Paul Llorca - Le Délit https://www.delitfrancais.com/author/paul-llorca/ Le seul journal francophone de l'Université McGill Sat, 06 Apr 2019 14:57:59 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.7.2 Penser la mode durable https://www.delitfrancais.com/2019/04/03/penser-la-mode-durable/ https://www.delitfrancais.com/2019/04/03/penser-la-mode-durable/#respond Wed, 03 Apr 2019 17:32:20 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=33858 Le Délit a rencontré, Raphaëlle Bonin, fondatrice de Station Service.

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En ce doux matin de printemps, j’ai eu la chance de rencontrer Raphaëlle Bonin, pour parler de mode durable, de la création à Montréal, et de lait de soja.

Entre location et achat durable

Fondé en 2016, Station Service est, à l’origine, un service de location de vêtements. Les client.e.s peuvent louer un haut, une robe ou une combinaison pour « une petite soirée entre ami.e.s, une présentation dans un milieu corporatif, un mariage, ou un gala », bref, toutes sortes d’occasions. C’est aussi un moyen d’essayer « des styles que tu veux tester, une couleur que t’oses pas porter ». Cette idée, qui peut sembler étonnante, s’inscrit dans une nouvelle approche de la mode : la mode durable. Raphaëlle, qui vient des mondes du théâtre et du cinéma, a été sensibilisée à cette question en voyant le documentaire The True Cost d’Andrew Morgan sur le coût social et écologique de la « fast fashion ». Représenté par des multinationales telles que H&M et Zara, ce type de mode est synonyme de surproduction de vêtements de faible qualité et très peu dispendieux, produits par des ouvriers sous-payés et ayant un impact direct sur la planète. Alors à HEC Montréal, dans un cours de création d’entreprise, Raphaëlle commence à monter son projet, à réaliser une étude de marché. « J’ai interviewé une soixantaine de femmes de différents horizons pour voir quels étaient leurs besoins, leurs problématiques liées à la mode et à l’environnement » C’est sous forme d’un site Internet et d’un petit atelier dans le Mile End que Station Service voit le jour en octobre 2017. « On avait un espace où les clientes pouvaient venir sur rendez-vous seulement, avec une cabine d’essayage, un rack de vêtements. » Face au succès, Raphaëlle et son équipe ouvrent un magasin ayant pignon sur rue pendant le printemps 2018. Situé au 72 rue Rachel Est, la boutique est devenue un lieu d’essayage, de location, mais aussi d’achats de vêtements, de bijoux et d’accessoires. Avec son parquet ancien et ses murs en briques, c’est un lieu chaleureux pour discuter et être conseillé.e. Un tel magasin était important pour Raphaëlle : «Selon moi, il est important de pouvoir toucher la matière et pouvoir essayer les vêtements.»

Mais ce magasin permet aussi à l’équipe de Station Service de sensibiliser sa clientèle aux enjeux environnementaux. Raphaëlle et ses collaboratrices ne prétendent pas éduquer le consommateur. L’idée est de pouvoir bâtir « une relation, un échange, des réflexions ». Cette remise en question de l’industrie fait partie de l’essence du projet : « Malheureusement, je n’embaucherai jamais quelqu’un qui n’a aucune idée de ce qu’est la fast fashion et qui ne voudrait pas en savoir plus, parce que c’est trop au  cœur de l’entreprise. »
Les vêtements proposés sont tous issus de créateurs montréalais et sont fabriqués à Montréal. Pour ses marques, le choix des matières est primordial, puisqu’il assure la durabilité du produit, ce qui est impératif pour Raphaëlle : « Il faut que ça dure plus de six mois, au moins trois ou quatre ans dans une garde-robe. Ce sont des pièces d’investissements. » Mais c’est aussi une production éthique, en cycle court, avec des salaires adéquats. Cette proximité  avec les créateurs est centrale à l’expérience proposé par Station Service : « S’il y a un problème avec une pièce, tu me le ramènes, je parle au fournisseur, ce n’est pas comme dans un grand magasin où tu n’as aucune idée de ce qui se passe. »

