Auguste Rochambeau - Le Délit https://www.delitfrancais.com/author/augusterochambeau/ Le seul journal francophone de l'Université McGill Fri, 12 Feb 2021 19:52:50 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.7.2 De l’autre côté de la barrière https://www.delitfrancais.com/2018/02/07/de-lautre-cote-de-la-barriere/ https://www.delitfrancais.com/2018/02/07/de-lautre-cote-de-la-barriere/#respond Wed, 07 Feb 2018 17:24:58 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=30361 La question raciale exige que nous restions ouverts quant à ses solutions.

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Aujourd’hui, dans l’imaginaire collectif américain, être noir signifie souvent être liberal. Si à la fin de la guerre civile les Noirs votaient quasi unanimement pour le Parti républicain, aujourd’hui exprimer des idées conservatrices et faire partie de la communauté afro-américaine peut s’avérer constituer un certain péril. En déduire que le conservatisme noir n’existe pas serait néanmoins une grossière erreur: de Clarence Thomas qui associe discrimination positive et lois de Jim Crow, à Larry Elder qui accuse l’État providence d’aggraver la situation des Afro-Américain, la critique conservatrice de la société est vivante. Et alors me direz-vous?

Et alors, mon but est d’alimenter le débat concernant la question suivante: «Quelle est l’origine des inégalités raciales?» Nous vivons dans un microcosme mcgillois au sein d’une société polarisée, de telle sorte qu’il est de plus en plus rare d’avoir l’opportunité de confronter ses idées à leurs antithèses, situation ne pouvant mener qu’à un appauvrissement intellectuel. Il s’agira donc, ici, de présenter et de mettre en contexte une partie de la pensée conservatrice —que l’on catégorise trop simplement comme raciste au premier regard— relative aux origines de la marginalisation des Afro-Américains, dans l’espoir de développer une réflexion politique plus riche et plus profonde. L’espace étant compté, l’enjeu est de présenter la critique relative à certaines composantes culturelles potentiellement contre-productives, dans l’espoir de susciter le débat sur des sujets plus larges que nous ne pouvons traiter ici.

Lorsque vient le moment d’aborder la question noire, il est nécessaire d’oublier l’idée d’un Noir unidimensionnel et intemporel

Plusieurs nuances de noir

Lorsque vient le moment d’aborder la question noire, il est nécessaire d’oublier l’idée d’un Noir unidimensionnel et intemporel, particulièrement en Amérique du Nord. Qu’il s’agisse des immigrés africains, européens ou caribéens, les descendants d’esclaves du Sud ou du Nord, des riches ou des pauvres, de grandes disparités les séparent et parfois les opposent. Ainsi ne pas prendre en compte ces différences, en matière d’histoire, de culture, ou de conditions économiques relèverait au mieux d’une grande ignorance, au pire d’un réductionnisme raciste. Aussi obfusquer ces différences appauvrirait grandement notre analyse des évènements. À ce chapitre, un exemple des plus éloquents concerne les différences en termes de résultats scolaires: dans une étude menée sur les écoles de Seattle, il a été observé que 36% des élèves noirs dont la langue maternelle est l’anglais réussissent le test de fin d’année en mathématiques; un score inférieur à celui des élèves noirs dont la langue maternelle est le somalien qui réussissent ce même test à 47%. Les résultats concernant les compétences en langue anglaise sont similaires: respectivement 56% et 67% de succès. Des résultats encore plus surprenants apparaissent quand on considère des Éthiopiens ou des Érythréens. Malgré tout, le cas somalien est particulièrement intéressant: fuyant la guerre en n’emportant probablement, pour la plupart, ni richesses ni éducation supérieure, les Somaliens obtiennent pourtant en moyenne de meilleurs scores en anglais que les Afro-Américains. Pourquoi?

Une partie de la gauche américaine avance —en considération du passé esclavagiste des États-Unis et du racisme ambiant— qu’une partie importante des Afro-Américains a intériorisé un sentiment d’infériorité et s’autolimiterait donc; il s’agit du phénomène appelé «menace du stéréotype» en psychologie. Toutefois, ce dernier ne devrait-il pas affecter de manière égale Somaliens et Afro-Américains? D’autant que les Afro-Américains représentent le groupe ethnique ayant le plus grand amour-propre (1,2,3), devant les Blancs et loin devant les Asiatiques. S’il n’est pas question de purement ignorer la menace du stéréotype, il semble raisonnable d’explorer aussi d’autres causes potentielles. Considérant la situation somalienne, l’explication socio-économique —bien que tout à fait pertinente à un certain niveau— ne peut avoir le fin mot de l’histoire.

