Raphaël Michaud - Le Délit https://www.delitfrancais.com/author/raphael-michaud/ Le seul journal francophone de l'Université McGill Thu, 08 Jul 2021 01:36:19 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.7.2 Ces cyniques au torse bombé https://www.delitfrancais.com/2021/07/07/ces_cyniques_au_torse_bombe/ Wed, 07 Jul 2021 23:28:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=43988 La démocratisation de la parole ou l’illusion d’omnicompétence.

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Sept heures trente du matin. En terminant mon café, j’ouvre Facebook et parcours quelques instants mon fil d’actualité. Des nouvelles fraîches s’y entassent : pandémie, politique, économie, sport, culture, faits divers…mais surtout, cynisme et insensibilité. Paul, Louis, Mickaël, Annabelle, Maude et Joannie (noms fictifs) et leurs éternels émojis fâchés, jamais satisfaits de quoi que ce soit. J’ose espérer qu’ils passeront tout de même une bonne journée. Mais il y a pire. Il y a immanquablement Jean-Philippe, Kevin, David, Julie et Carolanne, et leurs émojis qui rient. Leur journée serait probablement meilleure s’ils faisaient partie du dernier tiers de Facebookiens dont le rire est sincère et authentique. Mais ils y préfèrent un rire sarcastique, se moquant des politiques, des journalistes, des artistes, des sportifs, des experts en tous genres et des déboires des autres. Parce qu’eux, les premiers, pensent avoir tout compris, par instinct, et mieux que quiconque. C’est sans parler des commentaires… Je soupire.

La démocratie donne le droit de parole, elle ne donne pas la science infuse. Avoir raison de se saisir de ce droit, c’est une chose ; avoir (toujours) raison, c’en est une autre, Jean-Philippe. En abuser devient dommageable pour le vivre-ensemble, et rate donc complètement l’objectif initial. Nul besoin même, pour ce faire, d’atteindre la haine ou les injures: incompétence (pensons notamment aux nombreux commentaires sur la gestion de la pandémie et les vaccins), inélégance et récurrence suffisent. Il fut un temps, avant l’avènement des réseaux sociaux, où pour s’exprimer publiquement, il fallait soit un certain statut (hélas), soit au moins maîtriser l’art de le faire – c’est-à-dire le faire de manière convenable et argumentée en réfléchissant avant de parler, puisque le cadre était plus formel, au lieu de tout débiter en quelques secondes…en faisant huit fautes dans la même phrase, plombant du même coup sa crédibilité. Le reste demeurait donc dans le salon le dimanche soir, en famille ou entre amis, et c’était bien ainsi, puisque nous avons tous nos envolées moins raisonnées.

Politique : la petite, la grande

L’une des principales sources de frustration, chez nos démocrates du dimanche devenus ceux de tous les jours, est bien entendu la politique. Pour eux, ceux qui nous gouvernent ne sont que des profiteurs (bien que plusieurs gagnent moins qu’avec leur emploi précédent), des corrompus, des mal intentionnés : tous pareils. Ils n’auraient pourtant «qu’à faire ceci», «qu’à faire cela»! J’aimerais bien les voir occuper un poste décisionnel d’une telle importance, ces commentateurs improvisés. Attendez…le voudrais-je vraiment? En tout cas, je doute fort qu’ils feraient mieux, et certains d’entre eux devraient premièrement commencer à s’exercer en allant voter. La politique, ou la gestion d’une société complexe aux intérêts divergents (idéologiques, économiques, écologiques, sanitaires, etc.), ce n’est pas aussi simple que d’appuyer sur des boutons, et aucun politicien, aussi bienveillant soit-il, n’est omnipotent. Malgré les nuits blanches de plusieurs d’entre eux, qui passent inaperçues, la politique ne reste que l’extension de l’Humain, et par sa dimension sociétale, elle fait un gros plan sur les qualités, les imperfections et les limites que nous partageons tous. En outre, il est évidemment impossible de faire l’unanimité. Puisque les choix sont inévitables, on ne peut pas toujours pencher du côté de Julie, et le «gros bon sens» qu’elle invoque dans ses récriminations est une notion bien relative, Carolanne ayant aussi la sienne.

