Gali Bonin - Le Délit https://www.delitfrancais.com/author/galibonin/ Le seul journal francophone de l'Université McGill Wed, 06 Apr 2022 23:20:10 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.7.2 McGill, dernier bastion universitaire des investissements fossiles à Montréal https://www.delitfrancais.com/2022/04/06/mcgill-dernier-bastion-universitaire-des-investissements-fossiles-a-montreal/ Wed, 06 Apr 2022 13:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=48374 Après plusieurs jours d’occupation, des militants climatiques obtiennent gain de cause à l’Université de Montréal.

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Le samedi 2 avril dernier, l’Université de Montréal (UdeM) s’est engagée à désinvestir 100% de ses actifs dans les énergies fossiles d’ici le 31 décembre 2025, une promesse qu’un groupe d’étudiants a soutirée à l’administration à force de protestation et de grèves de la faim. L’UdeM rejoint ainsi l’UQAM et Concordia sur la voie du désinvestissement, en s’engageant dans « l’investissement responsable ». Par dessus tout, l’UdeM fait de McGill une exception: l’université anglophone est maintenant la seule université montréalaise à maintenir ses investissements dans le pétrole et les autres hydrocarbures.

Une lutte de longue haleine à l’UdeM

Ils étaient une trentaine d’étudiants affiliés à l’Écothèque, un regroupement militant pour la justice climatique, à occuper le pavillon Roger-Gaudry la semaine dernière. Une vingtaine de tentes parsemait le plancher, des tables garnies de nourriture, une bibliothèque de livres sur le militantisme… Les occupants s’étaient pleinement appropriés les lieux. 

Le plus impressionnant dans ce hall d’honneur aux immenses piliers restait un petit tableau blanc au fond de la salle. On pouvait y lire le décompte des heures que les grévistes de la faim avaient passé sans manger. Le plus déterminé d’entre eux, Vincent Vaslin, jeûnait depuis minuit, dans la nuit du 27 au 28. Rencontré vendredi matin, il avançait à petits pas. « Les déplacements sont extrêmement durs », lâche-t-il sur un ton épuisé. « Je dormais en haut d’une série d’escaliers. Je sais que ça ne sera plus possible dans les prochains jours. »

« Rien ne change : l’université continue de se taper dans le dos, de se mettre un vernis vert »

Vincent Vaslin, gréviste de la faim

L’étudiant en philosophie et en sciences politiques avait deux demandes pour mettre fin à sa grève. D’abord, un plan de désinvestissement du Fonds de dotation de l’Université, qui détient plus de 14 millions de dollars en actions dans les énergies fossiles. Ensuite, que le recteur prenne publiquement position contre l’investissement dans les hydrocarbures de la part du Régime de retraite de l’Université de Montréal (RRUM). Or, selon le professeur Adrian L. Burke, cette prise de position serait vue comme de l’ingérence par le comité qui dirige le RRUM. « Ce serait très mal vu et même, à la limite, illégal que l’administration dise au comité de retraite quoi faire », avance-t-il. Le Pr Burke siège à ce comité comme représentant du corps professoral. « Les décisions que [le comité, ndlr] prend sont indépendantes et doivent être indépendantes de l’administration », explique-t-il. 

Malgré tout, le recteur s’est avancé sur la question. Dans sa réponse à l’Écothèque, il s’engage à « inviter le comité de retraite du RRUM, dans le respect de ses responsabilités fiduciaires, à considérer l’opportunité de rencontrer dans un avenir rapproché un petit groupe de représentants d’Écothèque pour discuter des politiques d’investissement responsable ». Lors du dernier bilan du RRUM, vers la fin de l’année 2020, le Fonds possédait plus de 78 millions de dollars en investissements dans les hydrocarbures, aussi appelés combustibles fossiles. 

Après plus de 100 heures de jeûne, Vincent Vaslin a été transporté à l’hôpital alors qu’une infirmière de l’université se soit inquiétée de son état. Il a finalement recommencé à manger après que le recteur Daniel Jutras se soit fermement engagé à proposer un plan de désinvestissement total des actions cotées en bourse de l’industrie des énergies fossiles d’ici le 1er juin.

McGill bon dernier dans la course au désinvestissement

McGill est donc, depuis samedi matin, la seule université montréalaise à n’avoir aucun objectif en matière de désinvestissement. Pour Lexi (nom fictif), membre du mouvement Désinvestissement McGill (Divest McGill), l’annonce de l’UdeM est une excellente nouvelle : « Je me suis juste mis·e à pleurer! C’était juste tellement beau ». Iel trouve inspirant de voir que la mobilisation peut porter fruit : « C’est magnifique de voir que la pression étudiante a fonctionné [pour une université] qui a un beaucoup plus gros montant que McGill ». Selon les données de Désinvestissement McGill, l’Université aurait plus de 60 millions de dollars investis dans les énergies fossiles.

« [Même si l’Université désinvestit], ce ne sera pas une réelle victoire, mais seulement une concession par le Conseil de gouverneurs pour faire taire le feu révolutionnaire » 

Lexi (nom fictif), membre du mouvement Désinvestissement McGill

McGill va-t-elle emboîter le pas à ses pairs? Lexi n’en est pas si convaincu·e : « Je dirais oui et non », commence-t-iel. « Non, parce que tant qu’il y a un Conseil des gouverneurs, l’Université McGill ne sera pas gouvernée de façon démocratique. Et donc [même si l’Université désinvestit], ce ne sera pas une réelle victoire, mais seulement une concession par le Conseil de gouverneurs pour faire taire le feu révolutionnaire. »

D’un autre côté, l’activiste reconnaît que la victoire de l’Écothèque à l’Université de Montréal ne peut être que bénéfique pour le mouvement de désinvestissement : « Je pense qu’on est en train de voir que la mobilisation étudiante fonctionne. Qu’on peut avoir des réussites, qu’il faut juste continuer de pousser pour ça. La victoire de l’UdeM, ça va mettre du feu et dire à McGill “Ok, ça suffit maintenant”. »

Désinvestissement McGill a occupé le hall d’entrée du Pavillon des Arts au début du mois de mars. Le groupe se préparait à une longue occupation, mais deux personnes y avaient contracté la COVID-19, ce qui avait forcé les manifestants à plier bagage.

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Fermeture d’un programme de français : McGill invoque « les besoins du marché » https://www.delitfrancais.com/2021/11/30/fermeture-dun-programme-de-francais-mcgill-invoque-les-besoins-du-marche/ Tue, 30 Nov 2021 15:55:23 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=45734 Entre déception, compréhension et amertume, la communauté francophone de l’Université réagit.

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Sur son site, McGill ne tarissait pas d’éloges pour décrire le programme intensif « Français, langue et culture » (FLC). « Suivez le programme qui a permis à des milliers d’étudiants en provenance de plus de 60 pays de travailler, d’étudier et de vivre en français », peut-on encore lire sur le site officiel de l’Université. Pourtant, Radio-Canada a dévoilé le 22 novembre dernier que le programme serait coupé, victime d’impératifs financiers. 

Le FLC, dispensé par la l’École d’éducation permanente (ÉÉP), permettait aux nouveaux arrivants du Québec d’apprendre rapidement le français après leur entrée au pays. Il les préparait notamment à passer le Test d’évaluation de français adapté au Québec (TEFAQ), requis par le gouvernement du Québec. Le programme fonctionnait sur le principe de l’immersion linguistique, plongeant ses apprenants dans un environnement totalement francophone pendant six semaines. 

Il y a près d’un mois, les 12 chargés de cours du FLC ont appris que le programme serait supprimé. Selon l’article de Radio-Canada, ils n’ont pas été consultés avant cette décision irrévocable, qu’ils ont apprise dans un courriel rédigé uniquement en anglais. Dans une entrevue avec Le Délit, la principale et vice-chancelière Suzanne Fortier a cependant affirmé que « ça fait deux ans que l’Université réalise une analyse de tous ses programmes » pour « évaluer s’ils sont nécessaires et les repenser ». Selon elle, la nouvelle n’aurait pas dû causer tant de surprise.

Dans un courriel envoyé au Délit, la relationniste Frédérique Mazerolle a expliqué que l’administration avait décidé de fermer le programme FLC « à la suite d’une baisse constante du nombre d’inscriptions au cours de la dernière décennie » : les inscription auraient chuté de 76% pendant cette période. Ce déclin, selon Suzanne Fortier, serait dû à un programme similaire offert gratuitement par le gouvernement provincial depuis quelques années, ainsi qu’à plusieurs programmes en ligne et à bas prix offerts par d’autres organisations. Les étudiants actuellement inscrits pourront terminer leur parcours, mais l’Université n’accepte plus de nouvelles inscriptions.

Dans une déclaration écrite, la relationniste souligne toutefois que le FLC n’était pas le seul programme en son genre. « Bien que la décision de suspendre le programme FLC reflète les besoins du marché, l’ÉÉP continue de développer et d’offrir des programmes d’apprentissage de la langue française adaptés aux besoins actuels et futurs des étudiants et des employeurs, avec une orientation plus spécifique et moins générale », détaille-t-elle. Selon McGill, l’ÉÉP continue d’offrir quatre cours de français, dont un adapté aux professionnels de la santé qui serait de plus en plus populaire. 

Des membres du personnel mitigés

Pour Arnaud Bernadet, professeur de littérature française, cette annonce n’est pas une surprise. « On savait que l’Université McGill était sans pilote, qu’elle évoluait sans vision d’avenir autre que l’idéologie néolibérale. Ce qu’on ignorait c’est que sous le mandat d’une rectrice francophone, Suzanne Fortier, la langue française reculerait. », a‑t-il affirmé. « La doyenne Carole Weil sait-elle quelles sont exactement les missions d’un établissement d’enseignement supérieur? Ou n’a‑t-elle d’yeux et d’oreilles que pour les saintes lois du marché? » Il estime que cette décision va à l’encontre de la politique linguistique de
McGill, censée orienter le rapport de l’Université au fait français. « Ce texte dit notamment que “l’Université McGill est fortement enracinée au Québec et appuie le rôle important du français dans la société québécoise.” On est permis d’en douter. »

Une chargée de cours à l’ÉÉP et membre du projet « Vivre McGill en français », est tout à fait désabusée. Sur un ton qui traduit son épuisement, elle lâche : « Moi, je suis dépitée ». Le coup a en effet été dur pour les chargés de cours. « On était la moitié à perdre notre job en septembre… on était tous incrédules! »  Par ailleurs, son témoignage confirme les difficultés financières de l’école. « Quand McGill a annoncé le retour sur campus, nos étudiants n’ont pas répondu à l’appel. En fait, on a la moitié de nos classes qui ont fermé. » Elle précise que le cas du FLC n’est pas unique, et évoque la fermeture d’une trentaine de cours en anglais.

«Il y a près d’un mois, les 12 chargés de cours du FLC ont appris que le programme serait supprimé»

En dépit de ses demandes répétées, Le Délit n’a pas été en mesure de confirmer le nombre de cours qui seront fermés à l’ÉÉP, ni le nombre exact d’inscriptions à ces cours dans les dernières années. 

La directrice du Département des littératures de langue française, de traduction et de création (DLTC), Isabelle Daunais, n’a pas voulu se prononcer sur la question. « Tout ce que je sais, c’est que l’École d’éducation permanente a entrepris il y a plus d’un an une refonte majeure de toute sa structure. Par ailleurs, le programme visé ne touche d’aucune manière les programmes du DLTC », s’est-elle contentée d’écrire. 

Des associations étudiantes demandent des explications

Les associations étudiantes se sont aussi montrées prudentes sur le sujet, en attendant d’avoir plus de détails sur cette fermeture. La commissaire des Affaires francophones de l’AÉUM, Ana Popa, affirme regretter la perte d’un cours de français, mais elle estime que la décision ne devrait pas avoir d’« impact prochain sur la francophonie dans son ensemble. » « Ce qu’il faut savoir », écrit-t-elle, « c’est que l’École d’éducation permanente travaille depuis quelque temps sur une refonte de ses programmes, dont nous n’avons pas encore tous les détails. Les programmes suspendus pourraient très bien être modifiés puis relancés prochainement, ce qui serait une super nouvelle. »

L’Association des étudiant(e)s en langue et littérature françaises inscrit(e)s aux études supérieures (ADELFIES) de l’Université McGill a pour sa part émis un communiqué dans lequel elle déplorait la décision de l’administration. «L’ADELFIES est déçue de la décision de McGill et de l’École d’éducation permanente, surtout qu’elle semble motivée par des considérations économiques sans prendre en compte l’importance de l’enseignement du français au sein de la communauté mcgilloise. Nous ajoutons que la fermeture de ce programme s’ajoute à celle des programmes de traduction [de l’ÉÉP], dont celui de l’anglais vers le français et qui s’adressait à une clientèle majoritairement francophone. »

Erratum: Dans une version antérieure de ce texte, nous avons relayé que l’ADLEFIES déplorait la fermeture de programmes de traduction au DLTC. En fait, ces programmes de traduction étaient dispensés par l’ÉÉP, mais pouvaient servaient de cours d’équivalence pour les étudiants au profil traduction du DLTC. Le Délit regrette cette erreur.

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Entretien avec Franky Fade https://www.delitfrancais.com/2021/10/19/entretien-avec-franky-fade/ Tue, 19 Oct 2021 16:00:26 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=45000 Un premier album solo pour vivre ses contradictions.

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Si une chose est bien certaine, c’est que l’album CONTRADICTIONS de Franky Fade porte bien son nom. Des paroles du single « Vertige » à la pochette de l’album, le jeune rappeur de 25 ans n’hésite pas un moment à dévoiler à l’auditoire ses bons comme ses moins bons côtés. Avec ce premier album solo signé chez Bonsound, Franky Fade insiste sur le caractère équivoque de notre nature humaine et sur toutes ces incohérences. Cette punchline de la dernière chanson du projet, « FFreestyle », illustre parfaitement mon point : « Shout out à tous mes problèmes de dépendances / […] It’s part of me, j’pas en train d’repentir / Ça fait longtemps qu’j’ai accepté la sentence. »

Je connaissais déjà Franky Fade du septuor Original Gros Bonnet (O.G.B.), je savais qu’il avait étudié en musique au cégep Saint-Laurent, je savais qu’il avait (presque) autant de surnoms qu’Anthony Fantano : François Fondu, Feu Follet, Fou Furieux, Fin Finaud, etc. Mais entendre son album solo et le sentir si sincère et transparent dans ses paroles m’a impressionné. J’ai eu envie d’en apprendre plus sur lui et sur le contexte qui a mené à la parution de CONTRADICTIONS le 8 octobre dernier. Et quoi de mieux qu’un entretien avec lui pour comprendre sa pensée, ses influences et, inévitablement, ses contradictions?


Le Délit (LD) : J’aimerais commencer avec une question de contexte. Je sais que tu es un grand mélomane et je voudrais savoir, quels albums écoutais-tu pendant que tu travaillais sur  CONTRADICTIONS?

Franky Fade (FF) : Bonne question, ça. Qu’est ce que j’ai écouté? J’ai écouté un peu de BROCKHAMPTON, mais plus au début du processus. Il y a une certaine influence d’Outcast, mais qui ne s’entend pas nécessairement. Il y a certainement une influence de Frank Ocean. Je pense qu’on l’entend plus, celle-là. Mais je ne pourrais pas dire « ça, c’est l’influence de ça », « là c’est telle autre chose »… J’écoute toujours beaucoup de musique et ça se transforme pas mal dans ma musique après. 

«J’écoute toujours beaucoup de musique et ça se transforme pas mal dans ma musique après»

Un truc qui pourrait être intéressant, c’est que j’écoutais beaucoup de musique soul des années 70. Du Bill Whiters, Roy Ayers, Bootsy Collins… Fuck, il y a des noms qui m’échappent… Attends, je peux aller les trouver : j’ai mes petites playlists! [Franky Fade sort son cellulaire et se met à chercher dans ses listes de lecture, ndlr] Ah ouais! Il y a du Sly and the Family Stone, du Mini Riperton, une chanteuse que j’aime beaucoup ; du Darondo, du Isaac Hayes et du Otis Reding.

«C’est une contradiction que je vis»

LD : Est-ce que tu crois que toute cette musique soul est venue influencer ta production musicale, d’une certaine manière?

POCHETTE DU SINGLE VERTIGE PARU EN JUIN 2021

FF : Pas nécessairement dans le son, mais dans la façon de penser la musique, oui. Souvent, ce sont des idées assez simples qui sont ensuite complexifiées par la richesse des instruments ou par l’arrangement. La manière dont les tracks de soul sont construites, c’est toujours intelligent. Il y a une réflexion. Ça va où tu penses que ça va aller, mais d’une façon tellement satisfaisante. Ça, c’est quelque chose que j’aime bien et que j’essaie de recréer. Donc, dans mon album, les idées peuvent être simples à la base. Il n’y pas nécessairement des gros patterns harmoniques super compliqués. Les mélodies ne sont pas forcément complètement surprenantes ou dures à écouter, non plus. Mais autour de tout ça, j’essaie de mettre un petit plus dans l’arrangement. 

«J’écoutais beaucoup de musique soul des années 70»

LD : Parlons un peu de la pochette de ton album. 

POCHETTE DE L’ALBUM

On remarque que tu as vraiment une belle identité visuelle qui est continue et se transforme de singles en singles. La pochette de ton album est très intéressante, parce qu’on voit que tu y es mis à nu, mais qu’il y a aussi une certaine distance entre toi et le spectateur. Tu lui tournes le dos, il y a un filtre bleu ajouté à la photo… Pour un album qui s’appelle CONTRADICTIONS et sur lequel tu te mets beaucoup à découvert dans les chansons, on peut dire qu’il y en a une ici, une contradiction. 

FF : Oui, exactement. On savait déjà qu’il y allait avoir deux singles, donc on voulait qu’il y ait une progression dans les pochettes. Le fil conducteur, c’était le bleu. L’idée de base, c’était qu’on se rapproche de moi et qu’on dévoile mon visage à la fin, que la pochette de l’album soit un portrait de moi en gros plan. Mais quand on s’est mis à regarder les photos qu’on avait prises, celle-là [celle de la pochette, ndlr] est ressortie. J’ai commencé à jouer avec et je lui ai donné cet aspect « Docteur Manhattan ». 

