être n’iraient-ils pas chercher l’argent facile auprès du narcotrafic ?

La question de l’avenir de la coca reste entière et ne peut être réduite à de simples antagonismes: tolérance contre régulation, protection des cultures  contre protection des consommateurs… Mais, en ces temps de mondialisation juridique et de recherche de particularismes perdus, elle est emblématique. Comme celle du qat au Yémen, de la corrida en Catalogne, des combats de coqs ou…comme récemment, du foie gras en Californie.

Que dirions-nous, en effet, si le Qatar, l’Arabie Saoudite, ou tout autre faisaient pression à l’ONU, jouant de l’arme pétrolière, afin d’ajouter le vin à la liste des substances illicites? Et que dirions-nous… s’ils s’en prenaient au raisin ?

Petit lexique, pour mémoire

La hoja sagrada: La feuille sacrée, nom traditionnel donné à la feuille de coca.
Acullico: mot désignant l’action de mastiquer la feuille de coca.
Ch’alla (aspersion): cérémonie religieuse où l’on verse de manière symbolique de la bière ou tout autre alcool en remerciement à la Terre Mère. Elle peut avoir lieu durant une inauguration, à l’achat d’une voiture, etc.
Chuspa: petit sac fait de tissu de laine de lama ou de mouton. Il contient les feuilles de coca et afin qu’elles soient à portée de main, il est en bandoulière la plupart du temps.
Llujkta: pâte à base de cendre de végétaux qui se mélange avec la feuille de coca. Elle sert à activer les alcaloïdes qui sont au nombre de quatorze, dont la cocaïne qui ne représente même pas 1%.
Maté de coca: boisson traditionnelle en infusion de feuilles de coca

«Convention Unique sur les Stupéfiants de 1961» ou «Déclaration des Nations Unies sur les Droits des Peuples Indigènes»? Telle est la question…

Comment se faire un avis sur la feuille de coca alors que deux conventions internationales soutiennent légalement leur cause en se contre- disant? En effet la Déclaration de l’ONU sur les droits des Peuples Indigènes donne aux peuples autochtones le droit «d’observer et de revivifier leurs traditions culturelles et leurs coutumes» (Article 11). Qu’est donc la mastication de la feuille sinon une tradition héritée des cultures ancestrales? Pourtant, la Convention sur les Stupéfiants stipule que «la mastication de la feuille de coca devra être abolie dans un délai de vingt-cinq ans à compter de l’entrée en vigueur de la présente Convention», c’est-à-dire depuis 1986. Entre conventions internationales et réalité, le décalage est évident. Cette différence est à l’origine des énormes malentendus entre les camps, qui, malheureusement ne semblent pas prêts à faire de concessions.

Noel Kempff-Mercado

Naturaliste bolivien, il fut tué par des narcotrafiquants lors de sa découverte d’une raffinerie de cocaïne dans le parc de Huanchaca en 1986. La lenteur de l’opération de secours avait été incroyable face à la vitesse de démantèlement de l’usine. Fernando Barthelemy, le ministre de l’intérieur de l’époque fut jugé pour corruption. Ce ne fut pas la première fois et encore moins la dernière.

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La Maçonnerie décortiquée https://www.delitfrancais.com/2010/11/03/la-maconnerie-decortiquee/ Wed, 03 Nov 2010 05:47:42 +0000 http://delitfrancais.com/?p=3980 Des rumeurs ont circulé, l’encre a coulé et beaucoup de têtes sont tombées pour les «frères trois points» ou les «fils de la veuve». Qui sont-ils? Des Francs-Maçons. Le Délit vous explique cette société, non secrète, mais bien discrète.

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«C’est une vraie secte!» s’exclame Gaëlle, une jeune étudiante, quand on lui demande son avis à propos de la Franc-Maçonnerie. «C’est un rassemblement de grands politiciens, de gens haut placés qui nous manipulent depuis une pièce sombre, où ils décident de ce qu’ils vont faire de nos vies, de notre avenir.»

Les opinions sur la Franc-Maçonnerie sont plurielles. De «secret» à «semi-secret» ou «discret», les termes utilisés par les non-initiés montrent qu’ils ne réussissent pas à en cerner réellement les buts et à en appréhender l’histoire sans que le mythique ne s’en mêle.

Jimmy Lu

En effet, comment ne pas s’étonner face à un mouvement aux pratiques si mystérieuses? Les privilégiés se réunissent dans une Loge, portent un tablier et des gants blancs ‑les «outils»-  qui pratiquent des rituels datant du XVIIIème siècle, qui se saluent par des gestes ‑les  «attouchements»- et des mots de passe connus d’eux seuls. La Franc-Maçonnerie peut paraître obscure à plusieurs, et les médias ne se privent pas, par des publications périodiques, de souligner le mystère qui plane autour de ce groupe.

D’après le sociologue Jean Duhaime de l’Université de Montréal, «l’un des facteurs qui attire le profane vers le recrutement réside dans le secret qui entoure tout le processus».

