Inès Thiolat - Le Délit https://www.delitfrancais.com/author/ines-thiolat/ Le seul journal francophone de l'Université McGill Tue, 18 Sep 2018 21:30:16 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.8.2 Les films de la rentrée 2018 ! https://www.delitfrancais.com/2018/09/18/les-films-de-la-rentree-2018/ Tue, 18 Sep 2018 14:49:33 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=31638 Inès revient sur We The Animals et BlacKkKlansman.

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We The Animals, fresque brutale et sensible de l’enfance

We The Animals est l’adaptation du roman éponyme de Justin Torres sur l’enfance troublée de Jonah, jeune garçon américain d’origine portoricaine. Dans les années 1980, en pleine zone rurale de l’État de New York, Jonah et ses deux frères aînés Manny et Joel forment un trio inséparable. Les épisodes de violences conjugales poussant le père à disparaître régulièrement et la mère en dépression, les trois frères se retrouvent livrés à eux-mêmes. Ils vont alors devoir se battre pour assurer leur survie au sein d’un foyer instable porté par l’amour si volatile de leurs parents. Jonah, hyper-sensible, va s’extraire de cette violence quotidienne en dessinant chaque nuit, en cachette.

Entre documentaire et animation

Le réalisateur Jeremiah Zagar offre une sublime et envoûtante fresque de l’enfance. Devant la violence du monde des adultes, Jonah se retrouve obligé de grandir par à‑coups. L’absence parentale va entraîner une libération chez les trois frères, soulignant une certaine «sauvagerie» qui évoluera sans l’intervention d’une quelconque autorité. Le film explore avec poésie l’expérimentation de cette liberté, illustrée par de magnifiques scènes en pleine nature.

We The Animals est le mélange réussi entre la brutalité des scènes similaires à un documentaire, et la grâce des dessins de Jonah qui vont s’animer et devenir des personnages à part entière. La caméra de Zagar vissée sur les visages nous confronte abruptement à l’intimité des personnages. Sans jamais tomber dans le voyeurisme, Zagar nous emmène avec délicatesse dans la complexité de l’apprentissage. L’alternance entre plans panoramiques de la campagne américaine, zooms coup de poing sur les visages et les dessins enfantins de Jonah donne une atmosphère magnétique à l’œuvre. De plus, la rareté de la parole multiplie brillamment l’intensité des expressions et laisse exploser la puissance des émotions.

  

Le refus d’une virilité écrasante

L’un des thèmes majeurs de We The Animals est la découverte par Jonah de son homosexualité. La liberté des trois frères ne va paradoxalement pas inciter Jonah à assumer cette sexualité naissante. Le père portoricain et les deux frères aînés reproduisent en effet une hyper-masculinité par un comportement extrêmement agressif envers leur mère et entre eux. Lors d’une scène particulièrement marquante, Manny et Joel vont boire, fumer et insulter Jonah de «bitch» car il ne se conforme pas aux normes d’une virilité menaçante. Outre la représentation de cette masculinité oppressante, ce film est aussi l’histoire du détachement de Jonah vis-à-vis de cette dernière.  Par le dessin et l’écriture, Jonah se construit un monde onirique puissant selon ses fantasmes et sa sensibilité.

We The Animals est une véritable pépite cinématographique portée notamment par les performances remarquables de Raúl Castillo et Sheila Vand dans le rôle des parents. En sélection officielle au festival du film de Sundance 2018, le film rappelle Moonlight, Oscar du meilleur film 2017, dans son approche violente et pourtant poétique de la sexualité queer. En route vers la statuette?

 

BlacKkKlansman: Nouveau coup de génie pour Spike Lee

Affiche officielle du film

Colorado Springs, États-Unis, 1978. Ron Stallworth, policier afro-américain, se fait passer pour un suprémaciste blanc et réussit à infiltrer le Ku Klux Klan.

Aussi hallucinant que cela puisse paraître, BlacKkKlansman est l’adaptation par le réalisateur Spike Lee d’une histoire vraie! Pendant plusieurs mois, Stallworth va être en contact téléphonique avec l’organisation raciste et lors des rencontres en personne, Flip Zimmerman, un collègue policier blanc prendra sa place. En plus d’afficher une haine anti-noire, le KKK est notoirement antisémite, et le double blanc de Stallworth est juif. Se joue alors une gigantesque farce où un Afro-américain et un juif vont réussir à s’imposer au sein même de l’organisation qui les méprise.

Une comédie jouissive

«Que Dieu bénisse l’Amérique blanche!» Dans la bouche de l’Afro-américain Ron Stallworth, la formule annonce d’emblée l’ampleur du grotesque qui va se dérouler. Les propos racistes et antisémites sont poussés à un tel extrême que le film atteint les sommets de l’irrationnel et de la drolatique absurdité. Particulièrement marquante est la conversation téléphonique entre Ron Stallworth et David Duke, leader du KKK, pendant laquelle ce dernier affirme être certain de parler avec un blanc car Stallworth prononce correctement ses phrases. L’acteur interprétant ce dernier, John David Washington, le fils de Denzel Washington, offre ici une performance absolument hilarante sur le «parler noir».

