Florence Lavoie, Angelina Guo - Le Délit https://www.delitfrancais.com/author/angelina-guo/ Le seul journal francophone de l'Université McGill Wed, 06 Apr 2022 12:11:27 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.7.2 À la croisée des chemins https://www.delitfrancais.com/2022/04/06/a-la-croisee-des-chemins/ Wed, 06 Apr 2022 13:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=48401 Entretien avec l’artiste multidisciplinaire Nicholas Dawson.

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Nicholas Dawson est auteur, éditeur, artiste, chercheur, militant. Ses dernières publications incluent le livre Désormais, ma demeure, paru en 2020 et ayant gagné le Grand prix du livre de Montréal en 2021 ainsi que le Prix de la diversité Metropolis Bleu la même année. Il a également fait paraître Nous sommes un continent, correspondance dans laquelle sa voix se mêle à celle de l’autrice Karine Rosso. Le Délit l’a rencontré au sujet de ces deux publications. 

Le Délit (LD) : Pensais-tu, plus jeune, que tu écrirais des livres et serais chercheur, parmi d’autres occupations? Quelles facettes respectives de ta personnalité associes-tu aux langues que tu maîtrises, soit le français, l’anglais et l’espagnol?

Nicholas Dawson (ND) : Pour répondre à la première partie de la question, je ne sais pas trop comment je me projetais quand j’étais plus jeune. Par contre, j’étais très intéressé par toutes les formes d’expression artistique: j’ai fait de l’improvisation, j’ai appris à jouer quelques instruments de musique, je dessinais beaucoup, puis je me suis intéressé à la lecture, à la musique, au théâtre, aux arts visuels, à l’écriture. Je rêvais certainement d’être artiste, peu importe la discipline, mais je ne savais pas si ce rêve était vraiment atteignable. Je peux dire, donc, que j’ai réalisé mon rêve d’enfance! 

Quant à la seconde question, je vous dirais que je ne sépare pas les choses comme ça. Les langues que je parle, et qui m’habitent, sont mobiles, mouvantes; elles se déplacent selon les contextes, les lieux dans lesquels je me trouve, les personnes avec qui je parle. Ce serait trop facile, trop catégorique, et franchement ennuyeux, de dire que le français occupe une place intellectuelle, l’anglais une place transactionnelle et l’espagnol une place émotive. Ce serait surtout faux et très cliché. Je pleure, je crée, je chante et j’aime dans ces trois langues, même si j’en maîtrise certaines plus que d’autres. Les langues, comme d’ailleurs les facettes de ma personnalité, sont toujours plurielles, instables, précaires. 

LD: La recherche-création se fait la colonne vertébrale de tes travaux artistiques et académiques. Elle est aussi au centre des préoccupations dans Nous sommes un continent. Que représente cette approche pour toi? Que permet-elle?

ND: Pour moi, sur le plan académique, la recherche-création a été une approche salutaire qui m’a autorisé à aborder le multilinguisme, les épistémologies alternatives, les cultural studies, les expériences de soi et personnelles, les enjeux de marginalisation (dont les enjeux raciaux et queer), sans avoir à me soumettre automatiquement à des règles centenaires traditionnelles qui reproduisent des dynamiques de pouvoir encore en place à l’université et qui maintiennent souvent les personnes marginalisées (et leurs méthodes, épistémologies et langages) dans la honte et le silence. La recherche-création était pour moi une approche qui me permettait de créer, de chercher et de théoriser avec des engagements politiques clairs et radicaux. 

« Ce serait trop facile, trop catégorique, et franchement ennuyeux, de dire que le français occupe une place intellectuelle, l’anglais une place transactionnelle et l’espagnol une place émotive. Ce serait surtout faux et très cliché. Je pleure, je crée, je chante et j’aime dans ces trois langues »

LD: Comment te positionnes-tu dans le champ littéraire québécois? Ressens-tu parfois une certaine fatigue ou une frustration liée au fait d’être étiqueté comme un écrivain de la diversité, de la communauté LGBTQ+, etc.? Comment faire l’équilibre entre la reconnaissance des obstacles engendrés par notre identité, et le désir d’universaliser, de créer des ponts entre soi-même et l’autre?