POCHETTE DU SINGLE REWINPARU EN AOÛT 2021

Quand j’ai vu cet effet là, je me suis dit oh shit! C’est quand même fou que ce soit mon premier album pour partir ma carrière solo, que dans les chansons je me dévoile et qu’il y ait des moments assez vulnérables ; mais que, dans la pochette, on sente une distance et qu’on ressente une certaine pudeur. C’est une contradiction que je vis. Je veux faire carrière en musique, je veux une certaine reconnaissance, une certaine fortune aussi. Mais, en même temps, il y a quelque chose dans cette espèce de cirque de la célébrité qui ne m’attire pas du tout. Je sais que ça ne va pas forcément m’amener du bonheur ou me rendre heureux. Cette contradiction-là, je trouvais ça cool de la placer sur la pochette aussi puisqu’elle n’était pas forcément super explicite dans mes paroles. 

«Il y a quand même une progression dans ma façon de penser, de dealer avec certains trucs»

LD : Justement, parlons des paroles de ton album. Tu te mets à nu, tu te mets à découvert. Tu as même dit que ça te rendait vulnérable par moments. Est-ce que c’est difficile de se rendre aussi disponible pour l’auditoire?

FF : Je n’ai pas trop réfléchi, je pense que j’ai juste fait la musique qui sortait. Probablement que le confinement a participé à tomber dans une création plus intime. Être dans une situation où on était très, très longtemps seul avec soi-même, ça m’a forcé à me poser certaines questions. Il n’y a pas non plus des tonnes de réponses dans l’album, mais il y a quand même une progression dans ma façon de penser, de dealer avec certains trucs. Ça s’est fait comme ça : c’était naturel. Je ne me suis pas censuré, mais je ne me suis pas non plus poussé à aller dans des zones qui me rendaient inconfortable. Je pense que j’étais juste rendu là dans ma progression artistique. Je suis de plus en plus à l’aise à parler de certains sujets. Je trouve ça bien finalement : ça ouvre des portes. Ça rend le projet plus relatable que si j’avais un front et que je faisais juste dire que j’étais le meilleur rappeur du monde.

L’album CONTRADICTIONS de Franky Fade est disponible sur toutes les plateformes de distribution musicale. Son lancement aura lieu le 9 novembre au Ausgang Plaza, à Montréal. Une supplémentaire à déjà été annoncée pour le 10 novembre. Franky Fade va débuter sa tournée du Québec dans les jours suivants.

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À quoi bon les études littéraires? https://www.delitfrancais.com/2021/04/05/a-quoi-bon-les-etudes-litteraires/ Tue, 06 Apr 2021 03:16:44 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=43792 Éloge des vertus oubliées d'un champ négligé.

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Dans quelques semaines, je terminerai mon baccalauréat et, par le fait même, mon parcours universitaire à McGill. Je l’ai commencé en sciences cognitives, dans l’espoir de faire de la recherche en neuroscience, puis j’ai bifurqué vers la littérature française. Ce choix en laisse plusieurs perplexes, mon grand-père le premier qui croit encore que je vais devenir avocat, voire médecin. Aux yeux de nombreux·ses de mes ami·e·s, ce champ d’études, les lettres, semble archaïque et inutile: pourquoi payer plus de 4 000$ par année en frais de scolarité pour lire des livres? 

Chose certaine, les stéréotypes qui collent à ce milieu n’aident en rien sa compréhension. Le limiter à «lire des livres» ou à «connaître de beaux mots», c’est en faire une lecture bien trop simpliste. À mon sens, la littérature a le même objectif que tous les champs d’études: expliquer le réel, comprendre cet étrange phénomène qu’est l’existence et en rendre compte. Simplement, pour ce faire, les différents domaines utilisent des langages plus ou moins différents, emploient différents outils d’analyse et se concentrent sur divers aspects du réel. La littérature n’y fait pas exception.

Si la sociologie cherche à comprendre le fonctionnement des sociétés, l’histoire, le déroulement des événements passés, et la linguistique, celui de nos méthodes de communication, la littérature, quant à elle, puise sa force précisément dans sa capacité à englober toutes ces sphères. Plus frontalement que bien des disciplines, la littérature tend à exprimer un rapport au réel dans un langage sur-codifié et truffé de sens latents. Ce champ d’étude nous apprend à lire entre les lignes, à voir ce qui se cache dans le dit et le non-dit, et donc, s’il y a bien une chose que m’ont appris à valoriser les études littéraires, c’est la sensibilité, compétence trop souvent négligée par notre monde contemporain de calcul et de croissance.

Révéler la face cachée

Chercher à comprendre au-delà du sens premier, voire à chercher le(s) sens plus profond(s) est typique de la littérature. À mon sens, les œuvres littéraires sont autant de systèmes codifiés dans lesquels chaque signe est à comprendre. Je nomme donc sensibilité l’outil, la faculté intellectuelle qui nous permet de les décoder. La poésie en est peut-être le meilleur exemple. 

«Le travail d’analyse n’est jamais strictement « littéraire », tout comme la littérature n’est jamais strictement esthétique»

Contrairement au stéréotype, je ne limiterais pas la définition de cette forme comme étant simplement l’art de «dire de belles choses», mais ajouterais qu’il s’agit surtout de savoir mettre en mots l’indicible. Il s’agit bien évidemment d’un travail esthétique, d’une communication qui met l’accent sur la manière dont est codifié le message, comme le dirait Roman Jakobson. Mais, face à une œuvre poétique, le rôle du ou de la littéraire n’est pas de simplement constater cet état esthétique: il faut la décortiquer, l’analyser et faire ressurgir toute la nappe phréatique sémantique qu’elle garde en latence. Ainsi, le travail d’analyse n’est jamais strictement «littéraire», tout comme la littérature n’est jamais strictement esthétique. Il faut constamment emprunter à d’autres domaines, et cette interdépendance intellectuelle est une autre des merveilles distinctives de la littérature.

Margaux Brière de la Chenelière | Le Délit

À la croisée des chemins

Les études littéraires sont l’un des rares champs à avoir largement conservé l’héritage humaniste. Elles permettent, et même forcent, l’interdisciplinarité, empruntant constamment à d’autres disciplines pour expliquer et élaborer ses théories et ses interprétations. Hormis l’histoire, discipline essentielle à la compréhension du sujet littéraire, la littérature sollicite bien souvent la linguistique, la sociologie, le droit, l’anthropologie, la psychanalyse, etc. On cherche à savoir comment d’autres domaines expliquent et approchent le réel afin de transposer ces méthodes à notre propre objet d’étude.

«La beauté des lettres, c’est cette capacité à mettre dans la balance toutes ces différentes approches et de tenter de trouver un équilibre»

Cette pratique dénote l’ouverture sur le monde de la littérature et sa prise en considération de la complexité de l’existence. Les choses ne sont jamais des vases clos et ne s’expliquent jamais d’une seule manière. La beauté des lettres, c’est cette capacité à mettre dans la balance toutes ces différentes approches et de tenter de trouver un équilibre. La sociologie, à elle seule, ne saurait rendre proprement compte du réel. Amalgamez-la à une lecture psychanalytique, mathématique et juridique, alors le sujet semble se magnifier, prendre une forme plus proche de ce qu’elle est. Finalement, il faut voir la littérature comme une fenêtre faite en mosaïque, constituée de mille lectures possibles et qui, à travers ses carreaux diaphanes, laisse passer une lumière qui nous permet de percevoir le réel dans toute sa complexité.

Un bagage à conserver

Si j’ai développé cette sensibilité et cette vision pluridisciplinaire au contact des livres, je l’utilise désormais tous les jours. Rechercher tranquillement le sens dans la complexité, c’est une méthode qui demande beaucoup d’efforts et d’humilité: ce ne sont pas des vérités inébranlables qu’édifient les littéraires. Chaque théorie, critique et analyse est sujette aux critiques de ceux et celles qui les succèderont. En cette ère où prime la rigueur scientifique et l’exactitude des faits, on ne se satisfait plus des ballottements, des hésitations et des tâtonnements. Ce qu’il nous faut, ce sont des réponses directes, rapides, claires, nettes et, ultimement, rentables. Si le droit peut nous offrir une réponse, pourquoi chercher du côté de l’anthropologie? Et si un premier sens apparaît clairement en surface, à quoi bon en chercher un second qui se cache en profondeur?

Et donc, pourquoi faire des études en littérature? Simplement parce qu’un esprit n’est pas qu’une machine que l’on doit former à l’emploi. La connaissance ne doit pas être perçue comme une valeur utile qu’il faut impérativement mettre à profit économiquement. La société moderne tend au corporatisme, au découpage social selon les professions, et l’humaniste en moi rejette cette simplification vulgaire des individus. Un esprit critique bien formé aura confiance en ce qu’il fait, mais, surtout, comprendra les limites de ce qu’il peut faire. Voilà, en peu de mots, à quoi servent les études littéraires.

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McGill paye-t-elle ses professeur·e·s équitablement? https://www.delitfrancais.com/2021/03/22/mcgill-paye-t-elle-ses-professeur%c2%b7e%c2%b7s-equitablement/ Tue, 23 Mar 2021 01:53:07 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=43181 McGill est l'université québécoise qui accorde le plus de primes méritocratiques à son personnel académique.

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Comparée aux autres universités québécoises, McGill a tendance à rémunérer ses professeur·e·s de manière beaucoup plus méritocratique. En effet, chaque année, McGill accorde à ses professeur·e·s des augmentations salariales basées sur la performance et le mérite (performance-based merit increase). Cette année, en raison de la COVID-19, l’administration n’évaluera pas ses employé·e·s selon leur performance actuelle, mais décernera tout de même des augmentations reliées au mérite.

Lors de la révision annuelle des salaires, les employé·e·s sont classé·e·s sur une échelle de 1 à 5, selon leur performance académique (articles et livres publiés; conférences, cours et séminaires donnés; mémoires de maîtrise et thèses de doctorat appuyés; etc.) de l’année. À chaque palier de cette échelle est associée une certaine augmentation. Le montant que représente chaque palier varie d’année en année, exception faite de la catégorie 5, plus faible performance possible, qui est fixée à 0$. Par exemple, pour l’année fiscale 2020, une performance de catégorie 1 correspond à une augmentation de 4 400$, alors qu’en 2015, le montant pour cette même catégorie était de 7 150$. 

Adaptation pour la COVID-19

Cette année, afin de remédier aux inconvénients occasionnés par la COVID-19, l’administration a temporairement modifié sa méthode de calcul. Ce n’est pas la performance académique de l’année 2020 qui déterminera le classement des professeur·e·s, mais plutôt la moyenne de leurs performances pour les années fiscales 2018 et 2019. Ainsi, un·e professeur·e ayant été classé·e dans la catégorie 2 en 2018 et dans la catégorie 4 en 2019 recevra l’augmentation relative à la catégorie 3 en 2020.

Gali Bonin | Le Délit Traduction du tableau des augmentations selon les catégories, tiré des Lignes directrices de l’établissement de la Politique salariale académique (Academic salary policy implementation guidelines) de l’Université McGill.

Un système qui date

Au cours des quinze dernières années, il n’est arrivé qu’une seule fois que McGill n’octroie pas ce genre d’augmentation, soit en 2013. Malgré ce gel de salaires, l’administration a tout de même accordé aux professeur·e·s adjoint·e·s une augmentation générale de 1%, afin de «préserver la compétitivité avec les pairs des autres universités».

Sur cette même période, la valeur des primes a énormément varié. C’est en 2016 que les augmentations de catégorie 1 ont atteint leur sommet, correspondant à un montant de 7 850$, et en 2019 qu’elles sont tombées au plus bas, avec un montant de 2 015$.

Performance et congés parentaux

Depuis sa mise en place, ce système n’a cessé d’évoluer. Une des importantes modifications faites dans les dernières années est la création des catégories 6 à 8 pour rendre compte de «circonstances particulières». La catégorie 6 est associée à un montant fixe de 0$ et regroupe les personnes non-éligibles aux augmentations par le mérite, notamment les professeur·e·s adjoint·e·s ainsi que ceux et celles en congé de maladie prolongé. Le montant de la catégorie 7 varie d’année en année et fait office de prime individuelle accordée aux nouveaux·elles employé·e·s.

«Les personnes – surtout les femmes – qui prenaient un congé parental étaient pénalisées: elles allaient accuser un retard sur leurs collègues pour le restant de leur carrière»  

La catégorie 8 a été implantée en 2017 afin de remédier aux lacunes du système en ce qui à trait aux congés parentaux des employé·e·s. Avant 2017, le personnel en congé parental était classé dans la catégorie 6, avec une augmentation de 0$. Puisque les augmentations sont décernées en fonction de la performance, les personnes – surtout les femmes – qui prenaient un congé parental étaient pénalisées. De plus, comme il s’agit d’une augmentation permanente de salaire et non d’une simple prime ponctuelle, ces professeur·e·s allaient accuser un retard sur leurs collègues pour le restant de leur carrière. 

Ainsi, afin de pallier ces inégalités, l’administration a créé une huitième catégorie qui fonctionne sur le même mode que le système en vigueur pour l’année 2020. Selon la politique salariale académique en vigueur: «Pour les employé·e·s en congés associés à la naissance ou l’adoption d’un·e enfant durant la période de référence, peu importe la durée de ce congé, l’augmentation salariale attribuée au mérite sera calculé selon la moyenne des deux plus récentes performances au mérite..»

Un système largement critiqué

Un rapport de la Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université (FQPPU) publié en 2018 met en lumière l’iniquité qu’occasionnent ces systèmes méritocratiques, insistant sur le «déséquilibre hommes-femmes, notamment dans l’attribution des salaires». En 2016, au sein du personnel d’enseignement québécois, l’écart entre les salaires médians selon les genres était de 12%. À McGill, ce débalancement salarial peut être attribué au traitement longtemps réservé aux congés parentaux. Toutes les professeures ayant pris, avant 2017, au moins un congé de maternité durant leur carrière accusent encore aujourd’hui un retard sur leurs collègues. Dépendamment des années, ce déficit peut varier entre 550$ et 7 850$.

«L’année où on n’est pas là, on ne recrute pas [d’étudiant·e·s pour la maîtrise]. Alors quand on revient, on repart à zéro!»

Une professeure de McGill

Selon des professeur·e·s rencontré·e·s par Le Délit, ce désavantage se fait aussi ressentir dans le contact avec les étudiant·e·s. Puisque les maîtrises et doctorats soutenus par les professeur·e·s sont comptabilisés dans le calcul de performance, le contact avec les étudiant·e·s au baccalauréat est très important. «L’année où on n’est pas là, on ne recrute pas, a souligné une professeure rejointe par Le Délit. Alors quand on revient, on repart à zéro. Donc, dans un an ou deux, quand on va évaluer le nombre de maîtrises que j’ai fait soutenir, je vais encore traîner ce moment où je n’ai pas été en contact avec les étudiant·e·s.»

De plus, puisque les montants associés aux catégories varient selon les années, McGill ne récompense pas de manière stable et cohérente des efforts similaires à travers le temps. Par exemple, si une professeure a eu une excellente année sur le plan académique en 2016 et a été classée dans la catégorie 1, elle aura reçu une augmentation de 7 850$. Si, trois ans plus tard, un de ses collègues a eu à son tour une année faste et a été classé dans la catégorie 1, son augmentation aura été de 2 015$. Ainsi, pour une performance jugée similaire, la récompense varie de manière plus ou moins équitable selon les années.

McGill, un cas unique au Québec

Cette méritocratie est plus importante à McGill que partout ailleurs au Québec. Les sommes que cette université réserve aux primes pour la performance dépassent largement le budget de toutes les autres universités. Selon la FQPPU, McGill aurait versé près de 25 millions de dollars en primes salariales à 1 448 professeur·e·s en 2017–2018. Avec cette première place, McGill est loin devant les deuxième et troisième positions, soit l’Université de Montréal (plus de 11 millions de dollars en primes) et Concordia (un peu plus de 5 millions de dollars en primes). 

Il en va de même pour les primes salariales de direction qui «regroupent les montants alloués à des professeurs qui occupent temporairement des fonctions de direction». Toujours selon le rapport de la FQPPU, McGill aurait versé plus de 14 millions de dollars en 2016–2017 pour ces primes. Ce montant représente environ 75% de ce que toutes les universités québécoises réunies ont accordé à ce genre de primes, pour un total de plus de 18 millions. Le système méritocratique mcgillois forme donc un cas unique au Québec.

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Le champ bourdieusien: là où l’art pousse https://www.delitfrancais.com/2021/03/15/le-champ-bourdieusien-la-ou-lart-pousse/ Tue, 16 Mar 2021 04:08:53 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=42946 Comment Pierre Bourdieu a réinventé notre manière de comprendre la culture.

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L’art a longtemps eu maille à partir avec la sociologie. Vu le caractère pragmatique de la sociologie, notamment avec son utilisation d’une méthode scientifique, ce n’est pas très étonnant. En tentant d’interpréter l’art comme un phénomène social, plusieurs artistes y voyaient (et certain·e·s y voient encore) une manière de réduire les œuvres d’art en simples statistiques. Pierre Bourdieu, important sociologue français de la fin du 20e siècle, avait bien conscience de ces différends entre les créateur·rice·s et les sociologues. Toutefois, cela n’allait pas l’empêcher de s’attaquer de front aux milieux artistiques et de tenter d’en comprendre les mécanismes sociaux.

L’apport de Bourdieu à la sociologie moderne est impressionnant. On lui doit notamment les notions d’habitus, de capitaux (économique, social, culturel et symbolique), de violence symbolique et surtout de champ. C’est justement avec sa conception du champ social que Bourdieu bouleverse grandement les milieux artistiques et l’idée que ces milieux ont d’eux-mêmes. Cette vision contestée (et contestataire pour l’époque) du monde artistique remonte au tout début des années 1980.

En vue d’un exposé à l’École nationale supérieure des arts décoratifs, Bourdieu écrit Mais qui a créé les créateurs?, un texte dans lequel il résume l’approche que la sociologie devrait, selon lui, avoir de l’art. À travers sa conceptualisation des champs sociaux, il explique que la sociologie de l’art tend à oublier que l’art possède des champs construits autour d’une histoire, d’une tradition et de normes qui leur sont propres. En d’autres termes, selon Bourdieu, l’art ne peut pas être compris en isolement.

