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Inspirations artistiques

Exploration du rôle politique et thérapeutique de l’art.

Felicia Chang

Le 16 novembre dernier avait lieu la conférence artistique de la Société des Arts visuels des étudiants de McGill (McGill Students’ Visual Arts Society, ndlr). Mettant en vedette quatre conférenciers de la scène artistique montréalaise, le but était d’offrir aux gens présents une vision concrète des différents aspects féministes, identitaires, commerciaux et thérapeutiques de l’art. C’était une première pour le club mcgillois, dont le mandat vise à promouvoir les arts visuels au sein de l’Université.

Un discours féministe

Entamant la soirée avec une présentation parsemée d’images controversées, Dr. Skelly, historienne de l’art, a habilement traité des thèmes qui feront partie de son prochain livre : Radical Decadence : Excess in Contemporary Feminist Textiles and Craft, à paraître en mai prochain (2017.) Sans contexte, plusieurs des œuvres présentées, exécutées entre autres par les artistes Orly Cogan et Shary Boyle, auraient d’abord paru étranges à l’œil non habitué. Femmes blanches nues en plein acte de masturbation, petits gâteaux répartis sur la scène, lignes de cocaïne offertes aux personnages, la liste est longue mais l’excès de plaisir est toujours présent. Point commun entre les œuvres ? La présence de matériaux d’artisanat, si répudiés des critiques d’art. L’utilisation, par exemple, de céramique ou de faux diamants afin d’agrémenter une peinture, est fortement reliée à l’idée d’excessivité chez la femme. Une excessivité, comme le fait remarquer Dr. Skelly, qui est encore fortement rejetée par certains qui veulent empêcher la femme d’y sombrer, y voyant la féminité menacée.
Se sont ensuite succédées plusieurs œuvres de Mickalene Thomas, mettant en vedette les femmes noires. Les sculptures arboraient des cristaux Swarovski, synonymes d’un luxe qui contraste avec l’histoire des Noirs dans le monde occidental. Choix volontaire de l’artiste afin de donner le pouvoir aux femmes, l’idée d’excès si répudiée par les conservateurs se voit donc ainsi embrassée par l’usage de médias artisanaux. Ces matériaux « de bricolage », qui occupent une place grandissante dans la scène contemporaine, viennent donc briser la hiérarchie de l’art dans un cadre féministe.

Le pouvoir politique et identitaire de l’art

Traitant du pouvoir de l’art contemporain dans les politiques identitaires, Florence Yee a commencé sa présentation en reconnaissant que la conférence avait lieu sur le territoire traditionnel Kanien’kehá:ka des peuples autochtones. Canadienne de seconde génération, la question « d’où viens-tu ?» ne lui est pas étrangère. Celle de « non, mais d’où viens-tu vraiment ?» l’est encore moins, causant une certaine confusion identitaire. Après avoir vécu toute une vie au Canada, comment réconcilier la partie « asiatique » de soi avec celle qui ne pourra jamais vraiment l’être ?
Ayant donc longtemps écarté la représentation de l’Asie de son art afin d’éviter l’étiquette, ce n’est que lorsqu’une amie verra dans une de ses peintures un coup de pinceau ressemblant à des caractères chinois que Florence réalisa que son art ne pourra jamais être réellement séparé de son héritage. Car sans les traits asiatiques de son visage, la forme des feuilles de sa peinture n’aurait jamais été perçue comme celle de caractères chinois, par un processus de racialisation auquel Florence n’échappera jamais complètement. De cela naîtront une curiosité et un intérêt, envers l’orientalisme, cette représentation raciste des personnes asiatiques. D’une certaine façon forcée par le regard des autres qui la voient en tant qu’étrangère, elle crée donc un corpus artistique explorant héritage, écriture, dualité, exotisme et autoportrait. Décrivant cela comme un processus d’exploration des enjeux ethnoculturels, Florence y voit maintenant une façon de mieux y définir son identité en réponse à la racialisation et l’orientalisme.

Ouvrir l’art aux millenials

Historienne d’art de formation, c’est son intérêt envers les millenials qui a poussé Emily Robertson à se spécialiser en street art et graffitis. Née d’un père mathématicien et d’une mère conseillère en orientation, ce fut tout un choc lorsqu’elle annonça à ses parents qu’elle étudierait en arts. Déterminée, elle compléta son baccalauréat en histoire de l’art avant d’entamer une maîtrise et une thèse sur l’art postal. C’est pourtant à ce moment qu’elle saisit à quel point son quotidien était vide de sens, à quel point elle était prisonnière de ses propres pensées.
Emily entreprit donc de sillonner les galeries d’art contemporain de Montréal afin de respirer intellectuellement. S’arrêtant devant l’une des portes, elle y entra et demanda un emploi à la directrice qui lui posa en retour une série de questions sur les matériaux, les prix et les styles. Incapable d’y répondre correctement, Emily réalisa que, malgré ses diplômes, elle manquait cruellement d’expérience. Négociant un accord avec la directrice, elle finit par trouver un emploi dans la galerie, où elle rencontra ensuite son mentor : un homme passionné, sympathique et un peu fou qui lui proposa d’ouvrir une galerie d’art urbain avec lui. Sans plan d’affaires, de bail à long terme ou d’expérience en gestion, Emily donna tout de même son accord et se lança dans l’aventure de Station 16, qui est devenue la galerie officielle du festival Mural. Emily attribue aujourd’hui son succès à son intérêt aux millenials qui lui ont enseigné l’utilisation des médias sociaux à son avantage, puisque Station 16 est l’une des rares galeries contemporaines montréalaises à avoir une plateforme en ligne et de la musique forte lorsqu’on y entre.

Vers un art thérapeutique

Diagnostiquée à l’âge de 6 ans d’une tumeur au cerveau, c’est à travers l’origami qu’Anita Raj a su traverser les épreuves que la vie lui a réservées. L’art du papier plié, venant des mots japonais ori et kami, respectivement « plier » et « papier », a une importance symbolique, mais aussi cérémoniale, dans la culture japonaise. Retraçant d’ailleurs ses origines à plus de 1200 ans, cette forme d’art a été développée dans les années trente en grande partie par Akira Yoshizawa, qui, avec ses 50 000 nouveaux modèles est considéré comme le père de l’origami.
Inspirée par ses expériences personnelles, Anita décida de partager ses connaissances. Ayant profité elle-même des bénéfices de l’origami, elle participe maintenant à plusieurs sessions de papier plié collectives à l’Hôpital de Montréal pour enfants, la Fondation canadienne des tumeurs cérébrales ou encore au Centre du cancer des Cèdres. Décrivant les sessions comme magiques, elle admet tout de même que l’origami aide à gérer la frustration, par exemple lorsqu’il est difficile de plier correctement son papier, ou encore le sens de la réussite lorsqu’un modèle d’une cinquantaine d’étapes est réussi. Sous thérapie et hormones de remplacement pour le reste de ses jours, Anita traverse ainsi les effets secondaires de sa médication grâce à l’origami, qui restera toujours une forme d’art sur laquelle elle pourra compter.


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