«Mauvais résultat (concept d’ailleurs subjectif) n’implique pas nécessairement mauvaise foi, bien que les oppositions parlementaires aiment faire ce raccourci intellectuel»

L’autre question est celle des motivations derrière les décisions prises. Ici, nos cinglants «opinionistes» devraient d’abord se rappeler qu’à l’image de leurs propres décisions au quotidien, personne ne peut prévoir la totalité des impacts d’une loi ou d’une mesure sur une population immensément diverse lorsqu’elle est adoptée. La pandémie, avec sa horde de «grands oubliés» autoproclamés successivement (parfois à raison, parfois à tort), l’a fait ressortir encore plus. Ajoutez à cela la mise en œuvre variable effectuée par l’appareil bureaucratique, et il devient évident que mauvais résultat (concept d’ailleurs subjectif) n’implique pas nécessairement mauvaise foi, bien que les oppositions parlementaires aiment faire ce raccourci intellectuel. 

Sur ce point, et bien que la critique demeure un élément essentiel à toute saine démocratie, il y a un drôle de paradoxe. Parlez à ces citoyens, et ils vous diront qu’ils en ont marre de la « petite politique », autrement dit, du jeu politique, des stratégies et des querelles partisanes incessantes. Mais ce sont souvent ces mêmes citoyens qui se disent insatisfaits gouvernement après gouvernement, peu importe le parti au pouvoir. Force est alors de constater qu’ils mangent continuellement dans la main des oppositions et boivent leurs paroles, croyant aux allégations automatiques de « mauvaise foi », et qu’ainsi, ils sautent à pieds joints dans le petit jeu politique auquel on veut bien les faire participer, eux que cela rebutait supposément.

De l’ombre à la lumière

D’autres cibles faciles pour ces chantres de la jérémiade sont les artistes ou les athlètes, bref, une bonne partie de ceux qui ont des carrières publiques. «Ce qu’ils ont la vie facile, les artistes, nous dit Kevin. Le bonheur, le succès! Et ils osent se plaindre le ventre plein! Scandaleux!» Certes, la légèreté souvent affichée à la télévision pourrait presque lui donner raison. Mais qui ferait la gueule en entrevue pour son nouveau film, livre, album ou spectacle? Ce ne serait pas vendeur… Les plateaux, là où l’on se montre à son meilleur, ce n’est qu’une infime partie de la vie d’artiste; le reste comporte ses hauts et ses bas – et plus de travail que ce que plusieurs imaginent, tant pour percer que pour durer. Au demeurant, avoir sa vie privée continuellement exposée aux yeux du public n’est pas toujours une partie de plaisir.

De même, malheur à un joueur de foot qui ose prendre position ou s’exprimer publiquement sur un enjeu extra-sportif. David sautera sur l’occasion pour prétendre qu’il ne fait ça que pour attirer l’attention des médias, qu’il n’en ferait pas tant s’il n’était pas connu, et qu’au salaire qu’il gagne, il pourrait se la boucler et se contenter de «taper dans un ballon», puisque c’est «tout ce qu’il sait faire»! Cela rappelle la dernière course à la chefferie du Parti québécois, dans laquelle l’humoriste Guy Nantel s’était lancé. Combien de fois a‑t-on pu lire qu’un «clown», qui n’était bon qu’à faire rire, n’avait pas sa place en politique? Pourtant, la pratique artistique dudit candidat était politiquement et socialement engagée, et ce, depuis des années (je le mentionne sans allégeance ni jugement sur sa performance). Ce que David et compagnie ne comprennent pas, c’est qu’au-delà des apparences, la vie de quelqu’un, sa personnalité et sa pensée sont pluridimensionnelles. Ainsi, lorsqu’on a une carrière publique, il est possible et légitime de prendre conscience de son impact et de vouloir l’utiliser à bon escient (idéalement) pour faire avancer des causes qui nous tiennent à cœur, là où un particulier se verrait plus limité.