Le Délit a rencontré un Franc-Maçon français, «Le Frère», qui a accepté pour un instant d’ôter son masque ou plus exactement de se départir de ses habitudes de discrétion: «Mon activité professionnelle publique exige de moi une certaine réserve et, en outre, il n’est pas dans les pratiques des Francs-Maçons de s’afficher publiquement s’il n’est pas nécessaire».

Il explique sa vision de la Franc-Maçonnerie en saluant, selon l’usage et dans la forme appropriée déterminée, soit en donnant l’accolade. Selon lui, la Franc-Maçonnerie n’est pas universelle. Au contraire, à l’heure actuelle, la Franc-Maçonnerie doit se conjuguer au pluriel. En effet, différentes branches, nommées «Obédiences», se sont formées au cours des siècles, en fonction de l’histoire, des lieux («Orients») et des cultures.

D’après le Frère, la Franc-Maçonnerie n’est pas une société secrète mais plutôt une société discrète. «On peut se montrer à visage découvert, affirmer que l’on est Franc-Maçon, mais on ne dévoile jamais l’identité des autres membres», explique-t-il. Il ajoute qu’on a longtemps prêté de nombreux faits et méfaits à la Franc-Maçonnerie. À certaines époques, on allait même jusqu’à lui faire porter la responsabilité de problèmes de société, mettant ainsi en danger les Francs-Maçons.

Pendant la Deuxième Guerre mondiale notamment, le gouvernement français de Vichy s’est fait livrer les archives des Obédiences Maçonniques et a persécuté les Francs-Maçons, en envoyant un certain nombre en camp de concentration. Il en était de même sous l’Espagne franquiste et en URSS, où les «Frères» étaient envoyés au Goulag. Et la persécution continue aujourd’hui, surtout dans des pays comme la Chine, par exemple, où les cercles de pensée hors des cadres déterminés par l’État ne sont pas vus du meilleur œil.

Le sociologue Duhaime est bien d’accord avec le Frère: «Les organisations initiatiques ne cherchent nullement à dissimuler leur existence, sauf quand elles sont persécutées et si elles appartiennent à un type authentiquement traditionnel se fondant sur un mystère intérieur, central et profond […] incommunicable au profane».
L’origine symbolique de la franc-maçonnerie remonterait aux bâtisseurs des cathédrales européennes du Moyen-Âge ou, selon le mythe, aux ouvriers qui construisirent le Temple de Salomon, ce qui justifie l’utilisation des symboles comme le compas, l’équerre, le maillet, la truelle, le fil à plomb, la brique, etc. Les «Fils de la Veuve» sont même parfois associés avec des factions telles que l’Ordre du Temple. De quoi faire rêver les lecteurs du Da Vinci Code ou du Pendule de Foucault! Évidemment, tout ceci n’est pas facilement vérifiable…

L’histoire certaine de cette société semble débuter en Europe, plus particulièrement en Angleterre au XVIIIème siècle. Ce mouvement s’étend alors à travers l’Europe, puis vers l’Amérique du Nord et du Sud. Quels sont ses objectifs? «La construction des valeurs Franc-Maçonnes, soit la sagesse, la justice, la bonté et la fraternité universelle, de ce qui doit être, répond le Frère. Mais aussi, pour cela, l’exigence morale de se construire soi-même, en «polissant sa propre pierre», c’est-à-dire en s’améliorant, afin que le mur commun soit droit et solide» soutient le Frère en faisant référence au vocabulaire des tailleurs de pierre médiévaux.

Dans certaines Obédiences, on se réfère à la Bible, dans d’autres, aux Lumières et à la Révolution française, qui clamait la devise qui est encore aujourd’hui la devise de la France: «Liberté, Égalité, Fraternité». Cette devise, tout comme la constitution des États-Unis, puise en effet sa source en partie dans la réflexion Maçonnique. Les Maçons croyant profondément que leur société est imparfaite et qu’elle demeure à parfaire «en polissant ces trois pierres».

Après le succès du troisième tome de Dan Brown, Le symbole perdu, l’implication Maçonnique au sein de la fondation des États-Unis a intéressé plus d’un lecteur. Les informations contenues dans le roman sont toutefois à prendre avec précaution. Il faut souligner que la Franc-Maçonnerie est beaucoup moins cachée aux États-Unis que dans d’autres pays. En effet, une partie des Pères fondateurs des États-Unis étaient Francs-Maçons. George Washington et Benjamin Franklin, par exemple, étaient respectivement membre de la Loge de Fredericksburg, et Grand Maître de la Loge Les Neuf Sœurs de Paris. Et ils ne s’en cachaient pas!

Par exemple, selon le site du Nouvel Ordre Mondial, le Delta rayonnant (l’œil entouré de rayons) sur les billets d’un dollar, au sommet de la pyramide, observerait le détenteur du billet. Il a  d’ailleurs été considéré par beaucoup de théoriciens du complot comme un symbole diabolique païen. L’Œil de la Providence, symbole chrétien hérité du Moyen-Âge, permet d’aborder la question de la vision des Francs-Maçons sur la religion. La Franc-Maçonnerie était, à la base, théiste, c’est-à-dire qu’elle affirmait et imposait la présence d’un être, d’une force supérieure que certains nomment toujours le Grand Architecte De L’Univers. C’est entre autres pour cette raison que l’Église catholique persécuta longuement les Francs-Maçons.