La sélection des vêtements, à la fois pour l’achat et la location, part donc de plusieurs critères. La durabilité du vêtement, la provenance des textiles utilisés, qui ne vont pas systématiquement de pair :  «  On cherche vraiment pour notre sélection des pièces qui vont durer dans le temps. On veut idéalement du coton bio, mais c’est pas tout. C’est pas parce que c’est tout est bio que tout est réglé. » Mais il est aussi primordial pour Raphaëlle de proposer une exhaustivité pour ses clientes :  « On cherche une variété dans les styles, pour plusieurs types de morphologies. L’idée c’est que nos clientes ne se fient pas aux étiquettes de tailles. » Mais Station Service étant une petite structure, la sélection doit être rigoureuse, car elle ne peut  se permettre d’entreposer trop d’invendus. « Mais c’est aussi dans l’optique « slow fashion », donc on commande au fur et à mesure que les clientes en ont besoin. » Avoir moins de stock, c’est donc aussi combattre la surproduction, et la surconsommation. C’est aussi pourquoi Station Service ne fait des soldes que deux fois par an ; proposant des vêtements durables, « ça serait contradictoire de vouloir s’en débarrasser ». Pour un magasin prônant la location et la consommation raisonnée, il serait illogique de vouloir pousser à la consommation.

Aujourd’hui, le modèle économique de Station Service repose autant sur la location que sur l’achat. Le magasin ne prétend pas remplacer l’achat de vêtements par la location. « Parce que les gens vont pas arrêter d’acheter des vêtements, ta paire de pantalons que tu portes à tous les jours, tu la veux à toi, tu veux la garder longtemps. » Même combat pour un gros manteau d’hiver, ou des sous-vêtements. Le but de la location est de se battre contre ce phénomène  trop commun : « Je l’ai dans la garde-robe je l’ai porté qu’une fois ». La location permet donc d’éviter de gaspiller des vêtements, tout en pouvant expérimenter avec différentes coupes et matières. Et il est toujours possible d’acheter un vêtement loué, « si on tombe vraiment en amour avec ».

N’ayant aucune formation dans le monde de la mode, Raphaëlle Bonin avait plusieurs appréhensions, ne se sentant pas non plus comme la plus fashion. L’écoute et l’intérêt des designers l’ont toutefois motivée, une fois arrivée sur la scène locale. Elle a  dû s’y faire une place, en composant avec le sexisme, malheureusement très présent dans l’entrepreneuriat : « Des fois, c’est comme de prouver aux autres que je peux être ambitieuse et aussi vouloir une famille, mais pourquoi je ne réussirais pas? »

La localité au centre du projet

Originaire de Montréal, s’installer ici semblait évident. « C’est une ville que j’aime, c’est une ville très créative, avec plein de jeunes créateurs qui veulent se lancer. » La promotion de la localité et d’un cycle court de production, inscrits au cœur du projet, sont également possibles grâce à l’existence d’une communauté de créateurs et créatrices déjà établie. Si une autre boutique doit s’ouvrir à l’étranger, « l’idée serait tout le temps d’avoir une grande majorité de créateurs locaux de cette ville là ».

Mais pour l’instant, Raphaëlle veut développer sa boutique, faire grandir son projet. Son équipe s’agrandit, et leurs missions se diversifient, avec la réalisation d’une série de vidéos sur la mode locale en collaboration avec La Chaîne TV. Son quartier est important pour elle, avec plusieurs enseignes qu’elle recommande chaudement : le café Edmond, le Bar Suzanne, le restaurant japonais Noren, le Darling. Mais c’est aussi des créateurs, comme Maguire, une entreprise de chaussures faites au Québec, ou Eliza Faulkner, une créatrice canadienne installée à Montréal. C’est la mode et la création canadienne qui l’inspirent, les vêtements étant pour elle des plus importants : « Parfois les gens me disent “Toi en fait tu travailles juste dans la guenille“ . Non non, je travaille pas dans la guenille, t’as pas compris là. C’est de l’art, c’est des créations. »

Vous pouvez retrouver l’univers de Station Service ici.