«Sous ces airs suffisants se cache la plupart du temps une jalousie inavouée»

Par ailleurs, les commentaires à propos de ce genre de figures publiques – particulièrement dans un contexte où la personne visée gagne cher ou au contraire est dans une situation précaire, comme certains artistes – se concluent fréquemment par des allusions au fait que David et Kevin, eux, auraient pu réussir tout autant que leurs cibles, puisque ce n’est pas « si compliqué », mais ont au moins choisi un «vrai métier» (occultant le fait que le divertissement des masses est utile en ce qu’il rend leur vie bien moins terne). Sous ces airs suffisants se cache la plupart du temps une jalousie inavouée. Et bien que toutes sortes de circonstances fâcheuses puissent entraver un parcours, la réalité, le plus généralement parlant, est que si David ou Kevin sont aujourd’hui dans l’ombre, c’est qu’ils n’avaient pas assez de talent pour être sous les projecteurs, ou bien que l’effort n’y était pas, un point c’est tout.

Pouvoirs publics, pouvoirs privés

Il vaut donc la peine, à l’heure où les réseaux sociaux, malgré leurs vertus, ont pris l’ampleur de véritables tribunaux populaires, de se questionner sur la valeur de ce qui y est trop souvent exprimé. À ce titre, la démission récente de Dany Turcotte de l’émission Tout le monde en parle à la suite d’invectives répétées (et de longue date) en ligne à son endroit n’est qu’un exemple parmi une série de cas où l’emportement d’Internet a eu un impact direct sur la sphère médiatique, artistique ou politique. Certes, la dernière salve faisait suite à une blague douteuse sortie trop vite en direct, mais c’était un cas isolé, et nos intolérants branchés, eux, sont-ils infaillibles ? Pensons aussi à plusieurs élus municipaux qui, comme Philippe Roy (maire de Ville Mont-Royal) en mars dernier, ont invoqué ces interactions toxiques comme raison pour ne pas briguer un autre mandat, ou même carrément démissionner.

Indépendamment de ces décisions que je respecte, une prise de conscience collective doit être faite, non seulement sur ce qu’on écrit mais sur ce qu’on reçoit. Le pouvoir concret des commentaires sur les réseaux dépend de l’attention qu’on leur porte. Plus on leur en accorde, plus les gens sentent qu’ils peuvent avoir un impact, et plus le venin sort. Réagir «hors ligne» en s’adaptant, c’est indirectement participer au phénomène, l’encourager. Que nos acteurs publics cessent de les lire – est-ce vraiment une nécessité, de toute façon? – et cela tombera dans le vide. Ces réseaux doivent demeurer des lieux d’échanges entre personnes privées ainsi que des plateformes médiatiques, mais certainement pas, du moins, des canaux d’accès direct aux personnalités publiques, au-delà de la consultation de leurs publications.

Sept heures quarante-cinq. Tasse vide. Je m’en vais faire mon «vrai travail».

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La gauche « woke » endormie sur ses rêves symbolistes https://www.delitfrancais.com/2021/01/26/la-gauche-woke-endormie-sur-ses-reves-symbolistes/ Tue, 26 Jan 2021 13:49:19 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=40976 Pot-pourri sur une asphyxiante bien-pensance de surface.

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D’entrée de jeu, je l’avoue, pour tous ceux dont cela choquerait les esprits: oui, je suis un homme blanc dans la vingtaine. Que ceux et celles qui trouveraient que cette qualification me rend illégitime quand il s’agit de parler de certains éléments abordés dans ce texte s’arrêtent ici, quoique ce soit bien dommage puisque la société et la réflexion s’enrichissent par le dialogue. 

Alors plongeons: un phénomène inquiétant m’afflige autant qu’il m’irrite depuis quelques années, et particulièrement ces derniers temps. La gauche, dont je me réclame pourtant, fait montre d’un nouveau zèle pour l’endoctrinement. Alors qu’elle s’est longtemps battue contre la censure opérée notamment par la droite conservatrice et les religions, elle semble maintenant avoir renié ses convictions en s’appropriant cette arme qu’elle juge probablement utile.

