Alice Pessoa De Barros - Le Délit https://www.delitfrancais.com/author/alicepessoadebarros/ Le seul journal francophone de l'Université McGill Wed, 08 Apr 2020 21:06:40 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.8.2 L’humanité intemporelle de Jane Austen https://www.delitfrancais.com/2020/04/08/lhumanite-intemporelle-de-jane-austen/ Wed, 08 Apr 2020 21:00:57 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=35965 Apprendre à se remettre en question avec Orgueil et Préjugés.

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L’oeuvre de Jane Austen est souvent synonyme de romans à l’eau de rose, dont une grande partie traite de commérages et d’autres affaires mondaines de l’époque victorienne. Ses romans se passent dans un contexte historique et social bien particulier : celui de la bourgeoisie rurale anglaise du 18e siècle. Pourtant, Austen demeure une autrice intemporelle ; son oeuvre continue à émouvoir et à faire rêver, même plusieurs siècles plus tard.

 

J’ai décidé de lire Orgueil et Préjugés car on m’avait promis une histoire d’amour mythique, des personnages captivants et un homme connu de tous: le ténébreux Fitzwilliam Darcy, le tout premier « mauvais garçon » par excellence.

Un an plus tard, j’en suis à ma troisième lecture. Et, de plus en plus, je me conforte dans l’idée que l’intérêt de ce roman ne repose pas uniquement sur l’histoire d’amour entre Elizabeth Bennet et M. Darcy. 

Ce que j’ai appris de cette oeuvre après m’être concentrée sur autre chose que la romance entre deux fort tempéraments, c’est que Jane Austen, à une époque où les artifices et les normes morales étaient de rigueur, a réussi à créer des personnages incroyablement humains.

 

Orgueil et Préjugés, écrit en 1813, retrace la romance entre Elizabeth Bennett et Fitzwilliam Darcy, deux personnages obstinés qui vont devoir laisser de côté, de toute évidence, leur orgueil et leurs préjugés sur l’un et l’autre. Elizabeth est une jeune femme enjouée, malicieuse et pleine de légèreté face aux enjeux sociaux de son époque. Fitzwilliam Darcy est un riche et bel héritier qui, aux premiers abords, paraît extrêmement froid et désagréable. Tous deux sont têtus mais de manières bien différentes.

 

Les premières lignes du roman annoncent la couleur : «Il est une vérité universellement admise : un célibataire en possession d’une fortune solide doit avoir besoin d’une femme. » En me lançant dans la lecture du premier chapitre, je n’étais pas tout de suite emballée. Les enjeux de la famille Bennet me semblaient assez anodins et peu adaptés à un·e lecteur·rice contemporain·e. Car c’est vrai qu’il peut être difficile de concevoir, en voyant l’importance accordée à la fortune au sein du mariage, que l’on puisse trouver de la romance dans un tel contexte. Souvent, il suffit que la famille d’une jeune fille s’accorde avec un riche héritier et la voilà mariée. Je me demandais donc, à la vue de cet environnement social fortement régulé et superficiel, comment Jane Austen avait-elle réussi à faire croire à ses lecteurs en une authentique histoire d’amour? 

 

En continuant ma lecture, j’ai réalisé que, dissimulés sous toutes ces manières et ces commérages, certains personnages se démarquent à leur façon, soit de façon évidente comme Elizabeth, soit plus implicitement comme Darcy. En étant profondément maladroit dans tous ses faits et gestes, celui-ci m’a semblé le plus intéressant et le plus humain. 

Bien que Darcy puisse facilement être considéré comme l’un des personnages les plus énigmatiques du roman, du fait de sa froideur et de ses phrases déplacées, j’ai trouvé que son tempérament faisait de lui quelqu’un à qui l’on peut s’identifier plus facilement que ce que l’on pourrait croire, même plusieurs siècles plus tard. En lisant la première partie du roman, j’ai passé mon temps à me demander pourquoi Fitzwilliam Darcy était l’un des personnages les plus mythiques de la littérature romantique. Puis j’ai compris que, comme Elizabeth, le lecteur doit revenir sur sa première impression de cet homme qui semble haïr tout et tout le monde pour percevoir que Darcy n’est autre qu’un homme très maladroit et orgueilleux qui ne peut concevoir qu’Elizabeth rejette son affection. 

