Célia Pétrissans - Le Délit https://www.delitfrancais.com/author/celiapetrissans/ Le seul journal francophone de l'Université McGill Tue, 05 Nov 2024 16:20:32 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.8.2 Séquences étranges : Partie 2 https://www.delitfrancais.com/2024/11/06/sequences-etranges-partie-2/ Wed, 06 Nov 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56491 Dimanche 13 octobre. Dur réveil. En sursaut, je me lève et m’habille, file au cinéma — le même qu’hier — je dévale les mêmes escaliers roulants, et rejoins Anna dans la file d’attente. Nous n’avons pas lu le synopsis du film que nous nous apprêtons à voir, mais l’affiche est prometteuse : le personnage porte… Lire la suite »Séquences étranges : Partie 2

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Dimanche 13 octobre. Dur réveil. En sursaut, je me lève et m’habille, file au cinéma — le même qu’hier — je dévale les mêmes escaliers roulants, et rejoins Anna dans la file d’attente. Nous n’avons pas lu le synopsis du film que nous nous apprêtons à voir, mais l’affiche est prometteuse : le personnage porte un casque à paillettes, des lunettes noires, un costume que nous interprétons comme le signe d’un film nocturne, scindé de lasers. Pourtant, ce ne sont pas des larmes de joie qui coulent, étincelantes sur les visages éclairés par l’écran géant. Face à nous, une famille tente d’enterrer un passé d’abus sexuels. On Becoming a Guinea Fowl, de la réalisatrice Rungano Nyoni, tisse les non-dits des enfances ternies par un violeur, leur oncle, retrouvé mort au début du film.

Après le générique de fin, nous sortons de la salle, descendons calmement les marches. Sans dire un mot, nous restons attentives aux cris de colère de ces femmes, qui retentissent dans nos oreilles. Devant les portes du cinéma, je vérifie Letterboxd, où Anna a déjà rédigé sa critique. Quatre étoiles : « had to get a sweet treat after this to recover » (j’ai dû m’acheter une gâterie pour me remettre de mes émotions, tdlr). Je me pose au café de la friperie Eva B sur le boulevard St-Laurent, je gobe un biscuit, et avale un café d’une seule gorgée : je ne pense à rien. Mon regard se pose sur les plateaux qui circulent, sur les vêtements que les gens s’arrachent.

J’appelle une amie, la Française, celle qui m’avait accompagnée au festival l’année dernière. Nous nous étions assises à cette même table entre deux séances. Je tente de lui raconter ce que nous venons de sentir mais je bute sur les mots, et mes phrases se déversent dans ma tasse. La nostalgie de l’absence de mon amie remplace rapidement les sentiments moroses et je retourne seule m’affaler dans un siège du cinéma du Quartier Latin.

« Sans dire un mot, nous restons attentives aux cris de colère de ces femmes, qui retentissent dans nos oreilles »

Je chantonne, et entre joyeusement dans le monde de Lola Arias, réalisatrice du documentaire Reas, une reconstitution libre de la vie d’ancien·ne·s détenu·e·s d’une prison de Buenos Aires. Les acteur·ice·s sont des femmes queer, des personnes trans et non-binaires qui revisitent sous l’œil attentif de la caméra le lieu dans lequel iels se sont construit·e·s.

Nous rencontrons les personnages à travers le corps qui s’expriment par la voix, le sport, la créativité. Très vite, je m’attache à ces personnes, en quête d’appartenance à une communauté. Iels chantent, « voguent », jouent au soccer, se marient, mélangent allégrement la fiction aux souvenirs du réel, et m’aident à éteindre les émotions ressenties quelques heures plus tôt. J’aimerais m’enfoncer un peu plus dans mon siège, rester avec iels toute la soirée, en apprendre encore sur leurs rêves, la vie après l’incarcération. Mais l’écran s’éteint et la salle se vide. Je pars aussi, pédale sur la rue Saint-Denis jusqu’à l’avenue Laurier. Arrivée chez moi, je n’enlève pas ma veste, ni mes chaussures. Je m’allonge sur le sofa et regarde un court-métrage sur mon iPhone tout brisé. Je relâche les larmes refoulées, et la fièvre accumulée monte en spirale face aux nouvelles images qui scintillent sur le petit écran. Jusqu’à tard dans la nuit, je draine mon corps à sec en attendant le calme après les pleurs. Les émotions de la journée évacuées, je me couche et dors une nuit sans rêve. Ma tête se vide, j’attends les prochaines séances.

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Séquences étranges https://www.delitfrancais.com/2024/10/30/sequences-etranges/ Wed, 30 Oct 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56351 Un après-midi au Festival du Nouveau Cinéma.

