Vassili Sztil - Le Délit https://www.delitfrancais.com/author/vassili-sztil/ Le seul journal francophone de l'Université McGill Wed, 26 Sep 2018 13:14:08 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.7.2 La guerre des mots https://www.delitfrancais.com/2017/02/08/la-guerre-des-mots/ Thu, 09 Feb 2017 00:31:24 +0000 http://www.delitfrancais.com/?p=27623 «T’écoutais pas de rap avant les WordUP!».

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«T’écoutais pas de rap avant les RC/Tu ferais mieux de me remercier»: c’est ce que rappe Nekfeu dans son dernier album rendant hommage à l’événement de battle-rap Rap Contenders, organisé en France tous les ans depuis 2010. Mais cette version française du battle-rap qui a lancé la carrière de nombreux MCs (Master of Ceremony, ndlr) français, comme Nekfeu ou plusieurs autres membres du collectif L’Entourage, n’est pas sortie de nulle part. C’est vers le Québec qu’il faut se tourner pour comprendre les origines de Rap Contenders. Dans la lignée de Yo Momma! (diffusée sur MTV entre 2006 et 2007), une émission qui invitait des rappeurs à venir insulter la mère de l’adversaire, s’est crée le WordUP!, la première ligue mondiale de battle-rap a cappella francophone, dont la première édition s’est tenue en 2009. Les battle-rap relèvent en effet d’une importance capitale, bien que quelques débats fusent autour de cette ligue de joute oratoire.

Le Word UP! a très vite fait parler de lui, comme le rap et le hip-hop en général, pour des raisons morales, et rarement esthétiques. Les rappeurs et rappeuses, pour disqualifier l’adversaire, ne se censurent en effet jamais et profèrent souvent des insultes violentes, vulgaires, parfois ouvertement sexistes et homophobes.

Un dévoiement moral?

La dénonciation d’une pratique artistique populaire et jeune (le jazz à sa naissance, puis le rock, puis le hip-hop, en ce moment les jeux vidéos) qui consisterait en un «dévoiement moral» de la jeunesse est un phénomène récurrent dans l’histoire, de la part d’une élite qui lui oppose le «grand Art» et qui aimerait bien que ce grand Art soit aussi populaire que les pratiques qu’elle fustige. Le rap est en plus une musique d’origine africaine-américaine et elle s’inscrit toujours ainsi dans les imaginaires collectifs: il n’est pas étonnant d’avoir vu apparaître des dénonciations du WordUP! avec un implicite de violence de classe et de racisme. Comme si le sexisme était l’apanage des hommes noirs, et que le racisme était l’apanage des classes populaires blanches…

Rappelons que sur ces questions, le dernier événement (la 13èmé édition en 2016) du Word UP! a fait bouger les lignes: Filigrann, co-créateur et animateur de la ligue, a souligné que la scène du Club Soda, la salle de spectacle montréalaise, était une free-speech zone, en calquant son modèle sur celui du safe space: l’enceinte où les rappeurs et rappeuses s’affrontent est sanctifiée et est régie par d’autres lois de la parole, isolées du reste de la salle. Les MCs n’hésitent alors pas à convoquer, sur le mode de l’humour noir et de la vulgarité, des insultes (esthétiquement travaillées par la rime et les figures de style) qui peuvent être racistes, sexistes ou homophobes pour disqualifier l’adversaire. Filigrann a rappelé toutefois que le public était, quant à lui, tenu au respect des autres, et que les organisateurs et organisatrices condamnaient tout acte de sexisme, d’homophobie ou de racisme pendant l’événement.

Il convient de rappeler aussi que la vulgarité, le sexisme, l’homophobie et le racisme ne sont pas l’apanage des WordUP!. Les historiennes féministes de l’art comme Griselda Pollock ont montré que tout ceci est bien présent dans la «grande» littérature et dans le «Grand Art» des sociétés occidentales, (les «classiques», ceux que l’on apprend à l’école et que les musées accrochent au mur). «Ta mère fit un pet foireux et tu naquis de sa collique»: la phrase est vulgaire et sexiste, et rappelle étrangement le «Yo Momma» de MTV. Et pourtant l’auteur de cette agression poétique n’est autre que Guillaume Apollinaire.

La scène rap francophone

Il est en revanche assez certain que parler du Word UP! en bien ou en mal n’a fait que le renforcer, et que son énorme importance pour le hip-hop québécois mérite d’être soulignée. En rassemblant rituellement une communauté de rappeurs et rappeuses autour d’un événement où des héros et des héroïnes apparaissent, et où l’impression d’être important·e se fait sentir, le WordUP! a structuré la nouvelle scène de rap québécoise francophone. À titre d’exemple, le groupe de rap Dead Obies s’est formé à la suite d’une soirée WordUP!. Le Word UP! est rapidement devenu international: des rappeurs français viennent au Québec pour le WordUP! et des rappeurs québécois viennent à Paris pour les RC. On dit souvent que «le rap français est le numéro deux après le rap états-unien». Si l’on se met à réfléchir plutôt dans le terme de «rap francophone», et que l’on arrive à fédérer les autres scènes francophones, autrement dit rap québécois mais aussi rap sénégalais, rap congolais, rap suisse, rap belge etc. Comme le WordUP! a réussi à le faire en inspirant les Rap Contenders, et en installant un dialogue constant avec le rap parisien, le rap francophone pourrait peut-être rivaliser avec le rap états-unien. Ce serait genre poétik. Genre politik. «Genre historik.»

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Le temps est une créature https://www.delitfrancais.com/2016/04/05/le-temps-est-une-creature/ https://www.delitfrancais.com/2016/04/05/le-temps-est-une-creature/#respond Tue, 05 Apr 2016 05:17:45 +0000 http://www.delitfrancais.com/?p=25293 L’Étreinte du Serpent dés-oriente au Cinéma du Parc.

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«Percer»les «mystères» des grands fleuves d’Afrique et d’Amérique, c’était la volonté jusqu’alors des productions culturelles occidentales. D’abord les écrits de Stanley sur son exploration semi-hallucinée du fleuve Congo qui ont inspiré Joseph Conrad et son Heart of Darkness — totalement halluciné celui-ci. Ensuite, les films — tout de même plus subtils — de Werner Herzog, notamment Aguirre, la colère de Dieu et Fitzcarraldo. La tradition a toujours alimenté cet exotisme orientaliste, d’une nature sauvage, puissante, indomptable, et de peuples violents, crédules, qu’il faudrait d’une manière ou d’une autre…«développer» pour éviter «l’horreur» (Conrad). 

