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Entrevue avec Frédéric Lefebvre

Frédéric Lefebvre est un député français, élu à la circonscription d’Amérique du nord. Il a répondu aux questions du Délit lorsqu’il était de passage à Montréal, mardi le 18 avril 2017.

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NB : Monsieur Lefebvre a clairement expliqué qu’il ne souhaitait pas répondre à des questions qui touchaient à ses affinités politiques et à la présidentielle. L’absence de questions à ce propos n’est pas souhaitée mais contrainte.

 

Le Délit : Quel est, selon vous, le plus grand défi des Français expatriés aujourd’hui ?

Frédéric Lefebvre : Le défi des Français quand ils sont partis c’est d’atteindre leur objectif. Ce n’est jamais le même : il peut être familial, professionnel, entrepreneurial, scolaire ; mais d’abord, chacun veut réussir. Tout le travail que j’essaie de faire en m’appuyant sur les associations françaises qui existent déjà ou les élus locaux, c’est de les aider à réussir. En les aidant à réussir individuellement, on aide collectivement la France mondiale à réussir. Or, la France mondiale, pour moi, c’est celle qui est fidèle à son histoire. On est un pays qui est ouvert, qui a pour objectif de partir à la conquête du monde — c’est pour ça qu’on parle français sur tous les continents, il n’y a pas longtemps le français est devenu la troisième langue du monde en repassant devant l’espagnol.

Il y a des études démographiques américaines qui sont passionnantes. En France, on a parfois l’impression qu’on ne comprend pas que notre langue est une richesse. J’ai monté un certain nombre de programmes en tant que député pour que les Français puissent partir à la conquête du monde — y compris des jeunes qui n’ont pas la chance de pouvoir faire des études supérieures. C’est cette France-là que je veux essayer de porter, c’est-à-dire là France que j’ai rencontrée ici à Montréal.

 

LD : Avec son système scolaire mondialisé et sa place dans une communauté linguistique importante, la France a la capacité d’être un acteur de poids dans la communauté internationale. Comment expliquez-vous que la francophonie soit si absente dans les projets présidentiels.

FL : La France est en capacité, mais elle n’a pas pris conscience de cette force. C’est très frappant de voir que dans le monde politique, dans le débat public, souvent, on n’appréhende pas suffisamment cette force que nous avons pour peser dans le monde.

La logique de la France doit être d’investir — j’emploie ce mot parce que je ne pense pas que c’est des dépenses de fonctionnement — massivement sur la jeunesse française à l’étranger. J’ai la chance d’avoir des neveux et nièces franco-américaines, et je vois à quel point c’est difficile de maintenir le capital « France » chez ses propres enfants. À chaque fois que la France n’investie pas dans leur éducation, elle se coupe elle-même d’une chance de réussir. Je crois que c’est un des sujets absolument majeurs.

On peut aussi parler d’entrepreneuriat. J’entends toute la journée que les Français quittent la France parce qu’on y paye trop d’impôts. On accroche une étiquette négative aux jeunes qui lancent des startups, aux entrepreneurs… alors qu’en fait on se trompe complètement ! Les États-Unis et le Canada, honnêtement, ce sont des pays où l’on paye beaucoup d’impôts.

On a un pouvoir politique et économique qui n’est, de mon point de vue, pas à la hauteur de la dynamique mondiale qui pourrait exister. Quand on compare les pays du nord de l’Europe, qui ont compris qu’il faut investir sur l’Afrique, qui cherchent à faire venir des jeunes qui ont des racines africaines pour investir sur eux, et nous, qui avons tant de jeunes qui ont des racines africaines, au lieu de leur expliquer qu’ils ont un avenir on les stigmatise. Quand j’entends dans le débat public, à droite et à gauche, culpabiliser ceux qui ont deux nationalités ou qui assument leurs racines… moi quand je suis ici et que je vois un français, je lui dit « surtout, reste fière de tes racines, entretient les, la France en a besoin ». Pourquoi j’aurais un discours inverse quand je suis en France ? Pourquoi je dirais à quelqu’un qui a des origines et des racines d’un pays d’Afrique « tu dois t’assimiler totalement à la France, oublier tes racines…» c’est ridicule ! Au contraire, on a besoin de cette richesse-là.