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Samedi 12 octobre. La journée commence en retard, et je cours, je file sur Saint-Denis, un café à la main. Les doigts me brûlent, mais je ne m’arrête pas. J’ai promis à Anna que je serais à l’heure, ou du moins, que nous arriverions toutes les deux en même temps, rouges d’avoir dévalé la pente, puis les escaliers roulants du cinéma Quartier Latin. Sur le chemin, je tente de me souvenir des synopsis, mais tout va trop vite en ce moment et je me rappelle seulement mes propres conclusions. Je texte à Anna des descriptions vagues, espérant la convaincre de m’accompagner à tous les films sur mon programme. Le premier : ça va être queer. Le deuxième : ça va être queer et kinky. Le troisième : c’est une comédie française, ce n’est pas queer, mais on va rire parce qu’Aymeric Lompret a une scène. Elle répond « ok », ce genre de « ok » ferme : l’annonce qu’elle est prête à tout affronter. Nous arrivons dans la salle, montons quelques marches, et nous affalons sur les sièges, déterminées à passer le reste de la journée les yeux plongés dans l’écran géant. Peaches Goes Bananas commence et nous invite dans l’euphorie de la rencontre avec l’artiste ; les images de concerts s’enchaînent et les costumes de vagins nous donnent une idée du personnage. Je me laisse surprendre par la forme documentaire – je n’avais aucun souvenir qu’il en s’agissait d’un – et découvre la chanteuse Peaches. Je shazame ses chansons sous les hochements de tête approbatifs d’Anna.

Nous changeons de cinéma, marchons jusqu’à Parc. Bruce La Bruce, le réalisateur du film queer et kinky, porte une veste sur laquelle est brodé « LUCIFER » : un arc en ciel sortant de chaque lettre. Cette dernière donne le ton du film The Visitor, un indice sur les désirs de son auteur dont je n’avais jamais vu les autres pornos. Les scènes de sexe se sautent dessus, du hardcore en continu sur fond de critique du capitalisme, du gouvernement, des lois anti-immigrations et bien sûr, de l’homophobie. Les slogans de la gauche britannique remixés clignotent et éclairent les visages attentifs. J’ai l’impression d’être dans la tête d’un Gaspard Noé un peu plus tordu. Nous sortons de la salle, allons manger des algues, et parlons sans vraiment savoir par où commencer. Je prends la veste du réalisateur en photo, et nous dégustons en riant de ma piètre description.

« J’ai l’impression d’être dans la tête d’un Gaspard Noé un peu plus tordu »

Charlotte m’appelle : elle est en retard. Nous nous rejoignons pour la diffusion du film Les pistolets en plastique de Jean Christophe Meurisse, dans lequel il invente une vie à Xavier Dupont de Ligonnès, le célèbre tueur en série, rebaptisé Paul Bernardin dans le film. C’est pour l’apparition de l’un de mes humoristes fétiches, Aymeric Lompret, que je ne voulais pas rater la comédie. L’humour noir et les scènes sanglantes n’ont pas tellement plu à mon entourage, et nous retenons davantage le court-métrage Sam & Lola qui avait précédé l’autre : crier « Y’a Marion Maréchal à poil! » dans un bar bondé de policiers pour qu’ils détournent le regard et que les filles à qui ils payent des verres puissent s’échapper de leur emprise dégueulasse, c’était finalement la meilleure réplique entendue de toute la journée.

Nous sortons du cinéma, ahuries par toutes les images encaissées en quelques heures et nous rentrons rêver de ces séquences étranges, qu’on se racontera le lendemain, en file, en attendant les autres séances.

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Orlando, une utopie politique intemporelle https://www.delitfrancais.com/2023/11/08/article-celia-fnc/ Wed, 08 Nov 2023 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=53323 Le documentaire de Paul B. Preciado critique les dichotomies en mêlant fiction et réalité.

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En 1928, Virginia Woolf publie Orlando : une biographie, récit d’une transition de genre, réalisée en quelques jours de sommeil et à travers les siècles de royauté anglaise. La métamorphose d’Orlando ne fait pas seulement écho à l’histoire de la partenaire de Virginia Woolf, Vita Sackville-West ; elle est celle des personnes trans, comme Paul B. Preciado, qui reprend le texte de Woolf pour en faire un documentaire expérimental. C’est ainsi qu’Orlando : ma biographie politique, a été présenté au Festival du Nouveau Cinéma, début octobre. L’écrivain et philosophe choisit le médium cinématographique pour raconter la transition de genre au 21ème siècle, liant ses textes et les témoignages de personnes trans et non-binaires, racontant l’histoire des héritiers et héritières de l’Orlando de Virginia Woolf.