ND: Je ne suis pas fatigué de ça: ma carrière et ma visibilité dans le milieu ont été bâties entre autres par des revendications de représentation, des prises de positions antiracistes et anti-queerphobes. Ce serait malhonnête de ma part de me plaindre de cette catégorisation dont je fais l’objet alors que j’y ai moi-même contribué. Par contre, je suis fatigué de la difficulté qu’on a, dans le milieu, à croiser les enjeux et les expériences; le plus souvent, on me considère comme un écrivain «de la diversité», et plus récemment on me considère comme un écrivain queer. C’est extrêmement rare qu’on arrive à croiser les deux expériences, alors que mon travail croise toujours ces enjeux (avec aussi les enjeux de genre, de classe et d’affect). 

Par ailleurs, j’avoue que je n’ai absolument pas le «désir d’universaliser», que je ne considère pas comme un synonyme de «créer des ponts entre soi-même et l’autre». Je ne sais honnêtement pas ce que ça veut dire, «universaliser», et si c’est de se défaire de ce qui fait de chacun·e de nous des personnes singulières pour mieux être accueilli·e·s par les autres, alors je refuse complètement toute forme d’universalisation. C’est avec la singularité des gens, leurs récits, leurs expériences et leurs formations identitaires, qu’on crée des ponts : on accueille l’autre en tant que sujet, non pas en tant qu’objet exempt de toute forme de je. Je crois que les ponts se créent lorsqu’on arrive à considérer les autres, et à les écouter, en tant que sujets singuliers, dont les expériences individuelles sont inscrites dans une grande histoire sociale dans laquelle nous nous inscrivons également, avec nos expériences, nos langues, nos couleurs et nos subjectivités. Dans ma thèse, j’écris : «je + je c’est plein de nous». Il n’y a rien d’universel là-dedans, mais c’est un véritable pont qui se crée entre deux expériences de subjectivation. 

« La recherche-création était pour moi une approche qui me permettait de créer, de chercher et de théoriser avec des engagements politiques clairs et radicaux »

LD: Pour les personnes immigrantes ou de seconde génération, on parle souvent de ce sentiment d’être étranger peu importe où on va en raison de cette double-culture qui, en grandissant, est assez difficile à habiter. Comment te situes-tu aujourd’hui par rapport à cet héritage métissé, en quoi a‑t-il évolué et quels modes de pensée t’ont aidé à accepter ou à vivre avec cette «étrangeté»? Tu mentionnes notamment cette idée du soi transnational, transpersonnel, pourrais-tu la détailler?

ND: Je ne me sens pas étranger partout – en fait, oui, mais c’est plus compliqué que ça. Ce que je sens, c’est qu’on me fait sentir étranger pas mal partout, et même le mot étranger n’est peut-être pas le bon. On me fait souvent sentir comme un non-sujet, ou en tout cas, un sujet soumis aux manipulations et aux catégorisations des autres. Par exemple, au Chili, il arrive qu’on me dise que je ne suis pas un vrai Chilien à cause de mes privilèges (économiques, surtout), alors effectivement je me sens étranger dans mon pays natal. Mais il arrive aussi qu’au Chili on me dise que je suis un vrai Chilien parce que je parle «chilien» – ça m’est beaucoup arrivé quand je faisais des blagues ou quand je m’exprimais avec des mots argotiques de Santiago. Le résultat ici n’est pas tant de me sentir étranger – puisqu’on me dit au contraire «tu es des nôtres, tu corresponds au lieu où nous sommes et où tu es né» –, mais plutôt de sentir qu’il est impossible d’avoir une réelle agentivité d’appartenance et de mon récit des origines. Pareil au Québec: on me dit la plupart du temps que je suis un vrai Québécois parce j’écris, j’enseigne, je parle la langue, je suis «presque né ici», etc. Mais souvent on me demande : «tu te sens plus Québécois ou plus Chilien», ce qui est une question excessivement violente parce qu’elle me force à faire un choix – on ne pose pas cette question à des personnes nées ici et pas issues de l’immigration, et donc ce choix impose toujours qu’on ne soit jamais au bon endroit. D’une façon ou d’une autre, ce qu’on fait, c’est qu’on essaie de choisir, de classer, de catégoriser à ma place. Donc ce n’est pas tout à fait un sentiment d’étrangeté qu’un sentiment de perte d’agentivité, ce qui est à mon avis un des résultats politiques, mais aussi psychiques, les plus violents de la xénophobie et du racisme. 