I don’t want ’em to know I’m smart. They’ll make fun of me. I won’t have any friends […] Where I live, they’re gonna say I’m White

Peaux noires, masques noirs

Un élément souvent avancé par les conservateurs est l’attitude d’une partie des jeunes Afro-Américains vis-à-vis de l’école, une attitude que l’anthropologue nigéro-américain John Ogbu qualifie de «norme de l’effort minimal». Son livre Black American Students in an Affluent Suburb: A Study of Academic Disengagement nous abreuve d’exemples. Par ailleurs, l’une des notions les plus intéressantes est celle d’«agir blanc», utilisée par les Afro-Américains pour critiquer leurs pairs qui ne se comporteraient pas «naturellement». «Talking proper», jouer au tennis ou au golf, aller faire du ski, sortir avec «trop d’amis blancs» et avoir de trop bonnes notes semblent être autant de critères pour se voir reprocher d’«agir blanc» et ainsi se faire ostraciser. Un des témoignages est particulièrement univoque: «Je ne veux pas qu’ils sachent que je suis intelligent. Ils se moqueront de moi. Je n’aurai pas d’ami […] Là où je vis, ils diront que je suis blanc» («I don’t want ’em to know I’m smart. They’ll make fun of me. I won’t have any friends […] Where I live, they’re gonna say I’m White»). Il semble que l’éducation est souvent perçue comme une imposition de l’homme blanc et doit donc être résistée. Des études empiriques viennent conforter ces témoignages et démontrent que plus un élève Afro-Américain a de bons résultats, moins il sera apprécié par ses pairs; la tendance contraire est observée chez les Blancs et les Asiatiques. La responsabilité parentale est elle aussi mise en cause : au fil de ses observations Obgu remarqua que les parents noirs ont des attentes moindres par rapport à leurs enfants, ce qui, de l’avis de ces derniers, ont un impact sur leur motivation.

Du point de vue des conservateurs, cet entre-soi (ghettoïsation) est responsable de bien des maux et pourtant reçoit peu d’attention. Tout le discours public relatif à ces comportements, argumentent-ils, se doit d’être critique afin d’inciter la jeunesse défavorisée afro-américaine à se doter d’une éducation plus solide, garantissant plus tard des conditions de vie améliorées. Or, il semblerait que non seulement le climat communautaire, mais aussi le manque de recul alimente une ambiance délétère: «En faisant de [comportements contre-productifs] une partie sacrosainte de l’identité culturelle noire, les libéraux blancs et ceux qui excusent, célèbrent, ou autrement propagent ce style de vie, non seulement le préservent au sein de cette fraction de la population noire qui n’y a pas encore échappé, mais ont aussi contribué à son expansion jusqu’à la jeunesse des classes moyennes noire qui sentent un besoin d’être en accord avec leur identité raciale» argumente Thomas Sowell, économiste et auteur, éminente figure noire du conservatisme américain. Ce climat peut convoyer l’idée que la communauté est parfaite, qu’aucun reproche ne saurait lui être adressé et surtout pas par quelqu’un de couleur qui devrait son allégeance à ladite communauté. Ainsi, la professeure Geneva Gay avance que les «standards de qualité sont culturellement déterminés» et qu’ainsi des exigences telles que l’absence de bavardage ou celles relatives à tout travail demandant une attention prolongée —y compris les devoirs— sont «blanches» et doivent être reconsidérées dans des milieux afro-américains.

La critique conservatrice peut facilement choquer. À la lumière d’une lecture approximative, elle peut sembler dire que la pauvreté, le manque d’éducation scolaire et la forte criminalité sont choisis par les ghettos, qu’ils l’ont sciemment décidé et que toute plainte n’est que jérémiade. Toutefois, comme le dit Sowell à propos d’une situation similaire, «[ils] pourraient difficilement être blâmés pour être nés où ils sont nés et avoir absorbé la culture qui existe autour d’eux». Il ne s’agit pas d’affirmer que l’entièreté de la culture afro-américaine est nuisible, mais qu’il existe des comportements autodestructeurs et qu’il est nécessaire de former des mouvements communautaires pour y répondre — des Black Lives Matter contre les gangs, des groupes pour la responsabilité parentale, pour la valorisation des élèves qui réussissent, etc. Ne perdons pas ici le réel objectif : que l’on soit d’accord ou non avec la critique exposée ici importe peu, toutefois ces idées semblent suffisamment pertinentes pour exiger au moins une vérification factuelle des nôtres.

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La «discrimination positive» en question https://www.delitfrancais.com/2017/10/17/la-discrimination-positive-en-question/ Tue, 17 Oct 2017 16:06:36 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=29499 La «discrimination positive» est-elle un frein à l’émancipation des minorités?

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Maîtrisez les savoirs, et vous maîtriserez le peuple. À travers les âges, on peut trouver de nombreux exemples où l’éducation, servant à signifier le rang social, était restreinte, voire interdite, aux classes les plus basses. Si l’on s’attarde par exemple sur les Etats-Unis, il était interdit dans de nombreux Etats du sud que les esclaves puissent apprendre: un esclave éduqué est un esclave dangereux. Ainsi, à la fin de l’esclavage, quand les premières écoles acceptant les Noirs furent ouvertes, on y vit se bousculer un peuple auquel les plaisirs de la connaissance avaient été niés trop longtemps. Aujourd’hui encore, l’éducation joue un rôle phénoménal dans la résorption des inégalités : selon The journal of Blacks in Higher education, les Noirs ayant un diplôme de niveau baccalauréat gagnent 95% du salaire moyen des Blancs ayant un niveau d’éducation similaire. À ce niveau de qualification, le racisme semble avoir un effet quasi nul. Autrement dit, si l’on résolvait l’écart d’éducation — plus de 30% des Blancs ont un niveau égal ou supérieur au baccalauréat, contre 20% des Noirs — il serait possible de diminuer une importante partie de l’écart social racial. Toutefois, depuis plusieurs dizaines d’années, une certaine approche des relations raciales, les affirmative actions, semblent mettre en danger l’efficacité du système scolaire à résorber les inégalités raciales.