Une fluidité ontologique

Paul B. Preciado est un homme trans, auteur de Testo junkie : sexe, drogue et biopolitique, dans lequel il décrit sa transition à travers la prise de testostérone, tout en posant un regard critique sur une société binaire, divisée entre homme et femme, homo et hétéro, et construite par le système pharmaceutique qui reproduit ces dichotomies grâce au contrôle des corps. Dans son long-métrage, Preciado réussit à rendre cette critique accessible à travers les décors et les témoignages, les scènes chez le psy, les balades en forêt. La nature n’est pas opposée à la culture, tout comme l’animal n’est pas l’antithèse de l’humain. Le chien qui porte une fraise est filmé à la même hauteur que les autres personnages. Poursuivant sa critique des dichotomies, Preciado floute la frontière entre le collectif et l’individuel. Les acteur·rice·s s’enchaînent, portent le même prénom, racontent l’intime, qui devient aussitôt une expérience de lutte politique partagée, face à une administration qui gouverne les corps. Le cinéaste y oppose une fluidité ontologique, qui permet d’adopter une position politique refusant ces hiérarchies institutionnelles banalisées.

« Le documentaire n’en est pas vraiment un, c’est un film composé de témoignages et de scènes de théâtre, de danse et de larmes, entre vécus réels et aspirations utopiques »

Entre fiction et réalité

Preciado vient aussi bouleverser la distinction entre fiction et réalité dans le long-métrage. La forme même du film alterne entre les témoignages et la lecture d’Orlando : une biographie. Le titre est clair : la fiction de vient un outil politique adapté au présent et à la défense des personnes trans, dont les droits sont encore trop souvent bafoués par un régime administratif trop rigide et oppressant. On comprend les questionnements, les injustices, la joie sur fond de chanson rock : mort au monde pharmacopornographique, mort à la binarité. Le processus de tournage est mis en abîme dans le documentaire. On y voit la fabrication de la fiction. Laquelle? Celle du film, comme celle du monde dans lequel nous vivons. Les genres se confondent, les catégories disparaissent ; le documentaire n’en est pas vraiment un, c’est un film composé de témoignages et de scènes de théâtre, de danse et de larmes, entre vécus réels et aspirations utopiques. C’est une thèse fabriquée à partir de faits et d’émotions, de références queers.

Quand les lumières se sont rallumées, la salle a applaudi. Nous avions tous·tes beaucoup ri, beaucoup pleuré, les joues finissaient de sécher. Les Orlandos de Tio’Tia:ke se sont levé·e·s, se sont regardé·e·s, se sont souri·e·s. Le film de Preciado restera pour nous comme la promesse d’une politique où le genre n’est plus assigné à la naissance.

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Thérapie cinéphile https://www.delitfrancais.com/2023/01/25/therapie-cinephile/ Wed, 25 Jan 2023 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=50645 Célia Pétrissans présente deux coups de coeur.

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Tár – par Todd Field (2022)

La première fois, je suis restée bouche bée, comme enchantée par Cate Blanchett. La deuxième fois, je souriais devant l’écran, trépidante, jubilante, Lydía Tár s’est agrippée à moi jusque sous ma douche où, au lieu de chanter, je débattais avec moi-même de toutes les strates de son être. Je l’ai revu deux autres fois, urgeant mes amies de m’accompagner dans cette interminable fascination. Lydia est une cheffe d’orchestre originaire de la ville de New York. Nous la rencontrons au sommet alors qu’elle s’apprête à enregistrer la cinquième Symphonie de Gustav Mahler avec la Philharmonie de Berlin qu’elle dirige, et que son livre, modestement intitulé Tár on Tár, est sur le point d’être publié. Au même moment, elle apprend le suicide d’une certaine Krista Taylor, une homologue dont elle aurait empêché la carrière de démarrer. Ce pouvoir que détient Lydia est le sujet du film, tout comme la corruption qui l’anime, les petites faveurs qu’elle accorde à celles qui répondent à ses demandes, et son monde façonné par les mensonges qui la plonge dans le délire. Alors que nous sommes complètement immergé·e·s dans son esprit, que nous voyons Lydia tituber du piédestal sur lequel il avait été placé. Nous oscillons entre le rêve et le cauchemar. La réalité est complètement déformée, elle nous pose des questions sans y apporter de réponses. Les nuances prennent la forme de son assistante Francesca, jouée par Noémie Merlant, de Shannon, sa compagne, jouée par Nina Hoss, et de leur fille Petra. Le son fait entièrement partie de cette réflexion, la musique est le noyau de Lydia, elle berce la vie de chaque personnage, les réunit et les sépare.