Mahaut Engérant

Dés-orientalisme

À contrepied de cette tradition, L’Étreinte du Serpent est un film à l’image volontairement lissée. Le noir et blanc vient contrebalancer l’image d’une nature «luxuriante» et invasive, et empêche le spectateur de s’évader dans les  «couleurs de l’orient». En effet, pas d’évasion, mais plutôt des invasions: celles des Blancs, c’est-à-dire des occidentaux, qui n’amènent avec eux toujours que la violence.

Ce constat, c’est celui du chaman joué par un indigène, Nilbio Torres, et dont le personnage, Karamakate, tient le rôle principal: celui du conteur et du guide. Un ethnologue allemand pris par la fièvre — celle du caoutchouc? — et quelques décennies plus tard, un botaniste américain, se font tous deux guider par Karamakate à la recherche de la fleur Yakruna, une fleur mythique qui guérit et apaise. Durant cette aventure, Karamakate est le «bouge-mondes». Il nous présente son récit de l’Amazonie sur le thème du monde renversé, figuré par des plans flous et inversés par le reflet du fleuve, où le Blanc n’apprend rien à personne et doit être éduqué par les Indigènes.

«C’est en fait un voyage halluciné au cœur de l’histoire du rapport de l’Occident à l’Amazonie»

Temps circulaire

Le récit est alors un récit initiatique sans progrès, à l’image des méandres du fleuve-serpent — aussi celui des cosmogonies indigènes — qui désorientent le spectateur. La caméra tourne autour de la pirogue sans jamais nous montrer la direction, changeant toujours de rive et de point de vue: la pirogue ne suit pas le fleuve, elle s’y perd, et l’Occidental aussi. Mais c’est en fait un voyage halluciné au cœur de l’histoire du rapport de l’Occident à l’Amazonie. Le fleuve mène à des fragments d‘histoire qui surgissent sans origine évidente et disparaissent aussi brutalement. Le récit est morcelé, sans ligne directrice, et c’est précisément en cela que Ciro Guerra a vu juste. Le temps devient en effet une spirale, à l’inverse de notre temps linéaire. Et le fleuve se convertit en cet espace-temps circulaire du serpent qui s’enroule sur lui-même. C’est donc le temps positiviste —celui du progrès de la science occidentale, mais aussi celui du récit avec un début et une fin — qui se perd lui même. L’Occidental se baigne toujours dans ce même Amazone: perdu dans «le temps sans temps» il ne croise que des fantômes de fragments — un poste de frontière surréaliste, des exploitations de caoutchouc — et des morceaux de fantasmes — une étrange mission catholique, une fleur mythique — sans jamais en sortir.

Devant ce tableau très sombre et réaliste d’une histoire fragmentée et d’un colon occidental violent, quelques éléments laissent l’œuvre ouverte. La fin très mystérieuse, la poésie symboliste de certains plans ainsi que les questions du savoir et du rôle de l’ethnographie font du film un tout complexe et riche de significations. Ciro Guerra signe un film qui serpente dans nos perceptions d’Occidentaux pour mieux les troubler.

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Dead Obies en coulisses https://www.delitfrancais.com/2016/02/22/dead-obies-en-coulisses/ https://www.delitfrancais.com/2016/02/22/dead-obies-en-coulisses/#respond Tue, 23 Feb 2016 03:21:26 +0000 http://www.delitfrancais.com/?p=24945 Le Délit a rencontré le groupe de post-rap Dead Obies, à l’occasion de la sortie de leur nouvel album, Gesamtkunstwerk.

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Dead Obies est un groupe de post-rap qui a acquis sa notoriété grâce aux dix-sept morceaux de Montréal $ud, sorti en 2013. Leur prochain album, Gesamkunstwerk, sera dans les bacs le 4 mars 2016 sous le label Bonsound. Le concept est original: au mois d’octobre, les rappeurs ont proposé trois sessions live, dont les enregistrements sont inclus dans l’album studio. Le Délit a rencontré quatre membres de Dead Obies: Yesmccan, Joe RCA, 20some et O.G.Bear, pour une discussion très… esthétique.

German Moreno

Le Délit (LD): Votre album s’intitule Gesamtkunstwerk: est-ce que vous faites une œuvre d’art totale, comme le veut ce concept allemand?

YesMccan: On élargit le concept du rap avec ça, on stretch les mots. Y’a une longue lignée dans la génétique du rap de bragadoccio du type «j’suis le meilleur, I got big car, I got big chain»… Nous on fait une œuvre d’art totale, c’est aussi humoristique: y’a clairement un ton «frondeur». On voulait enregistrer un album live, le retravailler et que toutes les facettes de la «marchandise de l’album» servent le discours.

LD: Lors des enregistrements live au Centre Phi en octobre dernier, le concert s’est ouvert sur la projection d’images du documentaire de Guy Debord La Société du Spectacle. Vous vous êtes inspirés de son travail?

YesMccan: La Société du Spectacle est une œuvre hautement poétique et hautement théorique. Guy Debord est vraiment un artiste et un théoricien. Des phrases nous ont guidés et inspirés pour l’album, c’était fort comme point de départ. On a beaucoup réfléchi, on avait peur que ça sonne prétentieux ou qu’on ait «pas le droit» de toucher à cette œuvre-là parce qu’on serait incapables d’y rendre justice. Puis le gros truc à propos du situationnisme c’est que si tu te réclames de ça c’est vraiment un mouvement hardcore, anti-capitaliste au maximum, anti-mythe populaire, c’est très revendicateur. Ça nous intéresse d’aller au-delà du mythe: la culture et les hautes théories sont autant pour le peuple que pour les universitaires ou l’élite.

Pis y’a des phrases comme: «Dans le monde réellement renversé, le vrai est un moment du faux»: tu donnes ça à un artiste il te fait un album ou une peinture!

C’est d’autant plus facile parce que Guy Debord a écrit ça dans les années 1960, c’était super controversé. Mais c’est difficile en 2016 de le contredire, tout le monde peut faire l’expérience de la société du spectacle.