LD : Dans Nous sommes un continent, Karine et toi parlez de votre rapport mitigé au français, bien qu’il soit votre langue d’écriture. Quelle place l’hétérolinguisme occupe, selon toi, dans la littérature québécoise?

ND : J’entretiens un doute avec le français, qui est parent du doute qu’on a quand on écrit, peu importe notre rapport aux langues et au nombre de langues qu’on parle, mais qui est aussi différent parce qu’on n’a simplement aucune certitude qui nous précède sur le savoir de cette langue. 

« Je crois que les ponts se créent lorsqu’on arrive à considérer les autres, et à les écouter, en tant que sujets singuliers, dont les expériences individuelles sont inscrites dans une grande histoire sociale dans laquelle nous nous inscrivons également, avec nos expériences, nos langues, nos couleurs et nos subjectivités »

Je ne suis pas sûr de comprendre la seconde partie de la question: l’hétérolinguisme dans la littérature québécoise est… partout. [rires] Je veux dire, on joue beaucoup au Québec avec les registres de langues, avec les régionalismes et avec la forme en général. On utilise aussi souvent l’anglais – moi-même je le fais pas mal. Mais ça demeure un hétérolinguisme, dans le sens où l’usage de l’anglais est la plupart du temps un usage tel que fait dans le monde social québécois (très montréalais en fait) en français, et non pas dans une entreprise de rupture des structures linguistiques. Mais on accueille relativement bien l’hétérolinguisme, à mon avis, dans le milieu littéraire québécois ; c’était très, très rare qu’on m’ait empêché d’utiliser l’espagnol ou qu’on m’ait obligé à le traduire. À la limite, j’ai connu beaucoup plus de résistance avec l’usage de l’anglais que de l’espagnol, une résistance qui n’est évidemment pas liée à l’hétérolinguisme en soi comme pratique, mais bien à l’anglais qui est peut être considéré par certain·e·s, dans une approche un peu nationaliste et un peu colonisée selon moi, comme la langue ennemie. Ça, c’est un autre débat, et j’avoue que je n’embarque pas dans ces logiques historico-nationalistes qui flirtent un peu trop selon moi avec une conception très coloniale et très «puriste» de la langue française. 

LD : Dans ce même livre, Karine et toi échangez sur le passage de «l’écriture de la colère» à « l’écriture compatissante», en parlant entre autres de l’épuisement qui peut parfois s’enchaîner à force de dénoncer, de militer; un mouvement qui relève de la nécessité, mais qui entraîne aussi une lourde charge émotionnelle. Comment arrives-tu à garder l’équilibre entre ces deux postures tout aussi importantes l’une que l’autre? 

ND : Qui a dit que je garde l’équilibre? [rires] Je blague à moitié: la fatigue et l’épuisement professionnel sont monnaie courante parmi les militant·e·s et les personnes marginalisées. Ça m’est arrivé plus d’une fois. Je dirais que j’essaie de mieux choisir mes combats, de créer des réseaux de solidarité pour mieux se partager la tâche des dénonciations, des actions et d’autres formes de militantisme, qui sont aussi des communautés de soin et de sécurité. J’essaie aussi d’être davantage compatissant avec moi-même: ne pas embarquer dans la prochaine chicane ou dans le prochain scandale peut parfois être très salutaire, malgré la honte, le sentiment de désolidarisation ou juste le FOMO que ça peut produire. Il faut avoir de la compassion pour soi et pour les autres, pour les limites de nos luttes, pour militer et écrire sur nos expériences de marginalisation. Sinon, ça peut rapidement devenir violent, pour soi et pour les autres. 

