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Cette amie que l’on n’a pu sauver

Mahaut Engérant | Le Délit

Mise en garde : ce texte parle de suicide.

La session s’achève, tire à sa fin. Les derniers mois se sont écoulés au rythme d’un fleuve qui se déverse. Hier encore nous étions au Open Air Pub à rire et boire au son de la musique envoûtante et des rires contagieux qui caractérisent si bien l’insouciance de nos jeunes années.

Octobre, les premiers assignments, les premiers intras, on tente tant bien que mal de rattraper le temps perdu, les cours manqués et les notes égarées. L’isolement s’immisce dans nos fins de semaine, le café devient alors notre plus grand compagnon et le temps devient soluble. On sort l’espace d’une soirée, en se disant que l’on a bien mérité cet instant de bonheur volé.

Novembre, les arbres perdent peu à peu leur couleur, le rouge des feuilles annonce symboliquement l’urgence et le stress normalisés de nos vies académiques. On se croise, se salue, sans même prendre le temps de se retrouver autour d’un café ou d’un thé.

Puis décembre. La panique, le stress, le Redbull. L’anxiété et tout ce qui l’accompagne. Soudain, un après-midi, un appel. Celui dont on aurait jamais pu soupçonner l’arrivée. Le mot fatidique tombe : notre amie s’est enlevée la vie.

De respirer on oublie. Continuer on ne veut plus.

Et puis, assister à l’enterrement de cette amie entre deux examens. Saluer machinalement ces connaissances que l’on a négligées. Se dire que non, ce n’est pas possible, que tout ceci n’est qu’un malheureux cauchemar et que l’on finira bien par se réveiller. L’envie de hurler n’aura jamais été aussi forte.

Mais à quoi bon. L’amie n’est plus là, et tous les cris ou les larmes du monde ne sauront la ramener.
On se dit que l’on a failli. C’est de notre faute. On s’était promis l’amitié, mais sans s’appeler, sans se demander si ça allait. Parler de pouvoir de résistance et de mobilisation, certes, mais sans s’égarer et s’oublier dans tout ce non-sens.

La perfection ou rien

« Vouloir, c’est pouvoir » nous martèle-t-on. L’échec est tabou, mourir c’est échouer sa vie. « Si l’on ne réussit pas, c’est parce qu’on ne le voulait pas assez. » La méritocratie est devenue un prétexte pour ne pas venir en aide à ceux en détresse. À quoi bon étudier si c’est pour au final vouloir se tuer ?

À l’Université, les étudiants ont, à de multiples reprises, demandé une semaine de congé avant les examens, histoire de se ressourcer, respirer. Le silence fut la seule réponse. Puis attendre trois mois avant d’obtenir un suivi psychologique approfondi à la Mental Health Clinic de McGill. « J’aurais l’occasion de me tuer au moins cinq fois d’ici-là » me confiait avec humour et désespoir un ami.

L’absence de pouvoir peut aussi être fatale. Récemment, l’Université a autorisé la fusion du Counseling Services avec les Mental Health, question d’économiser quelques malheureux dollars au lieu de quelques vies. Plus question de donner des notes médicales lors des rendez-vous d’urgence, seuls les quelques rares étudiants bénéficiant d’un suivi psychologique de long terme peuvent en demander un.

Notre système universitaire doit investir davantage pour venir en aide à ses étudiants. L’approche humaniste n’est plus qu’une utopie. L’empathie a laissé place à la compétitivité. La moindre difficulté est vue comme un échec. La moindre contestation ou mobilisation est vue comme une nuisance. Le pouvoir nous échappe peu à peu, laissant place à l’impression de ne plus rien contrôler.

Au milieu de ce chaos, je repense à cette amie que j’ai perdue. Que je n’ai pas pu sauver. J’ai depuis appris à ne plus culpabiliser. J’ai adopté de meilleures habitudes pour mieux résister. Toutefois, cette leçon j’aurais tant souhaité l’apprendre avec cette amie encore à mes côtés. Elle est partie et elle ne reviendra pas. L’hiver est long, mais le printemps est au tournant. Ne pas abandonner et continuer à respirer, un semestre à la fois. Prendre conscience est parfois douloureux, mais c’est la première étape pour avancer.


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