Les origines de l’affirmative action

En 1964 fut voté le célèbre Civil Rights Act, dont le but était d’interdire une grande partie des discriminations raciales. Afin de s’assurer que la loi soit respectée, les tribunaux furent désormais autorisés à mettre en place des «affirmative actions», qui permettaient d’exiger le réemploi des victimes de discrimination. Plus tard, la notion s’étendit aux campagnes d’information auprès des minorités, les incitant à prendre les opportunités qui leurs étaient offertes, et aux efforts de démantèlement de systèmes discriminatoires. Seulement, malgré l’égalité légale, les inégalités socioéconomiques demeurèrent. Il y avait toujours moins de Noirs que de Blancs dans les universités de haut niveau, les Afro-Américains obtenaient toujours un score moins élevé en moyenne aux tests standardisés, et l’écart en terme de chômage restait le même. Partant de ce constat, le terme «affirmative action» a commencé à désigner de plus en plus souvent la «discrimination positive»: si les critères universels ne permettaient pas d’atteindre la parité, alors les critères devaient changer. Ainsi, par l’instauration de quotas, les minorités ont vu leur population augmenter au sein des institutions publiques comme privées, notamment dans celles qui nous intéressent ici: les universités. Victoire? Malheureusement, cette hausse très séduisante cache une réalité plus sombre dont on parle trop peu. Selon CNN, si les Afro-américains sont le groupe avec le second taux d’inscription à l’université le plus élevé après les asiatiques, c’est aussi le groupe avec le taux le plus faible de diplomation. En d’autres termes, les Afro-Américains rentrent plus facilement à l’université qu’avant, mais en sortent difficilement avec un diplôme. Pourquoi?

Après 1964, les universités ont suivi plus ou moins le même chemin que le discours public. Les initiatives visant à rendre plus facile l’intégration des minorités se multiplièrent. Plus tard, on vit l’apparition de préférences raciales. En effet, lorsqu’un étudiant américain souhaite postuler dans une université, il doit souvent passer un examen standardisé, le plus célèbre étant le SAT avec un score maximal possible de 1600 points. Quand un élève se situe dans une situation défavorisée, on peut lui donner un avantage. Ainsi, un enfant de fermier peut être favorisé par rapport à un enfant issu d’une famille privilégiée ayant le même score. Dans le cadre de préférences raciales, l’avantage concerne les ethnies qui sont en sous-nombre au sein de l’université vis-à-vis de leur proportion dans la population générale . Toutefois, malgré ce bonus, les minorités restèrent sous-représentées. Ce dernier devint donc de plus en plus important au fil des années. Afin de comprendre l’étendue du phénomène, il faut considérer que presque toutes les institutions exigeant un SAT médian de 1100 ou plus utilisent des préférences raciales, représentant de 30 à 40 pourcent de la masse totale estudiantine .

En 2009, il fut rapporté par le professeur de sociologie Thomas J. Espenshade que ce bonus représentait en moyenne 310 points pour les noirs vis-à-vis des blancs, ayant pour conséquence qu’un fossé important se creuse entre les compétences moyennes des deux groupes . L’espoir est qu’en leur donnant une chance, les élèves admis grâce à des préférences raciales, malgré leur niveau plus faible, arrivent à rattraper le train en marche, et se hissent au niveau moyen. Néanmoins, un certain nombre d’études et d’académiciens remettent en cause ce point de vue, et affirment que ces préférences rendent plus difficile la diplomation des minorités. Le principal effet incriminé est la «discordance» notablement théorisé par Thomas Sowell, économiste afro-américain, dans les années 80: les préférences accordées sont si importantes qu’elles produiraient un décalage entre ce qu’exige l’université et les performances des étudiants «favorisés», entraînant stress, stéréotypes, ou simplement échec dû à un niveau trop bas.

« Si ces stéréotypes pullulent au sein des étudiants, ils ont de fortes chances d’infecter le marché du travail plus tard »

Discordance et conséquences

À l’ère où nous prenons de plus en plus conscience de l’importance de la santé mentale, il est un devoir moral de s’attarder à l’effet de ces différences de résultats sur les minorités «désaccordées». Les études supérieures sont souvent éprouvantes; les étudiants passent de longues nuits à étudier, pour subir parfois de lourdes déceptions. À cela, il faut souvent ajouter l’éloignement de ses proches et le sentiment de solitude. Il est alors facile de comprendre à quel point la situation peut être traumatisante pour des cohortes de jeunes étudiants qui doivent de surcroît faire face à un décalage scolaire. «J’ai vu arriver cela pendant vingt ans», témoigne Gary Hull, directeur du Program on Values and Ethics in the Marketplace à l’Université de Duke. «Le postulat paralysant est: je dois, mais je ne peux pas»; les élèves sont coincés entre les attentes de leurs proches et leurs résultats. «Cela pousse les étudiants à ressentir une culpabilité non méritée, qui déclenche de nombreuses maladies psychologiques». On peut aussi craindre que ce décalage entre minorité et majorité d’une même université renforce des enclaves raciales, ce que les universités encouragent en créant des résidences noires ou hispaniques. Un étudiant noir, Hunter, témoigne : «J’étais consterné de la manière dont j’étais auto-ségrégué». «Même dans le réfectoire, il y avait une «section noire » où toutes les minorités étaient supposées se rassembler, au risque d’être ridiculisé ou ostracisé par les membres de cette section».  Selon la critical mass theory, se rassembler en groupe permettrait aux noirs de mieux réussir à l’école. On observe néanmoins l’inverse: selon une étude d’Eric Hanushek, John Kain et Steven Rivkin, moins les minorités sont ségrégées, mieux elles réussissent.   