Le champ comme terrain de jeu

Le champ est l’espace social d’un certain milieu dans lequel évoluent et se positionnent des agent·e·s. Il faut entendre ici le terme au sens de «champ magnétique», avec ses pôles d’attraction et de répulsion et les particules qui s’y déplacent. On peut aussi voir dans le champ social un parallèle au «champ de bataille» dans lequel les agent·e·s luttent pour la domination. Selon Bourdieu, pour s’attaquer à une œuvre individuelle, il faut savoir interpréter et percevoir le champ dans son ensemble: «la sociologie […] ne peut rien comprendre à l’œuvre d’art, et surtout pas ce qui en fait la singularité, lorsqu’elle prend pour objet un auteur ou une œuvre à l’état isolé.»

Ainsi, pour réellement comprendre la composante et l’impact social d’une œuvre d’art, il faut la remettre dans son contexte plus général, employer le champ dans son ensemble comme outil d’analyse. Sans cette vision exhaustive du contexte dans lequel l’artiste se meut, Bourdieu estime que l’on ne dépassera pas la biographie élogieuse et l’anecdote. Bien que le sociologue préconise une approche globale et sociale des œuvres d’art, il met également en garde le fait de regrouper les artistes selon de grandes classes préconstruites. Cette technique réduit la réelle complexité d’un champ, met en sourdine l’unicité de certain·e·s de ses agent·e·s et ne rend pas compte de son aspect dynamique qui fait du champ un espace de tensions constantes: «[Ces grandes classes détruisent] toutes les différences pertinentes faute d’une analyse préalable de la structure du champ qui lui ferait apercevoir que certaines positions […] peuvent être à une seule place et que les classes correspondantes peuvent ne contenir qu’une seule personne, défiant la statistique.»

«La sociologie […] ne peut rien comprendre à l’œuvre d’art, et surtout pas ce qui en fait la singularité, lorsqu’elle prend pour objet un auteur ou une œuvre à l’état isolé»

Pierre Bourdieu

Un dynamisme constant

Le champ est un espace dynamique et la réification de ses mouvances en genre, générations, styles, écoles de pensée, etc., limite la nature mobile de ses agent·e·s. Cette nature mobile qu’ont ses composants (ses agent·e·s) font du champ une structure instable et en constante redéfinition. L’écrivain André Malraux disait que «l’art imite l’art», mais Bourdieu rectifie en écrivant que «l’art naît de l’art».

Malgré l’impression statique qu’offre cette définition de l’art, il faut comprendre que l’art nouveau imite certes son prédécesseur, mais seulement dans ce qu’il a de rupture avec le passé et, de ce fait, naît d’une opposition à son prédécesseur. Travaillant l’idéologie du champ de l’intérieur, l’artiste tente d’accumuler suffisamment de capital symbolique (influence, notoriété, réputation, etc.) pour être en mesure d’imposer sa propre idéologie, d’offrir une nouvelle définition à son champ.

Les particules du champ

L’existence d’un·e agent·e provient de sa capacité à occuper une position particulière dans un champ. Il faut alors entendre occuper une position comme étant synonyme de prendre position. Encore une fois, étudiée de manière isolée, l’œuvre de l’artiste ne relève que de l’anecdote et, pour réellement mesurer son impact et comprendre son origine sociale, il faut la mettre en relation avec celle des autres agent·e·s de son champ. C’est cette mise en relation aux autres, inhérente à la prise de position, qui crée l’identité distincte de l’artiste et qui alimente le dynamisme du champ. «[La] problématique du temps n’est pas autre chose que l’ensemble de ces relations de position à position, inséparablement, de prise de position à prise de position.» 

Il est important de comprendre que la hiérarchie d’un champ n’est jamais fixe ou éternelle. Les critères de distinction d’un champ se construisent autour d’une loi générale qui permet aux agent·e·s d’occuper des positions plus ou moins élevées. Par exemple, à une époque où le romantisme domine le champ littéraire, ceux et celles qui se revendiquent de ce mouvement auront plus d’aisance à accéder à des positions de dominance, alors que les symbolistes ne seront pas en mesure de s’imposer en maître. Toutefois, à force de patience et d’audace, les symbolistes pourraient graduellement réussir à imposer leur propre loi générale du champ, en quel cas ils·elles seraient plus aptes à dominer le champ.

«[La] problématique du temps n’est pas autre chose que l’ensemble de ces relations de position à position, inséparablement, de prise de position à prise de position»

Pierre Bourdieu

Ainsi, la lutte constante pour la redéfinition du champ lui est inhérente, puisque ce qui même le compose le définit, soit des agent·e·s dont les positions sont en constante confrontation les unes aux autres. La prise de position des agent·e·s occasionne souvent une polarisation du champ qui forme une dialectique centrale autour de laquelle «s’organise la lutte et qui [sert] à penser cette lutte», comme les romantiques en rapport aux symbolistes dans l’exemple précédent.

Dans le champ de la production culturelle, soit tout ce qui touche à la création de contenu et à la mise en marché d’éléments qui alimentent la culture d’une société donnée, il existerait tout de même des tangentes, ce que Bourdieu nomme une «sorte de vulgate distinguée». Il s’agit d’une vision réductrice ou stéréotypée d’une idée circulant entre intellectuel·le·s et artistes mettant en place des lieux communs devenus raccourcis pour une génération de producteur·trice·s culturel·le·s. C’est ce qui, pour Bourdieu, se rapproche le plus d’une mode, d’un mouvement passager et périssable dans le domaine de la production culturelle d’une époque.

Les positions et leurs traces

Pour l’agent·e, la prise de position est à la fois un acte temporaire et irréversible. Sa position occupée dans un champ est constamment sujette aux changements dus à l’apparition de nouveaux agents, dont les prises de position reconfigurent l’état du champ en définissant de nouvelles relations avec les agent·e·s déjà présent·e·s. En ce sens, le fait d’occuper une position est un acte fondamentalement temporaire. Toutefois, après un déplacement dans le champ, la position jadis occupée laissera à jamais une trace dans le champ. Ne pouvant défaire ce qui a été fait, l’agent·e peut se déplacer, mais non pas effacer les marques de ses précédents passages. En ce sens, la prise de position est irréversible puisqu’elle est gravée dans l’histoire. 

Si, par exemple, un artiste adopte une position en faveur de la peine de mort – comme ce fut le cas d’Albert Camus durant la Libération en France – une posture abolitionniste épousée plus tardivement – par exemple lorsque Camus fit paraître Réflexions sur la peine capitale en 1957 – ne pourra jamais effacer sa première position. Il est par contre intéressant de noter qu’il deviendrait alors un agent en contradiction avec l’agent qu’il fut auparavant. Ce genre de dédoublement marque à la fois la possibilité de déplacement et l’indélébilité des positions.

«Pour l’agent·e, la prise de position est à la fois un acte temporaire et irréversible»

La dialectique historique

Bourdieu aborde finalement la conceptualisation du passé dans un champ artistique en soulignant son omniprésence. Le passé est en effet incessamment ramené dans tout champ de production, soit-ce pour glorifier ou calomnier, par évocation directe ou indirecte. Le sociologue décrit toutes ces évocations du passé comme «autant de clins d’œil adressés aux autres producteurs et aux consommateurs qui se définissent comme consommateurs légitimes en se montrant capables de les repérer».

Ainsi, le passé du champ sert à la fois de force cohésive entre ses initié·e·s, producteur·rice·s et consommateur·rice·s, et également de force distinctive entre ses agent·e·s. L’histoire «commune» du champ, rappelée à travers les œuvres qui y sont produites, crée, chez les consommateur·rice·s capables de les relever, un sentiment d’appartenance au champ, leur donne une instance de légitimité, celle de connaître et de reconnaître les codes propres du champ concerné.

Cette histoire commune permet également la distinction entre l’avant et le nouveau et est constamment rappelée dans le fait même de la distinction. La relation de l’avant et du nouveau est dialectique: les deux contiennent en eux leur opposé dans la rupture qui à la fois les distingue et les rapproche, et la simple existence du nouveau rappelle au passé, aux instances précédentes. La préface de Cromwell de Victor Hugo en est le parfait exemple. Hugo y dénonce le théâtre classique en rappelant l’importance de la liberté créative et le danger des règles trop strictes qui pourraient l’étouffer. En critiquant de manière si véhémente ses prédécesseur·e·s des siècles classiques, le dramaturge s’en distingue tout en se réclamant de leur héritage. Le romantisme d’Hugo se définit en rapport avec son passé; ce qui lui permet d’être un style particulier, c’est justement le fait de ne pas être du théâtre classique. En ce sens, l’histoire d’un champ artistique est omniprésente et agit comme forces cohésive et distinctive. 

Liberté académique: la lutte d’un champ

Si de nombreuses critiques ont été émises à l’égard de cette théorie de Bourdieu, notamment son déterminisme et sa vision quelque peu réductrice de l’acte créatif, elle n’en demeure pas moins un outil extraordinaire d’analyse sociologique. Bourdieu lui-même l’a mise en application dans son œuvre Les règles de l’art, publiée en 1993, afin d’analyser Flaubert et son rôle dans le champ littéraire de l’époque. Plusieurs intellectuel·le·s ont d’ailleurs repris, directement ou indirectement, cette vision des choses, surtout dans le domaine littéraire. Ne pensons, par exemple, qu’à Pascale Casanova et sa sublime République mondiale des lettres (1999) et à François Paré avec ses Littératures de l’exiguïté (1992). 

Mais surtout, cette vision d’un champ au sein duquel s’affrontent des agent·e·s pour sa dominance permet de mieux comprendre les débats sociaux actuels. Des agent·e·s longtemps dominé·e·s cherchent aujourd’hui à remettre en question les institutions et à offrir une nouvelle définition à la loi générale de leur champ. Car, d’un point de vue sociologique, tous ces débats entourant la liberté académique ne sont-ils pas qu’une série de luttes pour la dominance d’un champ, celui du monde universitaire?

→ Voir aussi : Vif débat sur la liberté académique à McGill

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Une motion controversée permet à l’AÉUM d’atteindre le quorum en assemblée générale https://www.delitfrancais.com/2021/02/23/une-motion-controversee-permet-a-laeum-datteindre-le-quorum-en-assemblee-generale/ Tue, 23 Feb 2021 13:32:54 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=42275 Le quorum a été perdu quelques minutes avant le vote final, et certain·e·s y voient une tactique préméditée.

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Le 16 février dernier se tenait l’assemblée générale de l’Association étudiante de l’Université McGill (AÉUM). Reconnue pour son taux de participation traditionnellement bas, cette assemblée générale virtuelle a cette fois-ci réussi à atteindre le quorum de 350 personnes, une première depuis 2017, à l’époque où le quorum n’était que de 100 personnes. 

On doit cette participation exceptionnelle à la motion concernant l’adoption de la politique «Désinvestir pour les droits humains» (Divest for Human Rights, document disponible en anglais seulement). Si elle avait été adoptée, cette politique aurait engagé l’AÉUM à faire campagne pour encourager l’administration de McGill à retirer ses investissements de huit compagnies dont les pratiques violeraient certains droits humains. 

Toutefois, alors que le vote allait avoir lieu, plusieurs personnes on quitté la réunion Zoom. Cette chute inattendue du nombre de participant·e·s a fait perdre le quorum à l’assemblée générale, qui est alors devenue, comme le veut le règlement de l’AÉUM, un simple forum consultatif. Ce dernier n’a pas la même légitimité démocratique que l’assemblée générale et les motions qui y sont présentées ne peuvent donc pas être adoptées au cours de la rencontre. La décision d’adopter cette motion revient désormais au conseil législatif. 

Les compagnies visées par cette campagne sont:

  1. TC Energy Corporation, responsable de la construction d’un pipeline qui traverse le territoire des Wet’suwet’en;
  2. Lockheed Martin, une entreprise connue pour ses avions de combat;
  3. Re/Max International, pour son commerce immobilier dans les colonies israéliennes en Palestine;
  4. OshKosh Corporation, dont les camions à usage militaire sont utilisés par l’armée israélienne; 
  5. Puma, Foot Locker, Nordstorm et Kohl’s, pour leur utilisation des camps de travail ouïghours afin de fabriquer une partie de leurs produits.

Ayo Ogunremi, v.-p. aux Affaires externes de l’AÉUM, et Maya Garfinkel, représentante de l’Association des étudiant·e·s pour la paix et le désarmement (Students for Peace and Disarmament), ont présenté la motion. Les deux ont notamment rappelé la contradiction entre les valeurs et les politiques internes mises de l’avant par l’Université et ses investissements dans ces compagnies qui représentent un total d’environ 7 millions de dollars canadiens. 

Une motion jugée antisémite et xénophobe

Durant la période de débat, plusieurs étudiant·e·s ont exprimé leur malaise vis-à-vis cette motion, la considérant antisémite puisque l’État d’Israël y est nommé par deux fois. Se basant sur des antécédents mcgillois où la critique de cet état du Moyen-Orient aurait entraîné une montée d’antisémitisme sur le campus, un participant a demandé le sectionnement de la motion. Les étudiant·e·s auraient alors pu voter pour désinvestir compagnie par compagnie, permettant ainsi d’exprimer son désaccord sur les points concernant directement Israël. Cette proposition a été rejetée à 59%.

Une intervenante a argumenté que «la critique du gouvernement israélien est saine et nécessaire pour Israël, tout comme elle l’est pour toutes les autres nations. Mais il y a des cas où la critique se mêle à l’antisémitisme. Et [cette motion] est une de ces instances». Plusieurs interventions abondaient dans le même sens.

Brooklyn Frizzle, v.-p. aux Affaires internes de l’AÉUM, a expliqué que la motion ne visait pas à critiquer les nations en soit, mais plutôt les compagnies directement: «Y a‑t-il quelqu’un ici qui est citoyen·ne de Re/Max? Y a‑t-il quelqu’un ici qui est citoyen·e de TC Energy? Non, tout ceci n’est pas à propos des gouvernements», a‑t-iel déclaré.

Durant la période de débat, plusieurs personnes ont demandé la parole pour la céder à quelqu’un d’autre qui allait défendre la cause pro-israélienne. Plusieurs y ont vu une manière de monopoliser le temps de parole en faveur de cette cause. Après plusieurs avertissements de la présidente de l’assemblée, qui a affirmé que cette pratique ne serait pas tolérée, ces interventions ont cessé.

De l’AG au forum

Durant les trois premières heures de la rencontre, le nombre de participant·e·s variait entre 370 et 390. Selon la procédure, un vote préliminaire doit être proposé par le ou la président·e afin de savoir si l’assemblée accepte de mettre fin à la période de débat et de passer au vote final. Alors que 67% des participant·e·s venaient de voter en faveur de cette transition, le taux de participation s’est mis à chuter rapidement, faisant ainsi perdre le quorum de 350 personnes. 

Certain·e·s participant·e·s restant·e·s ont qualifié cette pratique d”«antidémocratique». Plusieurs y ont vu une tactique pour ralentir le processus de ratification, puisqu’une motion ne peut être approuvée en assemblée générale si le quorum n’est pas atteint. La décision reviendra alors au conseil législatif de l’AÉUM, qui déterminera dans une rencontre ultérieure si la motion peut être soumise à un référendum en ligne. Tout cela retarde d’une à deux semaines la ratification par référendum de la motion. Le vote a tout de même eu lieu. Sur les encore membres présent·e·s, 190 ont voté en faveur, 19 s’y sont opposé·e·s et 3 se sont abstenu·e·s.

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Kirouac & Kodakludo: le talent de la création https://www.delitfrancais.com/2021/01/26/kirouac-kodakludo-le-talent-de-la-creation/ Tue, 26 Jan 2021 13:51:44 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=40945 Comment réussir un vidéoclip de rap de style montréalais.

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Le 15 janvier dernier, le duo de rap montréalais Kirouac & Kodakludo a fait paraître son tout nouveau vidéoclip «YO KODAK! (VI) ». Cela faisait plus d’un an que les artistes n’avaient pas sorti de vidéoclip, leur dernier étant «Jeanne-Mance», paru en août 2019, chanson tirée de leur micro album Summer Pack! (2019).

C’est sans grande surprise que ces deux cinéphiles ont récidivé en nous servant un sublime vidéoclip. Autonome dans son art, c’est Kirouac lui-même qui a réalisé le vidéoclip.

«On combine les images avec les syllabes»

Dès les premiers mots de la chanson, on comprend mieux l’impression aérienne que laisse en nous l’instrumentale : «Yo Kodak / l’autre jour j’ai fumé un bat» (0:25–0:30). La prod de Kodakludo est flottante et évolue naturellement tout au long de la chanson. Même avant la toute fin de la chanson, où s’opère un changement d’instrumentale (beatswitch) pour l’excipit (outro), l’instrumentale ne stagne jamais et accompagne parfaitement le texte de Kirouac.

Dans le même esprit aérien, l’esthétique du vidéoclip est majoritairement futuriste, sans pour autant négliger la narration. Le clip s’ouvre sur les deux artistes, habillés de beige et de blanc, dans des positions stoïques avec des casques de réalité virtuelle. Par après, la caméra plonge dans leur lunette et nous donne à voir ce qu’ils visionnent : on retrouve alors les deux artistes explorant l’un des versants du Mont-Royal. Dans cette découverte de leur milieu, ils finissent par tomber sur des casques de réalité virtuelle. On retourne alors de nouveau à cet environnement épuré et futuriste du début du clip. 

Le duo de la polyvalence

Savoir jouer sur différents tableaux artistiques est un art en soi. Visiblement, cet art de la polyvalence, Kirouac & Kodakludo le possède. Le texte de «YO KODAK! (VI) » est d’ailleurs rempli de références à cette double passion pour le rap et pour le cinéma : «On est des artistes recyclables / on combine les images avec les syllabes.» (0:59) En ce sens, il y a un réel va-et-vient entre la chanson et le vidéoclip, un écho qui émane du texte et qui se fait ressentir dans l’esthétique du clip. 

Kirouac évoque notamment les parcours scolaires parallèles, puis perpendiculaires des deux artistes. Bien qu’ils aient tous deux commencé des études en cinéma à l’UQAM, seul Kodakludo les a complétées : «Bientôt tu vas finir le bac / T’es un prodige and I know that it’s a fact / Moi j’ai pas fini la fac» (0:34–0:42).

