Sirine Al Taha - Le Délit https://www.delitfrancais.com/author/s-altaha/ Le seul journal francophone de l'Université McGill Wed, 29 Jan 2025 03:03:04 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.7.2 Vies brisées, voix retrouvées https://www.delitfrancais.com/2025/01/29/vies-brisees-voix-retrouvees/ Wed, 29 Jan 2025 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=57250 Monstres et les récits des enfants de la DPJ.

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Le théâtre, par son langage universel et sa capacité à faire résonner le non-dit, s’impose comme un médium pour transposer l’indicible en une expérience sensible et collective. C’est exactement ce que les Créations Unuknu nous offrent avec la pièce Monstres présentée au Théâtre Denise-Pelletier : un miroir éclaté de l’enfance marquée par la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ), où se mêlent cauchemars et espoirs.

« La famille, ça passe par des gens qu’on a choisis. »

Il ne faut que quelques minutes avant que le spectateur ne soit confronté à l’effondrement du quatrième mur, lorsque l’une des anciennes jeunes suivies par la DPJ se présente comme conférencière pour partager son parcours, son récit de triomphe. Après son adoption, elle gravit les échelons sociaux, tel qu’elle le raconte dans son livre fictif. Face à cette histoire « trop parfaite », un spectateur se lève pour l’interroger sur son récit de conte de fées, dans un échange si malaisant que j’ai instinctivement échangé un regard perplexe avec mes voisins.

En parallèle, nous suivons le parcours de Moineau, une jeune fille, et sa famille dysfonctionnelle, au sein d’une société qui ne sait que la déplacer de foyers d’accueil aux centres jeunesse. Elle s’enlise dans une spirale de souffrance et d’errance, laissée à elle-même, et confrontée aux réalités brutales de l’abus et de la rue.

« L’alternance visuelle des deux fragments de maison qui composent le décor renforce la dichotomie des récits et des réalités sociales explorées »

La pièce est ponctuée de ces interludes où des témoignages audios sont livrés par de jeunes adultes du Collectif Ex-placé DPJ. Ces voix, empreintes de franchise et d’une lucidité touchante, s’expriment à travers des mots comme « amour », « peur », « famille » pour dévoiler un aspect de leur histoire encore plus humain. Leur transcription en alphabet phonétique rend hommage à la diversité des accents, des prononciations et de la parole de ceux qui communiquent leur expérience.

Lors d’une séance de discussion avec les ex-placés à la fin de la pièce, j’ai interrogé la metteuse en scène Marie-Andrée Lemieux et l’autrice Marie-Ève Bélanger afin de mieux comprendre pourquoi avoir utilisé l’art comme première approche pour recruter le comité. Leur réponse, marquée par une profonde humilité, traduisait une volonté de collaboration sincère : « On ne voulait tellement pas s’approprier leurs idées », confient-elles avant d’ajouter : « C’était important pour nous d’arriver avec nos idées dès le début […] il y a des choses que je n’aurais jamais trouvées dans l’écriture [sans l’aide des jeunes du collectif, ndlr] comme le fait que “ce ne sont pas des placements qu’on vit, mais des déplacements”, […] “on va au trou, on fait notre temps” […] [ je voulais tellement] mettre ça dans la bouche d’un personnage. » L’écriture dramatique trouve ici un écho dans une mise en scène qui déploie une énergie rythmée entre jeux sonores, chorégraphie et scénographie d’une fluidité impressionnante. L’alternance visuelle des deux fragments de maison qui composent le décor renforce la dichotomie des récits et des réalités sociales explorées. La pièce présente parfois des choix de mise en scène proches de la comédie musicale. L’exagération de certains personnages loufoques en tenue extravagante frôle un peu l’excès dans les moments où la tonalité bascule vers une légèreté presque enfantine. Bien que l’intention soit sans doute de retrouver une certaine légèreté dans l’œuvre, ces instants semblent affaiblir la gravité du propos, forçant une impression d’artificialité qui détonne. Ces petites ruptures de ton n’enlèvent rien à la force de l’œuvre dans son ensemble. Car au-delà de ces touches comiques, ce qui persiste, c’est la résonance de l’histoire racontée grâce à la mise en scène qui a permis d’offrir une véritable catharsis, un espace de parole libéré et nécessaire. Monstres n’est pas seulement une œuvre théâtrale, mais un véritable acte de partage et de résilience.