Juliette Suzette

L’impact psychologique du processus de discordance ne se limite pas aux minorités. Quand 50% de la population Afro-américaine d’une université se trouve dans les 10% des plus faibles d’une classe, cela se remarque assez facilement; ce qui — est-ce une surprise — conduit à des stéréotypes: «Les gens pensaient que j’étais [dans cette université] uniquement à cause de l’affirmative action, alors j’essayais de me rendre invisible», témoigne un ancien étudiant du Dartmouth College. Un autre se rappelle: «Il y avait une impression partagée que tous les Noirs sur le campus étaient ici soit parce qu’ils étaient athlètes, soit avec l’aide d’un programme de recrutement des minorités, et qu’ils n’étaient pas vraiment à leur place». Des stéréotypes raciaux, inexacts et injustes pour tous ceux qui ont été admis du fait seul de leurs capacités, mais des stéréotypes qui s’appuient sur des processus d’admission bien réels. Le fait que dans un environnement académique donné, les élèves socialisent principalement avec ceux qui ont un niveau académique similaire,  augmente donc les chances de ségrégation. Nous ajouterons aussi que le stereotype threat — l’impact des stéréotypes sur les performances scolaires — a un impact bien réel et documenté.

Malheureusement, si ces stéréotypes pullulent au sein des étudiants, ils ont de fortes chances d’infecter le marché du travail plus tard. De ce fait, si les Noirs souffrent du stéréotype d’être tous acceptés grâce à l’affirmative action, alors leurs potentiels employeurs, en comparant un Blanc et un Noir à diplôme égal, présupposeront que le Noir a été accepté via des préférences raciales, et est donc moins doué que le Blanc. Cette hypothèse semble être confirmée par un expérience menée par trois chercheurs, relatée dans l’ouvrage Mismatch de Richard Sander et Stuart Taylor. Ils demandèrent à une centaine d’étudiants en finance d’évaluer la valeur de plusieurs start-ups fictives. Ils se rendirent compte que les compagnies ayant des meneurs blancs sortis d’écoles prestigieuses étaient plus valorisées que celles ayant des meneurs noirs sortis des mêmes écoles. Racisme? Pas si vite: s’il était précisé que les meneurs noirs venaient d’une école ne pratiquant pas d’affirmative action, l’écart de valorisation disparaissait. En somme, la discrimination positive semble avoir un effet négatif sur l’emploi des minorités.

« Les étudiants «bien accordés» ont deux fois plus de chances de poursuivre leurs plans académiques que les «désaccordés »

Il est aussi intéressant de se pencher sur les conséquences de la discordance sur les élèves en science. Ainsi, une étude publiée en 1996 dans Research in higher education, menée dans quatre des universités les plus prestigieuses des Etats-Unis en 1992, montre que si 45% des Noirs et 41% des Blancs souhaitaient entrer en STIM (Science, Technologie, Ingénierie et Mathématiques), les Blancs étaient deux fois plus nombreux à obtenir un diplôme dans ce domaine . En y regardant de plus près, le facteur ayant la plus forte corrélation avec le taux d’abandon scolaire est le score SAT en mathématiques. Le propos n’est pas d’affirmer qu’un mauvais score cause l’abandon, mais que le mauvais score et l’abandon ont une cause commune: un niveau scolaire insuffisant. Il est possible d’adresser plusieurs critiques à l’usage d’index académiques tels que le SAT. Toutefois, il est difficile de reprocher à ce test de sous-estimer le niveau des minorités: il semble que, si biais il y a, il favorise les minorités.  De plus, selon une étude de 1999 des chercheurs Donald Power et Donald Rock, les Noirs prennent plus souvent des cours particuliers pour ce test que les Blancs et les élèves prennent rarement ce genre de cours. Toutefois, les Noirs étant les premières victimes d’un système d’éducation défaillant au secondaire — voir Waiting for superman —, ils finissent souvent leurs études pré-collégiales avec un retard. Il semble donc qu’en dépit du fait que les Noirs soient nombreux à souhaiter faire des sciences, le décalage entre leur niveau et celui exigé par leur université ne leur permette pas de poursuivre leur rêve. Ce phénomène pourrait expliquer le fait qu’il y ait 17 fois moins de docteurs en science chez les Noirs que chez les Blancs, malgré 50 ans d’affirmative action et leur fort intérêt pour le domaine.

Des diplômes en moins

La situation est d’autant plus tragique quand, comme le montra en 1960 James Davis dans The campus as a frog pond, les aspirations des étudiants sont influencées par leurs résultats par rapport à leurs pairs: voir les gens autour de nous réussir quand on échoue est démotivant. En 2004, Frederick Smyth et John McArdle ont estimé que si l’effet de discordance avait été supprimé, 45% des femmes et 35% des hommes issus des minorités en plus auraient obtenu un diplôme de STIM. Cet effet fut confirmé par une étude de Berber and Cole, montrant qu’un large nombre de personnes appartenant à des minorités voient leur motivation meurtrie par leur obtention de notes plus faibles que la moyenne; à l’opposé, les élèves issus de minorités entourés d’étudiants ayant le même niveau académique qu’eux voient leur confiance augmenter. Finalement, les étudiants «bien accordés» ont deux fois plus de chances de poursuivre leurs plans académiques que les «désaccordés».