20some: C’est comme si ses théories s’étaient renforcées avec le temps, c’est pour ça qu’il a été réédité dans les années 1990. Lire le livre ou voir le documentaire, ça a été la bougie d’allumage pour en parler entre nous, dans nos mots. Ça a amorcé notre imaginaire collectif, comme un déclic, toutes les chansons qu’on avait prenaient place.

LD: On peut donc dire que vous avez «théorisé» votre esthétique?

YesMccan: Au début on avait le désir, purement esthétique, d’incorporer du live dans l’album, pour traduire l’énergie de nos performances. Puis on a avait entendu que pour Francis Ford Coppola, un artiste doit être capable de définir son œuvre en un mot. En lisant La Société du Spectacle, on avait notre sujet d’album.

LD: Sur vos pochettes d’album, on remarque souvent la présence de selfies, de caméras, ce qui entre bien dans le thème du spectacle…

YesMccan: On voulait renverser le focus du spectateur à l’artiste, que l’artiste aille vers le public. On allait dans la foule, l’un de nous a pris un cliché de Charles (20some, ndlr) dans la foule pendant qu’une fille se prenait en selfie avec lui, pis dans le cadre on voit la caméra qui capte l’ensemble du projet. C’était très évocateur.

LD: À ce propos, vous avez joué avec le groupe de jazz Kalmunity, vous prévoyez de jouer avec plus de musiciens acoustiques?

Joe RCA: Ben… j’ai pris des cours de trompette. (rires)

YesMccan: Certains d’entre nous sont fans de Kalmunity, on était même intimidés de leur demander de jouer avec nous. On va répéter l’expérience dans plein de concerts, donc c’était concluant.

20some: Y’a quelque chose dans la musique, dans la maîtrise de l’instrument qui est inatteignable dans le rap…

O.G. Bear: C’est l’opposé pour moi: j’aime la musique, mais dans le rap c’est la voix, le ton, ton personnage, qui font qu’un rappeur va se distinguer. C’est aussi nos différences qui nous font avancer, on est six à avoir des visions différentes, mais on est tous des mélomanes.

LD: Au niveau de l’écriture, ça se passe comment?

Joe RCA: Chacun écrit son texte comme toujours dans le rap. Parfois en studio y’a des idées qui viennent, chacun écrit son texte mais c’est un travail d’équipe.

LD: Vous vous mettez d’accord sur les thèmes?

Joe RCA: Pour cet album, ça part du beat, de la musique. On est souvent parti d’un refrain, donc celui qui a le refrain donne la trame pour tout le monde.

20some: On essaye de pas faire des thèmes clairs, y’a comme des couleurs ou une certaine émotion.

O.G. Bear: C’est très instinctif, y’a un thème mais parfois on travaille dedans sans même le savoir. On ne force pas notre sujet précisément.

LD: Vous connaissez la controverse de PNL (groupe de rap français qui utilise beaucoup de distorsions de voix, ndlr): vous aimez utiliser l’auto-tune et les distorsions de voix?

O.G. Bear: C’est vraiment un outil de travail. Si tu sais ce que tu fais, tu sais chanter, il n’y a pas de honte à l’utiliser.

Joe RCA: Il faut pas penser que l’auto-tune c’est fake, et que c’est plus ta voix. C’est un peu se mentir parce que quand t’enregistres de la musique par le micro, c’est déjà plus ta voix.

20some: Je suis sûr que la guitare électrique quand c’est sorti on a dit «Yo, c’est pas de la vraie guitare.» Le souci c’est d’être ouvert. C’est comme un chef cuisinier, t’aimes pas les épices mais whatever si c’est bon tu les intègres à ton craft.

LD: C’est quoi pour vous le «post-rap»?

YesMccan: Les premiers qui s’y sont mis, pour moi, c’est Alaclair Ensemble, leur sortie de presse c’était «on fait du post-rigodon», c’était carrément absurde. Les conventions sont un peu tombées avec les technologies qu’on connaît, ce que tu peux faire, ce que tu peux dire en amenant de la folie: c’est ce qu’on s’est donné comme ambition. On voulait avoir une étiquette différente des autres. Après, ce qu’on fait ça reste du rap, ça pourrait être une sous-branche de la musique. Method Man c’est du rap, M.I.A c’est déjà plus post-rap.

LD: Pour finir, qu’est-ce qui vous manque pour le futur?

YesMccan: De l’argent (rires).

Joe RCA: Faudrait qu’on sorte du Québec, on a un grand monde à conquérir.

20some: On a fait des dates en France. C’est la première fois qu’on s’est fait prendre au sérieux par des journalistes, là-bas on sentait que y’avait un professionnalisme par rapport aux rappeurs alors qu’ici, tu te fais un peu infantiliser quand tu fais du rap. Enfin moins maintenant, mais là-bas on était épatés par l’événement, on a eu deux pages dans Libération!

YesMccan: On aimerait beaucoup y retourner, mais ça coûte de l’argent. Pis on est en dehors du réseau des subventions au Canada parce qu’on répond pas aux critères des musiques francophones. On n’a pas assez de français pour être francophones mais on n’a pas assez d’anglais pour être anglophones. On tombe dans une zone grise. On trouvera d’autres façons!

Joe RCA: It is what it is!  

C-Deadobies
John Londono

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Techno-lyrique https://www.delitfrancais.com/2016/02/16/techno-lyrique/ https://www.delitfrancais.com/2016/02/16/techno-lyrique/#respond Tue, 16 Feb 2016 07:43:25 +0000 http://www.delitfrancais.com/?p=24869 Ragnar Kjartansson, un artiste plein d’ironie au Musée d’Art Contemporain.

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L’une des caractéristiques de l’art contemporain, mais aussi de l’art en général, est qu’il est un mythe, peut-être même le plus grand mythe accepté et reconnu par tous dans nos sociétés «rationnelles», sans cesse réalimenté. On ne peut plus, néanmoins, depuis la fin du romantisme, prendre totalement au sérieux l’artiste comme un être semi-divin. Le «rêveur sacré» de Victor Hugo, c’est terminé. L’art a arrêté la «larme écrite» et l’épanchement lyrique grandiloquent d’un Lamartine ou d’un Crémazie est devenu une facilité trop convenue. Ceci est un avis à certains artistes contemporains, qui aiment dire dans les milieux qu’ils sont «artistes» pour obtenir des reconnaissances sociales fortes avec un minimum d’investissement. Le fameux «j’ai voulu parler de mes sentiments, de mon vécu, de mes émotions, de mon ressenti» (rayer la mention inutile), ça ne prend plus. Fini. Finito.