Réécrire l’Histoire

S’il y a une vertu à la connaissance de l’Histoire, c’est bien de pouvoir en tirer des leçons pour l’avenir. Or, force est de constater que certains préféreraient, par une négation sélective, la réécrire dans la version qui les réconforte. À coups de noms effacés et de statues déboulonnées, elle se voit passée à l’eau de Javel. Il est évident que, par exemple, la statue de James McGill pourrait malheureusement, sans plaque explicative, passer pour une apologie de ses pratiques esclavagistes. Mais ce qui m’inquiète tout autant, c’est la tangente «annulatrice» dont son enlèvement souhaité n’est qu’un exemple. Selon la même logique, faudrait-il donc ne plus enseigner Locke à cause de son soutien à la colonisation américaine? Chacun a sa propre mesure du «bon sens» sur divers enjeux, et le rouleau-compresseur semble prendre de plus en plus de vitesse, dans une approche qui reste pourtant «à la pièce»: d’ailleurs, quelqu’un a‑t-il déjà pensé changer le nom de l’Université, par souci de cohérence? Silence radio: deux poids, deux mesures…

Parlant de (dis)proportions, deux professeures à l’Université d’Ottawa et à Concordia voyaient récemment leurs carrières entières mises en péril pour avoir utilisé le «mot en n» en classe. Si c’était pour insulter, je serais le premier indigné. Mais c’était, dans le cas d’Ottawa, pour expliquer une réalité qui a existé, et dans celui de Concordia, pour citer le titre d’un livre (N***** blancs d’Amérique de Pierre Vallières), qui lui-même ne traitait pas directement des personnes noires. Préférerait-on prétendre qu’il n’a jamais été écrit (et, par extension, s’appauvrir culturellement et intellectuellement)? D’ailleurs, ne tenons pas les gens – et en premier lieu ceux concernés par ledit mot – pour niais: quand le Québécois dit «tabarnouche», ne savons-nous pas ce qu’il veut dire en réalité? Quelle est la différence alors? Il en va de même pour le «mot en n»: dans un contexte de description ou de citation, la tentative de camouflage derrière cette forme abstraite, de la part de ceux qui s’offusquent par procuration (au point de vouloir faire retirer Dany Laferrière de programmes de cours!), au nom de traumatismes que je ne nie pas, est vaine puisqu’elle n’en change aucunement le sens et donc l’impact, le cas échéant.

Rééducation

Plus largement, nombre de conférences en contexte académique ont été annulées pour une myriade de raisons à la suite de pressions faites par d’infimes minorités (au sens quantitatif) non-représentatives de l’opinion générale. Il est consternant de constater que plusieurs de ces dernières croient leurs positions hautement intellectuelles, alors que fuir la discussion lorsque confronté à des idées contraires aux siennes trahit une faiblesse de la pensée. Le professionnel ou le chercheur que l’université veut former ne se construit pas en se confinant dans ses opinions: il les enrichit et les remet en question en voyant sa réflexion provoquée, stimulée. 

«Contentons-nous donc d’éduquer et de sensibiliser plutôt que d’effacer»

Un autre fâcheux réflexe est le refuge des « ‑phobies» et de la victimisation pour éviter de débattre. Il ne fait aucun doute qu’il y ait des groupes, religieux notamment, qui soient discriminés. Mais faire la critique d’une religion n’est pas par nature de la discrimination. Le christianisme a, par le passé, souvent été critiqué. A‑t-on pourtant parlé de «christianophobie»? La critique n’est jamais agréable, mais ne nous réfugions pas dans l’opportunisme et la facilité.

À parcourir le web, on croise des hordes de gens qui, à coups de commentaires virulents, voudraient qu’on n’écoute pas Wagner ou qu’on ne lise pas Céline à cause de leur antisémitisme, qu’on ne regarde pas Polanski en raison des abus sexuels dont il a été accusé. Loin de moi l’idée de faire l’éloge de ces comportements rebutants qui doivent être dénoncés, mais il faut faire la part des choses: cela les empêche-t-il d’avoir produit des chefs‑d’œuvre dont on serait perdant de se priver? L’humain est multiple, faillible, et on ne peut réduire sa personne à un seul élément. Contentons-nous donc d’éduquer et de sensibiliser plutôt que d’effacer.