Un autre domaine académique devrait retenir notre attention: la loi. Considérant le fait que l’examen pour devenir personne de loi est le même quelque soit l’université d’origine, il permet d’établir une claire comparaison. Ainsi, en 1995 on observa que 50% des Noirs qui rentraient à la faculté de droit de UCLA finissaient dans les 10% des élèves les plus faibles. Au final, 50% des Noirs réussissaient leur examen final, contre 90% des Blancs.  Quand on compare ces résultats à ceux d’écoles moins prestigieuses, les étudiants avec des niveaux similaires réussissent leurs examens finaux 75 à 80% du temps. Notons que les Noirs qui avaient les mêmes notes que les blancs avaient autant de chances de réussir.

« Des stéréotypes raciaux, inexacts et injustes pour tous ceux qui ont été admis du fait seul de leurs capacités, mais des stéréotypes qui s’appuient sur des processus d’admission bien réels »

En outre, il semblerait que l’absence de préférences raciales motive les minorités. Quand ce système fut aboli en Californie en 1997, on observa une hausse des demandes d’admission pour tous les groupes raciaux, particulièrement chez les élèves ayant les meilleurs résultats. Ce résultat fait écho à une autre trouvaille; l’année suivant l’abolition des préférences, le nombre de lycéens noirs passant le SAT et étant dans le top 13% des candidats bondit de 20%, et de 35% au total en 2001,  ce qui peut être interprété comme un sursaut de motivation. On observa de même que le taux de diplomation des noirs avait doublé dans les années qui suivirent l’abolition des préférences raciales en Californie. Le nombre de diplômés resta stable,  et à plus long terme, la fin des préférences s’est révélée largement bénéfique pour la diplomation des minorités.  Enfin, un autre effet bienvenu fut la diminution de la ségrégation raciale dans les universités.

Au regard de ces faits, il me semble impératif de reconsidérer notre approche de la lutte contre les inégalités. Aujourd’hui, celle-ci paraît réduite à une posture: le but n’est plus d’analyser les conséquences de nos actes, mais d’y imposer a priori un sceau moral en se gargarisant d’appartenir au côté de la Vertu. Prenons garde. Enivrés par notre hubris, nous risquerions de voir étouffer ceux que nous voulons protéger sous notre paternalisme tentaculaire.

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Repenser l’appropriation culturelle https://www.delitfrancais.com/2017/09/14/repenser-lappropriation-culturelle/ Thu, 14 Sep 2017 14:43:43 +0000 http://www.delitfrancais.com/?p=29127 L'appropriation culturelle: une arme pour l'émancipation des minorités ?

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Erratum : La rédaction souhaite noter que le titre et le chapô de l’article ont été changés. 

Je dois avouer ma perpétuelle perplexité, mon incompréhension désespérée devant l’Amérique du Nord. Elle qui se targuait autrefois d’être le chantre de la liberté dans le monde occidental, discute aujourd’hui de ce qui est acceptable d’arborer comme vêtement, ou coiffure. Par exemple, il est ainsi de plus en plus fréquent de reprocher à des mannequins blancs de porter des dreadlocks. Contrevenir à ce type d’interdit conduit à se faire accuser d’«appropriation culturelle», définie comme l’adoption ou l’utilisation d’éléments d’une culture minoritaire par les membres d’une culture dominante. Elle serait irrespectueuse et constituerait une forme d’oppression et de spoliation.

Au mois de mai de cette année éclata le cas de l’«Appropriation prize » : un journaliste proposa de récompenser les meilleurs écrits traitant d’une culture différente, puis subit l’ire générale. On vit marteler le même discours : «l’appropriation culturelle, c’est mal». Au vu de l’ampleur de la réaction publique, cette affaire témoigne du changement des mœurs; il me semble donc temps de dire tous les dangers de la direction que nous prenons. Le sujet est délicat, bien que souvent traité à coups de fainéantise intellectuelle. L’exemple le plus récurrent de cette dernière, mais aussi le plus efficace à provoquer l’indignation générale, est de mélanger caricature raciste et appropriation. La différence est pourtant simple à comprendre : en s’appropriant un élément d’une culture étrangère, on lui donne un sens à nos yeux. Cet élément gagne une signification intrinsèque, différente ou non de celle d’origine ; il cesse d’être uniquement «l’élément des autres» et devient également «mon élément». À l’opposé, une caricature souhaite utiliser et conserver le caractère étranger de l’élément culturel en question.

 

Appropriation et moquerie : la confusion

 

La différence est très facile à saisir avec un exemple : une blackface n’est pas une appropriation culturelle; pour paraphraser Conor Friedersdorf, si une femme noire dit à un ami «Je vais te faire découvrir ma culture», elle lui montrera peut-être une église historiquement noire, elle lui fera écouter un morceau de jazz, ou de blues, mais à aucun moment elle ne lui dira «Maintenant, mettons-nous du noir sur le visage!». Il n’y a, ici, aucun élément culturel. De la même manière, mettre un chapeau vaguement asiatique, et imiter l’accent chinois pour faire des blagues racistes ne cherche aucunement à s’approprier la culture — et donc à la faire sienne — au contraire, elle est soulignée, et pointée du doigt comme culture étrangère, l’objectif est simplement de se moquer de celle d’un autre.