 

Un changement de caractère de la part de deux personnages aussi orgueilleux qu’Elizabeth et Darcy semble, au premier abord, presque impossible. Et pourtant, ce qui rend Orgueil et Préjugés si captivant, c’est qu’il permet d’être témoin de la remise en question d’abord de Darcy, lorsqu’il se rend compte de l’affection qu’il porte à Elizabeth malgré le fait qu’il l’ait trouvée peu attirante lors de leur première rencontre, puis d’Elizabeth, qui réalise que son jugement du caractère de Darcy a été un peu hâtif. C’est ce qui fait que ces personnages soient dotés d’humanité et que même les personnages les plus obstinés puissent ‑certes non pas sans difficulté- faire un travail d’introspection. 

 

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Une défense de la sentimentalité https://www.delitfrancais.com/2019/11/05/une-defense-de-la-sentimentalite/ Tue, 05 Nov 2019 17:07:38 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=34935 Être émotif est-il toujours synonyme d’irrationalité?

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« Nous voyons à l’oeuvre dans l’expérience de l’art une expérience véritable, qui n’est pas sans changer celui qui la fait et nous nous interrogeons sur le mode d’être de ce que l’on apprend ainsi. Nous pouvons espérer de la sorte une meilleure compréhension de ce qu’il en est de la vérité de l’art, qui vient là à notre rencontre. » – Hans-Georg Gadamer


La sentimentalité n’est que le jour férié du cynisme. Comme beaucoup de philosophes et d’auteurs avant lui, Oscar Wilde semble associer ici la sentimentalité avec un manque de rationalité et une incapacité à réagir adéquatement face à certains événements. L’écrivain James Joyce qualifiait d’ailleurs la sentimentalité comme « de l’émotion non méritée », comme s’il était nécessaire d’avoir vécu une expérience similaire à ce qui nous est présenté pour « avoir l’autorisation » d’être touché.

À cet effet, se laisser emporter par ses émotions devant certaines productions artistiques ou cinématographiques est souvent critiqué étant donné que la sentimentalité, par définition, implique que l’on laisse place à des sentiments souvent jugés superficiels, ceci au détriment de la raison. Laisser échapper une larme devant le drame d’un film ou être fortement ému en observant une oeuvre d’art romantique n’est pourtant pas rare pour beaucoup.

À cet égard, pourquoi certains font-ils preuve de sentimentalité? Celle-ci est-elle nécessairement synonyme d’irrationalité?

Adopter une approche sociétale

On prétend parfois que les personnes sentimentales jouent la comédie, qu’elles ne ressentent pas réellement ces émotions, et que c’est simplement dans un contexte particulier (une salle de cinéma, par exemple) qu’elles s’autorisent ces émotions régulièrement qualifiées de disproportionnées.

On adopterait donc un certain rôle lorsque l’on est présenté à une histoire dramatique ou à une oeuvre émouvante. On penserait reconnaître les intentions de l’artiste, comme si l’on savait que, devant telle ou telle oeuvre, l’on aurait le droit de se laisser emporter par l’émotion, car c’est cela même que l’on souhaiterait de notre part. On sait que, dans ce contexte précis, il n’est pas anormal de faire preuve de sentimentalité. La preuve est telle que beaucoup seraient capables d’être émus en regardant un documentaire concernant un événement tragique, mais pas s’ils en entendaient parler dans un cours d’histoire. Bien que les deux contextes transmettent les mêmes informations, la réceptivité est donc variable.

Cette approche sociétale de la sentimentalité n’est peut-être pas anodine. Après tout, c’est bien à cause du constructivisme social qu’une femme sentimentale sera plus susceptible d’être acceptée comme telle sur la place publique qu’un homme au même tempérament.

Mais, même si toute cette sentimentalité n’était qu’un masque, peut-on qualifier celle-ci d’intrinsèquement mauvaise? Il semble y avoir un consensus autour du fait que le jeu de la comédie, lorsqu’il est question de sentiments, n’est pas quelque chose de souhaitable. Cependant, le milieu artistique ou littéraire ne vit-il pas en grande partie aux dépens de ce que leurs oeuvres nous procurent?

