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Les métaphores de l’inaccessible

Le MBAM rend hommage à la photographe Leila Alaoui un an après sa mort. 

Leila Alaoui

Le 18 janvier 2016, la talentueuse Leila Alaoui succombait à ses blessures, trois jours après les attaques terroristes de Ouagadougou. La photographe franco-marocaine avait trente-trois ans et était déjà admirée par beaucoup de ses collègues. À partir d’une observation critique du monde, Leila Alaoui s’exprimait par le portrait photographique et les vidéos documentaires. Elle avait travaillé pour Vogue et le New York Times, et se trouvait en mission pour une campagne sur les droits des femmes d’Amnistie Internationale lorsqu’elle a trouvé la mort. Un an après, le Musée des Beaux-Arts de Montréal (MBAM) lui rend hommage en exposant sa série  « No Pasará », du 18 janvier jusqu’au 30 avril 2017.

Récit d’un désir de partir 

Premier projet de l’artiste, cette série de vingt-quatre images, dont le titre rappelle les slogans antifascistes de la guerre civile espagnole, avait été commandée par l’Union Européenne en 2008. « No pasará » (« vous ne passerez pas », ndlr) est un travail d’observation, presque anthropologique, de la jeunesse marocaine entre Béni Mellal, dans le centre du pays, et les villes portuaires de Nador et Tanger, sur le thème de l’immigration clandestine. Dans son travail, marqué d’humanisme et de poésie, Alaoui fait donc le portrait de jeunes Marocains qui ont les yeux pleins d’espoir et qui s’imaginent un Eldorado de l’autre côté de la Méditerranée. Elle nous donne ainsi l’occasion de regarder cette jeunesse dans les yeux. 

L’exposition commence avec la photo d’un mur couvert de traces de main comme pour signifier l’humanité de ces individus qui longent les murs et traversent les frontières. On ne peut s’empêcher de renvoyer cette image à l’idée de la crise des réfugiés, au mur de Donald Trump et à la faillite européenne. Mais là, on se concentre sur des portraits de la jeunesse, laissant place à la naïveté et au rêve plutôt qu’à la politique et à l’agressivité. La photographe expose avec émotion cette volonté d’évasion, cette envie d’ailleurs sur fond de pauvreté et de misère.

La photographe expose avec émotion cette volonté d’évasion

Mal de mer 

Un garçon assis sur un mur est pris en photo de dos, seul face à l’immensité de la Méditerranée. Des adolescents grimpent sur les ruines d’une forteresse qui surplombe la baie, comme s’ils étaient partis en éclaireurs pour préparer une éventuelle traversée. Ces jeunes, debout sur des murs en ruines, ont le regard rivé vers l’horizon, se demandant surement si une traversée leur offrirait une vie meilleure. Alors que les yeux enfantins qui se trouvent au centre de chaque cliché connotent l’espoir et l’innocence, d’autres éléments viennent symboliser l’emprisonnement et la méfiance. Des grillages abrupts, des barreaux de fer ou encore des tas d’ordures se posent comme les obstacles de ces jeunes, les empêchant d’aspirer à une vie meilleure.

Un jeune homme est allongé à l’avant d’une barque, une bouée de sauvetage posée sur la tête, le regard perdu dans le ciel. Il s’agit de l’un des trois harragas, brûleurs de frontière, que la photographe a suivi dans leur traversée, mais qui ont échoué et ont dû rejoindre les côtes marocaines. L’œuvre d’Alaoui est un documentaire photographique, pas un conte de fée enfantin avec une fin heureuse. 

Au centre de ces images, c’est moins l’histoire racontée par l’artiste que les regards observés par la photographe que l’on doit retenir. Alaoui capture l’expression de ces visages en se focalisant sur les yeux de ses sujets. Une jeune fille à l’air mesquin sourit à l’objectif, et nous reste à l’esprit en sortant du musée. Alors, en marchant dans la rue Sherbrooke, on se demande : n’a‑t-on pas tous envie de s’évader, de partir et de s’envoler vers cette utopie qu’est l’Eldorado ? 


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