Monstres est présentée au Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 8 février 2025.

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Quand l’amour devient poison https://www.delitfrancais.com/2025/01/22/quand-lamour-devient-poison/ Wed, 22 Jan 2025 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=57037 Retour sur la pièce Contre toi.

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Contre toi, la nouvelle pièce présentée au théâtre Duceppe, tirée du texte de Patrick Marber et traduite de l’anglais par Fanny Britt, plonge le spectateur dans un ballet amoureux aussi séduisant que toxique. Entre jeux de pouvoir, jalousie dévorante et désirs inassouvis, quatre personnages sont mis en scène dans un cercle amoureux aussi pervers qu’infernal.

La traduction lourde de sens du titre Closer par Contre toi donne le ton de la pièce : pendant deux heures sans entracte, le public est plongé dans le carrousel amoureux entre les personnages et leur labyrinthe d’émotions, et est vite amené à réaliser l’artificialité qui existe entre tous. Les personnages naviguent à travers jalousie, manipulation, trahison et rivalité, mais surtout, à travers un ennui profond de la vie.

L’adaptation menée par Solène Paré joue brillamment avec la disposition de la scène, qui accueille deux plaques tournantes ajoutant à la tension charnelle régnant sur scène. Danielle, surnommée « Dan », journaliste nécrologique désabusée, est en quête d’émotions fortes dans son amour pour Alice, personnage incarnant l’archétype de la jeune hippie insouciante. Le médecin, Larry, réduit à sa libido, est lui aussi sensible aux charmes d’Alice, alors qu’il est déjà en couple avec Anna, photographe sentimentale, aux prises de ces liaisons dangereuses.

Mention spéciale au rôle de Dan qui a été féminisé pour la pièce, et dont la profession ajoute une profondeur symbolique au récit sur scène. Reliée à la mort par sa simple occupation, Dan pose un regard blasé sur la vie pour échapper à l’ennui existentiel qui la ronge. Son lien avec la mort trouve un écho troublant dans le personnage d’Alice, et sa mystérieuse cicatrice, révélée dès les premiers moments de la pièce. Sa blessure, visible et centrale dans son discours et sa personne, devient un miroir des failles que tous tentent de masquer sous des comportements manipulateurs ou des apparences superficielles.

« L’obsession des personnages pour leurs désirs charnels s’éternise sans véritables avancées émotionnelles »

La portée métaphorique de la pièce fait la force du dialogue qui intègre avec brio l’humour aux vérités cachées de ce drame aux frictions corrosives. Il est cependant regrettable que le personnage du médecin ait été enfermé dans le stéréotype de l’homme primaire, guidé uniquement par ses pulsions sexuelles. Réduit à son phallus, la profondeur de son rôle se voit considérablement limitée, surtout en tant que seul rôle masculin de la pièce.

Plaques tournantes : entre bénédiction et malédiction

Il aurait été intéressant de voir la pièce s’affranchir de la boucle répétitive où ces plaques tournantes qui font autant tourner les décors et les personnages physiquement que virevolter les dynamiques humaines dans une spirale sans fin, puisque l’histoire, bien que son intensité captive par ses premières explorations, peine à offrir de nouvelles perspectives.

L’obsession des personnages pour leurs désirs charnels s’éternise sans véritables avancées émotionnelles. La stagnation de l’histoire, bien que pertinente pour refléter l’ironie de leur tango dansé à quatre qui se lie au décor mouvant qui tourne en rond, finit simplement par nuire à la progression dramatique et ennuyer par sa répétition. Véritable vecteur de l’illusion, le décor permet en revanche de réellement vivre l’intensité du moment, mais aussi d’y trouver une forme de liberté dans le vertige ressenti par les personnages.

Contre toi est un tourbillon émotionnel captivant, qui réussit habilement à plonger le spectateur dans son univers de désir et de manipulation et où l’amour finit par devenir un poison corrosif dont sont victimes les protagonistes.

Contre toi est présentée au Théâtre Duceppe jusqu’au 15 février 2025.

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