Bon, alors que faire? On n’a pas droit d’être triste, mélancolique, de regarder les étoiles et d’écrire de la poésie? Mais si, on a le droit! Mais l’art comme une souffrance, c’est ennuyeux et ennuyant, surtout quand c’est mal fait.

«I’m a Poet

Reste donc à en sourire, de ces épanchements et de ces vocations de poète/rêveur/torturé!

C’est là que l’islandais Ragnar Kjartansson entre en scène. Le Musée d’Art Contemporain de Montréal propose trois projections grandioses de ses performances. L’art qui se réfléchit en même temps qu’il se fait, c’est assez classique pour l’art moderne et l’art contemporain. Mais le côté réflexif de Kjartansson est plein d’humour et d’ironie. Comme il le dit lui-même, Kjartansson aime «déconstruire» les œuvres d’art. La première installation vidéo, intitulée «World Light — Life and Death of an Artist» est en fait plutôt une reconstruction «cubiste» du roman islandais La lumière du monde, écrit par le Prix Nobel Halldór Laxness. L’œuvre raconte les vicissitudes d’un jeune homme qui se dit poète. Le roman de Laxness est une véritable épopée: l’adaptation de Ragnar est une épopée comique et ironique.

«Montrer la difficulté d’être sérieusement lyrique dans ce monde de brutes»

Kjartansson propose au spectateur vingt heures (non, je n’ai pas tout vu) de répétitions et d’images non-montées, comme si le spectateur assistait à un tournage. Sa troupe «joue à faire du cinéma». Alors, les scènes d’intense lyrisme et de tristesse du poète qui regarde les étoiles se répètent de façon comique et alternent avec la décontraction des comédiens-performeurs entre les prises. All is false, à l’inverse de Balzac, et le spectateur le comprend très vite. Il est d’ailleurs difficile de suivre la trame narrative: les sens du spectateur sont perturbés par la simultanéité des quatre écrans et des quatre bandes-son.

La déconstruction est bien là, et le dévoilement du spectateur, comme placé en coulisse, vient démystifier ironiquement l’art et l’artiste et montrer la difficulté d’être sérieusement lyrique dans ce monde de brutes. La simultanéité et la répétition, donc la reproductibilité permises par la technologie (la vidéo, les enregistrements sonores) avaient été identifiées, par Walter Benjamin, comme génératrices d’un changement majeur de l’art par sa démystification. Kjartansson en est une belle preuve.

Vittorio Pessin

Sa deuxième installation vidéo, intitulée «The Visitors»  est en fait, plus qu’une démystification, une «re-mystification». L’artiste a convié ses amis musiciens dans un grand manoir au bord de l’Hudson, et leur a proposé de jouer une partition, chacun isolé physiquement dans les différentes pièces du manoir. Mais cet isolement physique est pallié par leur connexion technologique (chacun entend, dans un casque, ce que les autres jouent). Chacun peut donc jouer en harmonie avec les autres. Le spectateur contemple la dizaine d’écrans comme s’il visitait le manoir, en écoutant l’émouvante et mélancolique mélodie. À deux doigts de tomber dans le lyrisme et le «cœur gros», Kjartansson désamorce tout de suite l’émotion par des scènes comiques: un guitariste dans sa baignoire, un feu d’artifice un peu trop bruyant… La synthèse artistique permise par la technologie de la vidéo (le feu d’artifice très bruyant durant le crescendo le plus émouvant) permet encore une fois la mise à distance, et donc l’anti-mythe de l’art.

Finalement, la technologie, même quand elle ne marche pas, démystifie cette «aura» de l’œuvre d’art: des problèmes techniques ont forcé le musée à annuler momentanément la troisième installation vidéo. Ironie du sort qui sert notre propos.

Plein de modestie, Ragnar Kjartansson pratique ce retour réflexif sur son art, et ce avec humour et ironie. C’est finalement le titre de l’exposition qui déçoit le plus: Ragnar Kjartansson. Comme si le musée était en retard sur l’artiste, lui qui s’efface devant ses amis musiciens, devant ses comédiens et qui réfléchit, plein d’auto-dérision, sur son statut — trop facile — d’artiste.  Philippe Jaccottet écrit, dans L’Ignorant,  «L’effacement soit ma façon de resplendir.» Soit celle aussi de Kjartansson. 

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Face au Politique, la sociologie https://www.delitfrancais.com/2016/02/16/face-au-politique-la-sociologie/ https://www.delitfrancais.com/2016/02/16/face-au-politique-la-sociologie/#respond Tue, 16 Feb 2016 07:13:37 +0000 http://www.delitfrancais.com/?p=24841 Une science qui dévoile les structures.

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L’air du temps n’est pas favorable à la sociologie. Des universités japonaises qui ferment les départements de sociologie pour allouer plus de fonds aux sciences dites «utiles» aux élucubrations du premier ministre français Manuel Valls, la sociologie est rabaissée au rang des choses inutiles, quand elle n’est pas pointée du doigt, comme complice fourbe du terrorisme. «Aucune excuse sociale, sociologique et culturelle ne doit être recherchée» pour les actes terroristes avait ainsi proclamé Manuel Valls, sous les applaudissements des députés à l’Assemblée nationale française. En avril 2013, l’ancien premier ministre Stephen Harper était interrogé sur les suites de l’arrestation de deux individus soupçonnés de préparer un attentat contre un convoi de Via-Rail. Ce n’était pas le moment de se «lancer dans la sociologie» dit alors M. Harper. Un crime est un crime et rien ne sert d’en chercher des causes dans la société. La même réponse fut donnée en 2014 alors qu’une fois de plus, la question d’une enquête nationale sur les femmes autochtones disparues ou assassinées était posée au chef d’État: ces crimes ne relevaient pas non plus d’un «phénomène sociologique».

«L’attaque» sociologique

Comment peut-on expliquer cette offensive brutale contre la sociologie? La réponse réside dans le fait que le champ politique cherche à avoir le monopole du discours sur le social. Faisant appel à l’instinct, à l’inné, refusant tout questionnement sur ce qui est socialement proclamé comme vrai, le Politique voit d’un mauvais œil le fait que la sociologie s’empare elle aussi de son champ d’action. Lui qui annonce le vrai, comment pourrait-il accepter qu’on remette en question le donné, l’immédiateté de la société et son côté apparemment évident?  En s’attaquant à la sociologie, le champ politique cherche à défendre son monopole d’interprétation du réel, sa propre vision du social, face à celle qui vient lui refuser ce privilège exclusif.