Mon commentaire sur Letterboxd : «ce film est une drogue»

Note (absolument pas biaisée par mon obsession pour Cate Blanchett) : 5/5

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Les années Super 8 – par Annie Ernaux et David Ernaux-Briot (2022)

Annie Ernaux apparaît sur l’écran. On est au début des années 70, c’est la première fois que je vois une vidéo d’elle, une scène intime, familiale, capturée par cet objet si violent qu’est la caméra. L’appareil interrompt la tranquillité domestique et nous offre, à 50 ans de distance, un aperçu de la vie d’une future écrivaine, aujourd’hui Prix Nobel. Je crois avoir pleuré toute la séance, je lui disais merci, je la regardais dans les yeux. Elle m’avait déjà vue il y a deux ans quand pour la première fois j’ai entendu, et non pas lu, une phrase écrite de sa main, restée dans ma mémoire jusqu’à ce que j’achète enfin ce livre, le fameux La Place. Les images filmées avec une Kodak Super 8 montrent les vacances en famille, les rires, et la distance s’installant au sein du couple. Annie Ernaux décrit en off ses souvenirs de moments qui n’ont pas été racontés dans ses livres. Elle parle de ses sentiments, de sa posture par rapport aux autres, toujours en retrait, toujours un pied à l’extérieur, l’écrivaine observant le monde. J’aurais voulu passer toute la journée en compagnie de sa voix, m’accrocher à cette tendresse que l’on retrouve dans l’universalité de ses événements.

Mon commentaire sur Letterboxd : «Je regarde ma collection de ses livres, mes notes, mes larmes séchées sur le papier. Je n’ai même pas à me demander pourquoi ses histoires me touchent autant, je le sais, elles sont en quelque sorte aussi les miennes.»

Note: 4/5

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Fragment 31 https://www.delitfrancais.com/2023/01/11/fragment-31/ Wed, 11 Jan 2023 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=50347 La nuit, Aphrodite chante aux femmes.

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Célia Pétrissans | Le Délit

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Le titre est une référence au triangle amoureux imaginé par la poétesse grecque Sappho dans son poème « Fragment 31 ». Elle y raconte son désir pour une femme, traduisant le tourbillon de feu et de glace qui traverse son corps alors qu’elle observe le sujet de sa passion. Eros, dieu du désir, divague entre les lignes ; il baigne chaque mot du poème comme chaque parole des chansons choisies. Son but ne peut jamais être atteint, car délié de sa désirabilité ; le sujet de la passion s’échappe, le plaisir et la souffrance ressentie aussi. Les chansons choisies l’entretiennent ; elles plongent les auditeurs et auditrices dans le trouble, dans la nostalgie d’une passion sans futur. La sélection est aussi très personnelle, les chanteuses sont toutes des artistes découvertes au fil de mon adolescence, écoutées en m’endormant le soir, en marchant sous la pluie ou en me préparant pour une soirée avec cette personne qui tourne en boucle dans ma tête.

La playlist débute avec History de 070 Shake, une chanson au genre indéfinissable, à la mélodie changeante et absolument envoutante. Les paroles restent, je passe en boucle ses dernières notes que je me chuchote. Glory Box apparaît deux fois, sa reprise interprétée par Snoh Aalegra, Nothing burns like the cold, est une sorte d’entrée en jeu, la version originale de Portishead est l’acceptation complète de son caractère sensuel. Dans Girl, je me perds, la mélodie m’aspire, avec elle tout semble possible. Girl, je la chante à voix haute, mes yeux dans les siens.

La suite est parsemée de références cinématographiques. Les couleurs de la première page font écho à l’affiche du film Titane de Julia Ducournau et le titre Doing it to Death est la musique du plan séquence au début du film. Alexia, l’héroïne, danse sur une voiture. Elle est maîtresse de sa sexualité, de son corps qu’elle colle à la vitre. Unloved est un groupe découvert dans la série Killing Eve qui montre ce jeu du chat et de la souris entre une assassine et une agente du MI6. Chacune de ces références célèbre la sexualité féminine, l’amour queer, les regards échangés entre les femmes, leurs pupilles qui se dilatent alors même qu’elles comprennent leur attirance mutuelle.

La dernière chanson n’est autre que Hey Joe du film Nymphomaniac de Lars Von Trier, interprétée par Charlotte Gainsbourg. Sa voix sensuelle et chuchotante nous entraîne dans des rêves hallucinogènes, on s’y perd, c’est l’apothéose.

La playlist sur Spotify : https://open.spotify.com/playlist/0hdfpZDX0iDDXrZoZfd2ei?si=92e0ff73b7a64e51

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Nos vélos pour une moto https://www.delitfrancais.com/2022/11/16/nos-velos-pour-une-moto/ Wed, 16 Nov 2022 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=49921 Quand la protagoniste en devient trois.