Pourtant, malgré le fait qu’il ait fui les bancs d’école, Kirouac et ses talents en matière de réalisation ne sont pas à plaindre. Ayant lui-même réalisé ce vidéoclip, on comprend mieux les sens du texte : «Cinéma, man it’s a wrap / mais je veux faire ça depuis qu’j’suis cinq pieds quatre»(0:45–0:51). Comme de fait, le travail visuel est léché et novateur, et l’esthétique n’enlève rien à la narration du clip. On pourrait dire qu’avec ce fin travail de réalisation, Kirouac a su rendre compte de l’esprit général de la chanson, sans toutefois tomber dans le cliché ou dans l’explicite. Comme on dit en improvisation, une pratique théâtrale chère au rappeur, «on veut pas le savoir, on veut le voir». Avec «YO KODAK! (VI) », Kirouac & Kodakludo nous a bien fait voir qu’il maîtrisait l’art du cinéma.

L’art par l’image

«Il n’existe pas d’art et en particulier pas de poésie sans image.»

Rarement cette phrase du théoricien littéraire Aleksandr Potebnia ne m’a semblé aussi véridique que lorsque appliquée aux vidéoclips de Kirouac & Kodakludo. Pour le rappeur Kirouac, qui considère que «les rappeurs sont les poètes du 21e siècle», cette poésie contemporaine semble indissociable du travail cinématographique. Si la poésie peut être considérée comme l’art de raconter des images, les vidéoclips de rap, extensions phares de cet art, viennent donner une âme aux images en les apposant au texte et à la musique. 

Toutefois, je considère rares les groupes de musique capables de réellement rendre compte de leur texte avec un vidéoclip. Il faut, je crois, que le vidéoclip permette de découvrir la chanson à partir d’un angle nouveau. Certes, il s’agit également d’un «outil de promotion et de branding très, très important dans la musique aujourd’hui», comme l’avait expliqué Carlos Munoz, cofondateur de la maison de disques montréalaise Joy Ride Records, dans une entrevue accordée au Délit

Mais j’estime qu’outre cette fonction purement pragmatique, le vidéoclip doit surtout être considéré comme une œuvre d’art à part entière qui fait écho à l’œuvre d’origine. Autrement dit, un vidéoclip réussi nécessite un réel travail et du talent créateur. C’est le cas de Kirouac & Kodakludo dont les vidéoclips ne peuvent que rendre les Montréalais·e·s fier·ère·s de compter parmi eux·elles des artistes aussi prometteurs et talentueux.

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La Révolution tranquille est une fiction https://www.delitfrancais.com/2021/01/26/la-revolution-tranquille-est-une-fiction/ Tue, 26 Jan 2021 13:46:20 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=40968 Quand l'Histoire devient mythe.

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Débute ce mois-ci ma dernière session à McGill. Après trois ans à étudier l’histoire et la littérature française, ces deux champs d’étude me semblent de plus en plus proches l’un de l’autre. Certes, la littérature s’attarde majoritairement à des œuvres de fiction, alors que l’histoire se penche plutôt sur des sources primaires, des textes non fictifs liés à l’époque étudiée; mais, de plus en plus, je considère qu’on ne peut jamais fuir la fiction et la subjectivité. En fait, je commence à voir l’histoire comme une fictionnalisation des événements historiques. L’exemple type de cette fictionnalisation de l’Histoire est sans aucun doute les mythes fondateurs des sociétés.

Les sociétés humaines se constituent des mythes pour expliquer et justifier leur propre existence. Pour ce faire, elles se créent une ligne narrative afin de relier des éléments de l’Histoire. On nomme ainsi les époques et les événements en fonction du rôle qu’ils sont appelés à jouer dans cette narration. Sans tomber dans le conspirationnisme, il faut être conscients que ce remodelage de l’Histoire vient inévitablement biaiser notre rapport à celle-ci et former notre vision du monde. 

Le récit national

Chaque régime politique doit reposer sur un mythe fondateur pour se maintenir : la démocratie est justifiée par l’échec de la monarchie ; le communisme, par l’échec du capitalisme; l’empire, par l’échec de la république ; etc. Afin de créer leur récit national, les sociétés remanient le passé en lui donnant une forme convenable pour justifier leurs positions présentes et futures. Le terme même de «récit» est en soi problématique, car un récit est une version des faits, une manière de raconter des événements selon un certain point de vue. Même lorsque basé sur des faits, le récit reste d’abord et avant tout une fiction, une fiction qui a besoin d’une narration.

Nommer, c’est inventer

Comme on divise un roman en chapitres, on a tendance à diviser l’Histoire en époques et à cerner ces époques par un terme précis (Antiquité, Moyen Âge, Renaissance, Ancien Régime, etc.). Ces balises historiques sont certes bien commodes pour tenter de comprendre le développement des sociétés, mais il faut aussi voir là une tentative de structurer le récit en délimitant les ères selon des caractéristiques bien précises. Il s’agit bien évidemment d’un découpage subjectif imposé par le discours dominant d’une société.

«On établit l’histoire comme une marche vers le progrès»

Un exemple notoire de ce parti pris historique reste la dualité Moyen Âge-Renaissance: l’un est médiocre et l’autre incarne un renouveau ; l’un, la mort d’une civilisation et l’autre, sa renaissance ; l’un est mauvais et l’autre, bon. Ici, le parti pris nominatif en est presque manichéen. L’utilisation même de ces termes est une prise de position claire en faveur de l’héritage gréco-latin, héritage que le Moyen Âge n’aurait pas conservé, mais que – fort heureusement! – la Renaissance aurait fait rejaillir.

Cette manière de baliser l’histoire témoigne bien du désir de créer une certaine narration. On établit l’histoire comme une marche vers le progrès dans laquelle les traditions d’Athènes et de Rome ont une place prépondérante.

Le cas québécois

Un exemple québécois du mythe fondateur serait celui de la Révolution tranquille. Cette époque, que l’on peut situer dans les années 1960, a marqué un virage dans l’histoire québécoise, mais surtout dans la manière de s’approprier le passé. À en croire nos cours d’histoire au secondaire, l’équipe du tonnerre de Jean Lesage a fait briller la lumière de la démocratie, de la laïcité et de la sociale-démocratie dans le ciel politique du Québec en remportant les élections de 1960. C’est comme si, tout d’un coup, l’ordre social s’était renversé et que les privilèges du clergé avaient pris le clot dans ce virage sec qu’entamait la société québécoise. En 1959, c’était la Grande Noirceur ; en 1960, la Révolution tranquille.

«C’est comme si, tout d’un coup, l’ordre social s’était renversé»

Pourtant, quatre ans avant le retour des libéraux au pouvoir, l’historien Robert Rumilly avait fait paraître un ouvrage intitulé Quinze années de réalisations : Les faits parlent. Ce texte explique et résume les réussites du gouvernement de Maurice Duplessis, passant de l’agriculture à la santé et de l’essor économique aux développements sociaux. Il fait ainsi largement l’éloge des progrès qui se sont opérés sous Duplessis. Pourtant, parlons-nous aujourd’hui desdites réalisations de la Grande Noirceur? Que nenni. Nous ne parlons que de la crise d’Asbestos, des enfants de Duplessis et du règne du patronat. 

Baliser l’histoire

Loin de moi l’idée de faire ici l’apologie de Duplessis. Je cherche plutôt à remettre en question la narration que l’on choisit de donner à l’Histoire. Si Rumilly affirme dans son œuvre que «les faits parlent», je pose plutôt la question: «parlent-ils vraiment?» Bien souvent, on trace les frontières des époques et on définit les balises historiques après coup, selon ce qu’on peut en tirer. Par exemple, la province de Québec tout entière semble avoir intériorisé le fait que le Refus Global (1948) ait été un des précurseurs, voire un des facteurs, de la Révolution tranquille. Au moment même de la parution, la chose fait bien des remous, mais aucune vague. Le régime est inchangé et le restera durant 12 ans encore.

Concrètement, cette parution n’est qu’un fait anodin, un ovni dans l’histoire littéraire qui a été instrumentalisé par après. Certes, il marque une certaine tendance à la révolte, mais son importance n’est arrivée que bien plus tard. Durant la Grande Noirceur, Paul-Émile Borduas n’a été qu’un dissident dont on s’est débarrassé dès que possible. Durant la Révolution tranquille, il a été érigé en héros comme un homme qui a su tenir tête à la poigne de fer. Autrement dit, il a été mythifié.

Ne jamais oublier la fiction

Après tous ces détours et ces exemples, on en arrive à une conclusion assez simple : il ne faut jamais oublier que l’Histoire est subjective. Les mythes fondateurs sont le meilleur exemple de l’influence de ces partis pris, de ces lunettes à travers lesquelles on regarde le passé. Le réel étant bien trop complexe pour être détaillé entièrement, il faut arrondir les coins. Cela donne une souplesse à l’Histoire en lui permettant de prendre la forme d’un récit continu et clair.

Le mythe n’apparaît pas tout bonnement et n’est pas non plus le résultat d’un exploit soudain. Il se construit graduellement, pierre par pierre, jusqu’à ce qu’il puisse soutenir le bâtiment.

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McGill n’en est pas à son premier fight club https://www.delitfrancais.com/2020/11/17/mcgill-nen-est-pas-a-son-premier-fight-club/ Tue, 17 Nov 2020 13:46:44 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=39519 La semaine qui vient de passer a sorti les mcgillois·es de la monotonie de leurs Zoom quotidiens avec un spectacle haut en couleurs et fort en testostérone. Si le fameux fight club de McGill qui génère tant de memes depuis une semaine semblait être une légende urbaine, il a toutefois bel et bien eu lieu.… Lire la suite »McGill n’en est pas à son premier fight club

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La semaine qui vient de passer a sorti les mcgillois·es de la monotonie de leurs Zoom quotidiens avec un spectacle haut en couleurs et fort en testostérone. Si le fameux fight club de McGill qui génère tant de memes depuis une semaine semblait être une légende urbaine, il a toutefois bel et bien eu lieu. Dans une ambiance qui rappelle celle des arènes de gladiateurs, deux hommes se frappaient à grands coups de poing alors qu’une foule en rond les encourageait.

Si cet événement en a surpris plusieurs, ce n’est pourtant pas la première fois que McGill s’adonne à de telles violences publiques. Au tournant du 20e siècle, les rues de Montréal se sont transformées en véritables champs de bataille où s’affrontaient mcgillois·e·s et universitaires francophones. Face à cet événement que l’historien Jacques Lacoursière a qualifié de «guerre des drapeaux», notre fight club contemporain fait bien pâle figure. 

Retour historique sur cette guerre qui a fait des dizaines de blessés et qui a détruit une façade entière de ce qui était alors l’Université de Laval à Montréal.

La guerre des Drapeaux

Le 1er mars 1900, on peut lire en page couverture de La Presse: «La guerre à Montréal: Des étudiants du McGill préfèrent se battre au Canada plutôt que d’aller défendre le drapeau britannique en Afrique.» Les journalistes font ici référence à la seconde guerre des Boers qui a eu lieu en Afrique du Sud de 1899 à 1902.

Il faut savoir que le Canada, alors simple dominion, était bien plus proche de l’Empire britannique qu’il ne l’est aujourd’hui. Les guerres dans lesquelles s’engageait l’Angleterre étaient aussi, dans une certaine mesure, nos guerres. Ainsi, les membres du dominion célébraient les victoires britanniques comme si elles étaient canadiennes. Il y a donc eu un immense engouement à Montréal suite à la bataille de Ladysmith, une importante victoire militaire britannique dans la guerre des Boers.

«Les McGill», comme les appelait La Presse de l’époque, célèbrent en se rendant à l’hôtel de ville et aux bureaux de La Presse afin d’y dresser des drapeaux britanniques. Ils se rendent ensuite à l’Université Laval de Montréal, située sur la rue Saint-Denis, qui allait devenir l’Université de Montréal 20 ans plus tard. Là encore, on hisse le drapeau de l’Union royale (Union Jack en anglais), mais un étudiant téméraire de l’Université Laval «[s’empare] du drapeau, [coupe] la corde et [entre] dans l’Université», décrit La Presse. La réponse «des McGill» ne se fait pas attendre: «Tous les tricolores visibles [sont] déchirés et foulés aux pieds.» [Le fleurdelisé n’étant adopté qu’en 1948, les Canadiens français utilisaient alors le tricolore français comme drapeau, nldr.]

La guerre des drapeaux était officiellement déclarée.

Affrontements armés

Après le retrait des troupes mcgilloises de l’Université Laval, les étudiant·e·s francophones préparent une contre-manifestation à 16h30 le même jour. Les voilà qui prennent d’assaut la rue Saint-Jacques et qui s’attaquent aux symboles britanniques. La description qu’en donne Jacques Lacoursière, dans son Histoire populaire du Québec moderne (1997), semble tout droit sortie d’un film de guerre: «Au chant de La Marseillaise, ils s’emparent de tous les drapeaux “ennemis”. Les gens de McGill font alors leur apparition au chant du God Save the Queen. La bagarre éclate, ponctuée de coups de poing et de coups de canne.»

«Cinq coups de feu se font entendre et un étudiant de Laval est blessé au couteau au niveau du bras»

La bataille de l’après-midi ne met toutefois pas fin aux hostilités et les étudiant·e·s anglophones n’abandonnent pas de sitôt. Vers 21h30, «les McGill» marchent sur l’université francophone. Là-bas, averti·e·s d’un attroupement anglophone, les étudiant·e·s de l’Université Laval les attendent avec des boyaux d’arrosage. Après deux assauts repoussés à l’aide de grands jets d’eau glaciale, les gens de McGill, incapables d’accéder à l’université, décident de s’en prendre aux vitres de l’institution. Dans l’édition du 2 mars 1900, La Presse estimait «à 200$ les dommages causés à l’Université Laval». En comparant ce montant aux annonces de souliers neufs de luxe neuf à 3,50$ qui se trouvent dans la même édition du journal, on peut comprendre qu’il s’agit là d’une facture fort salée pour l’époque! 

Alors qu’ils battent en retraite vers la rue Sainte-Catherine, «les McGill» sont interceptés par des francophones. Comme l’écrit le journal de l’époque: «c’est alors qu’ils eurent la soupe chaude.» Cinq coups de feu se font entendre, un étudiant de Laval est blessé au couteau au niveau du bras et les étudiants de McGill, «ayant frappé la police à coup de bâton», provoquent une réplique violente du côté policier. «Finalement, la déroute [est] complète chez les McGill, qui [s’enfuient] vers l’ouest, […] promettant de revenir à la charge.»

La guerre, la guerre, c’est pas facile quand y’a l’hiver

Le lendemain, nouveau titre pour La Presse: «Tempête effroyable: un Amoncellement de Neige suffisant dans nos Rues pour recouvrir nombre de Maisons». Cette chute de neige monstre vient visiblement calmer les ardeurs des combattants, et les recteurs des deux universités ainsi que le maire font des appels à la paix qui sont écoutés. C’est un chance, car, comme le résume Jacques Lacoursière, «les étudiants de [l’Université Laval de] Québec venaient d’offrir leur « aide » à leur confrères francophones de Montréal, alors que ceux de Kingston et de Toronto se disaient prêts à prendre le chemin de Montréal pour venir prêter main-forte aux anglophones».

Si les débats ont changé, les divisions universitaires demeurent et la solidarité dont ont témoigné les étudiant·e·s de Québec et de l’Ontario à leurs homologues montréalais existe encore aujourd’hui. De nos jours, alors que les universitaires s’affrontent sur les réseaux sociaux sur la question des mots tabous et que le débat semble glisser dans une dichotomie anglo-franco, il est assez heureux de constater que nous avons appris à ne plus nous battre jusqu’au sang pour des enjeux importants. 

En fait, maintenant, avec le fight club de McGill, on se bat jusqu’au sang simplement pour se battre.

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À 13 ans, on m’a appris à être raciste https://www.delitfrancais.com/2020/11/10/raciste_a_treize_ans/ Tue, 10 Nov 2020 14:06:39 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=39213 Grandir dans l'indifférence.

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Je sais que tu vas pas aimer ça que je dise ça, mais c’est vraiment un argument d’homme blanc.

La première fois qu’on m’a dit ça, je suis tombé des nues. Ce n’était même pas le fait de me faire réifier selon mon genre ou ma couleur de peau qui m’avait perturbé; c’était simplement le fait que ça pouvait être pris en compte. Simplement le fait que la couleur vienne faire une différence au bout du compte. Si ça m’a pris du temps à l’accepter, force est d’admettre que ce n’est pas complètement faux.

Aveugle aux différences

Pendant mon enfance, je n’ai jamais perçu de différence tangible entre moi et les autres. Il faut dire que j’ai grandi dans des milieux qui étaient extrêmement inclusifs et diversifiés. Mes parents étaient tout ce qu’il y avait de plus progressiste pour le Québec des années 1990. Mon père est chef d’orchestre d’un ensemble de percussions afro-brésiliennes dans lequel il y a depuis toujours énormément de latinos. Lorsque mon père était au téléphone, je l’entendais plus souvent parler espagnol ou portugais qu’anglais ou français. À ses côtés, j’ai grandi dans Hochelaga-Maisonneuve avec un voisin mexicain et un colocataire ivoirien qui étaient, pour moi, des membres de la famille. 

«Si j’avais bel et bien conscience de nos différences, ce n’était pas pour moi une raison suffisante pour nous différencier»

Au primaire, je suis allé à FACE, une école artistique juste à côté du campus de McGill. Là-bas, mes amis s’appelaient Juan, Yu Xu, Daniel, Amylion. Si j’avais bel et bien conscience de nos différences, ce n’était pas pour moi une raison suffisante pour nous différencier. À mon sens, je n’étais pas vraiment plus blanc que Daniel était noir. L’important, c’est qu’on aimait tous les deux Naruto et qu’on pratiquait nos jutsus ensemble entre nos cours.

D’ailleurs, à cette époque, je disais à tous vents que j’étais égyptien. Ça venait de mon grand-père maternel. À mon entrée au primaire, je montrais fièrement mes poils de jambes noirs et déjà abondants en scandant fièrement : «j’ai un corps égyptien!» Dit à voix haute, la polysémie permettait d’expliquer à la fois que le quart de mon bagage génétique venait de l’autre bout du monde et que ce quart-là semblait avoir trouvé refuge dans mes sourcils denses et noirs et mes yeux marrons.