Si la littérature ou le cinéma ne nous procuraient aucune émotion, il serait plus difficile d’apprécier la qualité esthétique ou narrative de l’oeuvre, et n’est-ce pas là l’une des visées de l’art? Si l’on observait n’importe quelle oeuvre d’un point de vue purement objectif et détaché, sans la remettre dans son contexte ni se questionner sur la signification que l’on pourrait donner à celle-ci, alors on condamnerait un aspect crucial de la production esthétique, on lui enlèverait toute subjectivité.

En ce sens, peut-être que, lorsqu’il est question de sentimentalité, nos ressentis sont exagérés, sans pour autant que cela n’implique qu’ils soient nécessairement inauthentiques. Ils reflètent alors de réels sentiments mis davantage de l’avant.

Une réassurance morale

Est-ce que l’on se sent mieux lorsque l’on remarque être ému par une certaine oeuvre? C’est l’une des théories qui fut abordée afin d’expliquer la provenance de la sentimentalité. Pour certains, les personnes faisant preuve de sentimentalité le font pour se donner bonne conscience, pour pouvoir affirmer qu’elles sont bel et bien dotées de moralité en raison de l’émotion vécue devant telle production tragique.

Cependant, il semble douteux d’avancer que la réponse émotionnelle que l’on a face à certaines oeuvres puisse réellement témoigner de notre caractère moral. Si c’était le cas, il serait possible de reprocher à quiconque ne s’effondrant pas en regardant les nouvelles d’être insensible. Donc, bien que savoir faire preuve de sensibilité devant certaines productions puisse nous être rassurant, il est peu probable que ce soit une justification valable de la sentimentalité.

Rationalité et mise en scène

Finalement, peut-être aurions-nous tout simplement besoin d’une mise en scène. L’être humain est impressionnable et, souvent, il suffit de quelques coups de feu et d’un morceau émouvant en arrière-plan pour faire d’un coup surgir des émotions ; on a beau être rationnel, une oeuvre romancée est plus susceptible de nous mouvoir que nos cours d’histoire, alors même que ceux-ci sont pourtant remplis d’atrocités sans nom. Devenons-nous systématiquement irrationnels lorsque l’on est face à une mise en scène? Si l’on prend l’exemple d’une pièce de théâtre, il semblera plus facile d’être ému lorsque celle-ci est mise en scène plutôt qu’en la lisant simplement. Voir les émotions des personnages prendre vie devant nos yeux facilite souvent notre capacité à être empathique, puisque l’on peut se reconnaître dans les acteurs, dans leurs façons de réagir à certains évènements. De plus, l’immersion dans un décor et une performance peut également faire surgir certaines émotions puisque l’on se coupe en partie du monde réel pendant un moment.

D’un point de vue puriste, il serait préférable de savoir apprécier la qualité d’une oeuvre sans que celle-ci ne soit mise en scène de manière à nous impressionner, cela afin d’être en mesure de prioriser le fond plutôt que la forme. En revanche, il ne semble pas impossible de pouvoir apprécier une oeuvre et d’y associer une réponse sentimentale tout en demeurant rationnel. Le spectateur est bien conscient que ce personnage qui s’effondre sur scène n’est pas réellement blessé, mais la façon dont celui-ci est mis en scène peut faire surgir certaines émotions, sans pour autant signifier que le spectateur n’a pas compris l’oeuvre d’un point de vue rationnel.

En fin de compte, peut-être que l’idée selon laquelle les sentimentaux sont irrationnels réside dans l’incapacité à réellement discerner les motivations de ces derniers. Beaucoup ont réfléchi sur le sujet mais peu ont trouvé un motif précis qui pourrait expliquer pourquoi certaines personnes font preuve d’une réponse émotionnelle démesurée lorsque l’événement n’est que fictif ou s’est produit dans la vie de quelqu’un d’autre. Alors on pourrait se demander pourquoi la sentimentalité est-elle si souvent critiquée alors qu’il n’y a en réalité pas de moyen objectif de savoir ce qui distingue une réponse émotionnelle démesurée d’une réponse émotionnelle adaptée. De plus, même les émotions les plus sincères peuvent provenir d’un raisonnement irrationnel, mais ceci ne les rend pas moins authentiques.

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Les oubliées du Siècle des Lumières https://www.delitfrancais.com/2019/10/29/les-oubliees-du-siecle-des-lumieres/ Tue, 29 Oct 2019 16:17:14 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=34821 L’art de défier les normes à travers des portraits.

