Nora Fossat, Sara Fossat - Le Délit https://www.delitfrancais.com/author/nora-fossat/ Le seul journal francophone de l'Université McGill Fri, 12 Feb 2021 19:52:39 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.7.2 Métissages invisibles https://www.delitfrancais.com/2017/10/31/metissages-invisibles/ Tue, 31 Oct 2017 16:23:24 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=29679 Une identité et des origines plurielles à réconcilier.

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Une perspective philosophique

Le droit du sol ou le droit du sang sont dans la plupart des états modernes ce qui qualifie administrativement une nationalité, parmi d’autres variables. Vivre quelque part, c’est y appartenir, mais plus encore, y grandir, c’est être pénétré par la culture de cet endroit. Cependant culture et origine ne sont pas des concepts semblables.

Les minorités en savent quelque chose: la question identitaire est omniprésente chez les fils et filles d’immigrés. C’est le cas de la seconde génération d’immigrés maghrébins en France, qui ont grandi dans un contexte particulier, pétris par l’école républicaine française, bien que descendants d’une culture orientale millénaire. La culture semble cependant ne pas pouvoir empiéter sur l’origine, cette dernière se pratiquant dans un cercle familial restreint, tandis que la culture appartient au domaine public.

Néanmoins, que se passe-t-il lorsque la culture publique outrepasse l’origine — passée aux oubliettes — et ne correspond pas à ce que nos parents voulaient pour nous? Que se passe-t-il lorsqu’on ne différencie plus ce qui nous appartient de ce qui nous a été appris? En d’autres termes, comment se construire lorsqu’on vient d’une union métissée passée sous silence?

Une perspective culturelle

À la question «d’où viens-tu?», la réponse s’avère être un problème pour beaucoup: ceux aux cultures doubles, quadruples, en conflit, en chevauchement, ou même en rejet.Cependant, cette question est particulièrement délicate, pour les autres ou soi-même, lorsqu’elle est rarement posée. L’origine peut être assimilée à l’endroit où l’on est né, où l’on a grandi, d’où viennent nos parents et familles étendues. Souvent on la remarque, ou du moins on pense la remarquer car elle correspond à des codes qui lui sont propres, comme des signes extérieurs: la façon de se vêtir, de parler, ou le physique, avec le fameux «délit de faciès». La couleur de peau ou les attributs physiques différents sont souvent à la source des questionnements liés à l’origine.

Généralement, s’identifier à telle ou telle communauté revient à en porter le fardeau, et/ou à profiter des avantages que cette identité sous-entend. Il est, par exemple, plutôt original d’être d’origine allemande au Chili. On a en effet plus tendance à écouter les témoignages de personnes d’origines différentes, voire parfois hors du commun. Mais il est aussi difficile d’assumer les préjugés et discriminations liés à cette identité.

« Comment était-il possible pour moi d’intérioriser et de revendiquer une culture qui ne faisait pas partie de mon identité, fût-elle sociale ou physique? »

Témoignage: s’identifier, est-ce assumer une identité?

Ainsi, l’on se rend compte qu’il est difficile d’assumer socialement une identité dont on n’a ni les avantages, ni les inconvénients. Je pense pouvoir passer pour quelqu’un de «blanc», alors que j’ai deux origines: l’une française, et l’autre arabe, dont une difficile à porter dans le contexte actuel, et ce particulièrement en Occident.On me pose rarement la question de mon origine. La plupart des gens présument que je suis uniquement d’origine française. J’ai en effet physiquement beaucoup pris du côté français depuis des générations, de ma famille.

Toutefois, ma mère est née au Koweït, pays de la péninsule arabe. Elle est par la suite devenue française. Je n’ai ainsi pas vraiment hérité de sa culture sur le plan physique, ni de son identité d’origine dans mon éducation intellectuelle.

Élevée dans la banlieue parisienne et dans le même milieu depuis mon enfance, j’ai longtemps fréquenté le même type de personnes. J’ai également été davantage influencée par les valeurs du milieu où j’ai évolué et par l’établissement privé catholique que j’ai fréquenté durant toute ma scolarité. Beaucoup de personnes dans mon entourage ne se sont jamais posées de question sur mes origines. Pour eux, je ne pouvais être autre chose que française. Cela découle de mon choix d’avoir évité de revendiquer ou d’afficher cette identité. Au delà d’une dissimulation, il s’agissait peut-être aussi d’un certain déni. Personne ne me ressemblait vraiment, bien que j’ai connu une minorité de cas similaires au mien: des personnes métisses, ou ayant grandi autre part. Je n’ai jamais parlé, de façon positive, de la culture de ma mère, ni de sa religion «d’origine». Cela est sûrement du au fait que j’ai été élevée sans suivre aucun standard culturel traditionnel. Ni français, ni arabe: nos parents voulaient leurs enfants «citoyens du monde».