Une boîte de Pandore

Ce n’est que rendu en première année du secondaire que les couleurs de peau ont commencé à compter. J’ai tout d’abord été initié avec la célèbre blague: «Qu’est-ce qui court plus vite qu’un Noir avec une télé dans les mains? Son petit frère avec le lecteur vidéo.» Je ne comprenais pas vraiment. Enfin, il y avait certainement une logique dans le raisonnement, puisque plus léger était l’objet, plus facile serait la course. Mais pourquoi était-ce si drôle?

Autrement dit, le secondaire est venu ouvrir une boîte de Pandore dans laquelle m’étaient jusqu’alors cachés les préjugés racistes. J’étais au début assez excité de les apprendre, comme s’il s’agissait d’une intrigante facette des choses qui ne m’avaient jamais été révélée. Ça m’a pris un temps avant de tous les assimiler: les Noirs sont des voleurs et ils aiment les melons d’eau, le poulet frit; les Arabes sont des terroristes; les Mexicains traversent les frontières et ne sont pas capables de soutenir leurs familles, etc.

Encore à ce jour, j’ai ce souvenir lucide d’avoir l’impression de me buter sur une chose tout à fait inconnue. Une petite boîte qui renfermait tous les codes du racisme m’attendait aux portes de l’adolescence. Je ne crois pas vraiment que j’ai fait le choix de l’ouvrir. Je crois simplement que tout le monde va avoir à l’ouvrir un jour ou l’autre dans sa vie.

Contraint à sa couleur

Aujourd’hui, tous ces stéréotypes que j’ai intégrés avec le temps continuent de m’habiter. Ils façonnent ma manière de voir le monde et, pis encore, d’interagir avec les autres. J’ai en horreur cette lentille qui déforme les corps et ne laisse passer que la couleur. Je ne l’ai pas choisie et je ne peux pas l’enlever. Je ne peux pas l’enlever pour la simple et bonne raison qu’elle m’est imposée par les lentilles que tout le monde porte autour de moi. Il faut les porter pour comprendre que la société traite différemment les gens en fonction de leur couleur de peau.

Et ce ne sont pas des lunettes réservées aux boomers blancs, bien au contraire. Dans les débats publics, chez les progressistes de gauche comme de droite, la couleur de notre peau prend de plus en plus d’importance d’année en année. À mon avis, cette tendance occasionne des avancées très bénéfiques, comme la reconnaissance du racisme systémique et les efforts mis en place pour le contrecarrer, et des dérives plutôt absurdes, par exemple le fait qu’un Blanc soit automatiquement catégorisé comme individu privilégié. À mon sens, il est impératif de ne pas réifier les individus en quelque chose qu’ils ne sont pas sous prétexte qu’ils ont une certaine pigmentation; et cela vaut pour les intentions racistes qu’ont certains comme pour les raccourcis intellectuels que font d’autres.

Je le répète et le martèle, car il faut prendre conscience de cet état des faits pour être en mesure de s’en débarrasser: la société traite différemment les individus qui la composent en fonction de leur couleur de peau. Si ce constat me crève le cœur, on ne peut pas l’ignorer, car il crève aussi les yeux. 

Je me sentais Égyptien, mais aujourd’hui je suis Blanc. Pour plusieurs, je ne suis pas « vraiment » Égyptien, puisque je n’ai pas les souffrances ou les privilèges qui viennent avec. Il en va de même pour mon meilleur ami: sa mère est blanche, son père est noir. Même si son bagage génétique est parfaitement équilibré entre les deux, jamais on ne le considérera comme un Blanc. C’est un métis, donc un Noir. Sa noirceur lui est imposée par autrui. Elle lui vient des autres et, comme j’en ai plus d’une fois été témoin, elle ne vient pas sans difficultés.

Le 2 décembre 2017 au soir, je buvais du gin dans une ruelle avec cet ami. Une voiture de police est passée et, avant qu’elle ne fasse marche arrière pour entrer dans l’allée où nous étions, j’ai donné la bouteille à mon pote et il l’a jetée dans une poubelle. La suite était écrite dans le ciel: interception, argumentation, amende. Après tout, nous étions effectivement dans le tort. Sauf que moi je n’ai pas reçu d’amende. Mon ami, oui. Mon ami, c’est Thomas Alem-Lebel.

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Tour de force à Ottawa: les libéraux intacts https://www.delitfrancais.com/2020/11/10/tour-de-force-a-ottawa-les-liberaux-intacts/ Tue, 10 Nov 2020 13:54:53 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=39125 La Canada n'ira pas en élections, et c'est pour le mieux.

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Le 21 octobre dernier, le gouvernement Trudeau a fait face à un vote de confiance qu’il a remporté grâce au soutien du Nouveau Parti démocratique (NPD) et du Parti vert du Canada. Il va sans dire que déclencher des élections fédérales en pleine crise sanitaire et économique aurait été tout à fait irresponsable de la part des député·e·s du parlement canadien. Cela, le gouvernement Trudeau le savait et en a profité pour blanchir son dossier dans l’affaire UNIS (We Charity en anglais). En faisant de la motion «anti-corruption» du Parti conservateur du Canada (PCC) un vote de confiance, le Parti libéral du Canada (PLC) a fait d’une pierre deux coups: il s’est assuré de la confiance des député·e·s avec un vote qu’il était presque certain de gagner tout en écartant la possibilité d’un comité anti-corruption qui aurait sûrement joué en leur défaveur.

Des élections irresponsables

Alors que le pays est frappé de plein fouet par une seconde vague de COVID-19, le déclenchement d’élections anticipées aurait été fort irresponsable de la part de nos représentant·e·s. Il suffit de jeter un coup d’œil à ce qui s’est produit en Colombie-Britannique (CB) pour avoir un avant-goût de ce qui se produirait: cette province qui avait atteint un taux de participation de 61,2% lors des élections provinciales de 2017 s’est retrouvée avec un taux de 35,2% lors de celles du 25 octobre dernier.

En Colombie-Britannique, pour les élections de 2001 à 2017 inclusivement, le taux de participation moyen était de 56,2%. On ne peut donc pas voir la chute radicale de cette année sans l’associer derechef à la situation sanitaire puisque la CB a depuis longtemps un niveau de participation raisonnable. 

Si les député·e·s d’Ottawa avaient fait comme ceux et celles de Victoria et lancé des élections anticipées, ils et elles auraient commis une grave erreur. Déjà que, parmi les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le Canada se situe au 27e rang en matière de participation électorale, des élections anticipées auraient démontré un important manque de sérieux accordé à cet enjeu démocratique. Certes, cela aurait fait le bonheur de quelques abstentionnistes de carrière, mais pour ceux et celles qui considèrent le droit de vote comme un élément central de leur exercice démocratique, un retour précipité aux bureaux de scrutin ne ferait certainement pas l’unanimité.

Un vote de confiance non désiré

C’est dans la foulée de l’affaire UNIS que les conservateur·rice·s ont proposé le 15 octobre la création d’un «comité anti-corruption». Lors de la proposition de sa motion «anti-corruption», le PCC avait spécifiquement précisé que «la création du comité ne [devrait] pas, de l’avis de la Chambre, constituer un motif légitime de déclencher une élection générale». 

Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que les conservateurs écartent cette possibilité. Andrew Scheer avait déjà fait savoir que le PCC ne comptait pas faire de cette question un vote de confiance. «Nous nous efforçons d’aller au fond de ce scandale», avait-il affirmé en juillet. 

En outre, le Nouveau Parti démocratique (NPD) n’aurait aucun intérêt à partir en élections considérant l’état de ses finances, qui étaient catastrophiques à la suite des dernières élections. Un parti qui détient la balance du pouvoir n’oserait jamais se lancer en élections avec une telle dette, ce qui assure quasiment de facto aux libéraux le soutien indéfectible du NPD.

«Le PLC s’est saisi de la lame qui le menaçait et l’a retournée contre ses adversaires politiques»

Des politiques de la corde raide

Le vote de confiance est une guillotine démocratique: lors de moments décisifs, il donne aux partis d’opposition le pouvoir d’actionner la manivelle et de mettre fin au règne d’un gouvernement minoritaire. Le 21 octobre dernier, le gouvernement Trudeau s’est lui-même mis sur le banc des accusés en donnant à la motion conservatrice la valeur d’un vote de confiance. En se mettant dans cette position, le PLC s’est saisi de la lame qui le menaçait et l’a retournée contre ses adversaires politiques: il savait que, peu importe l’issue de ce vote, le PLC allait se trouver en bonne posture pour la suite des choses.

Dans un premier cas de figure, si la chambre déclarait sa «non-confiance», le PLC était en excellente position pour remporter les élections, notamment avec sa gestion généreuse de la crise de la COVID-19 et une prestation canadienne d’urgence (PCU) qui a sauvé plus d’un foyer canadien. Le PLC aurait aussi eu la possibilité de blâmer les autres partis pour avoir déclenché des élections durant l’une des pires crises sanitaires et économiques que le Canada ait connue. 

Autrement, si, comme ce fut le cas, la chambre réaffirmait sa confiance à l’égard du gouvernement, le PLC pourrait continuer à gouverner relativement librement. Encore plus important pour ce parti, cela lui éviterait d’avoir à faire face à une commission d’enquête qui aurait visiblement miné de beaucoup son image, sa crédibilité et son intégrité.

Dans les règles de l’art

En bref, le gouvernement Trudeau a admirablement manié ce couteau à double tranchant qu’est le vote de confiance sans se faire d’égratignure. A‑t-il agi de manière morale en utilisant cet outil visant à sécuriser la démocratie afin d’éviter le pire pour la réputation de son parti? On peut en douter, mais la politique parlementaire reste après tout un jeu dans lequel il y a des équipes, des arbitres et des règles. Et ces règles, aussi imparfaites puissent-elles être, restent après tout les règles. Comme nous le rappellent si bien les juristes, dura lex, sed lex.

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Une tribune pour les francophones https://www.delitfrancais.com/2020/10/27/une-tribune-pour-les-francophones/ Tue, 27 Oct 2020 13:26:46 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=38826 La Déclaration de principes du Délit commence ainsi: «Le Délit, seul journal francophone de l’Université McGill, donne une voix à plus de [7 500] francophones sur le campus.» Si une affirmation aussi idéaliste est agréable à lire et fait belle figure, sa concrétisation est toutefois beaucoup plus complexe. Nous avons le privilège d’être le seul… Lire la suite »Une tribune pour les francophones

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La Déclaration de principes du Délit commence ainsi: «Le Délit, seul journal francophone de l’Université McGill, donne une voix à plus de [7 500] francophones sur le campus.» Si une affirmation aussi idéaliste est agréable à lire et fait belle figure, sa concrétisation est toutefois beaucoup plus complexe.

Nous avons le privilège d’être le seul journal francophone de l’Université, mais ce privilège vient avec une énorme responsabilité. Ce journal doit, en vertu de sa déclaration de principes, donner une voix à la francophonie mcgilloise. Les francophones de McGill forment une communauté extrêmement diversifiée et ne pensent pas comme un bloc monolithique. Ce n’est pas «une voix» que Le Délit doit faire entendre, mais une multitudes de voix qui ne s’entendent pas toujours entre elles. 

En ce sens, nous estimons que Le Délit ne peut pas se permettre d’être un journal dont l’essence serait de promouvoir une seule idéologie. Le Délit est, en quelque sorte, le «diffuseur public» des francophones mcgillois·es financé par l’ensemble de la communauté étudiante, et doit par conséquent être un espace d’expression ouvert à toutes et tous. L’équipe éditoriale du Délit, qui ne pourra jamais être parfaitement représentative de la communauté étudiante dans son ensemble, ne peut pas choisir d’en servir une certaine partie et d’en ignorer une autre parce qu’elle ne partage pas ses opinions. Elle ne peut pas refuser de publier des textes pour la seule et unique raison que ceux-ci ne coïncident pas avec les idéologies de son conseil éditorial.

Il va sans dire que, dans le respect de sa mission, Le Délit doit également travailler à ce que ses pages offrent un espace respectueux et sécuritaire pour toutes et tous. Tout propos haineux ou discriminatoire, à quelque égard que ce soit, ne saurait avoir sa place dans cet espace où la bonne foi est de mise. Le but est d’élever le débat, pas de le miner; de poser des questions, pas d’imposer ses dogmes.

Il doit aussi reconnaître qu’il ne peut pas prétendre représenter toute la communauté étudiante simplement en acceptant tous les textes, car certaines voix ont plus de difficulté à se faire entendre, dans un journal étudiant tout comme dans la société en général. Il doit faire des efforts concrets afin d’aller chercher des textes et des points de vue provenant d’une réelle diversité de contributeurs et de contributrices.

Si Le Délit n’était qu’un journal francophone parmi plusieurs, un tel problème n’aurait pas à s’imposer: dans une institution où une multitude de voix peut s’exprimer à travers une multitude de médias, les journaux de combat sont alors possibles, voire souhaitables. Les étudiant·e·s ne se trouveraient pas limité·e·s, par leur appartenance linguistique, à un seul média. Mais tel n’est pas le cas.

Nous nous devons de donner parole, non pas de prendre position. De ce fait, Le Délit se doit d’offrir une plateforme la moins fermée, la moins dirigée possible, cela afin de respecter sa mission: permettre à la francophonie mcgilloise de s’exprimer.

L’équipe du Délit

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Des felquistes à l’affiche https://www.delitfrancais.com/2020/10/27/des-felquistes-a-laffiche/ Tue, 27 Oct 2020 13:25:19 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=38733 Le Délit a rencontré Flavie Payette-Renouf, co-réalisatrice de la nouvelle série documentaire Le dernier felquiste.

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Le 1er octobre dernier paraissait sur Club Illico une nouvelle série documentaire québécoise: Le dernier felquiste. Dans cette série co-réalisée par Flavie Payette-Renouf, Félix Rose et Eric Piccoli, les journalistes Antoine Robitaille et Dave Noël enquêtent sur le mystérieux meurtre de Mario Bachand, l’un des membres fondateurs du Front de libération du Québec (FLQ). Assassiné par balle dans un appartement parisien le 29 mars 1971, Bachand avait plusieurs ennemis qui auraient pu vouloir sa mort. S’agirait-il d’un règlement de compte interne au sein du FLQ? Serait-ce une élimination stratégique de la Gendarmerie royale du Canada (GRC)? Ou alors une vendetta personnelle contre Bachand?

De cette série où se chevauchent hypothèses, révélations surprenantes et rencontres avec des felquistes notoires, Le Délit a rencontré l’une des réalisatrices: Flavie Payette-Renouf.


Babel Films

Le Délit (LD): Dans quel contexte est apparue l’idée d’une série documentaire sur Mario Bachand?

Flavie Payette-Renouf (FPR): Ça remonte à vraiment loin! Au départ, je m’étais dit que, pour le 45e de la crise d’Octobre, je pourrais faire un documentaire sur l’histoire du FLQ. Je m’étais rendue compte qu’on parlait toujours d’Octobre 70, alors qu’Octobre 70, c’est l’aboutissement de sept ans d’actions violentes, de bombes et de revendications du mouvement terroriste qu’était le FLQ. Donc je me suis dit qu’il y avait vraiment une histoire qui est super importante à connaître et à comprendre. 

J’ai rencontré en 2014 Antoine Robitaille qui, lui, était vraiment obsédé par [la question]: «qui a tué Mario Bachand?». […] [Lorsque j’ai rencontré Félix Rose], on a décidé de fusionner nos projets: lui qui avait déjà fait des pré-entrevues avec le FLQ, qui avait des contacts, qui avait la confiance de certains membres. C’est à ce moment là qu’on s’est dit qu’il fallait faire un genre de true crime à la O.J.: Made in America où on raconte un peu l’histoire du mouvement en cherchant qui a tué Mario Bachand. 

LD: Pourquoi parler encore du FLQ 50 ans plus tard? Quelle est la pertinence d’aborder de nouveau ce mouvement qui a été déjà maintes fois revisité?

FPR: Le FLQ, on ne peut pas dire aujourd’hui qu’ils ont utilisé des moyens qui avaient du bon sens. Ça n’a pas de sens d’utiliser la violence, d’utiliser le terrorisme, c’est critiquable. Mais on ne peut pas juste se dire: «ils l’ont fait out of nowhere». Non, c’est n’est pas out of nowhere. Même si c’est super critiquable, il faut quand même comprendre les raisons, parce que dans toutes sociétés, si on ne comprend pas pourquoi une partie de la population se radicalise, peu importe le sujet pour lequel elle se radicalise, il y a toujours des chances qu’un jour, ça revienne. Que des groupes se sentent opprimés et quils se remettent à tenter d’utiliser la violence pour X raisons. Et donc c’est important de comprendre qu’est-ce qui peut mener des gens à la radicalisation pour éviter que ça se reproduise.

LD: Un documentaire de terrain renferme déjà plusieurs incertitudes, mais une enquête documentaire, ce n’est même plus des incertitudes, c’est carrément des risques! Pourquoi vous êtes-vous lancée dans une aventure aussi hasardeuse?

FPR: Parce que c’est trippant! C’est trippant de parler à ces gens-là. Quand on est allés en France, il y avait quelque chose de très émouvant de se dire que ça fait trois ans que l’on parle de Pierre Barral, Françoise Laville, de ces gens qui ont connu Bachand et d’avoir la chance de les rencontrer. Ce sont des témoins historiques super importants!

Ce qu’on a fait, c’est qu’on s’est assurés au fil du temps de prendre contact avec ces gens-là et d’essayer d’avoir quelques pistes qui nous ont permis de convaincre TVA et Club Illico qu’il y allait avoir des gens qui allaient nous parler et qu’on allait avoir de la matière. C’est sûr qu’il y avait un risque, […] mais on parle quand même au témoin numéro un dans un appel téléphonique vraiment longtemps! Jamais on a pensé que ça arriverait. On était sûrs qu’il allait raccrocher. Mais comme c’était Félix, le fils de Paul Rose, il s’est confié. Il y avait plein de belles surprises comme ça qui sont arrivées en cours de route. […] Finalement, on a été chanceux, on a pas mal eu le best case scenario.

LD: On peut remarquer que la série est surtout centrée autour de «personnages» masculins. Connaissant votre implication au sein de la lutte féministe, qu’avez-vous pensé de cet environnement presque exclusivement masculin? 