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«Que isso que você vê / Um corpo apenas, que nem na TV»
On fredonne, on ne connaît pas les paroles, on mâche les mots mais rien ne nous arrête, on poursuit le rêve, la mélodie enchante cette nuit d’août. Il est minuit passé, ma sœur Elina et moi roulons au bord de la Nive, on dessine des zigzags à vélo, le chemin est nôtre, on le connaît par cœur et cette nuit on n’en a même pas peur. Nos cheveux frisés volent au vent et je sens la chaleur imprégner mon crâne. On s’est échappé sans casque, notre petite rébellion, le seul moment de liberté, la vraie, celle qu’on respire en été, comme ces soirs où bouches bées face au soleil, nous avalons la mer, avant de nous jeter dans les vagues de l’océan noir. Je ris, elle rit, on chante encore «O corpo não é sujeito, sujeito é bem mais além», on fredonne parce qu’on ne sait pas ce que ça veut dire, on ressent c’est tout, et c’est tout.

«C’est de là que nous revenons, de l’Atalante, mon échappatoire des années à Bayonne»

J’observe sa figure qui s’avance dans le noir. Dans quelques heures, je pars. Je regarde le fleuve, l’eau qui ondule entre les grandes herbes, le chemin de fer, le stade, les lampadaires éteints et la lune. Je regarde derrière moi, j’y laisse la vision de la cathédrale surplombant les appartements, les ponts illuminés, l’Adour et au loin le cinéma.
C’est de là que nous revenons, de l’Atalante, mon échappatoire des années à Bayonne.

WOUUUUHOUU

Quelques heures plus tôt, Elina m’a appelée: «d’accord, je viens, on se retrouve à quelle heure?»

19 heures, on est plantées devant l’affiche: «Rodeo», elle répète avec l’accent américain. Au milieu des Yamaha et des Kawasaki, nos vélos font pâle figure, nous sommes des étrangères hébétées devant un monde dont nous n’avions fait qu’entendre le bruit fracassant. Elina me parle de ses amis, de connaissances qui roulent en Y, moi je tourne mon vin blanc, incapable de participer à la discussion, encore empêtrée dans un dégoût aux airs supérieurs, fanée, lasse que je finisse de noyer au fond de mon verre. Les riders franchissent la porte d’entrée avec leurs casques fluorescents, leurs sacoches et leurs cigarettes. S’opère alors une étrange fascination, une envie de comprendre, ce pourquoi deux semaines plus tôt j’avais réservé un billet, priant ma petite sœur de venir découvrir ce monde à mes côtés.

«Au milieu des Yamaha et des Kawasaki, nos vélos font pâle figure, nous sommes des étrangères hébétées devant un monde dont nous n’avions fait qu’entendre le bruit fracassant»

Julia, le personnage principal surnommé l’Inconnue, nous entraîne dans sa frénésie et je vois les yeux d’Elina briller, brûler d’une adrénaline contagieuse qui se répand dans mon corps. L’Inconnue n’est rien sans bécane, son existence est engrenée dans l’odeur de l’essence, l’huile est le sang coulant dans ses veines. On ne peut la séparer du piston qu’elle garde autour du coup, il est son cœur, battant au rythme des accélérations. Puis un instant, nos fréquences se joignent à l’unisson, l’air se fige, la mélodie commence: «que isso?», nous interpelle «que você vê?» et nous emporte, «um corpo apenas, que men na TV.» Un spectre s’abat alors sur la salle, la musique opère, nous plonge dans une transe alors que Julia poursuit sa course. L’euphorie se transforme en un rêve, je veux m’agripper à sa moto, rouler furieusement, frôler la mort pour vivre passionnément. Les rouages du cross bitume se défont sous nos regards saisis par cette femme qui s’envole pour se faire une place dans un monde d’hommes. Ce milieu, Lola Quivoron le transmet aussi par le vrombissement des machines, le roulement des moteurs, le métal qui cogne, les motos qui tombent, s’entrechoquent, le bitume hanté par la mort, le sang dans les fentes où pénètrent des petits cailloux, qui écorchent les genoux. On entend ce bourdonnement lent et sensuel émanant des humains-machines. Il·elle·s ont le crâne au vent, embrassent leur bécane, la caressent d’une main ferme, sûre d’elle, pire qu’une extension d’eux-mêmes, leurs motos sont leur âme. Un amour né de la nécessité transformée en une ardeur radicale.

WOUUUUHOUU

On rentre en longeant la Nive après la séance de questions-réponses avec la réalisatrice. C’est à ce moment que je regarde en arrière, que le film continue d’exister dans ma tête et infiltre mon réel. Nous sommes deux sœurs dessinant des zigzags, chantant au bord d’un fleuve sur nos belles bécanes. En garant nos pseudo-machines, on remarque un autocollant collé à l’arrière de celle d’Elina ; «64 bike life». Regards complices, «64 bike life» on chuchote en entrant dans la maison endormie.