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Pierre Kwenders vise la lune https://www.delitfrancais.com/2019/02/26/pierre-kwenders-vise-la-lune/ https://www.delitfrancais.com/2019/02/26/pierre-kwenders-vise-la-lune/#respond Tue, 26 Feb 2019 14:14:48 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=33540 Rencontre avec un artiste montréalais aux multiples facettes.

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Pierre Kwenders, ou PK, est « chanteur, DJ, ambianceur, ambassadeur de la bonne humeur, disciple de Douk Saga », et cofondateur du collectif Moonshine. Ce collectif organise des soirées depuis plus de quatre ans, à Montréal, les samedis, après la pleine lune. Les DJs y sont variés, la musique aussi : afro-house, house, coupé-décalé, reaggeton, techno. Cette exhaustivité est importante pour Kwenders : « Mélanger les genres, c’est le secret, c’est important parce que, des fois, on peut très facilement oublier que les gens bien qu’ils veuillent danser en écoutant un DJ, ils veulent aussi découvrir ». C’est ce qui frappe quand on va à une de ces soirées. Chaque DJ apporte un nouveau style, une nouvelle danse. C’est un véritable « voyage du mouvement, parce que le corps bouge de différente façon. C’est tout un exercice physique, mais qu’on fait avec plaisir, dans ce voyage musical ».

Moonshine vient d’un manque, ressenti par PK et ses ami·e·s, une fois arrivé·e·s à Montréal : « On sentait ce manque-là quand on sortait – et déjà on sortait pas souvent, parce que les quelques fois où on sortait, on écoutait et dansait sur la même musique. » L’idée était de faire une soirée pour eux, par eux, étant majoritairement issu·e·s de la diaspora africaine. Il monte ce projet en partie pour financer sa tournée européenne, mais aussi, rappelle-t-il, pour « jouer de la musique qu’on aime » avec ses ami·e·s. Mais dès la première soirée, c’est un succès. Plus de 200 personnes se sont présentées : c’était le début d’un rendez-vous mensuel. « Les gens se sont attachés très rapidement à ce qu’on offrait comme musique et comme vibe. Parce qu’à la base c’est vraiment une vibe très familiale, très amicale, et on a toujours voulu garder ça comme ça ». Cette sensation d’intimité et de confort est quelque chose que l’on ressent beaucoup lors de ces soirées. Puisque ces nuits musicales sont souvent organisées dans un entrepôt, on a de la place pour danser, discuter, écouter, loin de la sensation étouffante propre aux boites étriquées. Ces soirées finissent tard, souvent après six heures. Une évidence pour Pierre : « En Europe et en Afrique, ça ferme pas à 3h quoi, tant que la fête est pas finie, elle est pas finie! »

En Europe et en Afrique, ça ferme pas à 3h quoi, tant que la fête est pas finie, elle est pas finie !

Montréal ou Kinshasa

Habitant à Montréal depuis 2001, Pierre est né à Kinshasa, où il a grandi. Arrivé à 16 ans, il a fini son secondaire et est allé à l’université ici. C’est aussi dans la métropole québécoise qu’il a commencé la musique. Il est attaché à cette ville qui l’a vu mûrir et dans laquelle il s’est épanoui artistiquement : « Montréal m’inspire tout le temps, et je ne pense pas que j’aurais fait la musique que je fais aujourd’hui si je ne vivais pas à Montréal. » Il apprécie sa taille, sa liberté, qu’il préfère à Paris. « Si j’habitais à Paris, je ne sais pas où mon inspiration irait. Probablement que ça serait totalement autre chose. La vie à Montréal, c’est une plus petite communauté, ce qui permet de travailler beaucoup plus facilement et d’avoir accès à certaines choses beaucoup plus rapidement qu’à Paris. » C’est ici qu’il s’est formé, qu’il a fait de la musique son métier. Il se sent bien ici, une ville où il se sentira toujours chez lui.