Discrimination «positive»?

L’été dernier, le Chef Antonin Mousseau-Rivard se voyait accusé d’appropriation culturelle pour avoir cuisiné des plats d’inspiration coréenne. Par chance, le ridicule ne tue pas!  Y a‑t-il un domaine plus métissé que la cuisine? Il est vrai que certaines sphères, notamment artistiques, tendent à exclure, consciemment ou non, le non-blanc. Des pas importants doivent être faits, mais force est de constater une relative stagnation à l’étape de la discrimination positive, cosmétisme par excellence, au point où cette dernière n’est presque plus une mesure valide de l’inclusivité. 

«Ces exemples se rejoignent en un point: la javellisation de la parole publique et la primauté des apparences»

Le non-verbal parle: combien de publicités voit-on avec une personne noire et une femme voilée au milieu de Blancs? Il est difficile de ne pas y lire avec agacement une question formelle de quotas. Lorsqu’il sera devenu normal que certaines d’entre elles soient composées entièrement de personnes noires, par exemple, nous pourrons constater un réel avancement pour l’inclusivité, qui ne sera plus une liste dont on coche les éléments. Il en va de même pour les femmes en politique: la parité au Conseil des ministres peut longtemps rester un inutile artifice pour l’image et la bonne conscience. La diversité doit être appréciée et mise à profit pour ce qu’elle est – les compétences de la personne, sa créativité, etc. – et non pour ce qu’elle représente

Dans la même veine, une explication convaincante reste toujours à être étayée sur l’(in)utilité de déclarations bonbon, au début de toutes les rencontres et événements mcgillois (même privés et sans participants autochtones), reconnaissant que l’institution se trouve sur des terres autochtones non cédées. Passée la première fois nécessaire, le virtue signaling, cette approche d’apparat, se situe au niveau zéro du pragmatisme et est une énième goutte dans un verre d’eau à leur égard, alors que ces peuples attendent un plus et un mieux qui ne viennent hélas pas.

Évidemment, la liste d’exemples de chatouillis soi-disant «progressistes» pourrait s’allonger (censure des suggestions littéraires du premier ministre Legault, par exemple). S’ils peuvent sembler hétérogènes, ils se rejoignent pourtant en un point: la javellisation de la parole publique et la primauté des apparences. La jeune gauche, si elle veut demeurer crédible et rassembleuse, devra réapprendre à convaincre plutôt que de modeler, et comprendre, accessoirement, que sa pratique croissante de l’intimidation constitue aussi une forme d’agression (d’ailleurs y céder c’est y participer). Sinon, elle ne risque que de faire se cambrer, paradoxalement, les acteurs opposés dont elle combat les idées. Mais surtout, bien au-delà, il en va de la santé de l’espace public.

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Hercule à l’université https://www.delitfrancais.com/2021/01/19/hercule-a-luniversite/ Tue, 19 Jan 2021 12:59:44 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=40703 Plaidoyer pour une pédagogie du bon sens et de l’efficacité.

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Commence ces temps-ci un deuxième semestre à distance sous le signe de la COVID-19. Ça adonne bien: il faut qu’on se parle. Il le fallait de toute façon, le virus n’étant que la pointe de l’iceberg. Il faut qu’on se parle d’un sujet auquel bon nombre d’étudiants pensent, mais dont personne ne parle, du moins, en public: la charge que ces derniers portent. Karl Moore, professeur mcgillois lucide de la faculté Desautels, avait soulevé la question dans La Presse en 2019, et je me permets de poursuivre la réflexion. Je précise tout de suite, pour éviter les attaques faciles: non, je ne suis pas de ceux qui sortent en boîte deux fois par semaine, qui lisent à moitié, écrivent à la dernière minute et sont partout sauf en classe pendant les cours. Que ceux-là en assument les conséquences. Ceux qui me connaissent intimement et connaissent mon parcours savent que je ne suis pas du genre à me plaindre à la moindre contrariété et combien je peux travailler aveuglément. C’est ce qui me permet d’oser cet article sans peur de projeter une image déformée. Or, le but ici n’est pas de faire l’éloge de mon assiduité, mais plutôt, au-delà de quelque doléance personnelle, d’agir en porte-voix pour beaucoup qui n’osent s’exprimer tout haut.