«Comprendre et expliquer, c’est le domaine de la connaissance et de la science: la sociologie ne prétend pas non plus remplacer la Justice»

Le célèbre sociologue français Pierre Bourdieu souligne que l’on prend souvent les sociologues pour des hommes politiques et que leurs résultats de recherches sont pris pour des «attaques», comme s’ils prenaient place dans le domaine de la rhétorique. Mais la sociologie, c’est d’abord de la science, et ça ne sert pas à faire la guerre.

D’ailleurs, quand elle n’est pas dangereuse, la sociologie est proclamée comme évidente, donc inutile. Le problème réside, selon Bourdieu, dans l’idée que «chaque sujet social pense qu’il est, ipso facto, savant de l’homme», qu’il connaît donc parfaitement les ressorts profonds de l’activité sociale, étant donné qu’il y évolue. C’est cependant une «pure illusion».

Ce qu’on identifie aussi parfois comme une «attaque», c’est cette nouvelle «blessure narcissique» faite à l’homme, qui le pousse à refuser toute sociologie. Non, la Terre n’est pas le centre de l’univers. Non, la société n’est pas un tout harmonieux. Et non, l’individu n’est pas entièrement libre de ses choix, il ne se meut pas dans la société seulement par son «mérite» et son effort personnel.

Mahaut Engérant

La sociologie, science de la démystification

Inutile et politique: la sociologie ne serait donc qu’une idéologie — dangereusement de gauche (même si, rappelons-le au passage, la sociologie peut toutefois aussi être de droite: l’identitaire d’extrême-droite québécois Mathieu Bock-Côté se définit comme «sociologue»).

Peu importe son engagement, la sociologie dérange. Car elle s’attaque à ce qui est évident, dévoile ce qui nous paraît donné. Elle montre que l’organisation de notre société est sujette à des relations de domination. La sociologie laisse à voir les dynamiques de pouvoir, les structures qui la composent et son historicité.

«La sociologie, c’est d’abord de la science, et ça ne sert pas à faire la guerre»

Ainsi, la méritocratie, amplement mise en avant dans nos sociétés libérales (celles d’un individu supposément entièrement libre, parvenant par «le travail et par l’épargne» au sommet de la société) ne résiste pas à une analyse sociologique poussée. Les inégalités se transmettent, pas seulement économiques, mais aussi culturelles. Ce qui donne à réfléchir, notamment au Québec, au moment où le gouvernement de Philippe Couillard s’apprête à opérer de nouvelles coupes dans le budget de l’éducation (qui vise, tant bien que mal, à contraindre ces inégalités de naissance).

La sociologie est utile jusque dans les allocations gouvernementales à la culture, puisqu’il nous paraît évident (c’est du «bon sens») de donner plus de fonds à l’opéra, art noble par excellence, qu’à un concert de rap (ou, par le passé, de rock ou de jazz). Mais qui est légitimé par l’opéra? Sûrement pas les classes populaires: la sociologie est encore là pour nous le rappeler, en montrant les ressorts de domination et de hiérarchisation sous-jacents à l’industrie et aux politiques culturelles.

Expliquer mais non pas excuser

La sociologie vise ainsi à constamment expliquer. Expliquer… mais pas excuser ou fournir une quelconque forme de discours moral. Elle est nécessairement politique, puisqu’elle dévoile ce qui est à la base des idéologies politiques. Elle déconstruit des discours politiques en explicitant le fonctionnement de la société. Mais plus que des solutions, la sociologie pointe du doigt les problèmes. Elle ne prétend pas se substituer au Politique.

Des mouvements politiques peuvent certes par la suite s’emparer, avec plus ou moins d’honnêteté intellectuelle, des conclusions sociologiques — ainsi, peut-on penser un mouvement féministe sans la sociologie et les études de genre? Cependant, cette reprise est en réalité une mise en pratique plutôt que l’une des visées de la sociologie.

Peut-on finalement dire que la sociologie participe à une «culture de l’excuse» des criminels, des terroristes, des assassins? L’excuse relève du domaine de la morale. Comprendre et expliquer, c’est le domaine de la connaissance et de la science: la sociologie ne prétend pas non plus remplacer la Justice. Elle se contente encore une fois de démystifier les faits sociaux. Ainsi, le terroriste n’organise pas un attentat comme si l’ordre lui venait directement du ciel. Le terrorisme n’est pas «inexplicable». Le crime n’est pas «inexplicable». Le succès de Donald Trump n’est pas inexplicable: est-il vraiment simplement un self-made man? La sociologie, c’est ainsi dévoiler les structures. C’est nous permettre de ne plus dire que s’il y a des dominants et des dominés, que si des terroristes  organisent des attentats, que si les anglophones sont avantagés devant les francophones … «c’est comme ça». 

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Ruban de Mœbius https://www.delitfrancais.com/2016/01/26/ruban-de-moebius/ https://www.delitfrancais.com/2016/01/26/ruban-de-moebius/#respond Tue, 26 Jan 2016 20:14:02 +0000 http://www.delitfrancais.com/?p=24541 Queue cerise, chercher à se «défaire de l’étroitesse de la raison.»

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Amélie Dallaire est comédienne de formation, mais elle est aussi l’auteure de Queue Cerise, une pièce sur l’inconscient et les rêves, jouée au Théâtre d’Aujourd’hui du 26 janvier au 13 février.


Le Délit (LD): Pour commencer, étant donné que tu es l’auteure, peux-tu nous présenter ta pièce?

Amélie Dallaire (AD): C’est l’histoire d’une fille qui commence un nouveau travail et elle ne sait jamais quoi faire, elle ne comprend pas son poste. Alors elle se perd dans les couloirs, elle se retrouve dans des endroits bizarres… Et ça me permet d’aborder l’inconscience, je m’intéresse beaucoup à l’inconscient, les moments où l’inconscient et la conscience cohabitent.

LD: Pourquoi vouloir écrire une pièce aussi intime, puisqu’elle traite en partie de tes propres rêves et fantasmes?

AD: Je veux faire de mes fantasmes un sujet, mais c’est pas littéral. C’est impudique mais en même temps je suis protégée par la fiction. La fiction transforme les fantasmes, les gens vont se les approprier et ça va peut-être devenir les leurs!