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En 1791, alors que la Révolution française bat son plein, Olympe de Gouges répond à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen avec une Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. Une tentative admirable qui ne manquera pas de la mener sur l’échafaud deux ans plus tard, à la décision du Tribunal révolutionnaire. Celui-ci n’aborde pas la question des droits de la citoyenne, car les femmes sont, à l’époque, toujours subordonnées dans leur statut de mère et d’épouse, et ne sont pas considérées comme des individus à part entière. Et qui de mieux placé pour théoriser tout cela que des hommes? Philosophes, écrivains et médecins ont apparemment tous leur mot à dire sur les limitations des attributs féminins, même à l’aube du Siècle des Lumières.

Cette époque est souvent synonyme de renouveau artistique. Lorsqu’il en vient à traiter de peintres français, l’on entend beaucoup parler de François Boucher, d’Antoine Watteau et de Jean-Siméon Chardin. Peu de place est alors laissée aux femmes dans cette reconstitution historique.

En creusant un peu, l’on réalise que, malgré leur nombre très limité, certaines femmes ont réussi à l’époque à être reconnues en tant qu’artistes. Pour la plupart d’entre elles, elles ont même osé défier les normes de leur époque. C’est le cas de trois peintres européennes : Élisabeth Vigée Le Brun, Adélaïde Labille-Guiard et Rosalba Carriera. Deux Françaises et une Italienne qui, à travers leurs portraits, ont su être en avance sur leur temps et innover dans leur manière bien particulière de définir la féminité.

La reine dans son intimité

C’est en 1783 qu’Élisabeth Vigée Le Brun, portraitiste officielle de la reine Marie-Antoinette, décide d’ajouter un peu de piquant aux portraits qu’elle fait habituellement. À la cour de Louis XVI, Marie-Antoinette est la femme du roi, la mère de ses enfants, mais rien de plus. Tous ses faits et gestes sont régulés et on ne lui demande rien d’autre que de s’afficher comme une bonne mère et une bonne épouse. Alors, quand Élisabeth Vigée Le Brun décide de représenter la reine non pas dans son rôle de mère ni d’épouse, mais comme une femme dans son intimité, la cour du roi n’apprécie évidemment pas.

Si, aujourd’hui, après un premier coup d’oeil à la peinture en tête de l’article, l’on pourrait penser que l’on est face à un portrait comme un autre, celui-ci est en réalité rapidement retiré de la sphère publique, car il est jugé choquant pour l’époque. La reine porte sur ce portrait une robe de chambre — un habit considéré bien trop intime pour être représenté en peinture —, ne porte également aucun bijou et pose dans un milieu qui semble mystérieux, sûrement sa chambre. D’après les critiques, non seulement donne-t-elle l’air d’être négligée et bien trop accessible pour sa fonction, mais en plus, elle semble être sur le point d’aller se coucher. Tous ces aspects sont considérés profondément inappropriés pour la France du 18e siècle, qui n’a pas l’habitude d’afficher publiquement ce qui relève de la sphère privée.

En guise de réponse, Vigée Le Brun exécute deux autres portraits afin de rassurer le public : un portrait de la reine avec ses enfants et un portrait (ci-dessus) sur lequel Marie-Antoinette est représentée conformément au portrait initial. Elle y affiche la même expression, la même posture et le même teint rosé. Seulement, cette fois-ci, elle est vêtue d’une robe flottante et pose en pleine nature, comme le veut la bonne conduite. On peut y voir une réponse ironique de la part d’Élisabeth Vigée Le Brun, qui se moque ouvertement des critiques et de leurs normes en leur délivrant un portrait quasiment identique à celui qui avait tant choqué les moeurs de son époque.

La profession de femme peintre

Avec Vigée Le Brun, Adélaïde Labille-Guiard est l’une des rares femmes à être admise au sein de l’Académie royale. Cependant, il reste bien difficile de s’imposer parmi ses rivaux masculins.