Le « rêve africain »

Pierre parle souvent – dans ses entrevues – « du rêve africain ». Partant à la base d’un simple jeu de mots faisant écho au rêve américain, ce rêve africain est lourd de sens. Il correspond à sa réalité: « Étant né en Afrique, je suis fier de dire que je vis le rêve africain, par ce que je fais, de promouvoir la culture africaine, et toutes les cultures afrocentriques qui peuvent exister. Et de ça, j’en suis fier. » En tant que membre de la diaspora africaine, il considère important « d’essayer de redonner à ce continent-là qui nous a donné la vie, nous qui sommes ici, qui bâtissons des carrières, ou qui faisons la promotion de la culture africaine  ». Souvent qualifié, à tort, du terme galvaudé de « world music », sa musique et ses DJ sets se veulent être le reflet d’un certain panafricanisme musical. En tant que DJ, il s’inspire de Branko, Black Coffee et de son ami Bonbon Kojak, lui aussi membre du projet Moonshine, qui l’inspire énormément « même si on n’a pas nécessairement le même style ». Ses sets s’inspirent principalement de musique africaine: « Le coupé-décalé, afro-house, afrobeat, le kuduro, du dongolo, de la rumba congolaise, et j’essaye du mieux que je peux, à ma façon, de représenter ça quand je mixe, de faire voyager les gens. » C’est pourquoi il joue souvent des morceaux rares, peu connus, prônant l’importance de la découverte musicale. Une démarche bénéfique pour tout le monde : « Le chanteur qui a composé la chanson va être heureux parce que des gens vont découvrir sa musique, le DJ est heureux parce qu’il a fait découvrir de la musique, et les gens qui viennent danser sont heureux parce qu’ils viennent de découvrir la musique, qu’ils pourront ajouter à leur bibliothèque musicale et sur laquelle ils pourront danser à nouveau. » Sa musique se veut sans frontières, comme sa pratique artistique.

Une exhaustivité artistique

Kwenders est depuis peu acteur au théâtre : il joue dans Ombre Eurydice Parle d’Elfried Jelinek, mis en scène et adaptée par Stéphanie Cardi, Mathieu Leroux et Louis-Karl Tremblay. Il y interprète Orphée, et est « accompagné de trois actrices magnifiques, Louise Bédard, Stéphanie Cardi et Macha Grenon, qui toutes jouent le rôle d’Eurydice ». Il joue un artiste-chanteur, aimé de tous. Ce rôle lui a été proposé un peu par hasard. « Je venais de finir le tournage du film Les Salopes de René Beaulieau avec Brigitte Poupart et Louis-Karl m’a contacté par email, en me disant : « Pierre je vais faire une adaptation du mythe d’Orphée et puis j’aimerai te parler pour voir si tu serais intéressé pour le rôle d’Orphée, ça serait bien si on pouvait se rencontrer. » Un nouveau défi pour lui, excitant, mais intimidant « parce que les gens sont là, ils te voient, c’est direct, le niveau de stress est plus élevé ». Il tire de cette expérience une nouvelle présence scénique. Il y a une certaine continuité entre ses différentes facettes. « La musique que je découvre en tant que DJ m’inspire énormément dans mon art, dans ma musique à moi. Les textes que je vais apprendre au théâtre, les émotions que je dois exprimer, tout ça peut se retrouver sur une chanson d’une manière ou d’une autre. » En décloisonnant sa pratique artistique, il semble capable d’aller plus loin, de proposer une approche nouvelle, complexe.