Remontons donc à une certaine semaine d’orientation à McGill il y a plus d’un an. «Il est primordial, pour nous, que malgré le dévouement à vos études, vous conserviez un sain équilibre par rapport aux autres sphères de votre vie», nous disait-on en réunion, en nous présentant la «Roue du bien-être» (Wellness Wheel) du tristement célèbre Pôle bien-être (Wellness Hub) mcgillois. Une fois le semestre entamé, j’ai vite réalisé que la fin de cette phrase creuse aurait dû être : « …mais nous n’avons aucune responsabilité à cet égard.»

Wellness Hub, McGill Wellness Wheel

Double standard

Un employé à temps plein travaille grosso modo quarante heures par semaine, même s’il peut y avoir des aléas normaux. C’est écrit dans son contrat. Sa journée n’est évidemment pas terminée en rentrant chez lui: il doit faire les courses, les corvées, la cuisine, etc. Mais l’étudiant aussi. Or, en ce qui concerne ce dernier, la conception du travail semble différente: ça prendra le temps que ça prendra, il s’arrangera, à minuit ou bien à 5h du matin. On s’en lave les mains. D’ailleurs, en faisant des recherches pour un échange universitaire, je remarquais récemment qu’une certaine institution asiatique, chez laquelle la qualification «plein temps» exige cinq cours par semestre, estime le temps de travail hebdomadaire à dix heures par cours. Faites le calcul. 

C’est quand même curieux que ce qui est jugé «équilibré» pour un travailleur soit différent pour les autres. L’étudiant est un peu à l’institution ce que le consommateur est à un capitalisme bien imparfait: celui à qui on refile immanquablement les coûts additionnels, comme il n’a aucun mot à dire. Combien de collègues avons-nous vus passer des nuits blanches à la bibliothèque en période (étendue) de milieu ou de fin de session? Évidemment, le régime de lecture ne s’adapte pas le moindrement en période de rédaction ou d’examens. Savez-vous comment on appellerait cela dans un hôpital? Du temps supplémentaire obligatoire (aligner deux quarts de travail). Quand c’est exceptionnel, c’est une chose, mais quand ça devient fréquent, il y a là, heureusement, un syndicat pour négocier.

Empilages

On entend, de temps à autre, des remarques d’une audace surprenante de la part de certains professeurs, qui travaillent en silos, il faut l’avouer. Je les respecte profondément et n’irai jamais les embêter avec cela, mais il vaut tout de même la peine d’exemplifier la chose. Ainsi, une charge de lecture soi-disant «modérée» (tel qu’écrit sur un plan de cours) égalait presque celle de cours précédents réputés comme chargés. Tout en nous y investissant, nous nous serions bien passés du commentaire… Un professeur lançait en boutade que nous n’avions «que ça à faire, de toute façon», comme si son cours était le seul. D’autres parlent de relire certains longs textes préparatoires après le cours, alors que nous sommes déjà en train de préparer ceux de la semaine suivante. Dans d’autres cours encore, il faut y ajouter la lecture de la presse quotidienne. Ce n’est vraiment pas l’intérêt qui manque, mais nul n’est omnipotent! Enfin, il ne faut pas oublier, surtout, de rester impliqué à l’extérieur des classes pour garnir son CV…

Pédagogie à remettre en question

Il y a aussi des considérations pédagogiques derrière ces propos. Un enseignant a déjà cru bon de préciser : «Faites vos lectures, car elles couvrent ce que je dis en classe et vont un peu plus loin!» Bien sûr, je serai au rendez-vous, et pour l’une et pour l’autre. Mais n’est-il pas ironique de constater que nous sommes à l’université pour avoir des cours, mais que quelqu’un pourrait se contenter de lire, et qu’alors, la valeur ajoutée n’est que le diplôme? L’idée n’est pas de dévaluer les cours, mais plutôt de désacraliser la «lecture-à-tout-prix», ainsi que le mythe américain de l’étudiant qui construit lui-même son savoir (au premier cycle du moins). La lecture est un outil primordial, mais parfois, nonobstant les capacités de l’étudiant, trop d’information est aussi peu efficace que peu d’information. D’ailleurs, parlant d’efficacité, les textes, qui se voient souvent, au fond, être «vulgarisés» dans les cours, ne devraient-ils pas être lus directement après le cours et non avant, pour en retirer encore plus de substance?

