Juliane Chartrand - Le Délit https://www.delitfrancais.com/author/julianechartrand/ Le seul journal francophone de l'Université McGill Fri, 12 Feb 2021 19:51:27 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.7.2 L’art de revendiquer https://www.delitfrancais.com/2018/10/16/lart-de-revendiquer/ https://www.delitfrancais.com/2018/10/16/lart-de-revendiquer/#respond Tue, 16 Oct 2018 13:04:34 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=31980 Loin d’être un simple divertissement, l’art constitue un moyen de revendication substantiel.

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L’indignation politique rime la plupart du temps avec confrontation et division. Et le monde politique en fait lui-même son effigie avec la sollicitation aux débats, qu’ils soient publics, parlementaires ou télévisés. Or, la scène politique ne détient pas le monopole des discours idéologiques. À l’inverse, bien que les moyens conventionnels tels que s’impliquer dans un parti politique ou participer à une marche de protestation semblent suffisants pour véhiculer un message politique, il peut être encore plus efficace de sortir des plateformes classiques. De Sartre à Banksy, en passant par Shakur et Zola, l’art s’est révélé être une arme puissante pour défendre des idées. Alors qu’on associe souvent le monde artistique aux loisirs et au divertissement, son rôle s’avère être bien plus large; il s’agit d’un moyen hautement efficace pour divulguer un message politique. Par ailleurs, au Québec, la prise de position et l’implication des artistes ont bouleversé à maintes reprises la condition politique de la société québécoise. Que l’on parle de La Nuit de la poésie de 1970, de L’Homme rapaillé par Gaston Miron ou du personnage de Sol incarné par Marc Favreau, l’on ne peut nier le rôle crucial de l’art engagé dans la révolution sociale du Québec. Bref, l’Histoire le démontre, l’art revendicateur est un puissant langage universel pouvant prendre la forme d’un mouvement, d’une œuvre, d’un courant ou d’un évènement. Étant aussi polyvalent et inclusif, l’art est une partie intégrante du quotidien de tous. 

À l’ère du divertissement

Je me dois toutefois de rectifier que, comme l’art a le pouvoir d’éveiller les consciences endormies, la possibilité de créer l’effet inverse existe également. Malheureusement, bien que l’art ait la force de faire questionner un public et de le faire réfléchir sur sa condition, il est davantage utilisé pour divertir et détourner l’attention du peuple des enjeux politiques afin d’engourdir le sens critique des citoyens. Trop souvent utilisé à des fins de consommation, l’art peut tout aussi bien endiguer la capacité des gens à discerner l’essentiel de l’insignifiant, et ainsi aliéner la population des enjeux sociaux prioritaires. En d’autres termes, l’élite artistique des temps modernes contribue au maintien du système actuel par le divertissement de masse. Évidemment, l’artiste n’a pas d’obligation face à cet engagement politique, la liberté de création est le droit le plus fondamental à son existence. Mais il demeure que l’artiste est dépendant·e de sa situation politique et la passivité est en soi une prise de position.

L’humour, un agent de réflexion

Les méthodes de revendications sont multiples, mais l’art engagé constitue un type de discours rafraichissant. L’humour, par exemple, représente un outil puissant pour non seulement véhiculer ses idées, mais aussi pour les faire assimiler au public. Étant moins tendu·e·s et plus disposé·e·s à considérer de nouvelles idées, les spectateur·rice·s se sentiront davantage intéressé·e·s par les propos au ton humoristique. Trop souvent, la propagande idéologique crée un inconfort avec celui qui ne la partage pas, mais par l’humour, il est possible de transmettre un message qui semble initialement dérangeant en le rendant léger et divertissant. De plus, avec le synchronisme des rires dans la salle, l’on assiste à une communion plutôt qu’à une division. Il s’agit d’un moyen subtil mais puissant pour exercer une critique sociale des instances dominantes de la société. Son efficacité se retrouve aussi dans le fait que l’humour suscite beaucoup d’intérêt, et le Québec n’en fait pas exception.  Plus exactement, un spectacle sur trois est à caractère humoristique dans la province québécoise et il s’agit d’un des domaines les plus rentables de l’industrie artistique selon l’Institut de la statistique Québec. Ainsi, l’engouement pour un nouveau spectacle à caractère engagé ou encore la polémique déclenchée par une blague à propos contestataires ont l’avantage commun de créer énormément de visibilité.