Une réconciliation philosophique et culturelle de l’identité

L’importance d’une communauté, c’est pourtant aussi cela: donner un fondement à nos croyances, nos opinions, et orientations politiques, fussent-elles bonnes ou non. Du moins, c’est de cela dont nous parlons ici. Dans mon cas, ce fondement n’existait pas, ou n’était que peu stable, dû au fait qu’on ne m’ait jamais familiarisé avec quelque origine que ce soit. Pouvais-je revendiquer les standards français comme étant les miens? Il me semblait toujours manquer de légitimité. Les codes culturels et sociaux orientaux ne me convenaient cependant pas non plus, car je n’en savais, et n’en sait toujours, après tout, rien, à part l’étiquette que lui donnait la société. De fait, comment était-il possible pour moi d’intérioriser et de revendiquer une culture qui ne faisait pas partie de mon identité, fût-elle sociale ou physique?

Le physique et le non-dit comptent beaucoup dans le repérage de pairs. Je ne me suis jamais sentie faire partie d’un groupe communautaire, ou légitime, lorsque j’étais exclusivement entourée de Français appartenant au modèle «chrétien-conservateur» qui avaient tous le même schéma de vie, qui n’était pas le mien. À savoir, des grands-parents en Bretagne, une maison en Normandie, des repas de famille le dimanche, des fêtes et diners chez des amis éloignés de la famille. Je n’avais pas cela, ni de repères valides pour socialiser en leur nom.

Je me souviens que je n’arrivais pas à me classer lorsque j’apprenais le schéma bourdieusien des classes et pratiques sociales, ce en prépa Sciences Po, royaume de ces jeunes de CSP+ franco-françaises, chrétiennes et conservatrices. Être inclassable, inidentifiable, c’est ce que j’ai personnellement ressenti une grande partie de ma vie en France. Cependant, en partant pour le Québec et en rencontrant des personnes d’origines diverses et variées, grâce aux taux de mixité hors du commun à McGill, j’ai remis en perspective ma situation. J’ai compris que beaucoup de gens de mon âge avaient souvent des situations plus complexes. Certains vivaient au quotidien le fait d’être une minorité visible dans leur pays d’origine, à souffrir du racisme latent. Je me suis dit que j’avais de la chance. De la chance parce que je n’ai jamais eu à faire face à des discriminations pour une identité que je n’ai toutefois jamais réclamée. On ne choisit pas sa famille dit-on, mais j’ai découvert que l’on pouvait décider de qui l’on voulait être.

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Réflexion sur l’esthétisme https://www.delitfrancais.com/2017/10/24/reflexion-sur-lesthetisme/ Tue, 24 Oct 2017 17:39:04 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=29608 L’uniformisation esthétique est-elle une fatalité?

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Il vous suffit de jeter un œil dans les bibliothèques du monde entier: Londres, Paris, New York, vous ne remarquez rien? Toutes ces pommes allumées toisent les couvertures des livres vieillies par le temps. Un vrai paradoxe actuel. Du blanc, encore du blanc, de l’épuré et des lignes simples au milieu de l’original et de l’ancien. C’est le credo design d’Apple, précurseur en la matière du business model esthétique, fondé sur l’emphase mise sur le design pour vendre. La preuve en est toute récente: l’iPhone X, dernier né de la marque, est vide: rien qu’un écran, plus aucune fioriture. Terminés les boutons, remplacées les quelques prises. Tout est en Bluetooth, rien ne semble gêner l’interaction avec l’utilisateur. Ce qui caractérise cette nouvelle façon de concevoir le design, ce n’est plus l’épuré, mais autre chose.