Donc, c’est tout ça que j’essaye d’amener dans le débat public en France. C’est difficile avec le monde de la haute fonction publique, politique ou économique. La France a une tendance à se regarder le nombril, elle est recroquevillée sur elle-même, elle a peur de s’ouvrir.

 

LD : Vous avez donné une interview dans Nouvelles d’Arménie Magasine dans laquelle vous disiez que l’Europe ne devait plus céder à la Turquie et ne devait plus verser la rançon annuelle de six milliards de dollars. Votre position reste-t-elle la même après le résultat, serré, de ce référendum ?

FL : D’autant plus ! Le référendum servait à renforcer les pouvoirs d’un homme qui en abuse déjà très largement avec des motivations que n’importe quel pays démocratique ne peut que regretter. Il y a une difficulté : c’est à la fois l’allié des Américains, des Canadiens, et de l’Europe via l’OTAN, et, en même temps, c’est un pays qui s’est fixé comme objectif depuis de nombreuses années d’intégrer l’Europe.

Prenons l’exemple de la Grèce, qui a les difficultés qu’on connaît. Honnêtement j’avais honte, vraiment, de la position qu’ont prise l’Italie, l’Allemagne ou la France quand il y a eu les réfugiés. Tout le monde s’est tourné vers les Grecs en leur tapant dessus parce qu’ils n’avaient pas protégé leurs frontières. Comment est-ce que l’on peut demander aux Grecs dont on connaît la situation, et comment est-ce que l’on peut être aussi inconséquent pour laisser la protection de la frontière commune européenne uniquement sous l’autorité d’un pays ?

Je ne fais pas partie de ceux qui pensent qu’il y a trop d’Europe, je pense qu’il n’y en a pas assez. Je reproche fortement à l’Europe de ne pas assumer cette mission-là. Ça fait des années que je demande un coup de rein, une réaction, et j’aimerais que la France soit à la tête de cette réaction. Je le demandais quand j’étais ministre !

 

LD : Vous connaissez bien Montréal ?

FL : Je viens très souvent à Montréal, oui.

 

LD : Est-ce-que vous avez un lieu culturel préféré ?

FL : C’est ce qui est amusant : je trouve que Montréal c’est presque en soi un lieu culturel. Les endroits où je prends le plus de plaisir, c’est où je me retrouve emmené dans une des discussions avec des gens qui portent des projets. Ce que j’aime ici c’est qu’on est dans la culture vivante.

Je vais vous faire une confidence, et beaucoup de Français qui vivent ici me disent la même chose : je ne vais pas beaucoup au musée ici. Quand on connaît les musées français, on ne peut pas dire qu’on ait une grande chance de découvrir des choses…

En revanche, je trouve absolument extraordinaire qu’on puisse avoir une espèce de culture ambiante. Ça, c’est passionnant. Je dirais, qu’au lieu de parler d’un lieu précis, ici, la culture elle est partout. Ce qui est le plus intéressant c’est ce que réussi à faire naître le mélange culturel. L’atmosphère est à l’échange ici, je pense que c’est une des grandes forces.

 

LD : Si vous aviez un projet que vous pouviez mettre en œuvre pour renforcer l’amitié franco-québécoise, ce serait quoi ?

FL : Il faut pas se voiler la face : ce n’est pas tous les jours rose les rapports entre les Français et les Québécois, y compris quand on construit son avenir. On fait ses études ici, et quand on commence à chercher un boulot, on ne trouve pas toujours ce qu’on veut, on vous offre pas toujours le même parcours qu’à un Québécois. Je dis ça avec des mots policés, mais c’est parfois le parcours du combattant, même quand on est là depuis très longtemps.

Les citoyens, ils ont envie de faire des choses ensemble. Les entrepreneurs, je les vois, ils ont envie de faire des choses ensemble. Les entrepreneurs québécois admirent beaucoup la France, et réciproquement. Les gens ont envie, c’est les institutions qui bloquent.

Je pense qu’aujourd’hui, on est parfois un peu trop dans des discussions qui font référence à notre histoire, à votre amitié et à nos liens culturels, et on n’est pas assez dans l’efficacité. Si je devais vraiment changer quelque chose c’est ça.