« L’hybridité et les métissages sont pour moi des manières de demeurer dans l’arène, en situation de doute et de questionnements, des manières de m’assurer de ne pas fixer ce que je crée, de ne pas m’asseoir sur des certitudes qui peuvent devenir des prisons ou au contraire des maisons beaucoup trop confortables »

LD : En plus d’écrire, tu as aussi une pratique photographique que tu intègres à Désormais, ma demeure. Qu’est-ce que la photographie te permet d’exprimer que l’écriture ne peut pas, et comment conçois-tu le mélange des genres et des médiums qui caractérise cette œuvre? Quelles sont les choses ou les thématiques que tu trouves les plus difficiles à exprimer par le langage écrit?

ND : Encore une fois, j’ai du mal à séparer les choses comme ça. Je ne sais pas, honnêtement, pourquoi je vais toujours voir ailleurs – dans les dernières années, je fais moins de photo et beaucoup plus d’art sonore. Je crois que c’est à penser comme ma pratique d’écriture: l’hybridité et les métissages sont pour moi des manières de demeurer dans l’arène, en situation de doute et de questionnements, des manières de m’assurer de ne pas fixer ce que je crée, de ne pas m’asseoir sur des certitudes qui peuvent devenir des prisons ou au contraire des maisons beaucoup trop confortables. Je veux pouvoir me déplacer le plus possible, parce que rien n’est stable pour moi, à commencer par l’identité. C’est peut-être simplement, donc, par une chose très, très simple: l’adéquation fond/forme. Je travaille sur l’instabilité des identités, ça se fait donc par une éternelle instabilité de formes. 

« J’ai l’impression que les textes et les livres que j’écris sont la simple démonstration de processus d’apprentissage toujours ouverts, en cours, inachevés. Je vois l’édition de la même manière : elle me permet de demeurer dans cet état d’apprentissage constant »

LD : Qu’est-ce que ton travail d’éditeur représente pour toi, par rapport à ta pratique d’auteur? Comment se complètent-elles, ou au contraire, entrent-elles en opposition l’une à l’autre?

ND : Elles ne sont pas en opposition, mais parfois elles sont en conflit, ou plutôt en tension. J’apprends à lire et à écrire, c’est mon truc de toujours. En tant qu’écrivain, je n’ai pas l’impression d’arrêter, d’arriver à un résultat de connaissance de l’écriture quand le livre est achevé et publié. Au contraire, j’ai l’impression que les textes et les livres que j’écris sont la simple démonstration de processus d’apprentissage toujours ouverts, en cours, inachevés. Je vois l’édition de la même manière: elle me permet de demeurer dans cet état d’apprentissage constant. De ce fait, je ne suis pas un éditeur qui dit aux auteur·rice·s «ceci est mieux comme ça et c’est tout» comme si j’avais la vérité. J’entre en conversation avec eux·lles et leurs œuvres, nous cheminons ensemble, nous entrons dans un processus de manière à continuer à apprendre ensemble ce qu’est écrire et lire. Cela se fait en maintenant une tension entre ce qu’on vit, ce qu’on lit et ce qu’on écrit, entre les relations. C’est cette tension que j’entretiens entre l’édition et mon écriture. Des fois, c’est confortable, la plupart du temps ce ne l’est pas. Et c’est très bien ainsi.

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Délier la poésie (Partie 3) https://www.delitfrancais.com/2021/11/18/delier-la-poesie-partie-3/ Thu, 18 Nov 2021 19:29:06 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=45618 Sélection de poèmes pour conclure la troisième édition du concours.

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Vous trouverez, dans les prochaines pages, les cinq textes finalistes de la troisième édition du concours de poésie organisé par Le Délit. Le·a gagnant·e sera annoncé·e lors de notre édition du 24 novembre et se méritera le recueil de poésie Les univers parallèles de Laurie Bédard, gracieusement offert par la librairie Alire.