Ayant réussi à officiellement exercer la profession de peintre depuis ses vingt ans, elle se débat pour faire en sorte qu’un plus grand nombre de femmes soient reconnues dans le milieu artistique et puissent en faire leur métier. C’est donc dans cette optique qu’elle peint, en 1785, son Autoportrait avec deux élèves. Sur ce portrait, Adélaïde décide de se représenter en tant que femme active et occupée, ce que l’on voit rarement dans les représentations de femmes à l’époque. De plus, elle pose avec deux de ses élèves, ce qui montre non seulement qu’elle est capable d’enseigner (les maîtres d’art étant essentiellement des hommes), mais aussi qu’elle cherche à forger la prochaine génération de femmes artistes peintres. Enfin, elle affirme sa position en regardant directement le spectateur, mais sans pour autant lui dévoiler ce qu’elle est en train de peindre.

Rosalba Carriera : femme et féminité

L’Italie du 18e siècle avait beau être légèrement plus ouverte que la France face à l’idée que les femmes artistes méritaient d’être considérées, il n’empêche que les normes et les règles relatives à leur bonne conduite étaient nombreuses.

La carrière de Rosalba Carriera prend naissance alors que le courant artistique et architectural du rococo est en essor en Europe. Ce mouvement donne la priorité à la qualité esthétique et met souvent en scène des thèmes tels que l’amour, la passion et la beauté, dans des jardins pittoresques ou des salons à la décoration exubérante. La technique du pastel est souvent la favorite des peintres rococo, car celle-ci permet de manier des jeux de lumière et d’incorporer une certaine fluidité au sein de leurs oeuvres, dans laquelle de beaux courtisans et de jeunes bourgeoises sont souvent mis en scène en mouvement, en train de jouer ou de s’enlacer de façon théâtrale.

Les femmes sont elles aussi mises à l’honneur dans beaucoup d’oeuvres de peintres rococo, mais plus seulement comme objets de désir, comme dans Les Hasards heureux de l’escarpolette (1767–1769) de Jean-Honoré Fragonard (ci-dessus).

Les travaux artistiques de cette époque révèlent donc que les femmes ont alors pour fonction principale de plaire. On les retrouve entourées de fleurs, de rubans, de couleurs joviales et douces. De plus, les traits féminins ainsi que la coquetterie des protagonistes sont souvent accentués et mis en valeur.

C’est dans ce contexte que Carriera décide, en 1731, de produire un autoportrait qui en déconcerte plus d’un. Son Autoportrait en hiver (ci-contre) n’a rien à voir avec un portrait de femme habituel. Il est difficile d’ignorer que ses traits sont très masculins ; elle ne porte pas de maquillage, l’on ne remarque pas les joues et lèvres roses qui sont alors si appréciées sur les portraits rococo. L’utilisation de couleurs froides est aussi chose rare. Le fond devant lequel elle pose n’a aucun élément naturel ou chaleureux. On ne trouve sur son portrait presque aucun des symboles typiques de la féminité ; la preuve, même ses cheveux, habituellement dotés d’une forte symbolique féminine, ne sont pas visibles. Cependant, elle porte tout de même des boucles d’oreilles, comme pour nous rappeler que c’est bien le portrait d’une femme que l’on a face à nous.

À travers cet autoportrait, Rosalba Carriera défie donc les normes de son époque et du mouvement rococo en montrant que, bien qu’elle n’ait pas l’air conventionnellement attirante ou coquette, elle reste une femme.

En creusant un peu, l’on réalise que, malgré leur nombre très limité, certaines femmes ont réussi à l’époque à être reconnues en tant qu’artistes.

Et après?

Plusieurs siècles plus tard, les idéologies n’évoluent que très peu. En 1860, l’artiste Léon Lagrange publie dans La Gazette des beaux-arts un essai défendant une approche essentialiste de la femme dans l’art. Il explique que l’art noble et l’architecture sont réservés aux hommes, car ils requièrent plus de réflexion et demandent l’incorporation d’éléments esthétiques fins. Les femmes, selon lui, devraient se contenter de peindre des portraits, des miniatures ou des bouquets de fleurs. Palpitant.

À l’époque actuelle, l’on peut se demander si, réellement, les femmes ont réussi à prendre leur place dans le milieu des arts. Si l’on pense par exemple au cinéma ou à la musique, domaines encore largement dominés par les hommes, le chemin semble encore long avant une réelle parité. Les portraits de ces trois femmes courageuses, trop vites oubliées dans l’histoire de l’art, démontrent que pour faire avancer les choses, il faut parfois oser désobéir et se faire remarquer.

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