«Les larmes coulent et trempent mon visage, je pleure en écoutant la musique, en regardant l’image. Je croyais m’être débarrassée de ma nostalgie mais en vain, je vois Julia, je vois ma petite sœur»

Deux mois plus tard, je suis à Montréal, à la cinémathèque québécoise. Plantée devant l’affiche, je murmure: «Rodeo», hochant la tête en signe de respect pour les riders. Dans mes oreilles rappe 070 Shake, «She’s casting spells on me when she talks, I’m locked away down in her thoughts», l’excitation monte, je ferme les yeux et je sens, je sais ce qui se prépare, l’adrénaline qui va saisir mes membres, l’écran brûlant ma rétine, l’euphorie de voir le visage d’une femme filmée avec la délicatesse habituellement accordée aux paysages. À ma droite sont installées deux amies, mais c’est à ma gauche que je regarde. Le fantôme d’Elina me sourit, son double spectral hante ma pensée embuée des restes du bonheur d’une soirée.

À l’écran Julia est belle, Julia à qui j’ai tant pensé pendant deux mois. Arrive la séquence du premier vol, de son doigt levé contre sa victime, de sa fuite sur des paroles qui aujourd’hui me donnent la fièvre: «Que isso que você vê / Um corpo apenas, que nem na TV». Les larmes coulent et trempent mon visage, je pleure en écoutant la musique, en regardant l’image. Je croyais m’être débarrassée de ma nostalgie mais en vain, je vois Julia, je vois ma petite sœur. Je croise une moto et je la prends pour un vélo, et mon vélo pour une moto. L’été, Bayonne, Montréal, le tintement du métal, les débris d’une bécane en flammes, tout s’entremêle. Je m’accroche à ces illusions, je suis une forcenée, obsédée par ce tourment, mon propre rodéo.

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The Apocalypse in Your Bedroom https://www.delitfrancais.com/2022/10/19/the-apocalypse-in-your-bedroom/ Wed, 19 Oct 2022 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=49326 Rêves d’un·e enfant queer.

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James Knott nous dévoile sa pièce de théâtre The Apocalypse In Your Bedroom derrière un drap blanc, assis·e sur une chaise; sa petite lampe, que l’on retrouve tout le long, projette l’ombre de ses doigts qui claquent au rythme d’une musique écrite et interprétée par l’artiste. Une vidéo commence; dès les premières secondes on comprend que le voyage va être singulier et fascinant.

Allongé·e devant nous sur des cubes blancs qui lui servent de lit, et de bien d’autres choses, James nous donne accès à iel-même, comme si nous étions dans sa chambre. La vidéo nous plonge dans ses rêves, dans ses terreurs et ses fantaisies; «who am I or what am I ?», les questions résonnent et nous submergent, nous sommes ensemble rattrapé·e·s par les inquiétudes du passé.

La pièce touche à cette nostalgie des adolescences queer, qui vont à l’encontre des modèles dominants. Elle raconte la solitude de James, incarnée par une mouche sortie tout droit de son imagination. Elle lui sert de compagnon de sommeil, elle initie la conversation, elle est la seule à connaître ce que James ne peut avouer à personne.

S’ensuit une série de saynètes, comme des rêves fous, déchaînés, des performances ancrées dans le camp, cette expression anglaise difficile à définir qui souligne l’artificialité des codes, notamment de ceux du genre. Le corps est mis en avant avec l’observation de ses traits, de sa forme et il est mis en scène habillé, dénudé, le visage maquillé. La projection nous montre une secrétaire, des génies: le genre est performatif, il devient un art, celui de se déguiser, d’enfiler un costume pour exprimer une pensée. Le tout est entrecoupé de scènes de dessins animés. James est le reflet de la méchante reine dans Blanche Neige, cette femme codée queer, codée camp; James est Blanche Neige, iel se penche dans le puits, appelle quelqu’un. Qui pourrait comprendre son malaise?

Iel nous replonge complètement dans son enfance; nous avons accès à son histoire, sa pièce est personnelle, emplie de photos de famille, et du souvenir de tout ce qui participe à la construction de soi, de l’identité. James regarde son passé et nous le partage, nous hochons la tête, nous comprenons son mal-être. Cette mélancolie est chantée à travers de multiples mélodies renforçant le côté joyeux et dramatique de la pièce, elles font de sa nuit une comédie musicale parsemée de désirs utopiques. Elles nous accompagnent pendant une heure, tout le long d’une réprésentation dans laquelle nous entrons avec envie, et d’où nous ressortons satisfait·e·s, nos attentes assouvies par cet humour queer bienveillant.