Faire de l’art contestataire ne se fait tout de même pas sans conséquence, et l’humoriste Fred Dubé en connait bien les répercussions. Reconnu pour son humour politique tapissé de propos corrosifs et cinglants, l’humoriste ne mâche pas ses mots pour dénoncer les contrecoups du système capitaliste et la société du spectacle. Il s’attaque entre autres à l’impertinence des médias de masse, à la montréalisation de l’information, à l’hypocrisie des élites politiques et à l’hégémonie des idées néolibérales sans se gêner pour faire du name-dropping. Or, comme la vérité n’est pas toujours sollicitée, Fred Dubé s’est fait remercier suite à ses propos qui ont été désigné comme trop radicaux par Les Échangistes, émission qu’il a ensuite qualifiée de « cimetière où la pertinence est morte ».

Alors que Fred Dubé est dans la dénonciation directe et sans demi-mesure, certain·e·s se font moins affirmatif·ve·s en étant plus discret·ète.s sur les enjeux sociaux. Ils vont tout de même, à leur façon, prendre soin d’inclure des référents socio-économiques sans prendre nécessairement de position claire. Parfois même, une simple interrogation éthique s’avère suffisante pour créer un inconfort chez les spectateur·rice·s, les portant vers une réflexion sociétale. Bien que moins corrosif, son effet peut être tout aussi efficace.

Vaincre la peur par le rire

En cette période tourmentée par la menace terroriste, la montée du populisme et le renforcement de sécurité, l’humour agit tel un baume sur les angoisses sociales.  Le spectacle Extremiss, animé par l’humoriste Anas Hassouna, avait pour mission de désarmer la peur ambiante au moyen du rire. Présenté en rappel le 11 septembre dernier, la date de représentation n’était pas due au hasard puisque le spectacle traitait de sujets délicats tels que le terrorisme, la radicalisation et la montée de l’extrême droite.  Medhi Bousaidan, Roman Frayssinet, Rachid Badouri, Louis T., Fary ainsi que tous les autres humoristes invité·e·s ont décortiqué l’idée de l’extrémisme, au sens plurivoque, sous le couvert de l’humour. Et c’est mission réussie, malgré la relation différente qu’entretient chaque spectateur·rice avec la thématique du spectacle, les humoristes ont su unir le public au moyen du rire.

Désarçonner le cynisme politique

La pluralité des idées est généralement  associée à la discorde et à l’affrontement. Bien que les moyens habituels pour évoquer ses convictions politiques mènent plus souvent qu’autrement au débat, il est possible de livrer un message plus digeste par le biais de démarches non conformes telles que l’art. Le procédé artistique est subversif puisqu’il nous donne les moyens pour douter, réfléchir et remettre en question. Les discours humoristiques teintés de critiques permettent de brillamment poser les revendications de l’humoriste et d’unir son public. Qu’il·elle défende sa position avec aplomb ou qu’il·elle évoque une lecture politique plus subtile, l’humoriste a l’avantage de faire intégrer son message dans la légèreté. Face à l’inertie des gouvernements à investir dans la culture, les plateformes traditionnelles semblent rejeter la légitimité de l’humoriste, mais c’est le public qui, au moyen du rire, détermine sa pertinence. En d’autres termes, c’est en boudant les institutions conservatrices et les moyens conventionnels qu’on saisit l’attention des gens, qu’on désamorce leur malaise et qu’on atteint leur conscience. En conséquent, l’implication des artistes et particulièrement des humoristes dans les débats sociaux est essentielle à l’unification des citoyens à travers les tensions politiques, culturelles et sociales. Ce sera peut-être la solution au désabusement ambiant face à la politique.

