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« Littéralement »

Dix anglicismes sémantiques courants à proscrire, voire à honnir.

Luce Engérant | Le Délit

L’environnement bilingue de McGill comporte bien des avantages. Il permet notamment aux étudiants de s’exprimer dans leur seconde langue et de travailler aussi bien en anglais qu’en français, une fois sur le marché du travail. Toutefois, les fruits des inexorables échanges entre les langues sont souvent impropres. La protection du français, bien commun québécois, incombe aussi à la communauté mcgilloise. La connaissance des tares linguistiques permet d’obvier à l’altération de la langue. Je vous présente donc, avec un brin d’humour, dix des anglicismes sémantiques que j’entends le plus couramment. Ils sont souvent difficiles à repérer, car il s’agit de faux amis : c’est le sens employé, et non le mot en soi, qui est propre à l’anglais.

Académique

Employé au sens de « scolaire », académique est un anglicisme. L’expression « résultats académiques » est donc fautive. On l’emploie plutôt pour ce qui est « relatif à une académie (comme l’Académie française)», ou, péjorativement, pour ce qui est formaliste (soit ce qui se rapproche trop des conventions). Dire que plusieurs diplômés ignorent cette distinction !

Être gradué et graduation

Au bout de trois ans et demi de droit, je serai (espérons-le!) diplômé de McGill, et non gradué de cette université. En français, on peut dire qu’un bécher est gradué imprécisément, car il comporte peu de traits pour mesurer le volume (les graduations). Voilà une utilisation opportune du mot !

Opportunité

C’est probablement l’anglicisme sémantique que je rencontre le plus fréquemment. Opportunity signifie, je crois, une occasion à saisir. En français, le mot opportunité est plutôt utilisé pour qualifier le caractère convenable d’une chose. L’opportunité d’un discours de Donald Trump, par exemple, peut être remise en question : on doute de l’adéquation, de la convenance de ses propos (qui sont peu à propos!). J’aurais souhaité qu’il ne soit jamais éligible pour les élections.

Éligible

Il ne faut pas confondre les adjectifs éligible et admissible. Les candidats qui remplissent toutes les conditions exigées par la Faculté de droit de McGill, par exemple, sont admissibles au programme. Éligible ne doit être employé que dans un contexte d’élection, où un candidat est éligible lorsqu’il est apte à être élu. Trump était donc éligible à l’élection présidentielle américaine, et c’est regrettable qu’un tel personnage ait été choisi pour assumer les lourdes responsabilités associées à la présidence.

Assumer

L’utilisation du verbe assumer au sens de « présumer » ou « supposer » est fautive, comme dans la phrase suivante : « J’assume qu’il sera de retour avant le crépuscule. » Assumer signifie plutôt « prendre sur soi », ou « accepter sciemment » quelque chose. Ainsi, on peut assumer les conséquences, ou assumer un trait de personnalité. Si c’est impossible, il faut sans doute s’adresser à un psychologue.

Adresser

En français, on peut s’adresser à quelqu’un, on peut adresser une lettre à quelqu’un (l’envoyer), on peut adresser un commentaire, ou encore adresser quelqu’un à un spécialiste (diriger vers la personne adéquate). Cependant, « adresser un problème » (l’aborder, voir à sa résolution) est un anglicisme. Devinez à qui s’adressera mon prochain pamphlet.

Pamphlet

Le pamphlet est un court écrit qui pourfend, qui met à mal, qui critique sévèrement une opinion ou l’autorité en place. Les dépliants publicitaires ne sont pas des pamphlets. Les innombrables pamphlets à l’égard de Trump n’ont pas fait pencher la balance du côté de Clinton. Certains souligneront que l’alternative entre Trump et Clinton illustre l’opprobre actuel des États-Unis.

Alternative

Une alternative est un dilemme, c’est-à-dire une situation avec seulement deux issues possibles. Le mot anglais alternative représente l’ensemble des solutions possibles, ou une solution différente, mais ce ne sont pas des sens qu’on attribue à son homonyme français. On entend souvent que « l’énergie solaire est une alternative au pétrole », ce qui illustre à quel point l’anglais carbure la confusion. Je suis persuadé que vous saurez discerner le sens correct de l’anglicisme.

Confiant

Être confiant, c’est avoir confiance en soi, en quelqu’un ou en quelque chose. On peut être confiant au point d’être infatué, ou confiant en son avenir, par exemple. Par contre, on ne peut pas utiliser confiant au sens de « persuadé ». En conséquence, l’adjectif est un anglicisme dans la phrase suivante : « Je suis confiant que nous triompherons. » Le billet s’étire ; voici donc l’anglicisme définitif que j’exposerai aujourd’hui.

Définitivement

L’emploi de l’adverbe définitivement est correct quand il signifie « irrévocablement, une fois pour toutes, décisivement. » On l’utilise couramment dans le but d’affermir sa position : « L’élection de Trump est définitivement le pire désastre de la décennie. » Il s’agit là d’un sens fautif emprunté au mot anglais definitely.

En terminant, je tiens à souligner que personne n’est à l’abri des anglicismes. Il est néanmoins de notre devoir de nous assurer de maintenir, voire de hausser la qualité de notre expression afin de préserver la langue française.


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