Pour être tout à fait clair, mon argumentaire ne concerne pas non plus un vol de culture ou de savoirs, c’est-à-dire un effort délibéré par un groupe de changer la paternité d’un élément culturel. Par exemple, si les Européens clamaient avoir inventé le taboulé, ce serait non seulement faux, mais en plus d’un ridicule consommé. D’autant que les motivations derrière de tels actes d’effacement volontaire sont souvent critiquables. On peut par exemple citer des femmes scientifiques cachées dans l’ombre du paternalisme, ou encore l’effort du gouvernement allemand sous Hitler d’effacer toutes les traces de scientifiques juifs. Toutefois ce n’est pas le sujet ici. Non seulement personne n’essaie de faire croire qu’il a inventé le taboulé, mais en outre, ce genre de réattribution lourdement condamnable ne s’applique pas aux cas que l’on suspecte être de l’appropriation culturelle.

Nous pouvons donc aborder maintenant le cœur du problème, la véritable appropriation culturelle. Si l’anti-appropriationisme m’apparaît largement comme une vaste fumisterie intellectuelle, je dois toutefois reconnaître que des questions intéressantes sont abordées, la première de toutes étant la suivante: Qui décide des modifications que peut subir une culture? Qui est le modificateur légitime?

 

Une culture sous contrôle : le mythe

 

La réponse la plus facile serait de considérer que personne n’ait cette légitimité ; à ce moment, la culture devient un élément inaliénable — comme la liberté par exemple, que l’on ne peut vendre — ce qui en ferait un élément non- partageable et immuable. De la même manière que personne n’a le droit de vendre sa liberté, les autochtones ne pourraient ni partager leur culture ni la modifier. Seulement, cette position est terriblement bancale; elle impliquerait que si un autochtone souhaitait inventer un produit, ou tourner un film (devenant ainsi une composante de la culture autochtone), il ne le pourrait pas, car ceci modifierait la culture autochtone. Abandonnons donc cette idée, autrement nous serions pour l’éternité de simples esclaves bornés s’acharnant à suivre avec une ferveur aveugle des clichés du passé. La question néanmoins reste alors entière, une culture a‑t-elle un maître?

 

Un processus démocratique — un vote ou quelconque consultation populaire — est impossible sans se transformer en totalitarisme. Supposons que les Québécois votent afin de déterminer s’il est acceptable d’incorporer ou non de la viande dans une poutine, il y aurait plusieurs problèmes à régler. En premier lieu, qui a la légitimité de voter? Les Québécois, y compris ceux qui n’ont jamais touché une poutine de leur vie? Ou peut-être tout le monde en ayant déjà fait, y compris des non- Québécois? Ou peut-être juste les inventeurs de la poutine? Outre la légitimité, quid de l’application de la décision prise? Que se passerait-il si un Québécois ne reconnaissait pas la légitimité du vote et allait à l’encontre de l’issue du suffrage? Serait-il interdit de poutine? La police le surveillerait-il, serait-il jeté en prison s’il en mangeait? Vous avez compris l’idée; ­­­­­­­­­­­contrôler ce qui est culturellement faisable ou non est fondamentalement autoritaire, et nécessiterait une police du comportement qui aurait le droit de s’introduire même dans la sphère privée de chacun, imposant une observation monolithique de la culture.

 

Soyons toutefois charitables, que se passerait-il dans l’hypothèse où une solution serait apportée à ces problèmes? Comment aborder le reste de la question? Ainsi, il est parfois avancé que s’opposer l’appropriation culturelle permet de réserver une estrade aux minorités qui peuvent alors faire passer des messages politiques. Malheureusement, cette vision n’est probablement pas la plus efficace à lutter contre le racisme. En restreignant des éléments culturels à des ethnies, on aboutit nécessairement à renforcer, ou du moins à souligner, les clichés racistes et les essentialismes. Par exemple en limitant les recettes à partir de riz aux populations asiatiques, on renforce les clichés associant riz et Asiatiques ; dans l’imaginaire collectif, les Chinois resteront les éternels mangeurs de riz ou de nems, les Mexicains de tacos, et les Japonais de sushis — en effaçant toute possibilité de nuance, et sans égard à une réalité souvent différente.

« Qui décide des modifications que peut subir une culture ? Qui est le modificateur légitime ? »

 

Une nécessité pour les cultures minoritaires

 

En outre, si les Occidentaux ne sont pas autorisés à emprunter la culture des autres, alors leur culture restera purement occidentale; or étant donné l’hégémonie culturelle occidentale — les jeans, l’anglais, Hollywood, le fast-food — il y a de fortes chances qu’elle finisse par conquérir le monde. Chaque ethnie se retrouvera à devoir combattre pour sa propre culture, sans espoir qu’elle ne soit récupérée et perpétuée par la culture dominante. C’est condamner à la mort les cultures opprimées sous prétexte d’un conservatisme dépassé et déplacé. À l’inverse, l’appropriation permet de diminuer l’exotisme et de lutter contre une hégémonie uniformisatrice. En banalisant la culture d’une minorité, celle-ci se trouve aussi dans un milieu plus familier. Cela pourrait permettre d’encourager la culture minoritaire à s’exprimer et diminuerait ses chances de disparaître. Par la même, les clichés sont largement réduits : il est parfois dit que les noirs portant des dreadlocks sont marginalisés du fait de leur coiffure. Or si cette coiffure devient banale, alors il n’est plus possible qu’elle soit l’objet de discriminations.