***

alexandre gontier

Anaël Bisson

Les baleines à brosses

Les algues dans ta trachée

te rappellent les arômes de ton enfance

te rappellent ton père

viscosité des souvenirs passés date

qui te collent à la peau comme le sable te colle aux pieds

Petite, il te disait de regarder par la fenêtre du wagon de métro

entre les traces laissées par tes doigts

pour mieux voir les tortues de mer 

qui peuplaient les souterrains imaginaires

de cette ville engloutie par vos eaux 

Tu ne savais pas qu’il noierait ton innocence

sous les rues de Montréal

que l’intérieur de tes poumons serait habillé de mousse verte     et de ménés grisâtres

que le fleuve s’infiltrerait                     dans ton corps à toi

par les crevasses qu’il tailladerait                 dans ses bras à lui

avec les mille et un fragments d’un seul corail 

Tu ne savais pas que les espèces marines de la ligne verte s’éteindraient

pour faire plus de place        aux fous qui errent sur les quais

   plus de place         à tes vomis de lendemain de veille

après avoir léché trop de sel sur tes poignets 

pour mieux te rappeler l’océan et oublier tout le reste

pour faire plus de place        à ses pulsions occasionnelles

d’apprendre à nager le crawl sous les rails

                à tous ses plongeons manqués 

                ses frousses soudaines du tremplin jaune

devant le regard blasé des opérateurs

qui savent qu’il n’aime pas la sensation de l’eau dans ses narines

    qu’il a peur de la décharge électrique

    que les gens comme lui ne sautent jamais

Depuis tes douze ans et trois quarts

tu te vantes d’avoir vu toutes les stations

comme si ça voulait dire autre chose

qu’aidez-moi-je-ne-vais-nulle-part

comme si tu ne connaissais pas comme seule étreinte

que celle du métal des tourniquets sur ton corps-calcaire

comme si la STM n’avait pas arraché le soleil à ta peau

comme si tu ne trouvais pas refuge dans la voix féminine 

qui bégaie code 904 sur la ligne orange

        on attend l’autorisation pour peut-être repartir mais

        ne t’impatiente pas

        de toute façon personne ne t’attends nulle part 

        code 904 sur la ligne orange

dans le creux de ton oreille

Quand tu remontes à la surface

tu prends les escaliers roulants 

tu laisses la voix des passants 

remplacer les bourrasques dans ta tête

Tu respires enfin 

et dans les rues bondées 

on te regarde comme si tu n’étais pas née 

d’un ricochet manqué        galet difforme

d’un french sans écume dans le parking du cinéma Imax

après un documentaire trop bleu sur les créatures abyssales

d’un interlude silencieux entre deux apnées de poudre

on te touche comme si tu n’étais pas née 

sous huit couches des sédiments        de moitiés d’hommes 

sous la pression de leurs jointures    sur les côtes de leurs femmes 

Stromatolithe 

conservée sous les couches de bouchons de lièges

de je-vous-salue-Marie chuchotés dans le placard    et d’éclats de verres old-fashioned 

moulée par les vibrations 

des cris et des tirs d’un fusil de chasse

on te parle comme si tu n’étais pas 

un grain de sable dans une palourde vide

une presque perle         qui ne brille pas 

Tu oublies que c’est avec des morceaux de ton corps

qu’ils ont fait l’île Sainte-Hélène

que c’est toi qui es crucifiée sur le Mont-royal

que les bateaux du Vieux-Port

baignent dans les larmes de ta mère

Le soir, dans ta chambre

tu tournes sans fin

en espérant que la force centrifuge

enlève l’eau dans tes poumons       

et la mette à tes pieds

comme la mer qui les lavait

du sang sur lesquels ils ont marchés

avant même qu’il ne coule

Ton corps est troué

tu le remplis de mauvais poèmes et de lait 

le vent siffle au travers

tu hurles par dessus

chuchote ce qu’il manque     au pli

de ton coude

le verre est toujours vide     tu le cales et tu coules

les îles qui s’y glissent

Dérivent entre tes seins

les absences qui élargissent tes hanches

Dorment en cuillère avec toi la nuit

tu ne sais plus habiter la ville

tu l’embrasses les yeux fermés

lui invente des passants recousus

pour qui tu n’as pas de visage

ça résonne au-dedans de toi

comme tous leurs silences d’ailleurs

et le sel 

remonte dans ta gorge.

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Délier la poésie (Partie 2) https://www.delitfrancais.com/2021/11/18/delier-la-poesie-partie-2/ Thu, 18 Nov 2021 19:25:41 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=45616 Sélection de poèmes pour conclure la troisième édition du concours.