 

LD : Comment est-ce-que vous concevez votre rôle de député étant donné le fait que vous représentez les français établis à l’étranger ? Est-ce-que vous considérez que cela vous différencie de vos collègues ? En quoi ? 

FL : D’abord, j’ai été député en France, donc j’ai un bon moyen de comparer. J’ai une circonscription qui est un petit peu plus grande que celle que j’avais quand j’étais en région parisienne (rires). Elle fait quarante fois la taille de la France.

Quand j’étais en France, comme tous les députés, il y avait un endroit où les gens savaient qu’ils pouvaient venir me voir. J’ai rapidement compris que [maintenant] je devais aller vers les gens. Donc, mes permanences je les fais en allant dans toutes les grandes villes de la circonscription.

Les gens viennent de voir. Croire que les gens sont à l’étranger et ont zéro problème, c’est ridicule. Moi, je vois plein de gens qui ont des difficultés sociales, avec le système fiscal en France, sur le plan de la santé… j’en vois en permanence des gens.

C’est exactement la même chose que quand j’étais député en France, c’est-à-dire que je vois des gens pour essayer de les aider à régler leurs problèmes, sauf que l’organisation est quand même pas tout à fait la même. Je vois beaucoup de gens dans les avions. Ça me permet d’écrire. Je suis dans un système qui est assez différent. Pendant six mois, je suis très actif sur les sujets qui concernent les Français qui vivent dans cette circonscription immense, et je suis à leur rencontre les six autres mois sur tout le territoire.

Quand je suis à Montréal, je suis au consulat pour faire la permanence. Quand je suis à Kansas City, comme je l’étais l’autre jour, je fais la permanence dans un café. Mais ça pour moi c’est très important parce que, c’est le paradoxe, je ne cesse de nourrir mon travail de député à l’assemblée avec tout ce que les gens viennent me dire quand je les vois dans les permanences.

 

LD : En mot de fin, est-ce-que vous avez quelque chose à dire par rapport aux récentes révélations concernant la planification d’un attentat contre un ou des candidat·e·s à la présidentielle ? (NB : cette question a été posé avant les événements qui ont eu lieu sur les Champs-Elysées le 20 avril dernier)

FL : C’est un sujet absolument majeur. On voit bien que ça a d’ailleurs servi un peu de prétexte, même sans faire référence aux menaces terroristes, mais par exemple les hypothétiques manipulations [de puissances extérieures], pour empêcher le vote internet. Ce n’est pas à Montréal que c’est essentiel, mais plutôt à d’autres endroits au Canada ou aux États-Unis.

Moi, je suis trop attaché à la démocratie, au droit de vote des Français ici, à la capacité des Français de se mobiliser sur les sujets essentiels, pour que ce qui vient de se passer (où le gouvernement a déjoué avec les forces de police un attentat qui était orchestré pour éliminer un des candidats à la présidentielle, qui semblerait être Fillon) ne m’effraie. Et en même temps, ce sont des choses que l’on a eu l’habitude de voir dans des pays comme les États-Unis, où tout le monde a en tête les assassinats qu’il y a pu avoir, voir que ce sont des choses qui commencent à arriver en France et en Europe, ça demande que l’on crie tous notre attachement à la démocratie. Qu’on montre à quel point on ne cèdera jamais au terrorisme, jamais à ces combats qui sont menés au nom, non pas de la religion, mais au dévoiement de la religion.

Le Canada a été frappé, à plusieurs reprises, et il n’y a pas du tout le même type de politique. Moi qui ai des témoignages, y compris de jeunes, qui ont pu aller dans un certain nombre de régions du monde qui sont aujourd’hui en guerre, c’est vrai que pour eux, sur place, c’est plus facile d’avoir la vie sauve en disant « On a étudié au Canada » qu’en disant « On a étudié en France ». Le Canada est vécu comme laissant plus de libertés, et étant plus tolérant. Ça ne l’a pas épargné pour autant. Aujourd’hui, les démocraties n’ont pas les réponses. Là encore, je pense que les réponses viendront des citoyens, et de la force des citoyens qui résisteront et qui ne se laisseront pas manipuler par des terroristes.


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