Quelques minutes avant la fin, un écran noir apparait; on y lit un clin d’œil: «For the gaybies and the babies. Queers with fears. For smiles and for tears, my dears», (Pour les gaybies et les bébés. Les queer qui ont peur. Pour les sourires et les pleurs, mes cher·ère·s, tdlr). Je me tourne vers mon amie, on se sourit et je crois que quelque chose a changé. Un jour on parlera de nos histoires, on rira de notre enfance, du rêve de cette vie interdite. Ce soir, on s’identifie à celle d’un·e autre, heureuses d’être queer, entourées et comprises.

La thèse de The Apocalypse In Your Bedroom est à retrouver sur le site knottart.com. The Apocalyse In Your Bedroom a été présenté dans le cadre du Festival Phénomena, qui se poursuit jusqu’au 21 octobre prochain, avec les spectacles Mixtape le 19 octobre, Cabaret Dalida sans Dalida le 20 octobre, et Music Sensation (Battle Waacking) le 21 octobre.

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Sorgin afari https://www.delitfrancais.com/2022/09/21/sorgin-afari/ Wed, 21 Sep 2022 11:15:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=48879 Un crayon sous l’oreiller : ensorcelée par mes cauchemars.

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J’éteins, j’allume, rien. J’éteins, j’allume, dehors le hibou hulule. J’éteins, j’allume et rien. J’éteins.

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La nuit tombe. Des formes blanches s’enlacent et se confondent, elles jouent à la métamorphose. Leurs mouvements lents, longs, sensuels, me font sombrer dans une ivresse obsédante. Je discerne une croix, une dame, une sainte, sa couronne brille d’une clarté troublante. Je suis aveugle. Des globules bleus scintillent au plafond, explosent en des petits yeux océan qui dégoulinent sur les murs, pénètrent la masse blanche autrefois reine. Elle s’approche et je sens un épais voile blanc recouvrir mes jambes, m’enserrer les cuisses, me manger les pieds. Mes membres tremblent, les images me rongent les muscles. Je convulse. Je n’ai plus de chair, plus d’os, je ne suis que la peur envahissant les restes de mon corps. Les tableaux me viennent, Le Cri, je crie, le démon sur un torse, le visage de ma nuit.

Esprit hostile devient esprit pervers. J’inspire, j’expire, je me cogne la tête contre le mur, mes cheveux collés à la crasse des cauchemars. Ces petites plantes carnivores moisissent dans les creux de ma chambre, j’entends leur cœur battant, leurs pulsions cannibales. Je les défonce à coups de crâne. GoodbyeGoodbye, je chuchote, goodbye goodbye, je crie en moi-même, «I want you out of my head / I want you out of my bedroom tonight», méchant son de Post Malone. Je me pince la peau, fort, les doigts me dévorent, me brûlent le corps et mes ongles mangés, épineux, s’amusent avec les trous de ma dépouille. Tout me démange, j’atteins le fantasme. Des éclairs traversent le ciel noir de mon esprit hallucinogène. Je lèche le céleste, gobe les étoiles, embrasse la lune rouge sanguine. Son sang colore mes lèvres, je la mords et me nourris d’elle. Je sens la chaleur des gouttes dans ma gorge, le parfum frais, son âme glacée. Volcan ardent, éruption, danger. Les larmes coulent et je ne peux les arrêter.

J’ouvre les paupières, doucement je sors de ma nuit. Coup d’œil sous le lit, les démons ont tous fui. Mes sens dès lors s’éteignent et seule la vue s’accroche au réel. J’observe mon corps, compte les hématomes. Je vois les coups sur les murs, la bave luisante au sol, mes draps tachés de cendres, tous ces souvenirs d’une femme en feu. Je soupire… J’extirpe tout désir, purge mes viscères, ne reste que la fatigue, que le sommeil.

À l’aube je me repose, j’attends le crépuscule, je rêve de la terreur du soir. À l’aube je songe à la promesse du noir.

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Concours: La vengeance est un plat qui ne se mange pas https://www.delitfrancais.com/2022/04/06/concours-la-vengeance-est-un-plat-qui-ne-se-mange-pas/ Wed, 06 Apr 2022 13:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=48448 Vous trouverez ici les trois gagnant·e·s du quatrième concours de création du Délit, organisé en collaboration avec la Comission des affaires francophones à l’occasion de la Francofête. Les participant·e·s devaient traiter de l’un des deux thèmes suivants dans leur oeuvre : « Vengeance – les nappes saignent de cire de bougie » et « Je déteste ».  350 FAHRENHEIT… Lire la suite »Concours: La vengeance est un plat qui ne se mange pas

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Vous trouverez ici les trois gagnant·e·s du quatrième concours de création du Délit, organisé en collaboration avec la Comission des affaires francophones à l’occasion de la Francofête. Les participant·e·s devaient traiter de l’un des deux thèmes suivants dans leur oeuvre : « Vengeance – les nappes saignent de cire de bougie » et « Je déteste ». 