Une claque magistrale, révélant un passé qui n’est pas mort, ni même passé.

La stupidité de la haine est tournée en ridicule, jusque dans l’intimité des suprémacistes blancs où l’une des épouses remercie son mari d’avoir donné un sens à sa vie en haïssant les noirs.

BlacKkKlansman est un film que l’on pourrait qualifier de «pop»: situé dans la fin des années 1970, Spike Lee ne se prive pas de magnifiques scènes louant la musique et l’esthétique gospel et disco afro-américaine. La célébration de la culture noire américaine passe aussi par une bande-son ponctuée de pépites du registre soul telles que James Brown, The Temptations, ainsi qu’une chanson inédite de Prince.

Dangereusement actuel

Le cadre des années 1970 nous ferait presque oublier les enjeux très actuels des tensions raciales aux États-Unis. Néanmoins, Spike Lee ancre son œuvre sur des vérités historiques avec des images de Naissance d’une nation de 1915; film ayant relancé la popularité du Ku Klux Klan et justifié le lynchage d’afro-américains. Les liens avec l’Amérique contemporaine sont aussi omniprésents. Un dialogue entre Ron Stallworth et un policier blanc sur l’impossibilité d’élire un président suprémaciste blanc provoque un rire nerveux dans la salle… Ainsi Spike Lee n’hésite pas à inclure dans son film les images bien réelles des protestations de néo-nazis et nationalistes blancs à Charlottesville en 2017, ainsi qu’un discours de Trump, le désignant clairement comme élément catalyseur des violences racistes. Le réalisateur rend également hommage à Heather Heyer qui perdra la vie lors de ces protestations, avec la phrase «Rest In Power» à la place de «Rest In Peace». C’est précisément cette notion d’émancipation des opprimés qui est au centre des questions soulevées par Spike Lee. Il interroge brillamment la conception de l’identité, notamment lorsque le double blanc de Stallworth avoue ne jamais s’être posé la question de ce que signifiait être juif avant d’être confronté à l’antisémitisme.

L’ennui, c’est que le film sera probablement vu par des personnes déjà majoritairement favorables à la vision de Spike Lee. Tourner en ridicule les suprémacistes blancs antisémites pourrait discréditer une menace pourtant bien réelle. Quoiqu’il en soit, ce film demeure une claque magistrale, révélant un passé qui n’est pas mort, ni même passé. Qui est présent.

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Sartre à Hollywood https://www.delitfrancais.com/2016/02/22/sartre-a-hollywood/ https://www.delitfrancais.com/2016/02/22/sartre-a-hollywood/#respond Tue, 23 Feb 2016 03:28:58 +0000 http://www.delitfrancais.com/?p=24953 The Childhood of a leader, sombre drame historique au Centre Phi.

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Du 16 au 25 février, le Centre Phi propose la diffusion du premier film du jeune acteur américain, Brady Corbet. Pour ses premiers pas en tant que réalisateur, il ne s’est pas laissé aller à la facilité, loin de là. Adapter une nouvelle de Jean-Paul Sartre (L’enfance d’un chef, ndlr) avec Robert Pattinson dans le rôle titre? Le pari était risqué, le résultat, en demi-teinte.

L’enfance d’un chef est divisée en trois tantrums, soit crises de colère, qui dépeignent la montée de l’égo autoritaire d’un jeune enfant. Dès l’ouverture, Corbet nous annonce ses intentions de nous plonger dans une France d’après-Première Guerre mondiale sombre et austère, où le clergé tient une place dominante. Un jeune servant de messe se cache derrière un mur et lance des pierres sur les paroissiens quittant l’église. Cet enfant de cœur c’est Prescott, né au sein d’une riche famille de la campagne française. Son père est un haut diplomate américain pour le président Wilson et s’occupe des négociations du traité de Versailles en 1919. Une suite de stratégies militaires qui aura un rôle majeur dans le développement de sa pensée.

Enfant intelligent à la tête d’ange, Prescott est souvent confondu avec une fille. Il va alors peu à peu prendre conscience de son pouvoir sur les autres, de son charme et du respect qu’il impose: il deviendra un chef, un despote, un dominateur.

WME Entertainment

Une esthétique éblouissante

La technique cinématographique de Brady Corbet est remarquable, quoiqu’étonnante. Il décide de filmer des pièces vides ou des couloirs pendant de longues minutes et privilégie les gros plans, nous laissant pénétrer dans l’intimité des personnages. Les décors et costumes traduisent superbement la France des années 1910, avec des silhouettes allongées — le corset étant de mise chez la gente féminine. Du côté des acteurs, Bérénice Béjo dans le rôle de la mère inquiète est la touche d’élégance de la distribution, malgré un jeu d’actrice frôlant parfois le pathos.