En fait, Pierre Kwenders est partout. En streaming sur toutes les plateformes légales, on peut écouter ses deux albums ; sur Soundcloud où l’on peut retrouver ses sets, ainsi que les nouvelles sorties de son label Moonshine. Il est aussi mannequin pour la marque montréalaise Eden Power Corp. À Montréal, il joue sur les planches du Théâtre Prospero, du 11 au 27 avril, dans Ombre Eurydice Parle. Il anime les soirées Moonshine, tous les samedis après la pleine lune, mais mixe aussi les jeudis soirs au bar le Ti Agrikol. Par ailleurs, avant une date, il est souvent au Marché Méli-Mélo, à côté de la station Fabre. C’est un restaurant haïtien où il a ses habitudes : « C’est un rituel quand je tourne, au Québec par exemple, je m’arrête toujours là, je me prends une assiette griots puis ça fait mon repas pour la journée quoi (rires, ndlr). Ça remplit très bien et puis c’est vraiment un de mes endroits favoris de la ville quoi. »

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« Ici, on a le talent nécessaire, pas les plateformes de distribution » https://www.delitfrancais.com/2018/11/20/ici-on-a-le-talent-necessaire-pas-les-plateformes-de-distribution/ https://www.delitfrancais.com/2018/11/20/ici-on-a-le-talent-necessaire-pas-les-plateformes-de-distribution/#respond Tue, 20 Nov 2018 15:03:32 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=32647 Portrait du créateur et entrepreneur Isaac Larose.

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Jeudi soir, c’est soirée Jazz & Tarot au Datcha. C’est en début de soirée que j’ai rencontré son organisateur, Isaac Larose, pour discuter art, mode, Québec et écologie. Natif de Québec, Isaac a plus d’une corde à son arc.

Casquettes et vin naturel

Isaac Larose gère, à Québec, le speakeasy Nénuphar—qui a reçu le 9ème prix au prix des Meilleurs Nouveaux Bars Canadiens du magazine En Route—, mais aussi un bar à vins naturels, le Madeleine, et organise des soirées « Bowlings et Cocktails » au Royal Limoilou Bowling Club. A Montréal, il organise les soirées Jazz & Tarot, et s’occupe de sa marque, co-fondée avec Marc Beaugé, Larose Paris. Ce dernier est un journaliste mode, passé par GQ, Canal+ (chaîne de télévision française, ndlr) et vient de lancer son magazine, L’étiquette. Pendant son bachelor de commerce à l’université Laval, Larose fait un échange à Paris. « La première personne que j’ai rencontrée à Paris, la première semaine, c’était Marc Beaugé, qui venait de quitter GQ pour rejoindre les Inrocks ». Ils décident de faire une marque ensemble, « ce qui n’avait absolument aucun sens ». N’ayant tous les deux que peu d’expérience dans la mode, ils partent sur un projet d’accessoires, et ont la même idée: « faire une casquette made in France, avec des matières de costume, que tu peux porter avec un costume. C’était un peu un projet d’étude. »

Depuis six ans, Larose Paris sort deux collections par an, et fait de nombreuses collaborations. La dernière en date avec la marque italienne Missoni, connue pour ses mailles colorées, a été photographiée à Magog, sur le vignoble de vins naturels Pinards Et Filles. Les vignerons sont devenus mannequins d’un jour. Ce choix vient de sa fascination pour le vin naturel, qu’il sert souvent lors de ses soirées. Issue de petits producteurs, chaque cuvée de vin naturel est unique : « C’est un vin sans additif, c’est un vin pur; juste du vin pressé et fermenté. Et aussi tu te rends compte que dans l’histoire de l’humanité, c’est ce qui s’est bu, jusqu’à la révolution industrielle. »

Le choix de créer à Montréal

Isaac Larose a l’envie de promouvoir la création au Québec, et de « montrer qu’à Montréal, on a le talent nécessaire pour réussir à l’international, on a juste pas les plateformes de distribution. (…) En fait, le fait de montrer qu’on fait du vin, de niveau international au Québec, qui mérite d’avoir sa place au côté de Missoni, ou de Larose, c’est important ». En travaillant avec des photographes montréalais·e·s comme Alexi Hobbs, et des magasins de streetwear comme Off The Hook, Larose s’ancre dans la scène créative montréalaise.