FPR: En fait, on n’a pas mis les femmes de côté: ce mouvement-là a mis les femmes de côté. Dans les membres du FLQ, il y a eu Michèle Duclos qui a voulu mettre des bombes à New-York, les fameuses dynamites avec les Black Panthers, elle a voulu faire sauter la statue de la Liberté. [rire, ndlr] Elle nous a dit qu’elle ne voulait pas nous parler parce qu’elle était rendue une haute fonctionnaire et qu’elle voulait oublier cette partie-là de sa vie.

Moi, j’essaie toujours d’y penser, de me demander: «Bon, y a‑t-il une autre femme [à qui nous pourrions parler]?» J’ai rencontré des femmes, j’ai parlé à des femmes qui tournaient un peu autour du mouvement, mais tout ce qu’elles me disaient, c’était: «C’était un mouvement macho. C’était un mouvement qui ne faisait pas de place aux femmes. On s’est senties mises de côté.» […] Les quelques-unes qui auraient pu nous parler du FLQ en gardent de très mauvais souvenirs et ont vraiment l’impression qu’elles ont été tassées.

LD: Notre dernière question pour vous est la suivante: Flavie Payette-Renouf, avez-vous résolu le mystère entourant le meurtre de Mario Bachand?

FPR: Dans la vraie vie de société démocratique, il faudrait qu’il y ait une accusation formelle pour dire qu’il y a un meurtrier. Mais moi, en mon âme et conscience, je pense que je sais qui l’a fait. Est-ce que j’ai tous les motifs, toutes les raisons? Je crois avoir des pistes de réponses que l’on donne dans la série, mais après ça il restera toujours un petit peu de mystère. Parce que tant que personne ne fera d’aveu formel, il restera toujours une partie irrésolue. Mais je pense qu’on a quand même assez de clés pour avoir une bonne idée de ce qui s’est passé! 


Flavie Payette-Renouf travaille actuellement sur une série intitulée Avant après sur Savoir média dans laquelle l’équipe retrace des pans de l’histoire à partir de photographies. Elle nous a également mentionné qu’elle travaillait encore avec Dave Noël et Antoine Robitaille et qu’ils planifient une suite. «C’est pas la dernière fois que vous allez nous voir», nous a‑t-elle lancé en riant. 

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Agora étudiante : pour ou contre l’écriture inclusive? https://www.delitfrancais.com/2020/10/13/agora-etudiante-pour-ou-contre-lecriture-inclusive/ Tue, 13 Oct 2020 13:15:33 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=38143 Huit étudiantes et étudiants prennent position sur l'écriture inclusive.

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Note sur la forme

Dans le cadre de cette édition spéciale portant sur l’écriture inclusive, nous nous sommes questionnés sur la meilleure formule à employer pour aborder cet enjeu. Selon sa déclaration de principes, Le Délit doit  «donner une voix» aux 7 589 francophones de McGill. À cette prémisse s’ajoute également le devoir d’encourager «le dialogue et l’expression de points de vue différents dans un contexte de respect et de reconnaissance des droits individuels et collectifs et de non-discrimination».

Comme l’agora dans les cités-États grecques, ce journal devrait être un espace où chacun et chacune pourrait exprimer librement son point de vue, sans discrimination à l’égard des opinions défendues. C’est donc pour cette raison que nous avons opté pour une formule qui permettrait la dissidence et la pluralité des points de vue. Dans cette «agora» où huit personnes sont intervenues, trois textes sont en faveur de l’écriture inclusive, trois sont en désaccord avec et deux restent en retrait, dans la zone du «ni pour, ni contre».

Ce format n’est bien sûr pas parfait: la brièveté des textes, nécessaire pour rendre possible la parution d’autant d’opinions différentes au sein d’une même édition, ne permet pas de détailler en profondeur une prise position sur l’enjeu abordé. En ce sens, il est fort possible que certaines interventions laissent le lecteur et la lectrice sur leur faim. Alors, rien ne l’empêchera de nous contacter afin de faire paraître une lettre en guise de réponse, que ce soit à un texte en particulier, à l’ensemble d’un camp ou à tous autres aspects de l’agora. Après tout, cette agora n’est pas une finalité, mais bien un simple extrait d’un discours plus grand que cette menue édition.

Gali Bonin et Rafael Miró


Les textes

Le mythe du masculin comme genre neutre

Raphaëlle Décloître

On entend parfois que la langue française n’aurait pas besoin de l’écriture inclusive (que l’on perçoit souvent, et à tort, comme une féminisation de la langue) dans la mesure où le masculin pourrait faire office de genre neutre – ce qu’on appelle le masculin générique. D’une part, la langue française ne possède pas de neutre à proprement parler : dans le passage du latin au français, le neutre (un troisième genre, distinct du masculin et du féminin) s’est progressivement fondu dans le masculin, auquel il ressemblait relativement. Le masculin, depuis le bas latin, est donc pleinement un masculin. 

***

D’autre part, la valeur de neutralité du masculin n’est tenable qu’en contexte pluriel puisqu’au singulier, le genre suit le sexe dans la désignation d’une personne particulière. La pratique du générique pluriel peut toutefois introduire une confusion, comme le souligne l’OQLF: face à une appellation de personnes au masculin, il faut faire un effort de décodage supplémentaire pour déterminer s’il s’agit d’un masculin générique (censé désigner aussi les femmes) ou d’un masculin à valeur spécifique ne désignant que les hommes. 

***

Au-delà de la marge d’erreur, il va sans dire qu’à l’heure d’une lutte accrue en faveur de l’égalité, l’emploi du masculin pluriel à valeur neutre n’est pas souhaitable : le genre grammatical affecte l’interprétation du discours, de sorte qu’étendre en toutes circonstances le «cas non marqué» est une maladresse sociale. Le masculin, même générique, reste un masculin, et son emploi ne neutralise pas la langue. En outre, les causes de sa prévalence (soutenue, sans surprise, par la réactionnaire Académie française) ne trompent personne : le masculin serait le «genre noble» et les femmes devraient être honorées de s’y ranger, car le pouvoir qu’elles ont acquis «se dit grammaticalement au masculin». Les femmes seraient donc effacées ou promues par le masculin — c’est bien le cas de le dire: il n’y a rien de neutre dans cette logique. 

Délire idéologique, dédale grammatical

Ana Popa

À l’école primaire, on m’a appris que «le masculin l’emporte sur le féminin».
On m’y a aussi appris qu’une blanche vaut deux noires. La musique serait-elle vecteur de racisme?

***

Le fait même qu’une personne puisse être contre l’écriture dite «inclusive» en choque visiblement certains. Cette prise de position ne revêt pas d’un manque de tolérance, mais d’un refus de céder à la fantaisie bien-pensante voulant que la langue française marginalise, invisibilise qui que ce soit et que la féminisation abusive des mots pourrait changer les mentalités en faveur des femmes. 

***

«Le masculin l’emporte sur le féminin.» Voilà d’où semble partir cette lubie. On nous a martelé pendant de longues années qu’en français, il y a deux genres, le masculin et le féminin, et qu’au pluriel, c’est toujours le masculin qui l’emporte. Or, il existerait un troisième genre: le neutre. 

***

Si je vous dis que dans ma chambre, «il fait froid», je ne vous parle évidemment pas d’un homme qui serait venu baisser le thermostat. Ce «il» impersonnel n’appartient pas au genre masculin, mais plutôt au genre neutre. Il en va de même pour un pluriel à la suite d’une énumération combinant des éléments féminins et masculins: ce «masculin» qui dérange tant serait en fait neutre. La neutralité nous convient-elle ou tenons-nous absolument à être spécial‑e? 

***

L’écriture inclusive n’a rien d’inclusif. Telle qu’employée le plus communément, elle exclut les personnes qui ne s’identifient ni au genre masculin ni au genre féminin. Elle constitue également, de par sa graphie tronquée, une entrave à la lecture de personnes atteintes de dyslexie ou de divers troubles cognitifs et rend généralement les textes inaccessibles par l’écoute pour les personnes non voyantes. 

***

On se plaît à s’autoproclamer woke, à dénoncer sans discernement, à se féliciter d’avoir accompli quelque exploit imaginaire. Face à l’iniquité, la langue peut être une arme précieuse.  
Utilisons-la à meilleur escient.

Les anonymes dans la foule

Elissa Kayal

Bien que je ne sois pas activement contre l’écriture inclusive et que je comprenne sa valeur de contrepoids historique, je ne lui accorde pas autant d’importance que la grande majorité des personnes qui la revendiquent. L’inclusivité langagière est nécessaire, mais je crois qu’elle est faussement appliquée dans sa forme actuelle. Un groupe nominal collectif, selon moi, n’a pas le mandat de représenter une entité ou une individualité sociale: il se doit d’exister dans sa généralité la plus simple et évidente, de transmettre clairement le signifié qu’il porte. Un groupe nominal collectif, d’ailleurs, ne pourra jamais être entièrement inclusif. 

***

Pour cette raison, il m’importe peu qu’il soit masculin ou féminin, tant et aussi longtemps que le sens véhiculé n’est pas encombré — ce qui peut arriver, surtout dans des textes scientifiques ou philosophiques dont la lecture est déjà assez ardue. Certaines stratégies d’écriture inclusive, moins invasives, répondent mieux à cette tâche bien pragmatique.

***

Le plus grand danger encore, c’est de penser que l’enjeu de l’inclusivité langagière se résume simplement à une histoire d’écriture inclusive grammaticale. Personnellement, le seul plaisir que me procurent «le·la spectateur·rice» ou «les étudiant·e·s» est le fait que l’on sait toujours accorder nos groupes nominaux et nos participes passés. L’écriture inclusive est inclusive seulement dans le sens qu’elle répond à un sexisme historique: au-delà de cette perspective, pratiquement, elle n’est qu’inclusivité de décor. Aujourd’hui, il ne suffit pas d’ajouter des points et des e, des spectatrices et des étudiantes dans une foule anonyme. Parlons de femmes, parlons d’individus, nommons-les.

L’écriture végane

Béatrice Gaudet

L’écriture inclusive, c’est comme le véganisme. Quelque publications sur Instagram rassurent les gens qu’il vaut mieux qu’on soit plusieurs véganes imparfait·e·s que seulement quelques véganes irréprochables. C’est mon cas: je suis loin de toujours utiliser l’écriture inclusive. J’ai commencé à l’utiliser dans un travail que personne ne lirait sauf le professeur. Ensuite, je l’ai utilisée dans mes textos, avec des ami·e·s qui savaient déjà c’était quoi. Maintenant, je l’utilise dans mes stories Instagram, dans mes travaux, et quand je parle. Certaines personnes avec qui j’en ai parlé m’ont dit qu’iels n’aimaient pas ça, que ça alourdissait les phrases, que ce n’était pas naturel. Pourtant, ces mêmes personnes ont appris l’orthographe française, qui comporte elle aussi son lot de lettres apparemment inutiles et superflues. C’est sûr que c’est dur de dire «iel·s» à voix haute; je ne me sens pas mal de lui préférer le «y» québécois. L’important c’est d’essayer, même si ce n’est pas parfait. 

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L’écriture inclusive, c’est comme le véganisme. Il y a des malaises, comme la première fois que tu dis à ton grand-père que tu ne mangeras pas de steak ce dimanche ou que tu remets un travail à un·e professeur·e qui dit «l’homme avec un grand H» dans ses cours. Mais tu peux toujours revenir en arrière, boire un peu de lait de vache dans ton café ou oublier de dire «celles et ceux» pendant une semaine. C’est normal de se donner du lousse parce qu’on se sent paresseux·ses. Il faut choisir ses batailles.

***

J’ai lu mon premier livre rédigé en écriture inclusive cet été. Après avoir lu l’introduction, j’étais fatiguée mentalement. Moi, une personne déjà vendue à la cause depuis longtemps, je trouvais que les terminaisons féminines et les nouveaux pronoms freinaient ma lecture. Le lendemain, j’ai commencé le premier chapitre. Au final, c’était juste l’introduction qui était plate, écriture inclusive ou pas. Au fil des pages, l’orthographe s’est effacée pour laisser place au message du texte. La seule chose qui ne s’est pas effacée, c’est la présence des femmes.

L’écriture exclusive

Gabriel Carrère

La vocation de la langue n’est pas de représenter, et encore moins d’être politique, mais de permettre de s’exprimer. C’est donc un outil, dont le premier objectif est d’être efficace, lisible et compréhensible: dans toutes les langues, les mots les plus couramment utilisés («oui», «merci») ont tendance à être courts et facilement prononçables. Ce qui compte avec un outil, c’est l’utilisation qu’on en fait: la phrase «les hommes et les femmes sont égaux», bien qu’écrite au genre neutre, n’est pas sexiste. Faire un procès en sexisme aux règles d’accord classiques est un peu facile. 

***

Il existe donc en français un genre neutre: dans le cas d’un groupe de genres divers, par commodité, on écrit au plus court — c’est-à-dire au genre neutre, qui prend la forme du masculin. On reproche à ce genre d’être «invisibilisant» pour les femmes. En réalité, il l’est pour tout le monde! Car, bien souvent, le genre des sujets d’une phrase nous importe peu. La phrase «les Montréalais sont accueillants» n’a pas pour autre objet que de louer l’hospitalité des habitants de Montréal. Et, sans effort, le lecteur comprend que la phrase désigne toute personne s’identifiant comme Montréalaise. Surcharger la phrase de points médians n’apporterait donc rien, et rendrait la lecture indigeste. Le genre neutre est exhaustif: il englobe tout, là où l’écriture inclusive exclut et crée une dichotomie entre masculin et féminin. Quid des identités de genre plurielles?

***

C’est, enfin, une mesure qui complexifie une langue française déjà mal maîtrisée: en France, le classement PISA pointe du doigt l’inquiétant niveau de français des élèves de primaire, en baisse constante depuis 30 ans, et ce, particulièrement au sein des milieux les plus modestes. En imposant l’écriture inclusive dans la langue, les militants de cette cause ajoutent un peu plus à la discrimination culturelle subie par les milieux les moins favorisés. Et que dire de l’impact de ces néologismes sur les personnes atteintes de dyslexie, ou malvoyantes? L’écriture inclusive, alors qu’elle est défendue par la gauche (universitaire et bourgeoise, certes), exclut donc en ce sens les plus vulnérables.

Toutes les écritures inclusives ne se valent pas

Rafael Miró

Il est indéniable, à mon avis, que la langue française, tel qu’elle a évolué depuis le 17e siècle, invisibilise les femmes et les personnes de genre non conforme. Il est également indéniable que l’écriture inclusive, comme toute modification linguistique, n’est pas sans conséquence, puisqu’elle rend l’usage et l’écriture de la langue plus compliqués et, par là même, moins accessible.

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Un très grand nombre de stratégies d’écriture inclusive ont été développées depuis les années 1970, surtout au Québec où l’on a longtemps été à l’avant-garde de cette réflexion. Certaines sont moins invasives et rébarbatives que d’autres. Par exemple, pour parler des spectateurs d’un concert en évitant la règle du masculin qui l’emporte, on peut utiliser «les spectateurs et les spectatrices», «les spectateurs(rices)», «les spectateurs-rices» ou tout simplement dire «le public». Ces formes ont l’avantage d’être faciles à apprendre et à lire pour tout le monde, même pour celles et ceux qui ont quitté les bancs d’école depuis longtemps. 

***

Depuis quelques années, la forme utilisant les points médians s’est implantée en France, où la plupart des gens viennent d’être initiés à l’enjeu de l’écriture inclusive; elle tend désormais à s’importer au Québec. Or, parmi toutes les formes d’écriture inclusive qui existent, celle-ci est l’une des plus difficiles à bien utiliser, et, très franchement, l’une des moins esthétiques. Puisqu’elle prend la forme d’une nouvelle règle grammaticale, elle a tendance à être utilisée de manière intégrale et sans compromis, c’est-à-dire que les adjectifs (égaux·les) les déterminants (le·a) les pronoms (ceux·celles-là) et même les participes-passé-employés-avec‑l’auxiliaire-avoir-mais-placés-devant-le-complément-direct doivent toujours être «médiantés», ce qui n’est pas sans difficulté pour les non-initiés.

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Cette forme n’est pas nécessairement plus inclusive que les autres. Il est cependant certainement plus difficile d’apprendre à l’écrire et à la lire. Outre le simple désagrément, qui finit bien par s’estomper avec le temps, cette complexification inutilement élevée de la langue contribue à rendre le français et son orthographe encore plus élitistes et inaccessibles qu’ils ne le sont déjà. Rappelons-nous qu’en dehors de notre bulle universitaire, près de la moitié des personnes au Québec éprouvent des difficultés à lire ou à écrire. Si l’on veut généraliser l’usage de l’écriture inclusive et vraiment mettre fin à l’invisibilisation de la femme dans la langue française, il faudrait penser à la garder le plus simple possible, afin de véritablement inclure tous les membres de notre société.

Des jugesses et des autrices

Laurence Casavant-Nault

Jugesse, médecine, archière : aujourd’hui tous considérés comme vieillis, ces mots désignaient pourtant des femmes exerçant la profession de juge, médecin et archer entre les 12e et 15e siècles. L’exclusion subséquente des femmes de la scène professionnelle publique a mené à la modification du sens même de la version féminine d’un métier afin qu’elle ne désigne que la femme de celui qui exerce.   

***

Avec l’inclusion des femmes au sein de divers métiers qui leur étaient autrefois hors d’atteinte, on a assimilé dans de nombreux cas le féminin d’un emploi à son masculin générique. Lors de la dernière décennie, la France s’est divisée quant à l’expression « Madame le ministre », puisque le langage commun voulait que « Madame la ministre » fasse uniquement référence à l’épouse d’un ministre: hors de vue l’idée qu’une femme occupe une telle position! L’Académie française a finalement consenti en 2019 à tolérer l’emploi du féminin pour les noms de métiers, cinq ans seulement après avoir qualifié cette proposition de «véritable barbarisme» et de «péril mortel pour la langue française». Le masculin qu’on dit aujourd’hui «neutre» a aussi servi à discriminer les femmes: en 1915, la Cour d’appel du Québec rejette la demande d’une Mme Langstaff désirant passer les examens du Barreau sous prétexte que le terme «avocat» exclut la femme de facto. 