Quant au jeune acteur qui interprète Prescott, il est époustouflant: sa tête d’ange et son regard frondeur font de lui l’atout incontestable du film. L’acteur Tom Sweet incarne un personnage capricieux et indiscipliné qui marque par sa présence hypnotisante à l’écran. Robert Pattinson – malgré son omniprésence lors de la promotion du film – ne tient qu’un rôle secondaire et apporte surtout sa notoriété au long-métrage.

Sobriété et manque de dynamisme

La musique composée pour le film par Scott Walker participe à l’atmosphère pesante qui s’en dégage: des sons stridents et agressifs s’apparentent à des cris de souffrance. Le film alterne entre des plans de Prescott avec sa tutrice angélique (interprétée par la magnifique Stacy Martin) et des images de plafonds noirs avec une musique apocalyptique en arrière-fond. L’enfant en rébellion contre l’autorité en vient à attaquer physiquement sa propre mère. Tout cet ensemble offre un drame angoissant sur la montée en puissance d’un égo fasciste, intolérant et capricieux. On pourrait reprocher à Brady Corbet la surabondance de symboles: le spectateur a aussi besoin d’être guidé dans l’enfance tourmentée d’un despote en devenir. L’incompréhension persiste sur le sens de certaines scènes et l’on sort du Centre Phi avec une certaine frustration. L’œuvre manque de sens et de dynamisme: c’est l’histoire d’un enfant qui devient de plus en plus capricieux et son entourage de plus en plus servile. La forme prédomine malheureusement sur le fond. 

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1969: vertige à Montréal https://www.delitfrancais.com/2016/01/26/1969-vertige-a-montreal/ https://www.delitfrancais.com/2016/01/26/1969-vertige-a-montreal/#respond Tue, 26 Jan 2016 20:50:22 +0000 http://www.delitfrancais.com/?p=24568 Neuvième étage documente la désobéissance civile au Cinéma du Parc.

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Lors de l’hiver 1969, la communauté étudiante de Montréal se révolte. Des étudiants de McGill et des principales universités de la ville occupent depuis des jours le laboratoire informatique du neuvième étage de l’Université Sir George Williams (devenue ensuite l’Université Concordia). La raison: ils protestent contre le comportement discriminant et raciste du professeur de biologie Perry Anderson envers six de ses élèves d’origine antillaise.

«Le documentaire échappe au piège du ton moralisateur dégoulinant de bons sentiments.»

Après quatorze jours d’occupation des lieux, la manifestation prend fin dans la violence, l’intervention de la police et l’emprisonnement de 97 individus. La colère des étudiants qui luttent contre la discrimination explose: Perry Anderson semble intouchable et des slogans à caractère raciste tels que «let the niggas burn» («brûlons les nègres», ndlr) émergent peu à peu. Montréal, ville de la diversité qui se revendiquait «Terre des Hommes» lors de l’Exposition Universelle de 1967, cache alors une réalité bien plus sombre.

ONF

Un mythe s’effondre

La réalisatrice indépendante Mina Shum signe un premier documentaire éblouissant et extrêmement juste à propos d’un épisode douloureux des relations entre les différentes communautés du Canada. Cette manifestation universitaire, similaire aux mouvements qui ont secoué la France en mai 1968, met en lumière le débat sur la place des minorités et plus largement le droit de protester contre l’oppression. Emprunt d’objectivité, le documentaire échappe au piège du ton moralisateur dégoulinant de bons sentiments. Au contraire, à l’aide d’images d’archives et de témoignages récents, il laisse la parole aux acteurs du mouvement, qui ne cachent ni leur révolte, ni leur amertume face à une administration universitaire figée.

ONF

Peur et engagement

Tout au long du documentaire, les étudiants victimes soulèvent la problématique de l’intégration de la minorité antillaise et de la notion du «chez soi». Ayant émigré de la Trinidad à Montréal, ils se consolent avec l’espoir de retourner au bercail. L’un d’eux relève avec justesse la notion de l’étranger et la tendance à rejeter ce qui lui est différent, par peur, par ignorance mais surtout par instinct de survie. Le choc des cultures exerce une influence forte sur notre perception de l’étranger, et peut développer un racisme parfois inconscient.

Malgré ce thème plutôt sérieux (c’est le moins que l’on puisse dire!) de l’égalité des hommes face aux lois et aux institutions, on sort de la salle obscure empli de force. Mina Shum a réussi à réaliser une œuvre sur un thème grave mais non moins pleine d’espoir. Elle dépeint avec talent le sens de l’engagement, dans la définition existentialiste du terme, qui est l’acte par lequel l’individu assume les valeurs qu’il a choisies et donne, grâce à ce libre choix, un sens à son existence. 

Mahaut Engérant

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