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Vous trouverez, dans les prochaines pages, les cinq textes finalistes de la troisième édition du concours de poésie organisé par Le Délit. Le·a gagnant·e sera annoncé·e lors de notre édition du 24 novembre et se méritera le recueil de poésie Les univers parallèles de Laurie Bédard, gracieusement offert par la librairie Alire.

***

Alexandre Gontier | Le Délit

Catherine Légaré

Le corps au calme

Tu penses 

comme tu respires

les grands airs salins

tu confonds un littoral avec ta mémoire

tu inventes des souvenirs

pour les hommes 

qui s’échouent près de tes cuisses

tes narines sont

des cavernes de cristal

où des noms résonnent en écho

un cri un SOS un appel à hier 

l’infini traverse ta poitrine

une route galeuse

qui mène aux versants marins 

c’est tout le fleuve qui coule entre tes jambes

tous les tremblements qui partent de ton corps

tout le monde qui s’abreuve à toi

la gorge au large tu hurles

et les albatros se reposent sur ta langue 

on fait des trésors de tes seins

des nénuphars de tes yeux

des pétales de tes lèvres

tu es observée au loin

une presqu’île aux mille légendes

ta bouche est un secret sur lequel je me repose

et j’ai un océan entier pour te bercer.

***

Pierre-Olivier Bergeron-Noël

Le fracas de tes ravages

Me cacher        vivre sous les ronces   

quand ta langue déverse sa rouille 

dans mes affres à vifs 

feu garroché

tempête de sable dans la gorge

tout tangue

tu aboies 

la sauvage calcification 

de tes douleurs aux ombres d’écueils 

l’asphyxie banalisée 

ton épieu 

plongé entre la glace et ton reflet 

*

tu nous décomposes

et la bile renaît 

sous la guillotine

entre les jours 

mon visage ondule 

près de ma carcasse étirée sur la rive

à l’odeur du soleil absent 

je goûte le fer de mes gémissements

la lente corrosion des scarabées

l’incendie attendu

ton étreinte comme des barbelés

tes crachats         

me trouent les viscères 

nos corps 

se brodent au mercure brûlant des heures 

qui passent sans retour 

*

la nuit dans mes rêves 

le fer de ta coque se déchire 

sur ta chair 

 j’en arrache les lamelles 

comme des lattes pourries 

tu hurles mais j’étouffe le fracas de tes ravages  

avec des planches 

et toute une artillerie de battements de cœur

que tu ne croyais plus jamais entendre 

de mon vivant 

***

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Délier la poésie (Partie 1) https://www.delitfrancais.com/2021/11/18/delier-la-poesie-4/ Thu, 18 Nov 2021 16:33:56 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=45587 Sélection de poèmes pour conclure la troisième édition du concours.

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***

Angelina Guo

Tu ne sais plus habiter ton corps

le lieu : to burst

ton corps est troué

le vent siffle au travers

chuchote     ce qu’il manque au pli

de ton coude

les îles qui s’y glissent

les absences élargissent tes hanches

tu ne sais plus habiter la ville

lui inventes des passants recousus

ça résonne au-dedans de toi 

et le sel

remonte dans ta gorge

and bursts

into a hollow knot

tu ne sais plus habiter ton corps

sa surface qui s’épluche

ne sais même plus

de quand date ce vent

de quel équilibre

est faite ta tête

même les hommes

qui parcourent tes artères

se plaignent de tes failles

ton toucher osseux

chuchotent 

au creux de ton ventre

    j’entends la mer

    je n’y crois plus 

et tandis que ton coude

s’enroule

autour de leur faim

le lieu se dissipe

ton armure rétrécit

ne laissant sur le lit

qu’une pelure de pomme 

***

Amélie Ducharme

Presque là

sens-tu que 

je fonds sous 

la couette que 

je baigne dans 

ce chaud de  

5 heures 57 

mais il manque 

ton oreiller 

je sais t’habiter 

me sens-tu qui 

sors les doigts puis saisis ce petit toi 

appels récents 

favoris j’ai 

le choix 

de fermer 

les yeux 

et fondre 

allo? 

à deux pas mais  

me sens-tu 

presque là 

lève la couette et 

tends-moi  

l’oreiller

***

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