Aller au contenu

Rencontre avec Mathieu Bock-Côté

L’écrivain nous parle de son plus récent livre et de multiculturalisme.

Magdalena Morales | Le Délit

Omniprésent, « omnipenseur », omnivore, chroniqueur, professeur, écrivain et sociologue québécois, Mathieu Bock-Côté semble être partout. Inlassable, loquace et parfois polémique, Le Délit l’a rencontré dans le cadre de la sortie de son troisième livre Le multiculturalisme comme religion politique.

Le Délit (LD): En tant que professeur, comment interagissez-vous avec les étudiants qui ont des idées contraires aux vôtres ?

Mathieu Bock-Côté (MBC): Une salle de classe n’est pas un lieu de propagande ! Une salle de classe c’est là où on enseigne des choses avec lesquelles on peut être en désaccord. Je donne un cours à l’Université de Sherbrooke sur le nationalisme et par exemple lorsque je veux présenter les théories marxistes du nationalisme, j’essaie de les rendre les plus convaincantes possible et ce peu importe si j’y adhère ou non. Le travail du professeur n’est pas un travail de militant ou d’idéologue. Pour ce qui est des sujets polémiques, je pense que c’est un mot dont il faut se méfier, polémique. C’est souvent un mot que l’on colle à un sujet pour le rendre dangereux, alors que l’on puisse discuter ensemble de tous les sujets de façon intelligente et de façon raisonnable.

LD : Pourquoi avoir écrit un livre sur le multiculturalisme ?

MBC : C’est le fruit d’une recherche menée sur plusieurs années ! Un livre ça permet d’aller plus en profondeur et de traiter ces questions-là (les enjeux de l’actualité, ndlr) avec tout le temps et la documentation nécessaire. Ça permet finalement de développer une thèse, ce que j’ai fait avec ce livre ainsi que tous mes livres d’ailleurs. Mes livres ne sont pas de « long articles ». Le propre d’un livre c’est autre chose, dans ce cas-là c’est une obsession intellectuelle qui remonte à très longtemps. C’est pour ca que j’aime dire de ce livre que c’est une obsession intellectuelle surmontée pour l’instant par l’écriture d’un livre ; et au rythme des obsessions qui viennent de nouveaux livres naissent.

LD : Vous parlez de multiculturalisme comme religion, mais pensez vous qu’il existe un multiculturalisme objectif ? (Pensez-vous que nécessairement chaque facette du multiculturalisme est politique ou a un sous-entendu caché?)

MBC : Tout dépend de ce que l’on entend par là. Par multiculturalisme je n’entends pas la diversité ethnique ou la diversité des origines dans une société, ce n’est pas ce qui m’intéresse. Ce qui m’intéresse c’est l’idéologie, et je fais l’histoire de celle-ci. Je montre aussi comment elle est aussi une religion politique au sens que je l’entends, c’est à dire la prétention à délivrer l’humanité d’un mal fondamental qui serait la répression de la différence et là une renaissance à l’ouverture à l’altérité. Cela dit, si on propose une autre définition du multiculturalisme, je suis prêt à en parler.

LD : La mondialisation ne rend-t-elle pas le multiculturalisme inévitable ?

MBC : En fait c’est plutôt le contraire. Le multiculturalisme tel que je le définis c’est une philosophie fondée sur l’inversion du devoir d’intégration. La vocation traditionnelle du nouvel arrivant c’était de prendre le pli identitaire et culturel de la société qu’il rejoignait. Le multiculturalisme renverse cette exigence et nous dit en fait que c’est la société d’accueil qui doit transformer ses institutions et sa culture pour s’adapter à la diversité. Justement, dans un contexte de globalisation, si l’on ne veut pas que la société éclate, il faut avoir des repères substantiels qui ne sont pas simplement des droits ou des valeurs. Une valeur ne fonde pas une communauté politique, ce qui forme une communauté politique c’est une culture, une histoire et le sentiment d’avoir un destin partagé. De ce point de vue, pour intégrer un nouvel arrivant, il faut l’emmener à dire « nous » avec la société d’accueil. Mais pour cela, la société d’accueil doit encore assumer cette responsabilité de transmettre sa culture et d’en faire la norme d’intégration, ce que le multiculturalisme empêche.