Mais, loin du passé et des cours d’histoire, que signifie la franc-maçonnerie aujourd’hui, et comment y adhère-t-on si on le souhaite? Comment est-on recruté, initié, identifié?

De nos jours, la majeure partie des initiations sont faites à la demande de l’initié, qui peut contacter L’obédience ou l’Atelier qui lui convient. Cependant, on était à l’origine recruté, ou coopté, c’est à dire choisi par des Maçons désireux de vous voir à leurs côtés.  C’est d’ailleurs ce qui est arrivé au Frère: «Quelqu’un sondait autour de moi, en posant des questions à mon sujet aux gens que je fréquentais. Au cours du recrutement, il est très important de démontrer une envie, un enthousiasme pour apprendre, comprendre et agir pour le bien commun. Car c’est cela que fait le Maçon aux côtés de ses Frères; il apprend, réfléchit et tente d’agir en trouvant des solutions».

Duhaime ajoute que «l’objectif n’est pas de recruter le plus de monde possible mais de trouver des personnes qui ont des affinités pour les valeurs et un réel intérêt pour le groupe.» Il reconnait aussi que les Francs-Maçons peuvent chercher à rassembler des personnes qui peuvent avoir une certaine influence dans la société (des intellectuels, journalistes ou membres de professions libérales), mais surtout des personnes ayant un code moral irréprochable.

Malgré tout, ceci convainc-t-il Gaëlle, l’étudiante sceptique? «Je ne connais pas beaucoup le milieu des Francs-Maçons, mais j’ai entendu dire qu’ils faisaient des choses pas très nettes… On leur bande les yeux, on leur fait tenir une bougie, on leur met des gants et un tablier, on les amène dans une pièce sombre où d’autres maçons se trouvent et là, on fusille de questions en tout genre le futur initié…»

Et les dires de Duhaime concordent avec les rumeurs populaires: «En effet, au premier rite d’initiation qu’est le serment d’admission, l’initié a les yeux bandés et se voit engagé à garder le secret, à ne pas révéler les rituels initiatiques et autres expériences qu’il lui a été donné de connaître, sous peine d’avoir la gorge tranchée.» Le sociologue cite d’ailleurs Simmel: «Plus intéressante [que le rite] est la technique […] qui consiste à apprendre au néophyte à se taire systématiquement dès le début.»

Le Frère reconnait le «caractère un peu obsolète» de tels rituels, et l’aspect «vaguement ridicule pour le profane» des outils comme l’habit ou le rituel. Il invite toutefois à les comprendre au regard de l’Histoire, des traditions, et du sens de chaque objet, rituel ou symbole pour avancer dans la connaissance.

Mais pourquoi tant d’étapes, de secret et de silence ? Que font vraiment les Francs-Maçons? «La Loge est un lieu de parole ouverte et respectée», explique le Frère. À l’image des salons mondains le siècle des Lumières en France, comme celui de Madame Geoffrin ou le Cercle d’Auteuil, les «Vénérables Loges» sont des lieux de pensée, de discussion et de proposition.

Les sujets traités au cours des Tenues sont divers et variés, symboliques ou sociaux, culturels parfois. Par exemple, des sujets de discussion qui ont fait avancer des causes comptent parmi eux l’abolition de l’esclavage au XIXème siècle, l’IVG et les droits des femmes, l’abolition de la peine de mort, etc. Si les Loges sont  composées de personnes de toutes distinctions sociales, de toutes cultures et de tous bords politiques, un Franc-Maçon ne devrait pas être réellement conservateur pour le fond, étant données ses motivations d’aller de l’avant et de réfléchir au progrès de sujets en marge de la société.

Et que répondre aux critiques contre la Franc-Maçonnerie? Passe-droits économiques, corruption politique et question de l’initiation des femmes, notamment, demeurent de majeures entraves à la popularité de la société.
Le Frère admet que tout n’est pas clair comme du cristal, mais qu’il est important de ne pas juger trop promptement. Car, même si l’histoire ne révèle que peu à peu ses secrets, il ne faut pas oublier que c’est grâce à quelques-uns de ses membres occasionnellement puissants que nombre de choses importantes ont pu voir le jour: Pensons, pour ne parler que des morts, à Washington, à Mozart, Simón Bolívar, Goethe, Voltaire, et tant d’autres…

Finalement, est-ce une secte ? «Non!» répondent  Monsieur Duhaime et le Frère. Tous deux expliquent de la même manière: «Il est facile de rentrer dans une secte mais difficile d’en sortir, tandis qu’il est assez compliqué de rejoindre la Franc-Maçonnerie mais très facile de s’en détacher». Malgré le secret et l’ésotérisme pratiqué, la Franc-Maçonnerie n’est pas considérée comme une secte mais plutôt comme une «société discrète».

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