***

La langue française s’est souvent montrée intraitable en ce qui concerne toute modernisation: depuis quatre siècles, l’Académie française se pose en véritable cerbère de sa précieuse orthographe. Pourtant, les changements apportés par les Immortels à la langue de Molière via les éditions ponctuelles de son dictionnaire visent à mettre fin à une anomalie, à une incohérence, ou, simplement, à une hésitation. Ne serait-il donc pas cohérent que le langage exprime avec justesse la réalité moderne où la femme est tout aussi apte que l’homme à être désignée par le terme auteur? L’utilisation d’autrice vient ici mettre fin à l’hésitation (auteur ou femme-auteur?) avant même qu’elle naisse, simplifiant effectivement la langue tel que le veut le mandat de l’Académie.

***

Bien que le masculin générique demeure toujours la règle d’accord en ce qui a trait à un groupe mixte, désigner une femme par son titre contribue à raffermir sa place en tant qu’être distinct: non plus un professeur qui s’avère ne pas être un homme, mais bien une professeure évidemment femme. Le langage étant l’artisan de nos pensées, c’est avec une simple féminisation de ces termes réappropriés que l’on affirme la légitimité de la femme sur la scène publique via une langue qui a trop souvent occulté ce deuxième sexe.

Dénaturer la langue

Marie de Santis

Depuis toute petite, j’ai développé un grand amour envers le français, principalement en dévorant des classiques. J’ai pu m’extasier devant les soliloques de Proust, le lyrisme de Hugo et la prose lancinante de Duras. En plus d’apprendre bien des choses fondamentales, j’ai pu constater la richesse de la langue française, de sa grammaire, de son vocabulaire et de ses attributs. Il s’agit d’une plateforme tellement riche, expressive et somptueuse, mais qui demeure suffisamment stricte dans ses règles pour assurer un niveau de sophistication extraordinaire qui la rend unique. 

***

Alors que je participais au Prix littéraire des collégiens en 2019, il m’a été donné de lire un ouvrage rédigé à l’aide d’écriture inclusive, Querelle de Roberval. Bien que j’appréciais l’intrigue, la construction générale du roman et sa qualité stylistique, j’étais systématiquement et brutalement coupée du caractère agréable de l’expérience par les apparitions sournoises du point médian. Cela conférait à l’ouvrage un air de texte administratif, réduisait sa fluidité et lui apportait une lourdeur non nécessaire. En tant que lectrice féminine, je me suis sentie bien plus irritée qu’incluse. 

***

Le français est une langue musicale : scinder des mots avec des outils de ponctuation censés servir à toute autre chose réduit son esthétisme de manière draconienne. De façon plus importante, le français est une langue fondamentalement intelligente : on commet une grave erreur en ignorant que les mots, bien que dotés d’une personnalité grammaticale féminine ou masculine, restent sémantiquement neutres. Sacrifier la latitude créative et tout le potentiel qu’elle génère au profit d’un politiquement correct servant à nettoyer la langue d’un supposé sexisme qui ne lui est en aucun cas inhérent me paraît être désastreux pour le milieu littéraire, et pour le bien-être de notre langue en tant que tel.

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L’opinion étudiante: Course à la chefferie du PQ https://www.delitfrancais.com/2020/10/06/lopinion-etudiante-course-a-la-chefferie-du-pq/ Tue, 06 Oct 2020 13:58:46 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=37913 Le Délit a rencontré dix jeunes souverainistes pour discuter de l’avenir du Parti Québécois.

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Du 5 au 9 octobre, les membres du Parti Québécois (PQ) seront appelé·e·s à compléter la saga qu’ils ont entamée le 1er février dernier. Huit mois après le début de cette course à la chefferie, les péquistes devront choisir qui, de Sylvain Gaudreault, Guy Nantel, Paul Saint-Pierre Plamondon (PSPP) et Frédéric Bastien, deviendra le 10e chef de leur formation politique.

Lors des élections générales québécoises de 2018, le PQ a subi, exactement 50 ans après sa création, sa plus lourde défaite électorale avec 17,06 % des voix exprimées. Avec ses 10 sièges obtenus, le PQ de Jean-François Lisée a emmené le parti à son plus bas depuis l’élection du gouvernement Lévesque en 1976. Nul besoin de préciser que les défis à relever par le prochain chef seront de taille.

Une des grandes difficultés à laquelle fait face le PQ reste l’inclusion des jeunes, tant dans leur plateforme que dans leur équipe. Un an avant les élections de 2018, Paul St-Pierre Plamondon avait lui-même affirmé que le PQ était devenu «un parti figé, conservateur et vieillissant». Afin de vérifier cette assertion, Le Délit est allé à la rencontre de dix jeunes étudiant·e·s souverainistes des quatre coins du Québec: François Gervais (cégep Lionel-Groulx), Jacques Martin (McGill), Marie-Laurence Desgagné (McGill), Gabrielle Gagnon (Université de Sherbrooke), Vincent Vallée (UQAM), Adèle Blanchard (McGill), Louis Favreau (McGill), Gabrielle Desjardins (Université du Québec en Outaouis), Mohammad-Afaaq Mansoor (McGill) et Jean-Simon Gagné-Nepton (Université du Québec à Chicoutimi).

Tous et toutes membres ou anciennement membres du parti, ils nous ont expliqué leur choix, leur réflexions et leur impressions sur ces quatre candidats.

Les quatre candidats

Image tirée de Wikimedia

Sylvain Gaudreault

Expérience politique
· Député depuis 2008
· Ancien ministre
· Chef intérimaire pendant huit mois en 2016

Une bonne raison de voter pour lui
«Il renoue avec l’audace que le Parti Québécois avait auparavant.» – Vincent Vallée

Une bonne raison de ne PAS voter pour lui
«En élisant Sylvain Gaudreault, c’est comme si on choisissait de faire mourir le PQ dans la dignité» – François Gervais


Image tirée de Wikimedia

Guy Nantel

Expérience politique
· Se renseigne et suit la politique depuis longtemps (blagues à l’appui)
· A écrit l’essai politique Je me souviens… de rien (2017)

Une bonne raison de voter pour lui
«Bien entouré, avec un bon cabinet, ça ferait changement des politiciens de carrière.» – Louis Favreau

Une bonne raison de ne PAS voter pour lui
«Il n’a pas voulu donner tout son temps à la chefferie […] je pense que ça démontre un manque de sérieux.» – Mohammad-Afaaq Mansoor


Image tirée de Wikimédia

Paul St-Pierre Plamondon

Expérience politique
· S’est présenté dans Prévost en 2018, mais a perdu
· S’implique activement dans la sphère politique depuis 2007 avec l’organisme Génération d’idées
· Défait lors de la course à la chefferie du PQ en 2016

Une bonne raison de voter pour lui
«C’est à peu près le seul candidat qui a fait des propositions féministes. […] En tant que féministe, je trouve que ça en dit beaucoup sur sa personnalité.» – Gabrielle Gagnon

Une bonne raison de ne PAS voter pour lui
«Il est charismatique, mais il n’apporte pas vraiment d’idées originales: sa campagne est centrée sur sa personne.» – Un militant de Gaudreault


Image tirée

Frédéric Bastien

Expérience politique
· Il a écrit plusieurs ouvrages sur l’histoire et la politique du Québec

Une bonne raison de voter pour lui
«Il apporte des idées originales.» – Une militante du PQ

Une bonne raison de ne PAS voter pour lui
«Souvent les gens disent qu’il y a des candidats pour lesquels ils ne voteraient vraiment pas. Évidemment, Frédéric Bastien revient souvent.» – Jean-Simon Gagné Nepton

Si la tendance se maintient…

Chez les jeunes indépendantistes que nous avons rencontré·e·s, une tendance claire se dessine: Paul St-Pierre Plamondon et Sylvain Gaudreault font chaude lutte pour avoir leur appui, tandis que Nantel et Bastien ne reçoivent presque aucun appui de leur part. 

C’est Sylvain Gaudreault, le député actuel de la circonscription Jonquière, qui a recueilli le plus d’appui parmi les jeunes que nous avons consulté·e·s. Pourtant, c’est loin d’être un nouveau venu dans l’arène politique: il siège à l’Assemblée nationale depuis 2008, a déjà été ministre sous le gouvernement Marois, en plus d’avoir été chef par intérim pendant six mois, après le départ de Pierre-Karl Péladeau en 2016. Depuis l’annonce de sa candidature, il fait campagne en tentant de séduire l’aile gauche du parti avec son programme qui se veut résolument environnementaliste. Ce qui motiverait sa conviction indépendantiste serait de créer «un pays vert à l’ONU» et de rendre le Québec carboneutre d’ici 2050. 

«C’est comme si l’on choisissait de faire mourir le PQ dans la dignité»

Plusieurs jeunes louent l’écoute et le caractère sympathique de M. Gaudreault, qui se serait beaucoup investi dans les dernières années pour aider l’aile jeunesse du parti. Par contre, on lui reproche de ne pas avoir apporté beaucoup de nouveauté au PQ. On lui reproche entre autre d’appartenir à une vieille garde qui n’arrive plus à attirer l’électorat. Surtout, selon certain·e·s, il manquerait de charisme et aurait de la difficulté à attirer l’attention des médias. «En élisant Sylvain Gaudreault, c’est comme si l’on choisissait de faire mourir le PQ dans la dignité», analyse François Gervais, un militant qui voit d’un mauvais œil qu’un membre de l’establishment revienne à la tête du parti.

Même si le programme de Sylvain Gaudreault semble très populaire, de nombreuses personnes lui préfèrent Paul St-Pierre Plamondon, un jeune avocat qui n’a jamais été député pour le parti et qui serait, au dire de plusieurs, plus charismatique. «Sylvain Gaudreault a quand même son côté sympathique, il arrive à bien rejoindre les militants du parti, mais c’est PSPP qui, dans l’ère médiatique, paraît le mieux: il est plus jeune, il a une famille, il s’exprime bien», estime Mohammad-Afaaq Mansoor, un militant péquiste. Même ceux qui militent pour Sylvain Gaudreault le reconnaissent: Plamondon a réussi à prendre bien plus de place dans les médias et surtout sur les réseaux sociaux.

PSPP a beau ne pas avoir été élu député, il n’en est pas à sa première implication au parti. En 2016, il s’était présenté une première fois pour être chef du parti, mais avait fini avec une maigre quatrième place. Il est par la suite devenu conseiller spécial auprès de Jean-François Lisée et a lancé la consultation Oser repenser le PQ, qui avait été présentée comme un «grand rajeunissement du Parti Québécois». Au cours de la campagne, PSPP s’est défini comme social-démocrate, tout en affirmant l’importance de considérer l’indépendance comme un enjeu transcendant les conflits entre la gauche et la droite. 

Deux candidats qui tirent de l’arrière

Quant aux deux autres candidats, Frédéric Bastien et Guy Nantel, aucun·e des jeunes que nous avons rencontré·e·s ne prévoyait leur accorder leur vote, même si quelques-un·e·s ont dit apprécier les idées que ces derniers apportent.

Le discours de Frédéric Bastien, un historien qui a écrit plusieurs livres sur l’histoire récente du Québec, est jugé trop axé sur l’identité par plusieurs jeunes qui voudraient que le nationalisme du PQ soit davantage un nationalisme d’ouverture. Sa proposition de réduire les seuils d’immigration à 20 000 contraste avec celle des autres candidats et fait dire à certain·e·s qu’il tente de séduire un électorat péquiste plus à droite que celui que représentent les jeunes. Toutefois, ses diatribes contre le Canada et le multiculturalisme (et contre la Faculté de droit de McGill) semblent plaire à une partie de l’électorat péquiste. «Bastien s’est en quelque sorte bâti un récit d’opposition avec le Canada, mais ce récit-là n’est pas toujours ancré dans la réalité», nous explique une militante. Frédéric Bastien a bâti sa campagne en partie sur la promesse de contester la constitution canadienne, dans l’espoir avoué que les confrontations avec le fédéral qui s’en suivraient fassent monter le «Oui» dans les sondages.

«Il tente de séduire un électorat péquiste plus à droite que celui que représentent les jeunes»

Même pour ceux et celles qui adhèrent en partie ou en totalité aux idées de M. Bastien, il subsiste un doute quant à sa capacité à réunir l’ensemble de l’électorat. Plusieurs nous ont souligné que le PQ a historiquement été perçu comme une «grande coalition» entre les souverainistes de gauche et de droite. Certain·e·s craignent que le candidat pousse encore plus de souverainistes de gauche à s’en aller vers Québec Solidaire avec son discours à caractère très identitaire. 

Certain·e·s notent tout de même que Bastien a causé une relative surprise en étant capable d’aller chercher les donations et les signatures nécessaires. «Je ne sais pas si Frédéric Bastien devrait devenir chef du Parti Québécois, mais il a clairement sa place dans la course, puisqu’il représente une frange importante du parti qui n’est toujours pas considérée par l’establishment», croit François Gervais, un militant qui optera plutôt pour PSPP. 

L’humoriste Guy Nantel, qui semblait dominer au début de la course, n’a pas donné l’impression d’être un candidat crédible. Certain·e·s ne se sont pas gêné·e·s pour le qualifier de populiste, en raison de son programme vague, mais aussi à cause de son attitude face à la course, autant à cause des débats houleux qu’à cause de son refus de laisser de côté sa carrière d’humoriste. «Ce qui est bon pour un humoriste, ça ne l’est pas nécessairement pour un politicien. Guy Nantel n’est pas, selon moi, la bonne personne pour faire de la politique», croit Mohammad-Afaaq Mansoor.

La pertinence du PQ remise en cause

Sur les dix jeunes souverainistes que nous avons rencontré·e·s, deux ont quitté le parti au cours des dernières années et ne voteront donc pas pour un nouveau chef. 

«L’avenir du PQ devrait être un avenir féminin»

Pour Adèle Blanchard, ancienne partisane du PQ et nouvellement membre de QS, le choix était assez clair: «L’avenir du PQ devrait être un avenir féminin.» Effectivement, les quatre candidats à la chefferie sont tous des hommes, rappelant que la politique reste encore, pour reprendre l’expression de Pauline Marois, un boys club dans lequel les femmes n’arrivent pas à trouver leur voix. «Je trouve ça vraiment décevant et plate qu’il n’y ait aucune femme qui se présente. […] Le PQ aurait plus de chance de recommencer à se démarquer avec une voix féminine.» 

Outre ce manque d’inclusion, c’est surtout le manque de clarté dans la ligne directrice du parti qui est largement critiqué. Selon Jean-Simon Gagné-Nepton, un ancien membre du parti, «le PQ a brûlé toutes [ses] cartes». Sur la question de l’indépendance, il estime que le parti s’est historiquement mis à dos à la fois les factions souverainistes de gauche et de droite, ce qui expliquerait, entre autres choses, les gains considérables qu’a réalisés QS lors des dernières élections. «Le Parti Québécois, [ses]campagnes électorales sont à gauche et ensuite il gouverne à droite. C’est parce qu’ils veulent contenter tout le monde», analyse le natif de Chicoutimi. Le PQ s’étant trop institutionnalisé, il considère que cette formation n’a plus du tout sa place dans la sphère politique contemporaine. «Pour moi, la pertinence du parti, au-delà du fait qu’il est indépendantiste, c’est fini.»

Plus modéré et encore indécis, Mohammad-Afaaq Mansoor, membre du PQ, comprend la situation tendue dans laquelle se trouve le parti. Il sait qu’avec l’apparition de QS dans la sphère indépendantiste, le PQ perd son statut d’unique parti souverainiste, mais considère tout de même qu’il a sa place et sa pertinence en 2020. «Le mouvement souverainiste ne peut pas survivre en étant divisé entre des péquistes et des solidaires», conclut-il. Sans forcément vouloir éliminer un parti ou un autre, Mohammad estime que les chances d’indépendance résident dans l’union: «Il faut arrêter de dire que le PQ et Québec Solidaire doivent se fusionner. Il faut dire que ce sont les souverainistes qui doivent fusionner sous un nouveau véhicule.»

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Des records fracassants pour Damso https://www.delitfrancais.com/2020/09/29/des-records-fracassants-pour-damso/ Tue, 29 Sep 2020 13:04:50 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=37605 Le nouvel album QALF du rappeur belgo-congolais le hisse de nouveau au sommet des palmarès.

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Mise en garde : cet article contient des divulgâcheries concernant l’album QALF de Damso.

Le 18 septembre dernier sortait l’album QALF du rappeur belgo-congolais Damso. Première parution depuis son album Lithopédion il y a deux ans, ce projet a pour titre l’acronyme de l’expression « Qui Aime Like Follow », une phrase reprise dans plusieurs morceaux de l’artiste. 

À travers les 45 minutes et cinq secondes de l’album, on peut être surpris d’entendre d’autres voix que celle de Damso. Par le passé, le rappeur ne faisait que très rarement des featurings, soit un avec Youri Botterman sur « I. Peur d’être père » (Ipséité)  et un avec Angèle sur « Silence » (Lithopédion). Cette fois-ci, Damso partage à trois reprises ses chansons avec le rappeur belgo-marocain Hamza (« BXL ZOO »), la chanteuse belgo-congolaise Lous and the Yakuza (« COEUR EN MIETTE ») et le chanteur congolais Fally Ipupa (« FAIS ÇA BIEN »). 

Réception exceptionnelle

Si le rap a longtemps été considéré comme un genre mineur et secondaire, nous sommes aujourd’hui obligé·e·s de reconnaître qu’il est sorti de l’ombre. En 2019, le rappeur américain Post Malone a été l’artiste ayant cumulé le plus d’écoute en continu sur spotify, tandis que le rappeur torontois Drake a été sacré artiste le plus écouté de la décennie par la même plateforme. 

Cet engouement pour le rap est d’autant plus remarquable en France où, toujours en 2019, les dix artistes les plus écoutés du pays étaient tous des rappeurs. Sur cette liste, Damso s’est glissé au 8e rang sans même sortir d’album cette année-là. L’impressionnante popularité de QALF laisse présager une montée fulgurante de son créateur dans ces listes d’écoute en continu : dans les 24 heures qui ont suivi la sortie du projet, ce dernier a généré plus de 11 millions d’écoutes.

Une première écoute décevante

Malgré ces chiffres époustouflants, je dois admettre que la première écoute de l’album est difficile. Connaissant Damso, on pourrait s’attendre à un style « sale » et « nwaar ». Toutefois, on avait pu entendre dans Ipséité et encore plus dans Lithopédion un adoucissement des propos. Pour en être convaincu, il suffit d’écouter une à la suite de l’autre les chansons « William » (Lithopédion) et « Débrouillard » (Batterie faible). Malgré ce changement progressif, la dichotomie entre le Damso intime qui se confie sur sa peur d’être père et le Damso explosif qui raconte en langage cru son quotidien de baisé n’a jamais été aussi présente que dans QALF.