Après avoir beaucoup voyagé, je me suis rendu compte qu’à Montréal on était vraiment très, très bien.

Rester à Montréal peut paraître surprenant, particulièrement quand on travaille dans la mode ; il semblerait plus logique de s’installer à Paris ou à New York. Pour Isaac, « après avoir beaucoup voyagé, après avoir passé beaucoup de temps à New York, à Paris, je me suis rendu compte qu’à Montréal on était vraiment très, très bien. » La qualité de vie, le loyer peu cher, la culture, la proximité aux autres métropoles sont de vrais atouts. De plus « c’est un bel endroit pour pouvoir se concentrer, sans avoir un syndrome de  fear of missing out (sic) (peur de rater un événement, ndlr) constante, et de pouvoir mettre son énergie à la bonne place, tout en ayant des associés dans d’autres villes, qui eux vivent avec les désavantages des grandes villes ».

Inspiration écologique

Son énergie, est actuellement concentrée sur son nouveau projet, Eden Power Corp, une marque « 100% centrée » sur l’écologie. Pour lui, l’écologie est un sujet très important. Il faut agir et en parler, comme pour la politique. « C’est un truc au Québec dont on n’aime pas beaucoup parler parce qu’on est éduqué comme quoi la politique est un sujet de conflit ». Il croit à la force politique des individus, qui à travers leurs choix de consommation ont un rôle. Cette force appartient à chaque marque et artiste, qui ont une responsabilité dans la sphère politique. Le plus important pour lui est d’en parler, dans tout le Québec, particulièrement avec des gens d’avis contraire. « Au lieu d’essayer de comprendre les faiblesses de notre argumentaire et pourquoi on n’est pas capable de convaincre les autres, on les dissocie de nous, puis on coupe le pont, et automatiquement on devient déconnecté de ce qui se passe réellement. »

L’écologie est centrale dans sa réflexion politique et artistique, comme le montre son inspiration du moment : le rapport entre l’utopisme écologique, le design, et la Silicon Valley. Les créateurs de Drop City, la première commune hippie, basée sur les géodomes, a fortement inspiré le Whole Earth Catalog, un mensuel écologiste, dont se sont inspirés les créateurs de Google, Patagonia et Wikipedia. « Ce lien entre une mentalité utopiste hippie, mixée avec du design, et comment tu peux résoudre des problèmes, c’est ça présentement qui m’inspire. »

C’est dans cette perspective qu’Eden s’inscrit, dans une scène de la mode montréalaise en pleine explosion. En effet, on trouve à Montréal SSENSE, une plateforme en ligne qui « se positionne comme acteur mondial, avec leurs nouveaux bureaux et leur boutique. Ça pour moi, c’est magnifique à voir. » Mais aussi Dime, le crew de skate avec des vêtements très recherchés. Le studio JJJJound, de Justin Saunders, se développe et réalise de plus en plus de produits épurés. Isaac décrit « Colin Meredith, un collaborateur de Saunders, comme « un véritable génie, (…)sa carrière va exploser à Montréal, et worldwide. » » Mais c’est aussi Marie-Ève Lecavalier, lauréate du prix Chloé au Festival international de mode d’Hyères. Cette communauté qui, grâce à la petite taille de Montréal, s’inspire mutuellement, contribuant à la richesse culturelle de la ville. Ce qui peut expliquer pourquoi, même si ce n’était pas prévu, Isaac Larose va rester ici, à Montréal, « pour s’occuper d’Eden, et de tout ça. »

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Mid90s : parcours initiatique https://www.delitfrancais.com/2018/11/06/mid90s-parcours-initiatique/ https://www.delitfrancais.com/2018/11/06/mid90s-parcours-initiatique/#respond Tue, 06 Nov 2018 23:37:13 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=32411 Retour sur l’attendu premier film de Jonah Hill.