Je crois sincèrement, sans pourtant me prétendre spécialiste en cette matière, que la pédagogie a partiellement cédé la place à l’ordre établi, et les nouveaux chargés de cours perpétuent la tradition…parce que c’est comme ça, parce que c’est la norme véhiculée par la culture institutionnelle, parce que c’est tout ce qu’ils ont connu au fond, même en en sachant les conséquences, bonnes ou mauvaises. 

Ce n’est pas parce que quelque chose est qu’il n’est pas souhaitable de le remettre en question, comme souvent en société. Nous avons la chance de vivre dans un pays où un enseignement supérieur de qualité est très accessible. Ne nous plaignons pas le ventre plein, mais reconnaissons qu’il y a une ligne fine entre le dévouement et l’excès, et que l’excès n’apporte aucune compétence additionnelle. Nulle solution miracle ici, mais une prise de conscience nécessaire.

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Faire parler le silence https://www.delitfrancais.com/2020/07/21/faire-parler-le-silence/ Wed, 22 Jul 2020 00:57:09 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=36172 Dans «14 jours 12 nuits», Jean-Philippe Duval explore la complexité du lien mère-enfant.

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14 jours 12 nuits, long-métrage mettant en vedette Anne Dorval, Leanna Chea et François Papineau, fait ces jours-ci son retour au cinéma, la pandémie de COVID-19 ayant interrompu son périple en salles après sa sortie à la fin février. Cette seconde chance d’aller voir le film est une occasion à saisir, puisque cette œuvre poignante se révèle être un véritable bijou.

Isabelle (Anne Dorval) a adopté une fille au Vietnam au début des années 1990. Or, à l’orée de sa vie adulte, cette dernière meurt brusquement dans un grave accident. Espérant ainsi mieux guérir sa peine, la mère adoptive s’envole pour le Vietnam afin de renouer avec la culture et les origines de la disparue. Elle retourne à l’orphelinat, et de fil en aiguille, réussit à entrer en contact avec la mère biologique, une guide touristique de Hanoï, avec laquelle elle passera l’essentiel du reste de son séjour. Entre ville et campagne, un lien de confiance et de complicité se tisse entre les deux femmes, mais Isabelle demeure longtemps incapable de lui annoncer la terrible nouvelle.

L’esthétique est très épurée. Le scénario écrit par Marie Vien (qui le dédie d’ailleurs à ses deux enfants adoptés) prend place autour de peu d’actions et de personnages (essentiellement les deux mères). Cela laisse cependant toute la place à l’intensité émotive et au travail psychologique des deux protagonistes, à travers leurs démons intérieurs. Les détails de la trame se dévoilent tranquillement par de subtils retours en arrière, ainsi que par des parallèles Vietnam/Québec qui ouvrent la porte sur les pensées des personnages. Une image récurrente est celle de la mer, qui à elle seule peut tout apaiser, mais aussi tout emporter lorsqu’elle se déchaîne, en écho à la tempête intérieure des deux mères.

Les textes aussi sont assez minimaux. Ce sont plutôt les lourds silences et les regards à la fois complices et troublés qui en disent le plus. Nous ne sommes pas si loin d’une esthétique toute en finesse qui se retrouve dans plusieurs arts asiatiques (et prenons bien garde puisqu’il y a non seulement plusieurs arts mais surtout plusieurs Asies…), comme la peinture ou la poésie. C’est un style à fleur de peau qui soupèse le vide et célèbre l’évanescent, dans lequel ce n’est pas tant l’action ni le résultat qui comptent, mais le geste et le ressenti. D’ailleurs, aux paysages vietnamiens luxuriants se superposent les paysages intérieurs peints par la musique, qui par moments effleure autant qu’elle prend au ventre.