Un clash historique

Dans ce cas, Quid de l’Histoire? Cette opposition à la fioriture ne serait-elle pas du déjà-vu? En effet, le Classicisme au 17e siècle prône le respect de la clarté, de l’épuré en réponse aux architectures des lourdes cathédrales gothiques et leurs arabesques. La différence, aujourd’hui, le jamais vu, c’est l’uniformisation des designs qui nous guette. Pourquoi ces bibliothèques sont-elles pleines des mêmes ordinateurs, et pourquoi l’iPhone est-il partout? Certainement pas parce que le Mac est le meilleur sur le marché, mais pour une raison plus insidieuse. Ce que nous percevons du monde, en tant qu’animaux sociaux, (Aristote, Les Politiques, II, 2), c’est aussi ce que l’on en retient, ce que l’on tend à imiter chez nos semblables. Les designs se copient et se répètent. Ceux des applications, des pubs, des restaurants en chaînes dans les grandes villes, se ressemblent dans l’ère du tout esthétique. Les polices arrondies et les couleurs claires et travaillées sont de mise, tranchant avec les designs des marques dans les années 80 et 90, aux couleurs criardes et aux polices défraîchies

Le minimalisme, faire moins pour montrer plus, est ce qui gagne toutes les sphères. Comme une gangrène, il s’immisce dans les esprits des designers, mais aussi dans l’inconscient collectif. Si cela semble inéluctable, est-ce pour autant une fatalité au sens grec du terme?

« En quelque sorte on pourrait dire qu’il s’agit de l’esthétique du vide, l’esthétique du rien »

Comment le design peut-il s’adapter?

Évidemment, l’esthétisme ne peut pas disparaître. On ne peut pas ne plus rien écrire, les lignes ne peuvent pas se réduire encore et encore pour disparaître. Le produit doit être défini, et un message se doit de passer, car c’est le principe de la publicité et de surcroît de la vente. C’est ici que l’exemple de l’iPhone X est intéressant. Si plus rien ne paraît à part l’écran, c’est que tout est destiné à toujours changer. Si on ne trouve pas de boutons, de prises, et de particularité propre, c’est que tout est censé l’être.

En fait, ce que cette nouvelle esthétique des écrans veut dire, c’est que c’est l’interchangeabilité; le toujours plus éphémère, qui va diriger l’esthétique de demain. On passe d’un design fixe à un moule hyper flexible qui en fait n’en est pas un. Quand l’ancien design demandait des lignes prédéfinies, la création d’aujourd’hui ne demande plus rien, mais dès lors elle demande tout. À l’époque où vitesses d’information et d’échange sont plus importantes que jamais, l’esthétique se devait de s’adapter elle aussi. Tout évolue à un rythme effréné, alors pourquoi l’esthétique devrait-elle être fixe et conceptuelle?

« Hyper-sollicité, le client n’est plus roi, il est dictateur »

Une esthétique unique mais sans borne?

Le futur de celle-ci est de ne plus trancher. L’avantage est qu’elle plaira à tout le monde, tout le temps. Comme l’écran de l’iPhone qui sera tout entier à la guise de celui qui l’utilise. C’est le principe du monde des écrans, du monde des appareils électroniques en général, et de celui de la demande, ce sur quoi Apple parie. Dans une bibliothèque où tout le monde a le même ordinateur et le même téléphone, le paradoxe est que tout le monde veut le sien, personnalisable et distinguable. Il vous suffit de regarder les téléphones et ordinateurs des gens autour de vous: les couleurs, les autocollants, les coques en tout genre.

«Le choix individuel de pouvoir personnaliser à l’infini, tout en achetant la  même chose que tout le monde»

On veut ressembler à tout le monde et en même temps à personne. C’est ce qu’Apple a compris dans sa conception avant-gardiste du design. Le consommateur d’aujourd’hui est celui qui claque des doigts, pianote sur un écran, et obtient tout en deux minutes. Hyper-sollicité, le client n’est plus roi, il est dictateur, alors Apple lui offre un canevas blanc, où tous les choix esthétiques possibles deviennent les siens. Pour s’adapter à la demande, pourquoi ne pas faire corps avec celle-ci? En fin de compte, l’exigence d’un public en position de force continuelle est celle qui maîtrise cette nouvelle esthétique sur commande: du blanc pour que chacun se projette à sa guise. Apple révolutionne ainsi le principe d’offre et de demande par l’esthétique, et nous propose une nouvelle façon d’envisager «ce qui plaira». Ici, ce n’est plus un type de demande qui doit être identifié: ce sont toutes les demandes en même temps, tous les styles et tous les genres, qui sont libres de se reconnaitre dans les produits.Il n’y a plus de «beau» unique, mais une multiplicité d’opinions. On se rapproche ici de la vision du «beau» Kantien, dans La Critique de la Faculté de Juger, qui établit le beau comme étant subjectif, propre à chacun, donc sans concept, et hors de tout intérêt.

Finalement, le beau sans concept à l’époque Kantienne, c’est un peu l’esthétique sans borne d’aujourd’hui, dans laquelle chacun peut se reconnaître: c’est à la fois un choix et une sentence. Parce qu’avant de personnaliser l’iPhone X, il faut bien  évidemment l’acheter.

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