350 FAHRENHEIT

Anaël Bisson – Première place

Dîner aux chandelles 

Dans notre appartement enflammé

Ce soir, mon sang te sert de cire 

mes auriculaires de cigarettes

mes cuisses de pièce de résistance

mes cils d’assaisonnement 

Ce soir, tu me mangeras toute crue

Je te noircirai l’intérieur

Je décaperai le papier peint de tes poumons 

Je peindrai ton dos de morsures

Tu ne seras que décombres

On appellera ça un lundi soir

Une lampée de cyanure

Une gorgée de vin 

Une croquée de fruit à peine mûr 

Tu fais semblant d’avoir faim

Pendant que notre cabane flambe

Tu fais semblant de ne pas entendre 

les miaulements du chat 

qui fond sous le canapé 

Tu fais semblant de ne pas sentir 

Notre attachement qui s’embrase 

Notre tendresse en combustion

On mélangera notre bain moussant à leurs tisons

Et on se noiera dedans

Je déguste mais

j’ai les nerfs à vif

Ton front coule dans l’assiette

Et nos bagues sur nos fourchettes

J’ai vraiment cru qu’elles resteraient de la couleur

de la vingtaine et des baisers de matin

Mais ce soir elles ne sont plus que rouille 

vert-de-gris et fausses promesses

On les portera jusqu’à ce que le métal touche l’os 

Assieds en tailleur sous le restant de table à manger

On se regarde dans les yeux

Les tiens sont secs

Et mes larmes à moi n’éteindront rien

Je te demande qui va quitter en premier

Tu me dis que tu te plais bien ici

Je te crache au visage

Ça part en fumée

Je te réponds qu’il y a plus à voir dans ce monde

Que nos cendres entremêlées

Tu hausses les épaules 

Te couches sur le dos

Fais des anges dedans

Sors la langue

Les attrapes

Ce n’est qu’une haine saisonnière 

On ne prend même plus la peine

de faire semblant

de vouloir se dire au revoir

Nous autres, on s’hait 

et on fait l’amour dans l’âtre

Nous autres, on s’hait 

et on fera l’amour 

au sommet de la cheminée

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Imaginaire défectueux

Célia Pétrissans – Deuxième place

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Dictionnaire d’une tragédie

Agathe Nolla – Troisième place

Bougie (nom féminin)

Appareil d’éclairage formé d’une mèche tressée enveloppée de paraffine qui décore les messes de Noël, les repas de famille, ou les cercueils des maris. Durant la cérémonie d’enterrement, elle dépose deux petites bougies blanches, de part et d’autre de la croix sculptée qui emprisonne celui qu’elle avait aimé. Elles se consomment et brûlent toute la grâce et la candeur de la jeune veuve.

Cire (nom féminin)

Matière molle, jaunâtre, produite par les abeilles, colorée dans la production de chandelles carmin, par exemple, qui ornementent la table du diner. En proposant du pain rompu au siège vide du commensal, sa maladresse bouscule la chandelle dont la cire gicle, formant deux perles luisantes qui se raidissent.

Nappe (nom féminin)

Pièce de linge dont on recouvre la table pendant les repas. Rarement lavée, elle est sacrifiée pour préserver la virginité du bois, et souvent, devient un palimpseste d’émotions vomies, crachées, puis avalées. Ce soir-là, elle ne mange pas. Le menton collé au torse, des larmes se ruent contre les cils inférieurs et forment une cascade dédoublée à débit léger qui imprègne la nappe de deux flaques salées où gisent les gouttes de cire sèche.

Saigner (verbe intransitif)

Perdre du sang (sens propre) ; être le siège d’une vive souffrance (sens figuré) ; action nécessaire pour somatiser un décès (sens actuel). Brusquement, elle saisit la chandelle carmin et fait répandre son sérum brûlant le long de son avant-bras gauche, puis droit, avant de recouvrir sa poitrine. Elle fixe les sillons carmin sous lesquels son cœur palpite encore. Martyr, la bouche entre-ouverte, son regard dérive vers le plafond, hypnotisée par l’éclat du lustre, pour y trouver Dieu.

Vengeance (nom féminin)

Action de se venger; dédommagement moral de l’offensée, elle, par punition de l’offenseur, Dieu. «Nous n’irons plus à l’église», pleure-t-elle. Elle souffle les bougies dont la fumée dessine des prochains schémas sournois.

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