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On connaît plus Jonah Hill comme acteur. Un acteur comique, en surpoids, rarement pris au sérieux. On l’a catalogué comme tel. Il a même été nominé aux Oscars pour ça, dans Le Loup de Wall Street. Mais il a décidé de sortir de ce personnage, dont il a parlé des effets néfastes sur sa personne au cours d’une entrevue. Il a commencé à s’habiller comme il le voulait, à devenir « cool ».  Son amour pour les marques Palace, Dime, les t‑shirt tie-dye et ses boucles d’oreille en diamant ont contribué à faire de lui une icône du style sur internet. Le podcast Failing Upwards de Lawrence Schlossman et James Harris organise même depuis deux ans le « Jonah Hill Day » en son honneur. Et c’est dans ce contexte qu’est sorti le film Mid90s, sur sa passion pour le skate et les années 1990.

Produit par A24 Films, comme l’oscarisé Moonlight de Barry Jenkins, le film raconte l’histoire de Stevie, douze ans, habitant à Los Angeles, qui intègre une bande de skateurs. Ray, Ruben, Fuckshit et Fourth Grade deviennent ses nouveaux amis, et Sunburn son nouveau surnom. Il vit avec son frère Ian, fan de rap et qui le bat, et sa mère Dabney, célibataire. Avec sa bande, il découvre le skate, les cigarettes, les filles, l’alcool, l’amitié, la persévérance. C’est une construction narrative classique du roman d’apprentissage: on suit l’évolution d’un personnage, pris sous l’aile d’une figure plus âgée, qui essaie de devenir la version idéale de lui-même.

À part Lucas Hedges (Ian) et Katherine Waterston (Dabney), le casting est composé de skateurs, et non d’acteurs. Na-kel Smith (Ray) est skateur pour Adidas et Fucking Awesome, Sunny Suljic (Stevie)  pour Adidas. Le film est tourné en format 4/3, et en pellicule. Le choix de la pellicule est esthétique —de nombreuses imperfections ont été gardées—, ajoutant à l’aspect « 90s » du film, rappelant Kids de Larry Clark. Jonah Hill a beaucoup insisté pour créer un univers très cohérent : on y retrouve le magazine Big Brother, les marques Chocolate, Alien Workshop, Girl. Loin d’être de la pure nostalgie, ce film veut faire découvrir la vie et la culture de cette période, sur la côte ouest des États-Unis. La scène d’introduction montre la fascination de Jonah Hill pour cette période, avec les CDs des Geto Boys, les Jordan 5, et les jerseys des Blackhawks.

Rétrospective de l’enfance

Mais ce n’est pas pour autant un film de skate. S’il est central dans l’esthétique et les thèmes, il s’agit surtout un film sur l’adolescence,  la famille et la peur de grandir. En effet, les discussions sont parfois dures, émouvantes. La mise en scène assez simple permet de capter des émotions pures, de façon naturelle. Le dialogue  entre Ray et Stevie est marquant, les acteurs livrant leurs angoisses aux spectateurs. C’est toutefois un film très amusant. Leurs discussions, grâce à Fuckshit et Fourth Grade, sont particulièrement drôles.

J’ai beaucoup aimé ce film. Il ne tombe pas dans l’écueil de la nostalgie ou de l’érudition. Les références au monde du skate et du rap font partie du « hors-champ » du film. On peut apprécier et comprendre le film sans connaître le Wu Tang Clan. Elles sont plutôt une valeur ajoutée. La réalisation simple, avec une photographie naturaliste, permet de faire ressortir la beauté de Los Angeles et des acteurs. Étant un premier film, le style n’est pas particulièrement défini, et peut faire écho à d’autres réalisations indépendantes américaines, comme les autres productions A24. Mais ceci n’empêche pas au film d’être beau, cohérent, amusant et touchant. Pas besoin, en somme, d’être un « 90s kids » pour apprécier ce film. 