Comment un album peut-il avoir comme incipit « gros c’est la violence, pas trop de clémence » et comme préconclusion « j’me ramollis, […] j’crois qu’un gangster est tombé love »? Certes, ce jeu de palier entre l’homme et le personnage est chose coutumière dans le rap. Eminem en a d’ailleurs fait sa marque de commerce en opposant Marshall Mathers (The Marshall Mathers LP, 2000) et son alter ego débauché Slim Shady (The Slim Shady LP, 1999). Le problème n’est pas là, mais plutôt dans la manière de mettre en scène cette dualité.

Dans QALF s’interchangent incessamment Damso, le rappeur, et William Kalubi Mwanba, l’homme, laissant l’auditeur ou l’auditrice pris·e dans ce déchirement sans jamais savoir qui prendra le micro pour la prochaine chanson. Ceux et celles qui aiment Damso seront déçu·e·s par une moitié de l’album et ceux et celles qui aiment William par l’autre. 

Un album mature

La deuxième écoute, elle, est plutôt rassurante. On arrive à dénicher à travers l’album les punchlines caractéristiques de Damso qui sont si frappantes de vérité qu’elles en deviennent douloureuses. Par exemple, dans la chanson « LIFE LIFE », le rappeur questionne : « J’sais pas pourquoi t’as peur de vieillir / La mort c’est bien, vu que personne n’en revient / Pourquoi tu cherches à trop t’embellir? / C’est quand t’es moche que tout l’monde te veut du bien ». Comme à son habitude, Damso parvient à exprimer des impressions complexes de manière imagée et tout à fait inattendue, en faisant se croiser au coin d’une rime le paradoxe de la beauté qui attire l’envie, la jalousie et la mort dans ce qu’elle peut avoir de beau et de rassurant. 

En portant une oreille attentive, on parvient même à mieux comprendre le déchirement entre Damso et William. Dans « DEUX TOILES DE MER », on peut entendre son fils lui laisser un message sur sa boîte vocale. Ce coup de téléphone vient couper en deux la chanson, comme si l’artiste prenait ses messages entre deux enregistrements studio. Cet interlude vient expliquer les aléas qu’on remarque lors de la première écoute : les allées et venues entre William et Damso ne sont que les reflets des tergiversations qu’éprouve le rappeur. Incapable de trancher entre les deux, il nous fait marcher le long de son hésitation, basculant d’un côté à l’autre de chanson en chanson.

Un succès mitigé pour plusieurs

Malgré les chiffres sans précédent qu’a rapidement généré la sortie de QALF, plusieurs internautes ont manifesté leur mécontentement vis-à-vis cet album. Certain·e·s se disent déçu·e·s d’avoir attendu si longtemps, soit cinq ans au total (une éternité pour un milieu au rythme aussi effréné que celui du hip-hop), pour un projet qui ne semble pas être à la hauteur de leur patience. 

Avec les quelques références à la COVID-19 qui font comprendre que les textes ont été écrits, sinon retouchés, tout récemment et avec l’épilogue dans lequel on peut entendre Damso se réveiller du coma dans lequel il était tombé dans la chanson « Ξ. Une âme pour deux » à la toute fin d’Ipséité, plusieurs ont cru à un double album. Damso a toutefois démenti la nouvelle le samedi 26 septembre en disant à ceux et celles qui tentaient des théories pour la suite des choses : « Entrez dans le train et on y va. Posez pas de question, on y va. »

Si les théories se confirment et s’infirment au fil des semaines, une vérité semble rester inébranlable : Damso n’en a pas fini avec le rap. Maintenant que QALF est finalement sorti, il ne reste qu’une chose à faire. Lui faire confiance et attendre.

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Jusqu’à quand? https://www.delitfrancais.com/2020/09/22/jusqua-quand/ Tue, 22 Sep 2020 13:05:41 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=37489 Lors du processus qui a mené à la réécriture de la constitution de l’AÉUM, à l’automne et au printemps dernier, les membres élus de l’association avaient décidé de rendre officielle la version française de la constitution et de lui donner primauté sur la version anglaise. Ces mesures allaient au-delà des attentes de la plupart des… Lire la suite »Jusqu’à quand?

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Lors du processus qui a mené à la réécriture de la constitution de l’AÉUM, à l’automne et au printemps dernier, les membres élus de l’association avaient décidé de rendre officielle la version française de la constitution et de lui donner primauté sur la version anglaise. Ces mesures allaient au-delà des attentes de la plupart des observateurs et observatrices francophones, sceptiques quant à la volonté de l’AÉUM de déployer les moyens de traduction nécessaires pour produire une traduction valide de la constitution. Évidemment, la suite a confirmé leur crainte : dans les mois qui ont suivi, personne à l’AÉUM n’a pris la responsabilité de traduire ou de faire traduire la constitution, de telle sorte qu’elle a été votée et adoptée uniquement en anglais. À ce jour, la version française demeure dissimulée aux yeux du public.

L’association étudiante existe pour représenter les intérêts des étudiant·e·s auprès de l’Université ; ironiquement, pourtant, c’est elle qui pose le plus de problèmes pour les étudiant·e·s francophones. L’Université et son administration font leur part, même si l’institution est officiellement anglophone :  ils sont en mesure, par exemple, de recevoir plusieurs services de l’Université, de remettre leurs travaux et de consulter la plupart des documents officiels en français. Bien que la situation soit loin d’être parfaite, l’Université a démontré à plusieurs reprises un certain souci pour cette minorité linguistique.

Malheureusement, le portrait est tout autre à l’AÉUM, une association étudiante qui pourtant se targue, à qui veut bien l’entendre, d’être bilingue et inclusive. La quasi-totalité des règlements et des documents publics sont disponibles uniquement en anglais, et ceux traduits le sont la plupart du temps de manière terriblement aliénante pour les francophones, comme le dirait un certain Gaston Miron. Lors des conseils législatifs, le français n’est jamais entendu plus de quelques secondes ; il est coutume pour le·a président·e de bredouiller une ou deux phrases apprises à l’avance, pour ouvrir ou pour clore un débat. Cette situation est d’autant plus désolante que chaque année, les différent·e·s élu·e·s font mine de s’engager, à tour de rôle, à mettre fin à ce bilinguisme de façade. 

La crise constitutionnelle de cet été n’est donc pas le fruit du hasard, mais bel et bien la marque de l’attitude générale de l’AÉUM par rapport aux droits des francophones : les promesses et les engagements sont distribués allègrement année après année et mis aux oubliettes dès que leur exécution demande la moindre dépense — et surtout le moindre effort — de la part des exécutant·e·s. Même lorsque les exécutant·e·s et le conseil législatif décident de s’engager, il·elle·s sont bloqué·e·s par l’indifférence et l’incompréhension totales de l’électorat de l’AÉUM. Plus tôt cette année, l’ambitieux plan de francisation, qui aurait doté l’AÉUM de bien meilleures ressources de traduction et qui aurait coûté aux étudiant·e·s pas plus de trois dollars par session, a été la seule mesure rejetée par les étudiant·e·s au référendum.

Cette année, l’engagement prononcé du nouveau président Jemark Earle envers la communauté francophone donne envie de croire en la bonne foi des exécutant·e·s de l’AÉUM. Son idée d’exiger que les motions et leurs propositions soient traduites avant même d’être soumises au débat représente une main tendue envers la communauté francophone et permettrait peut-être à ce que celle-ci se sente représentée par son association étudiante. Évidemment, tout cela dépend de la communauté étudiante de McGill : l’AÉUM n’est, après tout, que le reflet des opinions des étudiant·e·s qu’elle représente.

Cela ne fait plus aucun doute : si les francophones ne veillent pas, l’AÉUM ne se souciera pas de respecter leurs droits. Mais jusqu’à quand devrons-nous veiller? Jusqu’à quand devrons-nous réclamer haut et fort ce à quoi nous avons droit? Jusqu’à quand les francophones lutteront-ils en vain?

Nous attendons.

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J’aime Wiki https://www.delitfrancais.com/2020/09/15/jaime-wiki/ Tue, 15 Sep 2020 13:02:27 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=37050 Éloge à la connaissance libre de droit.

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« Non, Gali, tu ne peux pas mettre systématiquement des hyperliens vers Wikipédia. »

J’entends encore cette phrase résonner dans ma tête lorsque, au milieu d’un texte, j’enclenche mon traditionnel « ctrl + k » pour proposer un petit détour par l’encyclopédie en ligne. Je me résigne alors à partir à la chasse aux références, routine à laquelle je commence à m’habituer, et je déniche un article quelconque d’une source « plus fiable » ou un PDF de l’Université de Sherbrooke concernant mon sujet. 

Même si, pour ces articles que j’édite ou ces travaux scolaires que je remets, je me suis mis au pas quant à l’usage prohibé de Wikipédia, mon cœur est ailleurs. Je les entends, les arguments qui viennent et repartent. « Ce n’est pas une source fiable », « n’importe qui peut écrire là-dessus » ou encore, mon préféré, « ça ne fait pas sérieux de citer Wikipédia ». Je les entends et les comprends, mais le proverbe québécois dit vrai : on ne peut pas empêcher un cœur d’aimer.

Un point de départ

Je peux tout à fait comprendre les réticences qu’éprouvent certaines et certains quant à l’usage de Wikipédia comme source officielle et référentielle. Il va sans dire que les articles s’y retrouvant ne peuvent être utilisés comme unique point de référence pour qui veut débattre d’un enjeu précis. Toutefois, cette règle n’est-elle pas la même pour toute source? Ce n’est pas pour rien que les professeur·e·s demandent à leurs étudiant·e·s un minimum d’œuvres dans leur bibliographie : une pensée trop homogène est une pensée en souffrance. Ce n’est pas parce qu’une personne a lu un article du New York Times synthétisant la Guerre de Sécession américaine qu’elle peut affirmer connaître et comprendre tous les tenants et aboutissants de cette dernière.

Wikipédia n’est pas un outil d’analyse, c’est un point de départ. Tout comme on cherche dans le Le Petit Larousse un mot dont le sens nous échappe, on consulte l’encyclopédie lorsqu’un sujet nous est inconnu. De là, l’exploration peut débuter. Il s’agit, comme l’illustre le logo de Wikisource, de la pointe d’un iceberg : une fois la partie émergente trouvée, on peut plonger en profondeur pour consolider notre savoir. À mon sens, tout l’intérêt de Wikipédia est dans cette pointe accessible à qui veut bien la chercher. Sans pointe, comment fait-on pour trouver ce qui est trop profond pour apparaître aux yeux du monde?

Face à l’impossibilité de tout connaître de fond en comble, il faut se résigner à couvrir le plus large possible

Ad nauseam, la connaissance

Tout comme les orpailleur·se·s de San Francisco, une fois qu’un filon intéressant est trouvé sur l’encyclopédie, il suffit de creuser jusqu’à ce qu’une paillette ou une pépite d’or apparaissent. Des heures de lecture peuvent s’ensuivre. Wikipédia devient alors un moyen de ratisser large sans toutefois explorer les enjeux en profondeur. Rien de mieux pour s’initier à un sujet méconnu. 

Avant de regarder un documentaire entier sur l’historique règlement 17 de l’Ontario, un rapide détour sur Wikipédia est de mise. Grâce aux hyperliens, les curieux et les curieuses peuvent rapidement se retrouver sur les articles concernant la création de la Confédération canadienne, les années au pouvoir de Sir Wilfrid Laurier ou encore la question des écoles francophones du Manitoba. Cet apprentissage autodidacte devient une manière accessible et démocratique pour s’initier à toutes les questions que l’on se pose (ou presque). 

S’il est important de se tourner vers des sources diverses lorsque l’on veut voir complètement la partie immergée de l’iceberg sur lequel on a atterri, n’est-il pas tout aussi important d’avoir un portrait d’ensemble de l’archipel de savoirs auquel il appartient? L’encyclopédie virtuelle devient alors une route permettant de sauter d’un îlot à l’autre, une manière de dresser une carte mentale d’une thématique donnée avant de plonger sous l’eau et comprendre la composition réelle d’un des ces monolithes de glace. Face à l’impossibilité de tout connaître de fond en comble, il faut se résigner à couvrir le plus large possible, tout en gardant certains champs d’expertise.  

Des remerciements nécessaires

Avant de mettre un point final à cette ode à l’encyclopédie du 21siècle par excellence, je tenais à dresser une liste (non exhaustive, Dieu merci!) de certaines découvertes personnelles qui ont été rendues possibles grâce à Wikipédia :

La liste pourrait encore s’allonger longuement, mais ce ne serait que du superflu. Ce qui importe, c’est de faire la juste part des choses. Une source ne sera jamais infaillible. Que ce soit dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert ou dans l’Encyclopædia Universalis, les faits rapportés peuvent être biaisés, mal vérifiés ou carrément erronés. Certes, concernant ce genre de bévues, Wikipédia est toujours plus à risque de par son aspect collaboratif. Mais n’est-ce pas également là une de ses plus grand beauté? Une démocratisation du savoir, mais aussi de la construction de ce savoir.

À mon sens, ce qui importe réellement c’est d’être en mesure de se renseigner librement et démocratiquement sur tous les sujets qui pourraient m’intéresser. C’est pour ça que j’aime Wiki.

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Royal Victoria : vers un avenir universitaire? https://www.delitfrancais.com/2020/09/15/royal-victoria-vers-un-avenir-universitaire/ Tue, 15 Sep 2020 12:54:32 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=37054 Un sociologue propose la création d'une nouvelle université à vocation internationale.

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Dans un article d’opinion publié dans Le Devoir le 3 septembre dernier, Robert Laplante, directeur de la revue L’Action Nationale, proposait la création d’une Université internationale de la Francophonie (UIF) à Montréal. Il considère notamment que l’ancien hôpital Royal Victoria devrait accueillir cette nouvelle institution. Selon lui, l’UIF « pourra faire apparaître pour les universités québécoises le rôle fédérateur qui leur manque. Elle favorisera la mise en commun des ressources et l’optimisation des initiatives actuellement trop éparpillées ». Le Délit a pu s’entretenir avec M. Laplante pour discuter de ce projet ambitieux.

Un phare francophone

Pour M. Laplante, la création de l’UIF permettrait « le renforcement de Montréal comme pôle universitaire » et servirait ainsi à « définir de façon plus tangible et plus substantielle la contribution du Québec à la francophonie ». Si le projet reste embryonnaire, le directeur de L’Action Nationale fait tout de même trois suggestions notables. 

Les ressources doivent aller à la connaissance et à ceux et celles qui la font

Sa première suggestion pour l’UIF est celle de l’emplacement. « Le bâtiment de l’ancien hôpital Royal Victoria devrait l’accueillir », affirme-t-il dans son article paru dans Le Devoir. L’auteur de l’article n’y voit là que des avantages. Il mentionne notamment que l’hôpital désaffecté est « un patrimoine à vocation institutionnelle ». En plus de son emplacement historique et symbolique, le Royal Victoria serait un bon choix pour des raisons pratiques. Selon M. Laplante, on trouverait là tout l’espace nécessaire à l’édification de l’UIF, notamment en matière de salles de classe, de bureaux administratifs et de logements pour les étudiants et professeurs étrangers. 

M. Laplante considère que reconvertir un établissement bénéficiant déjà de toutes les qualités requises à la réalisation d’un tel projet serait « la façon la plus intelligente d’utiliser les deniers publics ». Il ajoute également que « si l’on entreprenait de construire un édifice nouveau, les ressources iraient dans le béton! Alors que les ressources doivent aller à la connaissance et à ceux et celles qui la font ». 

Deuxièmement, il considère que cette institution devrait se concentrer sur les études de cycle supérieur. « C’est essentiellement pour faciliter et accélérer le développement des collaborations en matière de recherches », explique M. Laplante. Ainsi, l’UIF pourrait se concentrer sur le volet recherche et collaboration internationale, ce qui permettrait de ne pas empiéter sur le travail qu’effectuent déjà les autres universités québécoises. 

Sa dernière suggestion est de faire porter à cette institution le nom de Jean-Marc Léger. Ce professeur de l’Université de Montréal est l’un des principaux instigateurs de ce qui est aujourd’hui l’Agence Universitaire de la Francophonie (AUF). « Pour moi, [c’est] une façon à la fois de témoigner gratitude et reconnaissance à un des grands pionniers de ce type de collaborations », souligne M. Laplante. Selon lui, il s’agit surtout de donner un nom qui fera écho dans l’univers de la collaboration francophone. « Ça aurait très bien pu être l’Université Léopold Senghor », conclut-il. Léopold Sédar Senghor, poète notoire, a été le premier président de la république du Sénégal et le premier Africain admis à l’Académie française. 

Une institution à bâtir

Si l’idée d’un Québec fort et fier de sa francophonie n’est pas nouvelle pour M. Laplante, celle d’une nouvelle institution l’est : « C’est une proposition que j’ai élaborée au cours de l’été et pour la rentrée [d’automne] ». Il reconnaît d’ailleurs que son idée n’en est encore qu’à ses balbutiements et qu’elle gagnerait à être publiquement débattue : « C’est une proposition. Elle peut être bonifiée, il y a d’autres manières d’examiner la chose. […] L’objet [de l’article] n’était pas de livrer un projet tout ficelé. » 

Dans un court entretien téléphonique, Alexandre Lahaie, directeur des communications du cabinet de la Ministre de l’Enseignement supérieur, a laissé savoir au Délit que le ministère ne commentera pas la proposition faite par M. Laplante. Bien qu’il salue l’initiative du directeur de L’Action Nationale, il juge que le projet est trop embryonnaire pour justifier une prise de position de la part du gouvernement. 

Il a notamment précisé qu’il s’agissait là d’un projet social et non pas politique, point sur lequel les deux hommes sont en désaccord. M. Laplante explique qu’il « s’agit d’une orientation du gouvernement quant à la défense et à la promotion de la langue française. Donc c’est un choix d’orientation pour que l’état soutienne [l’UIF] avec les deniers publics; et donc en ce sens là ce n’est pas social du tout, c’est un choix politique. » 

 

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