L’autre argument avancé par les anti-appropriationistes est économique : en réservant la commercialisation d’une culture (tacos, sushis, etc.) à la minorité dont elle est issue, on permettrait à cette minorité marginalisée de retrouver un pouvoir économique. Or, acheter des éléments culturels d’une minorité nécessite de l’appropriation culturelle: un occidental, quand il achète des sushis, que ce soit auprès de Japonais ou non, il y a toujours une utilisation d’une culture étrangère, et donc appropriation culturelle. Un vrai anti-appropriationiste devrait donc s’opposer à ce que les Blancs puissent acheter du rap. Ou alors, il devrait l’acheter sans l’écouter. N’oublions pas que donner un monopole en fonction de critères ethniques est ardu : qui sera autorisé à vendre exactement? Qui a la légitimité de vendre une culture? (Voir le dilemme de la poutine un peu plus haut). Concentrons-nous sur une vision purement économique de la chose. En premier lieu, garantir un monopole à un groupe n’implique pas que ce groupe aura plus de revenus, surtout dans un contexte de racisme. Imaginons par exemple des Mexicains possédant un restaurant mexicain et ayant moins de revenus qu’un autre restaurant mexicain tenu par des Occidentaux parce que les consommateurs sont racistes. Imaginons maintenant que le restaurant tenu par les Occidentaux disparaisse, et que les consommateurs racistes soient obligés de choisir entre le restaurant mexicain tenu par des Mexicains, et une infinité d’autres restaurants — italiens, fast- food, français — aussi tenus par des Blancs, ne choisiraient-ils pas les autres restaurants ? Le bénéfice financier pour la communauté mexicaine est loin d’être garanti, et risque de marginaliser un peu plus leur culture. En second lieu, l’appropriation peut être un support à l’expansion économique. Prenons l’exemple de Ghost in the Shell ou Death Note, des mangas qui ont été repris par des Américains pour le marché audiovisuel américain. Certes, ces adaptations ont leur lot de défauts, mais elles contribuent indubitablement à la popularisation des mangas. Qui les connaissait avant ces adaptations? Parmi les millions d’Américains qui les ont vus, une partie voudra en savoir plus et deviendra consommatrice de mangas, permettant un plus grand essor de la culture japonaise.

« La culture n’a ni tête ni queue, elle n’est pas le fruit conscient d’un être qui aurait un droit sur sa création, la culture n’appartient à personne. »

 

Un  raisonnement  dystopique

 

Résumons la logique derrière l’argument économique : les minorités, puisqu’elles sont en situation de désavantage par rapport aux majorités, devraient recevoir une compensation pour ce désavantage. Et leur garantir un monopole sur la commercialisation de leur culture permettrait de leur garantir une augmentation de leurs revenus. Si l’on garde le même raisonnement, on arrive rapidement à la situation suivante: puisqu’être une minorité justifie une contrepartie financière, il faudrait qu’il y ait des allocations pour compenser ces minorités, payées par un impôt sur la race. Ou alors la division de l’addition en fonction de son identité devrait être inscrite dans la loi. Il est assez effrayant de voir à quel point une telle logique peut être insultante en mettant un prix sur le racisme. L’erreur ici est de présupposer que tout Noir endure le racisme de la même manière. Certains ne l’ont peut-être jamais connu, alors que d’autres en souffrent chaque jour. De même, il est possible d’un Blanc gagne plus qu’un Noir uniquement du fait de ses capacités; quelle est alors la justification pour appliquer la même solution à tous? Plaquer aveuglement une analyse d’un fonctionnement global de la société à un cas particulier est au mieux une grave erreur statistique, et au pire une manipulation démagogique qui fait perdre son sens à ladite analyse. Si une telle analyse est très utile pour avoir une image de la société dans son entièreté, elle est d’une grande pauvreté pour expliquer les rapports particuliers. Il est intéressant de noter que l’extrême droite européenne utilise la même technique: «Puisque les Noirs sont en moyenne plus susceptibles d’être arrêtés pour crime que les Blancs, alors chaque Noir pris individuellement est plus susceptible de l’être que chaque Blanc».

 

Une telle comparaison peut paraître surprenante, mais en réalité l’anti-appropriationisme emprunte beaucoup au conservatisme européen, notamment en affirmant l’existence d’une essence propre à une communauté identitaire — et donc la nécessité de moduler les règles, les lois en fonction de l’identité. On aboutit ainsi à une structure politique dépendante de l’ethnie: un État avec des lois dépendant de la couleur de chacun ; ou mieux: un État propre à chaque couleur de peau. Avec un tel objectif, nos rêves de lendemains chantants se tairont, pendant que nous deviendrons sourds aux autres. Pouvons-nous vraiment espérer briser les barrières et les stéréotypes quand un enfant devra rapidement apprendre quelle est sa race pour savoir comment se comporter en privé comme en public? Est-ce là la société idéale de l’anti-appropriationisme?