Ce qu’on en retiendra surtout, finalement, c’est cette peinture du lien mère-enfant. On ne prend pas un enfant à une mère, on le lui arrache tel un membre, comme l’exprime puissamment l’œuvre. Cela vaut autant pour celle qui a été forcée d’abandonner sa fille à l’orphelinat que pour celle qui l’a vue grandir puis mourir abruptement, et c’est dans ce drame qu’elles se rejoignent et se touchent mutuellement. Les peintures de la mère vietnamienne, enfin, sont porteuses d’un symbolisme évocateur : des visages d’enfants tantôt sans yeux, tantôt sans bouche…un sentiment d’incarnation et d’effacement à la fois, comme pour rappeler ce manque criant.

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De la mesure à la démesure https://www.delitfrancais.com/2020/02/11/de-la-mesure-a-la-demesure/ Tue, 11 Feb 2020 15:48:43 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=35660 Griffintown dans la lentille de Robert Walker.

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Ce mercredi 5 février se tenait au Musée McCord le vernissage de l’exposition Griffintown – Montréal en mutation, présentée jusqu’au 9 août prochain. Elle met en vedette l’œuvre du photographe documentaire Robert Walker à travers une vingtaine de clichés grand format ainsi qu’une centaine d’autres projetés, capturés entre 2018 et 2019 et mis en parallèle avec quelques photos historiques tirées de la collection du musée.

Paysages urbains

En présence de l’artiste, les membres du musée ont répondu en grand nombre à l’invitation, l’espace limité nécessitant même d’étaler les visites au cours de la soirée. Cela s’avère de bon augure, puisqu’il s’agit du premier volet d’un projet piloté par l’institution, qui vise à raconter Montréal et ses quartiers en changement à travers l’objectif de photographes.

Montréalais de naissance, Walker se spécialise en photographie de rue en couleur depuis 1975. Il s’installe à New York en 1978, ville qui sera au centre de son œuvre pendant plusieurs années. Ce dernier a toutefois posé son objectif sur maintes métropoles à travers le monde, un travail dont les fruits ont été abondamment publiés.

D’entrée de jeu, le contenu capturé par le photographe, durant la phase de construction du quartier actuel, impose une reconfiguration du regard. L’œil normalement blasé par les visions de cônes orange et de démolition est amené à réinterpréter ses notions du beau et du laid, à travers des prises de vue qui, de l’aveu même de l’artiste, s’apparentent plus à des tableaux abstraits, avec le dialogue des formes et les touches de couleur.

Rêves en chantier

Il y a chez Walker une passion évidente pour l’instant fugitif, le jeu des reflets, des ombres, et surtout, de la lumière qui magnifie la couleur, du bleu ciel au jaune vif. Les tours de condominiums en chantier répondent aux anciennes structures près du Canal Lachine, et vice versa. Cette superposition entre passé, présent et futur est d’ailleurs l’un des axes centraux de l’exposition : passé industriel jeté par-dessus bord, et présent quelque peu chaotique dans l’attente d’un futur vanté comme rempli de promesses.

De là découle la deuxième perspective importante, celle du rêve face à la réalité. Dans plusieurs photographies sont mises en abîme des publicités pour les nouveaux immeubles à logements. Elles y côtoient des gens sans prétention dans des lieux encore désorganisés, contraste qui suscite une réflexion, au-delà de la beauté plastique, sur le bonheur parfois idéalisé qu’on nous vend. Griffintown a certes une signature visuelle indéniable, mais rappelons que son développement fulgurant a initialement omis certains services publics de proximité et créé un phénomène d’embourgeoisement.

Enfin, ce qui fait la force des prises de vue, c’est aussi le chevauchement de la matière brute (pierre, métaux, béton) et de la férocité de la machinerie avec les silhouettes envoûtantes des nouveaux édifices. Bien que l’artiste prétende vouloir cadrer un maximum de détails, ce sont les photos les plus épurées qui s’avèrent les plus fortes. S’il ne s’agit pas d’une grande exposition à proprement parler, le spectateur averti y trouvera tout de même, en somme, une perspective neuve et rafraîchissante sur des détails insoupçonnés issus de flâneries quotidiennes.

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