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Droit de vote à 16 ans, utopiste ou pragmatique ?

L’équipe du Délit se prononce en faveur du vote dès 16 ans. 

Esther Perrin Tabarly | Le Délit

À un vote près, les membres du Conseil de rédaction du Délit se sont prononcés en faveur du droit de vote à partir de l’âge de 16 ans. Cette initiative a été lancée par la Fédération de la jeunesse canadienne-française (FJCF), qui a soumis une pétition gouvernementale et dont les signatures sont acceptées jusqu’au 8 février 2017. Si la démarche ne génère pas un engouement spectaculaire au Québec, le débat promet de refaire surface dans les mois à venir grâce à la réforme électorale promise par le gouvernement fédéral, et dont les aboutissements pourront affecter de façon significative notre mode de scrutin.

La jeunesse : un facteur politique décisif

Les jeunes forment une force politique importante en puissance. Nous avons pu le voir aux élections provinciales de 2012, lorsque les jeunes se sont mobilisés massivement pour faire tomber le gouvernement de Jean Charest et annuler temporairement la hausse des frais de scolarité au Québec. Cette tendance s’est maintenue aux dernières élections fédérales de 2015, qui a vu la participation des jeunes augmenter en passant de 40% à 52%, mettant fin par la même occasion au règne des conservateurs. Contrairement à ce qui peut s’entendre, les jeunes ne sont pas dotés d’un désintérêt inhérent pour la politique, même si leur participation reste inférieure à la moyenne nationale.

De l’unité d’une nation

Durant les débats animés de la rédaction a émergé une certaine inquiétude vis-à-vis de l’influençabilité des jeunes par rapport aux mouvements populistes notamment. Un coup d’oeil à l’actualité suffit pourtant à rassurer : les jeunes ont largement voté contre le Brexit, ils ont fait barrage au nationaliste Norbert Hofer, candidat à la présidence autrichienne, ils ont milité pour les candidats qui se sont présentés à la chefferie du Parti Québécois, tout en soutenant massivement Bernie Sanders. Les opinions et les préférences politiques des jeunes peuvent être trouvées sur l’ensemble de l’éventail politique, ce qui est rassurant. D’autant que poser cette question revient aussi à poser celle des personnes âgées ou sans connaissances politiques qui sont encartées dans un parti sans en connaître la substance. Ou la question de toute une population dépourvue d’éducation à la politique ou aux médias. Ainsi, si cette question est légitime elle n’est pas propre aux jeunes ; elle peut et doit être résolue par des cours d’éducation politique qui viendraient compléter cette mesure. De la même manière, si l’on argumente que cette classe d’âge ne pourrait prendre des décisions ne la concernant pas encore, comment justifier de ne pas diviser la société entière : chacun voterait les règles s’appliquant à lui seul.

Pourquoi des restrictions ? 

Il peut être de bon aloi de rappeler que dans l’absolu les conditions d’accès au vote sont arbitraires et répondent à la réalité sociale d’une société donnée — 18 ans n’est pas un âge magique. L’enfant ne se transforme pas en adulte du jour au lendemain. En ce sens, nos institutions sont des structures sociales qui évoluent au même rythme que nos moeurs afin de mieux servir les citoyens qu’elles sont censées représenter. Ainsi, une réforme électorale permettrait d’actualiser ce système au vu de l’évolution de la société contemporaine, qui accorde de plus en plus de responsabilité à la jeunesse. En effet, présentement, à 16 ans, les jeunes peuvent, doivent, être autonomes, conduire, travailler ou même contrôler — au sens le moins connoté du terme — leur sexualité. C’est même une période cruciale concernant l’orientation, et donc, notre futur. Le droit de vote s’inscrit dans la continuité de la vision du jeune-adulte que la société nous présente. La question de savoir si cette situation de fait est « bonne » ou « mauvais » est hors de propos, bien qu’une bonne question. Il s’agit de réagir à cette situation.

Pourquoi voter ?

Enfin rappelons que le droit de vote est un moyen de sanctionner le crédit que l’on accorde à une classe de la population. Autrement dit, il reconnaît sa légitimité à influencer notre société. À ce titre il nous semble nécessaire de résoudre une dichotomie flagrante. L’impact social, culturel, démocratique et économique des jeunes est important. Avec l’avènement d’Internet, les jeunes peuvent transformer des entreprises en multinationales, comme Facebook, YouTube, Google, Uber, Twitter. Les services proposés par ces compagnies, en plus de bouleverser notre économie et nos interactions sociales tiennent surtout leur succès de leur large adoption par les jeunes. Nous nous retrouvons ainsi dans une société où les Uber-like envisagent de remplacer le plus vite possible nos façons de fonctionner et de façonner notre environnement.

Dit autrement, les jeunes ont déjà un pouvoir sur la société, et un pouvoir considérable, celui de pouvoir rendre virale la plus banale des causes. Cependant, ce pouvoir est largement inconscient : nul adolescent, ni même adulte n’eût pu prédire tels bouleversements tout seul. la force du nombre est incontournable. La question d’être pour ou contre est secondaire, il s’agit de remédier à cette inconscience. Nous avons stipulé plus haut la nécessité d’une éducation obligatoire à tous, mais celle-ci serait bien rapidement considérée comme inutile puisque sans application : à quoi bon apprendre la politique si on ne peut voter ? Le vote et l’éducation sont donc les meilleurs moyens de transformer notre jeunesse en meneuse de cité avisée, plutôt que de conserver cette posture cynique consistant à confiner notre jeunesse à l’ignorance et l’inaction.


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