LD: D’ailleurs, comment le titre t’est-il venu?

AD: C’était comme une intuition, j’avais une idée mais pas claire… J’aimais la sonorité, il y a le mot «queue» qui fait animal, une queue d’animal mais aussi un membre. Et puis «cerise» ça faisait la chair, une couleur, une texture. Je trouvais que ça faisait sensuel aussi.

LD: Comme l’on parle du rêve et de l’inconscient, quel rapport cette pièce entretient-elle avec la psychanalyse?

AD: Je ne m’inspire pas exactement de la psychanalyse,  mais plutôt des idées de Carl Gustav Jung. C’est comme une adaptation, mais en amateur; ça m’a inspiré dans l’écriture. J’essayais d’être connectée à ces pensées, tu sais, celles qui surgissent dans notre cerveau mais qui ne semblent pas être de nous! 

Carl Gustav Jung dit que l’on est tout le temps en train de rêver. Et en effet, le rêve c’est un peu l’aboutissement de cette idée je trouve, entre conscience et inconscience. Queue Cerise c’est comme un ruban de Mœbius, on ne reconnaît pas le côté conscient ou inconscient, les deux faces se brouillent. On n’est pas capables de discerner, il n’y a plus de frontière. Le conscient et l’inconscient sont comme… entrelacés. La mise en scène essaye d’appuyer ce phénomène, avec des changements brusques de scènes, comme dans un rêve. C’est un peu brouillé on se retrouve dans une pièce puis une autre sans se souvenir des transitions.

LD: À propos de la mise en scène: commewnt as-tu travaillé avec Olivier Morin, le metteur en scène?

AD: On a fait une espèce de laboratoire de Queue Cerise, donc on avait déjà un travail amorcé. Puis je suis retournée à l’écriture, c’est là que ma raison est revenue, j’ai dû organiser le chaos. Olivier m’avait donné des exercices à faire, il fallait que je travaille les personnages, j’avais besoin d’un cadre. Olivier m’a aidée pour ça. Puis à un moment, il fallait que je lâche l’écriture, et il a fallu que je lui passe le flambeau.

LD: Enfin, parlons un peu de toi. Quel lien trouves-tu entre ta carrière de comédienne et d’auteure?

AD: Quand je suis sortie de l’école il y a 10 ans, ma carrière n’a pas été très florissante, je n’avais pas beaucoup de confiance en moi, donc j’ai commencé à écrire. J’ai aussi participé au «Théâtre tout court», une soirée de courtes pièces, j’y ai participé à cinq reprises. Ça te permet d’explorer très vite ce que ça donne, en une semaine c’est écrit et monté, tu te sens vraiment libre d’explorer des thèmes.

Parfois je me sens mieux comme créatrice. Comédienne c’est parfois un peu passif. Pour être créatrice je prends un crayon pour écrire. Les monologues humoristiques, etc. J’explore, je trouve plus de fun et d’énergie en étant autonome.

Mahaut Engérant

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L’environnement sans la culture? https://www.delitfrancais.com/2015/11/28/lenvironnement-sans-la-culture/ https://www.delitfrancais.com/2015/11/28/lenvironnement-sans-la-culture/#respond Sun, 29 Nov 2015 01:39:14 +0000 http://www.delitfrancais.com/?p=24323 Une conférence sur l’environnement qui peine à captiver l’auditoire de la BanQ.

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Le 10 Novembre, l’Institut du Nouveau Monde (INM) organisait à l’auditorium de la Grande Bibliothèque de Montréal une conférence de Steven Guilbeault sur le «dialogue entre culture et environnement». Steven Guilbeault est un expert en questions environnementales. Il est l’un des membres fondateurs, et le directeur principal d’Équiterre, un organisme à but non lucratif canadien qui se donne pour mission  de «contribuer à bâtir un mouvement de société en incitant citoyens, organisations et gouvernements à faire des choix écologiques, équitables et solidaires». Guilbeault a aussi œuvré pendant dix ans au sein de l’ONG Greenpeace.

Le choix de conférencier paraissait donc pertinent de la part de l’INM: Guilbeault est un activiste québécois qui travaille «sur le terrain» depuis longtemps sur les questions environnementales. La conférence s’annonçait passionnante à bien des égards: un bon conférencier, un sujet intéressant et important, dans un lieu emblématique de la vie intellectuelle québécoise (le Quartier Latin, cœur de la culture francophone et étudiante de Montréal).

Pourtant, le miracle n’a pas  lieu.

La conférence s’est transformée en un constat, certes important, mais peu original, sur le fait que oui, «la terre se réchauffe». Très bien. Mis à part quelques climato-sceptiques à qui il manque quelques lumières, nous le savions tous. Le problème est que Guilbeault prêchait en terre convertie: l’heure de conférence n’a sûrement rien appris à personne. On peut affirmer sans risque que la majorité du public, s’il s’est déplacé, était bien au courant des problématiques environnementales. Guilbeault a pourtant commencé sa conférence par une phrase qui ne présageait rien de bon : «Je n’y connais rien en culture, mais je m’y connais en environnement, je vais donc vous parler du réchauffement climatique».

Tant bien que mal, Guilbeault a donc souligné la place de bon élève du Québec sur les questions environnementales, en soulignant l’importance de l’Agenda 21 et de la «culture québécoise». Mais en prenant bien soin de ne jamais identifier quels éléments de la «culture québécoise» peuvent expliquer et aider la lutte contre le réchauffement climatique.

Le public est donc resté sur sa faim. En témoignent les nombreuses questions du public: le rôle de l’école dans la sensibilisation des jeunes aux questions environnementales, la question de la viabilité d’une «croissance verte» qui paraît à bien des égards une pure contradiction, les inégalités d’accès aux produits biologiques selon la classe sociale. À croire que le public était bien plus au courant des questions que pose le dialogue entre culture et environnement. Qu’en est-il de la représentation de la nature dans l’art? D’où vient notre rapport productiviste à la nature? Comment lutter, culturellement, pour changer ce rapport à la nature?

Les diapositives de Guilbeault venaient malheureusement beaucoup plus vanter les succès d’Equiterre ou de Greenpeace, du type «nous avons réussi à mobiliser», que montrer comment mobiliser de nouveau ou plus profondément –notamment grâce à la culture – la population sur un thème aussi structurel et vital que celui de l’environnement.