 

La culture n’a ni queue ni tête, elle n’est pas le fruit conscient d’un être qui aurait un droit sur sa création, la culture n’appartient à personne. Elle est le résultat, la somme d’une histoire qui dépasse y compris ceux qui la pratiquent. C’est une chose sans maître qui résiste aux beaux discours et aux totalitarismes rampants. Chacun en tire quelque chose d’individuel; chacun, en voyant les mêmes gestes, trouvera une signification qui le satisfera; chacun inventera sa propre histoire. La culture est l’un des rares endroits où l’on peut mettre du rêve dans notre quotidien: si des Hommes pensent pouvoir communiquer avec les Dieux à travers des pierres, ou décerner une parole sacrée sur un livre, grand bien leur en fasse; qui suis-je pour leur arracher ceci? Ne nous laissons pas enfermés dans des carcans imposés par des fanatiques de la pureté culturelle: créez, réinterprétez, inventez! S’inspirer d’autres cultures ne fait que les rendre plus belles et importantes; la grandeur d’une œuvre se mesure au nombre de ses descendants, de ceux qu’elle a inspirés: figer une culture, c’est la condamner à mourir. En somme, le destin d’une culture, c’est la liberté ou la mort.

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La nécessaire destruction du Noir https://www.delitfrancais.com/2017/02/21/la-necessaire-destruction-du-noir/ Tue, 21 Feb 2017 14:31:48 +0000 http://www.delitfrancais.com/?p=27830 L’émancipation des Américains noirs passe par l’abolition de tout essentialisme.

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L’idée du «Mois de l’histoire des Noirs» me paraît étrange. De qui parle-t-on exactement? Que sont les Noirs? «Race» ne tient pas, scientifiquement, «peuple» non plus: mes ancêtres africains furent vendus il y a 300 ans par leurs frères aux esclavagistes; aujourd’hui nos cultures et nos langues diffèrent. Peut-on toujours parler de famille? Point de rancœur ici mais plutôt une question: suis-je Noir simplement parce que noir? Parler de tous les noirs me semble strictement impossible, je tenterai donc de traiter la question dans le cadre du continent nord-américain.

Il s’agît de montrer que l’idée du «Noir» est une chimère, créée par les colons voulant justifier leur entreprise, puis revendiquée par les noirs eux-mêmes. L’idée d’une négritude qui lierait magiquement les noirs d’Afrique et d’Amérique — et par extension tous les noirs du monde — ne repose sur rien, et est objectifiante: devons-nous nous sentir proches du fait de notre couleur de peau? Non.

«D’où vient ce droit du noir sur le noir?»

Pourtant aujourd’hui les Noirs semblent fournir des efforts considérables pour entériner l’idée d’une communauté liée, pour toujours, par la peau. Quiconque déroge à cette unité s’expose à une excommunication; «Uncle Tom», «house negro», «coconut»: autant de mots pour les noirs traitres à leur race, blancs à l’intérieur, noirs à l’extérieur, ceux qui divergent du comportement du bon noir tel que vu par les autres noirs, ceux qui votent Républicain, ou pire, pour Trump. «D’où vient ce droit du noir sur le noir?», question lancinante qui me hante depuis trop longtemps; il me semble pourtant évident qu’un noir n’appartient qu’à lui-même.

Ce communautarisme auto-imposé me semble contrarier tous les efforts du Civil Rights Movement qui luttait pour supprimer tout fardeau et obligation liés à la race. Agir en fonction d’un caractère aussi arbitraire que la peau, ou ne pas lutter pour que toute signification attachée à ce caractère disparaisse, c’est se soumettre à l’histoire, admettre que sa propre liberté est inutile, puisqu’inexistante.

Il est souvent avancé que revendiquer sa négritude est une arme permettant de se défendre du racisme. Il est intéressant de questionner les conséquences de ce propos. D’une part, on entérine dans les esprits qu’il y a des différences insurmontables entre les ethnies. D’autre part, on essentialise les minorités, on en fait des victimes éternelles, un schéma que reproduiront nos enfants. 

En poussant l’idée plus loin, on peut se demander à quoi bon vivre ensemble. Si les Noirs méritent un traitement différent des Blancs, pourquoi ne pas recréer des quartiers blancs et des quartiers noirs? Pour vivre mieux vivons séparés. Pourquoi accepter des immigrés s’il est nécessaire de créer une structure étatique différente? Créons directement un pays de blancs, un pays de noirs, etc. «Seperate but equal» n’est-ce pas?

Cette idée me paraît bien absurde. Faisons preuve de discernement, le racisme n’est pas une fatalité. Cependant le vaincre implique d’éradiquer toute discrimination et tous les identity politics. Faire l’effort d’engendrer une société où chacun sera considéré en tant qu’individu, où l’on entendra plus «les blancs ne peuvent pas dire ceci» ni «les noirs ne doivent pas dire cela». Une fois ce point atteint, on peut se poser la question «Mais les noirs étant majoritairement plus pauvres, ils le resteront si on ne fait rien». Certes, mais le problème sera alors autre que racial. Il peut être économique avec par exemple un système empêchant l’ascension sociale, politique avec un gouvernement qui dessert ses citoyens, ou social avec un communautarisme qui finit par étouffer les initiatives.

Il est temps donc de mettre fin à l’idée du «Noir», de rendre au nègre sa liberté pour devenir individu. J’aimerais laisser les derniers mots à Frantz Fanon, à propos de ce que les noirs devraient ressentir par rapport aux blancs: «Je ne sais pas, mais je dis que celui qui cherchera dans mes yeux autre chose qu’une interrogation perpétuelle devra perdre la vue; ni reconnaissance ni haine. Et si je pousse un grand cri, il ne sera point nègre.» 

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