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La frappe d’Alpha https://www.delitfrancais.com/2018/10/02/la-frappe-dalpha/ https://www.delitfrancais.com/2018/10/02/la-frappe-dalpha/#respond Tue, 02 Oct 2018 19:18:51 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=31917 Retour sur le premier album fort attendu d’Alpha Wann.

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Le 20 septembre, à 18h, Alpha Wann a sorti son premier album UNE MAIN LAVE L’AUTRE, UMLA, sur son label Don Dada Records. Membre de L’Entourage, et 1995, originaire du 14ème arrondissement de Paris, Alpha Oumar Wann de son vrai nom, est un cas à part. Ayant pu très tôt s’imprégner d’une culture rap new-yorkaise, grâce à une partie de sa famille habitant là-bas, ses débuts sont l’occasion d’étaler par les rimes et les  fringues une attitude résolument east coast : technicité, polos rayés, lunettes Cartier. Avec 1995, il a fait partie d’un retour à un rap old school, basé sur des samples, des rythmes simples, et de ce fait, a longtemps été décrit comme rappeur « à l’ancienne ». Son premier projet, Alph Lauren, en 2014, a cette fibre-là. Du rap détendu, technique mais simple. Les deux autres volets de la trilogie Alph Lauren, en 2016 puis 2018, marquent une transition progressive vers un son de plus en plus défini, en gardant des samples, mais en intégrant des sonorités nouvelles. Hologram Lo, le beatmaker de 1995, avec qui Alpha a beaucoup collaboré, marque beaucoup le son du rappeur.

Rime, samples et flow

UMLA est la suite logique de l’oeuvre d’Alph Lauren. Après plus de trois ans de travail, des featurings jetés – un avec Joke et un avec Nekfeu, de multiples freestyle et une mixtape, l’attente était très grande; et elle en valait le coup. 58 minutes, 17 titres, calibrés et variés, un fil conducteur : un album complet. Tous les sons sont très travaillés, Philly Flingue [surnom d’Alpha Wann, ndlr] pouvant pleinement exprimer sa technique, avec sa versification et ses schémas rythmiques, répondant pleinement à l’instrumental. Différents beatmakers ont travaillé sur le projet, Hologram Lo’ sur la majorité des morceaux, mais aussi VM The Don et Diabi, du label Don Dada, JayJay et Lama on the beat du collectif Eddie Hyde. Mais il y a pourtant une véritable unité musicale sur tout le projet. Seulement cinq featurings, avec Sneazzy d’1995 sur PARACHUTE CHANEL, Doums de l’Entourage sur LA LUMIÈRE DANS LE NOIR, ainsi qu’Infinit’ et OG L’Enf’, d’Eddie Hyde.

L’album est très varié. On retrouve des morceaux à thème, comme POUR CELLES, dans laquelle il raconte sa vie amoureuse et OLIVE ET TOM, sur la jeunesse du quartier Pernety. Celui-ci commence par un dialogue pour contextualiser le morceau, une forme très classique de rap. On retrouve surtout dans cette dernière une dimension politique forte, portant une critique virulente des politiques sociales françaises à travers tout le morceau, ce qui est rare dans le reste de sa discographie. Mais on trouve aussi de l’égo-trip, comme dans STARSKY ET HUTCH, un morceau rapide, entraînant, assez loin de ses débuts. On le retrouve aussi sur des morceaux plus personnels, comme UNE MAIN LAVE L’AUTRE, un morceau touchant, évoquant spleen, échecs amoureux et peur de la défaite. C’est la force pour moi de cet album, puisqu’il parvient à traiter de vastes sujets, avec des sons variés. On kiffe comme on pleure, et on apprécie une musique très recherchée, calibrée et qui mérite vraiment d’être connue.

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