Une conférence au thème passionnant mais bien décevante. On rentre chez soi la tête remplie de questions avec aucune réponse à se mettre sous la dent. La culture est intimement liée aux questions environnementales, et il est dommage qu’un conférencier aussi investi dans la lutte contre le réchauffement climatique n’ait pas su nous en dire plus.

Luce Engérant

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Elles Aujourd’hui https://www.delitfrancais.com/2015/11/17/elles-aujourdhui/ https://www.delitfrancais.com/2015/11/17/elles-aujourdhui/#respond Tue, 17 Nov 2015 17:44:55 +0000 http://www.delitfrancais.com/?p=24176 Six artistes-peintres québécoises et canadiennes en vedette au Musée des Beaux-Arts.

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Le Musée des Beaux-Arts de Montréal, dans le cadre de son exposition phare sur le groupe de Beaver Hall («La couleur du jazz»), propose une autre exposition qui prolonge la réflexion à propos des artistes professionnelles contemporaines.

Zaliqa Rosli

Elles Aujourd’hui présente le travail de six artistes québécoises et canadiennes représentatives du dynamisme actuel de la peinture, en dialogue avec la société actuelle. Une exposition très courte, peu analytique et qui laisse la place à de grands tableaux, souvent narratifs, où la tradition picturale est confrontée au monde contemporain du microscope, de la cartographie numérique, de la télévision, des stéréotypes. Il y a aussi des tableaux qui présentent des réflexions sur la culture avec les thématiques de la représentation littéraire, de la mémoire et de la culture populaire.

Zaliqa Rosli

On regrette un manque d’explications sur le rôle de l’artiste. En effet, la nouveauté du groupe du Beaver Hall était notamment la présence importante d’artistes féminines professionnelles, faisant du collectif d’artistes le plus moderne de son temps. Quel rôle se donnent ces artistes aujourd’hui dans leur société? L’exposition a en fait tendance à séparer les artistes de leur contexte. En effet, il est dit que ces artistes «enseignent dans les écoles» et participent à «l’écosystème culturel» d’aujourd’hui. On aurait aimé en savoir plus sur le rôle didactique, pédagogique ou politique des artistes, et leur rapport à l’art. Mais ce n’est qu’une exposition et l’on apprécie le moment devant de très belles œuvres, impossibles à assimiler au sein d’un même mouvement (les différences esthétiques entre les artistes font d’ailleurs contraste avec l’homogénéité qui existe au sein du groupe du Beaver Hall). 

Zaliqa Rosli

Coup de cœur de la rédaction pour les très belles œuvres de la coloriste Wanda Koop, qui réconcilie l’abstraction et la figuration avec succès pour interroger notre rapport à la télévision et à l’information visuelle en continu. Coup de cœur aussi pour le tableau dans l’espace de Marie-Claude Bouthillier, «Dans le ventre de la baleine», qui donne au public la belle impression de pénétrer l’imaginaire d’un tableau.

En somme,  de très belles œuvres et six artistes qui représentent le dynamisme de la peinture et de ses différents courants: peinture qui s’approche du textile, peinture abstraite, peinture narrative et figurative, peinture adjacente à la photographie, mais surtout peinture mise en espace. Cette exposition courte et efficace, est surtout gratuite pour les moins de 30 ans. On ne peut que conseiller d’y passer pour découvrir, au moins, de belles œuvres canadiennes.

Zaliqa Rosli

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L’Art-spectacle de Dead Obies https://www.delitfrancais.com/2015/10/21/lart-spectacle-de-dead-obies/ https://www.delitfrancais.com/2015/10/21/lart-spectacle-de-dead-obies/#respond Wed, 21 Oct 2015 16:58:03 +0000 http://www.delitfrancais.com/?p=23664 Le groupe de rap québécois produit son album au Centre Phi.

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Du 14 au 16 octobre 2015, avait lieu l’enregistrement du nouvel album de Dead Obies, un groupe québécois composé des rappeurs Jo RCA, Yes McCan, Snail Kid, 20some, O.G. Bear, et VNCE. Les six artistes poussent si loin la notion de rap et la dimension de spectacle, qu’ils accueillent le public au cœur même du processus de création de leur album. Après le succès de l’excellent  Montréal $ud en 2013, le groupe est venu tenter – et réussir – un coup de plus dans le rap québécois.

Joachim Dos Santos

Les rappeurs ont donc donné trois concerts au Centre Phi, qui ont aussi servi de phases d’enregistrement pour leur prochain album, prévu pour l’hiver 2016. Ce dernier sera donc créé à partir d’un concept original, puisqu’il aura été enregistré en présence d’une foule d’amateurs qui ont eu l’air d’apprécier le moment. Les spectateurs ont participé presque malgré eux au processus de création de Dead Obies qui n’était donc pas uniquement en  représentation mais bien en présentation de son art.

Depuis Montréal $ud, Dead Obies cherche à dépasser la simple dimension musicale du rap. En effet, l’album était accompagné d’un livre écrit par les artistes expliquant toute la démarche esthétique, artistique, voire politique de l’œuvre. La sortie de l’album était aussi accompagnée d’une web-série à l’esthétique très précise: 4:20. Quant au site web officiel du groupe, il semble tout droit sorti de ce que le pire des premières années d’Internet a su donner, ce qui en dit long sur la conception décalée et aventureuse que le groupe développe dans son art.

Surprise de la mise en scène

La scénographie était volontairement organisée comme un grand spectacle. Une toile translucide jetée entre la scène et le parterre, d’où étaient projetées des images qui rendaient l’aspect visuel du concert intéressant. L’esthétique n’était pas seulement musicale mais aussi visuelle, photographique et filmique. Avant le concert, des extraits du documentaire La Société du Spectacle de Guy Debord interrogeaient le spectateur sur sa condition dans un environnement où tout n’est que spectacle. Dead Obies, inspiré de loin par le  marxisme situationniste, a alors présenté un méta-spectacle qui interroge son rôle dans l’art et qui vient – peut-être –  désaliéner le spectateur en l’intégrant à la création artistique.

Un méta-spectacle […] qui vient – peut-être – désaliéner le spectateur en l’intégrant à la création artistique.