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Les étudiant·e·s au banc des accusé·e·s https://www.delitfrancais.com/2018/09/18/les-etudiant%c2%b7e%c2%b7s-au-banc-des-accuse%c2%b7e%c2%b7s/ Tue, 18 Sep 2018 17:47:30 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=31621 Les étudiant·e·s ont leur part de responsabilité dans le phénomène d’embourgeoisement de la métropole.

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La gentrification, anglicisme désignant l’embourgeoisement urbain, est un concept désormais difficile à ignorer. Étant témoins des mouvements d’opposition, des manifestations et des vitrines de boutiques fracassées, nous sommes forcé·e·s de constater que la revitalisation des quartiers montréalais suscite inquiétude et indignation. L’on ne peut le nier, l’accroissement d’intérêt porté à un espace déjà bien occupé mène à une transformation du profil social et économique, apportant à long terme des conséquences intrinsèquement défavorables. Par exemple, l’arrivée de gens aisés dans un quartier plutôt défavorisé conduit

Il s’agit de milliers de Montréalais.e.s, annuellement, qui sont contraint.e.s de fuir leur quartier, laissant derrière eux les nombreux souvenirs créés durant les dix, vingt et même trente dernières années

inévitablement à la construction de nouveaux commerces et restaurants haut de gamme qui sauront convenir à la nouvelle classe de résident·e·s. Le quartier se voit donc tranquillement refaçonné en espace moderne et développé. Or, le secteur étant plus attrayant, le développement urbain mène à l’inflation des loyers. Et ne pouvant se permettre cette augmentation, les moins nanti·e·s se résignent à quitter le quartier pour se réfugier dans un coin de l’île encore plus défavorisé. Il s’agit de milliers de Montréalais·e·s, annuellement, qui sont contraint·e·s de fuir leur quartier, laissant derrière eux les nombreux souvenirs créés durant les dix, vingt et même trente dernières années.

Cependant, les causes de l’embourgeoisement ne tiennent pas que des agents immobiliers et propriétaires de condos assoiffés d’argent, le phénomène est complexe et prend diverses formes. En fait, les étudiant·e·s contribuent aussi à l’embourgeoisement des quartiers montréalais. 

Une ville étudiante

Montréal est désignée comme la meilleure ville d’Amérique du Nord pour étudier, selon le classement du cabinet Quacquarelli Symonds (QS) et héberge l’une des meilleures universités au monde, soit l’Université McGill (32e dans le classement),

toujours selon la même source. Il n’est donc pas surprenant que la métropole abrite près de 35 000 étudiant·e·s étranger·ère·s, soit 77% des nouveaux·elles citoyen·ne·s installé·e·s au Québec, et que ces chiffres ne cessent d’augmenter. Comme tout flux migratoire, l’arrivée de ces nouveaux·elles étudiant·e·s crée de grands changements sociaux et économiques. Indéniablement, une forte vie étudiante permet le roulement de l’économie locale, entraîne la création d’évènements éducatifs et culturels et mène à la construction de lieux publics tels que les bibliothèques, les cafés et les bars. Dans la société vieillissante qu’est le Québec, les étudiant·e·s permettent d’autant plus un renouvellement de la main d’œuvre. La présence d’étudiant·e·s internationaux·ales, de plus, renforcé la mosaïque culturelle qu’est Montréal — et ne faut-il pas oublier que c’est son cosmopolitisme qui la distingue du reste du Canada. 

Embourgeoisement étudiant

Sur une note moins positive, les étudiant·e·s s’installent

généralement dans des quartiers où le coût des loyers est assez bas, se séparant le prix entre deux, trois ou même quatre colocataires. Les propriétaires se tournent alors vers des logements plus grands et peuvent ainsi se permettre d’augmenter le loyer, au détriment des petites familles qui ne peuvent se permettre qu’un appartement modeste. Et même pour les familles aisées, le déménagement est parfois la seule option lorsque leur petit quartier tranquille se transforme en débauche étudiante.

