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Se battre contre le gouvernement canadien… et gagner

Un documentaire qui met l’AANC face à ses responsabilités.

Webmestre, Le Délit | Le Délit

Le 26 janvier 2016, le tribunal canadien des droits de la personne a décrété que le gouvernement faisait preuve de discrimination dans son octroi d’aide sociale aux enfants autochtones. La tombée du verdict marque alors la fin d’un combat juridique de plus de neuf ans entre des groupes d’activistes et le ministère desAffaires Autochtones et du Nord Canada (AANC). La documentariste abénaquise, Alanis Obomsawin, a consacré le film « We can’t make the same mistake twice » (On ne peut faire la même erreur deux fois, ndlr), diffusé au cinéma du Parc le 19 janvier dernier, à cette bataille de longue haleine.

« Le gouvernement canadien a durant des décennies consciemment alloué moins de services sociaux aux enfants autochtones vivant au sein de réserves, et ce, malgré leur connaissance des solutions possibles », explique la professeure de travail social à l’Université McGill, Cindy Blackstock, en marge de la première montréalaise du documentaire sur le sujet. 

Or, prouver que l’AANC a orienté sa politique fiscale de façon discriminatoire durant plus de cinquante ans n’a pas été une mince affaire : « Même si les autorités canadiennes avaient depuis longtemps été informées de la nature inéquitable de leurs pratiques et connaissaient le problème, elles se sont battues bec et ongles afin de nous donner tort », poursuit Blackstock, également  directrice générale de la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada, organisme ayant déposé la plainte contre le gouvernement en 2007.

La voix gouvernementale, la même partout ?

Le documentaire est majoritairement composé d’extraits des audiences ayant duré soixante-douze jours. Ces images permettent de mettre en lumière la nature irréconciliable des discours des instances gouvernementales et des communautés autochtones. 

On y entend en effet le représentant de l’AANC qui, après avoir assisté aux témoignages d’experts et d’autochtones victimes du manque de ressources dans leur région, énonce ses conclusions finales. Selon lui, « aucune preuve suffisante » ne témoigne de l’existence d’une quelconque discrimination envers les Premières Nations. Toujours afin de justifier l’immuabilité gouvernementale, il ajoute qu’en démocratie, la totalité des groupes d’intérêts ne peuvent voir toutes leurs demandes comblées.

Prouver que l’AANC a orienté sa politique fiscale de façon discriminatoire durant plus de cinquante ans n’a pas été une mince affaire

La candidate au doctorat en travail social à l’Université McGill, Amal Elsana Alhjooj, lors d’un panel suivant la diffusion du film, a été surprise par l’homogénéité des discours gouvernementaux en ce qui a trait à la question autochtone : « Je viens d’Israël, suis moi-même autochtone, et aurais pu entendre dans mon pays natal exactement les mêmes mots que ceux prononcés par le représentant du gouvernement canadien », a‑t-elle partagé.

Quand tous les coups sont permis

Cependant l’opposition de l’AANC ne s’articula pas qu’au sein de leur argumentaire. Cindy Blackstock fut en effet surveillée de près par le gouvernement canadien durant le processus du traitement de sa plainte : « J’ai fait une demande en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels et ai obtenu des milliers de pages rapportant l’espionnage de mes communications électroniques et personnelles, confie-t-elle. Les autorités tentaient de m’attribuer des motifs officieux afin de discréditer la plainte de mon organisme ».

Et les malversations gouvernementales ne s’arrêtèrent pas là : « l’AANC a également gardé secrets plus de 90 000 documents qui leur étaient préjudiciables. Heureusement, nous les avons obtenus suite à une demande d’accès à l’information ». Ces propos de Blackstock sont d’ailleurs confirmés dans le document faisant part de la décision finale du tribunal, qui souligne le caractère délibéré de la cachotterie ministérielle.

La vivacité avec laquelle le gouvernement s’est opposé à ces groupes de la société civile dont témoigne « We can’t make the same mistake twice » peut en laisser certains perplexes. Pourquoi un fier promoteur des droits et libertés comme le Canada a t‑il tenu à conserver des politiques qualifiées de discriminantes à l’égard des Premières Nations ? « Je n’ai jamais vraiment su répondre à cette question », termine la leader de la lutte.


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