Plus que du rap, Dead Obies vient pratiquer ce qui s’apparente toujours plus à une forme d’art contemporain, conceptuel et varié, qu’ils aiment eux-mêmes à appeler le post-rap. Ce concept assez flou semble définir une nouvelle manière de concevoir le rap qui se caractérise par une diversité accrue des productions, des styles, des rythmiques et des thèmes au même titre qu’une vision inédite du rap comme nouvel art. Le post-rap peut ainsi être entouré de constructions artistiques, philosophiques et sociales plus robustes (c’est cette définition-là qui sied à la démarche de Dead Obies).

L’aventure musicale

Musicalement, le producteur et beatmaker VNCE est à saluer. La finesse de ses productions permet aux rappeurs de développer et de montrer l’éventail de leurs morceaux en toute liberté. Sont présentes les références pop et les résonnances du dirty-south (l’alter-ego du Montréal Sud, où les rappeurs ont grandi, judicieusement baptisé le “Sud Sale”). On remarque aussi la connaissance indiscutable des classiques. La présence de choristes et de quatre musiciens (basse, batterie et synthétiseurs) qui soutiennent et amplifient les productions de VNCE permettent aux cinq rappeurs de s’aventurer même hors du rap. Les refrains chantés, l’utilisation de vocalises caractéristiques (des râles et des accentuations utilisés comme gimmicks, par Jo RCA notamment) ou encore la présence de sons qui se rapprochent de la pop, et même de sifflements, viennent modérer le côté «répétitif» du rap si contesté par ses détracteurs.

Dead Obies se pose clairement en tête de pont du rap québécois, amenant un renouveau exceptionnel en la matière tout en développant une esthétique, des problématiques et une dynamique propres au rap canadien francophone. Une dynamique que l’on se plaît à imaginer comme le moteur d’un courant artistique particulier, à travers l’émergence d’une école du rap, propre au Québec et en phase complète avec notre époque. 

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Quand spectacle rime avec voyage https://www.delitfrancais.com/2015/09/15/quand-spectacle-rime-avec-voyage/ https://www.delitfrancais.com/2015/09/15/quand-spectacle-rime-avec-voyage/#respond Tue, 15 Sep 2015 21:27:56 +0000 http://www.delitfrancais.com/?p=22978 Après la peur: douze pièces interactives à travers Montréal.

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Dans une approche originale de la représentation théâtrale, le metteur en scène français Armel Roussel présentait Après la peur au Théâtre d’Aujourd’hui du 1er au 5 septembre. Le spectacle présente douze mini-pièces parmi lesquelles les spectateurs doivent sélectionner quatre itinéraires. Ils sont plongés dans des univers multiples: emmenés à bord d’un minibus arpentant Montréal, dans une location de la compagnie Airbnb, voire même dans le hall du théâtre pour trente minutes de jeu. Les pièces posent des questions de société universelles, comme nos réactions face à l’immigration, le regard que l’on porte sur l’autre, la place de la jeunesse ou encore notre appréhension de la mort. La force de ces pièces réside dans la présentation de ces thèmes, effectuée de manière atypique et souvent émouvante.

  Après la peur, que reste-t-il de notre relations à l’autre, des sentiments que nous pouvons éprouver à son égard?  C’est l’une des grandes réflexions qui lient les différents spectacles entre eux. Armel Roussel et sa troupe de comédiens déconstruisent volontairement le «quatrième mur» traditionnel du théâtre. Ils boulversent ainsi les attentes du spectateur, qui n’est plus confortablement installé dans son fauteuil devant une scène et c’est l’intelligence émotionnelle qui parle alors.

Deux représentations, Ghost Songs de Gilles Poulin-Denis et Banalités d’usage de Soeuf Elbadawi présentent  parfaitement la diversité des thèmes abordés par le spectacle.

La pièce Ghost Songs réussit avec succès à nous emporter avec elle en roadtrip jusqu’en Amérique. Au début de la pièce, les spectateurs montent dans une voiture et ferment les yeux. La voiture avance ensuite et on se réveille en route pour Chicago, la neige tombant sur le pare-brise. On se croirait en plein mois de février. Spectateurs à l’arrière de la voiture, nous assistons à la rencontre d’un conducteur et d’une auto-stoppeuse qu’il prend sur la route. Témoins de cette entrevue mystérieuse, nous sommes entraînés avec cette jeune femme sur la route qu’avait parcourue son ancêtre, une cinquantaine d’années auparavant.

En sortant, les spectateurs ont réellement l’impression de laisser derrière eux un univers mystique, avec le sentiment d’avoir traversé, avec les héros de la pièce, les plaines désertes de l’Amérique. Contrairement aux autres pièces qui entraînent plus directement les spectateurs vers une réflexion, le metteur en scène Gilles Poulin-Denis cherche à nous plonger dans un univers fictif particulier qui nous permet de nous évader dans le monde des personnages.

De son côté, la pièce Banalités d’usage: Un musulman de moins nous convie à un dîner. On s’assied: un peu de vin, du pain pita, et du houmous pour le repas. Mais l’hôte n’est pas là: un enregistrement sonore est lancé, et l’on entend Soeuf Elbadawi commencer son histoire. Originaire de l’archipel des Comores, le poète Soeuf Elbadawi serait resté bloqué à la frontière où il précise qu’il est musulman. Serait-ce la raison de son arrêt à la frontière? Rien n’est précisé, seulement suggéré. Puis la voix du comédien parle aux spectateurs de l’hospitalité, cette manière d’appréhender l’étranger, l’autre, en lui proposant d’échanger, de partager. La pièce est alors terminée. Les thèmes abordés furent forts: l’immigration, l’altérité, tous deux d’actualités. Quelle relation à l’Autre, qu’il soit musulman, immigré, les deux? La peur est-elle le seul filtre de contact possible aujourd’hui?

Et puis, de derrière un rideau, un homme surgit. On comprend alors que c’est Soeuf Elbadawi, le conteur de l’histoire qui n’a en fait jamais été bloqué à la frontière. Il nous parle de Moroni, sa ville natale, en chantant magnifiquement. S’ensuit une discussion tendue entre lui et un comédien qui se fait passer pour un spectateur sur les questions du vivre-ensemble, de multiculturalisme, de laïcité. On quitte la pièce avec des souvenirs forts et une expérience nouvelle du théâtre politique. 

Note de la rédaction: le metteur en scène Armel Roussel et sa troupe reviennent tous les ans à Montréal pour proposer un nouveau spectacle et poursuivre l’aventure.

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