Constatant la demande grandissante de logements pour étudiant·e·s et y voyant un marché florissant, les propriétaires et les  universités se sont empressés de créer des résidences étudiantes près des campus. Parc Cité ou encore Evo dans le Milton Parc, l’Îlot voyageur dans le quartier latin et le 355 rue de la Montagne dans Griffintown: l’on parle de logements qui impressionnent par leur style moderne et luxueux. Encore une fois, aucune place aux logements abordables ne fut accordée dans ces

projets immobiliers.

Les contrecoups de la population étudiante ne s’arrêtent pas là. S’installant à Montréal de façon temporaire pour la plupart, les étudiant·e·s ne traitent pas le quartier où ils·elles résident de la même façon que les habitant·e·s de longue date. En effet, chaque quartier possède certaines caractéristiques qui lui sont propres, ce qui crée un sentiment d’appartenance parfois puissant chez ceux et celles qui y résident. Ces dernier·ère·s veillent ainsi au maintien et à la floraison du coin en participant par exemple aux activités culturelles du quartier, en s’impliquant auprès de comités locaux ou simplement en respectant les règles et l’environnement des lieux. Tandis que pour un·e étudiant·e fraichement arrivé·e en ville et considérant qu’il·elle ne s’installe que temporairement, il est plus difficile de

Le gouvernement pourrait à son tour faire sa part en développant des stratégies concrètes pour améliorer l’intégration des étudiant.e.s internationaux.ales à leur nouveau milieu

développer un rapport d’attachement pour son arrondissement, et l’individu ne s’investira probablement pas dans la vie de quartier. Rien d’alarmant, certes, mais lorsqu’il s’agit d’une vague importante d’étudiant·e·s passager·ère·s, ou de la construction d’imposantes résidences universitaires, cela peut gravement endommager l’harmonie du quartier. Le non-respect de la collecte des ordures, par exemple, est un problème récurrent dans les arrondissements où y vivent de nombreux·ses étudiant·e·s. Des concierges opérant dans Milton Parc et le Plateau ont témoigné à la presse de Radio-Canada que les rues sont continuellement couvertes d’ordures jetées par les étudiant·e·s qui ne se soucient pas des règlements municipaux.

La population étudiante a son lot de responsabilités dans l’embourgeoisement des quartiers montréalais, mettant l’authenticité de la ville en péril

Ces incivilités sont d’autant plus visibles à la fin des semestres, où les étudiant·e·s s’empressent de quitter pour les vacances en abandonnant meubles et déchets au passage. Comme mentionné, l’arrivée en masse d’étudiant·e·s permet à la métropole de conserver son dynamisme et sa vivacité. Nul ne peut ignorer l’apport de ces nouveaux·elles arrivant·e·s sur les plans social, culturel

et économique.

Toujours est-il que la population étudiante a son lot de responsabilités dans l’embourgeoisement des quartiers montréalais, mettant l’authenticité de la ville en péril.

Bien évidemment, la solution n’est pas de pénaliser les universitaires, plutôt faudrait-il sensibiliser les nouveaux·elles étudiant·e·s quant à l’importance de respecter et de participer à la vie de quartier. Le travail doit peut-être débuter dans les universités mêmes. Elles devraient s’assurer que les projets immobiliers de résidence respectent la volonté du quartier dans lequel ils s’implantent et encourager la participation des étudiant·e·s aux activités locales, par exemple, au travers de projets de recherche. Le gouvernement pourrait à son tour faire sa part en développant des stratégies concrètes pour améliorer l’intégration des étudiant·e·s internationaux·ales à leur nouveau milieu. Pour protéger la culture québécoise, il faut inciter les nouveaux·elles citoyen·ne·s à s’y intéresser, plutôt que de tenter de les en écarter.

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