LD : Est-ce que l’échec d’intégration c’est aussi l’échec des sociétés d’accueil qui n’arrivent pas à partager leur culture ?

MBC : C’est un peu plus compliqué que ça, il faut éviter toutes les explications mono-causales. Il y a certainement un modèle d’intégration qui est déficient, qui est incapable de poser comme norme culturelle ou identitaire la culture de référence de la société d’accueil. Il y a aussi le fait que nos sociétés soient très judiciarisées, donc la moindre revendication se traduit en droit de l’homme. Alors si vous transformez chacun de vos désirs ou caprices en droits de l’homme, il devient de plus en plus difficile ensuite de trouver des normes communes. Dans une société où chacun se sent bardé de droits, la notion de normes communes est vécue comme « tyrannie » de la majorité. Vous pouvez ajouter à ça des politiques d’immigrations qui sont irresponsables à mon avis. On doit recevoir en fonction de ses capacités d’intégration. Or les capacités d’intégration du Québec ne me semblent pas être de 50 000 personnes. Ajoutons à cela d’autres phénomènes, si l’on se tourne vers l’Europe : là il y a des phénomènes d’immigration illégale, des frontières qui ne sont tout simplement plus respectées. Il y a la dissolution de la souveraineté internationale à l’intérieur des paramètres européens. L’idée est de trouver un modèle un peu plus adapté à la réalité de notre société et à leur droit à la continuité historique, le droit à la préservation et à la perpétuation de leur histoire. Une société n’est pas qu’une addition d’individus porteurs de droit. C’est aussi une histoire et une culture, comment traduire cela politiquement c’est un enjeu pour les années à venir et pour la philosophie politique.

LD : Qu’est-ce que vous répondez aux critiques qui vous accusent d’être islamophobe ?

MBC : Je ne sais pas qui me dirait ça. C’est une critique qui est assez rare, mais c’est évidemment faux ! Je pense qu’il est légitime de critiquer toutes les religions, l’islam y compris, le christianisme y compris. Quelqu’un qui critique les fondements même du christianisme est-il christianophobe ? Et quelqu’un qui critique dans son fondement même l’islam est-il islamophobe ? Je ne crois pas. Le mot islamophobie sert trop souvent à censurer la critique de l’islamisme ou la critique de l’intégration parfois difficile de l’islam dans le monde occidental. Le mot islamophobie je trouve que c’est l’un de ces termes qui servent dans les faits à censurer le débat public. D’aucune manière je ne m’en réclamerais. 

LD : Est-ce que vous condamnez les dérapages qui ont pu stigmatiser certaines communautés ? On pense notamment à certains politiciens qui ont utilisé cette critique de l’islam pour faire avancer certaines visions et justifier les vandalisations des mosquées.

MBC : Quiconque vandalise une mosquée est une brute doublé d’un abruti. Il n’y a pas de doute là-dessus. On ne s’en prend pas aux temples des religions, ni aux gens. Mais il y a quelque chose d’insensé à faire porter à l’ensemble de la société la responsabilité de quelques brutes. Y a‑t-il des gens qui ont une aversion des musulmans ? Probablement. Il faut les condamner et leur dire qu’ils ont tort et que ce n’est pas ainsi qu’on aborde des problèmes en société. Mais une fois cela dit, est-il interdit à cause de cela de critiquer l’islamisme ? J’espère que non !

LD : Est-ce que vous pensez que l’intégration peut en quelques sortes « javelliser » la société, la rendre monotone ?

MBC : Je ne pense pas, je pense que ce qui risque de rendre monotone la société c’est le capitalisme contemporain, c’est l’industrie du divertissement telle qu’on la connaît. Mais pour ce qui est de l’intégration il s’agit tout simplement de s’assurer que les gens qui rejoignent une société s’approprient cette société comme destin, histoire, culture. Une société n’est pas un no-man’s land ! Elle n’est pas un espace juridique neutre simplement balisé par les droits de l’homme. Une société c’est une communauté politique historiquement constituée. Ensuite dans cette société il y a une diversité infinie de tempéraments. Le tempérament gaspésien n’est pas le tempérament montréalais. Les diversités régionales sont nombreuses. Il n’y a pas un modèle monochrome. Il y a une histoire partagée avec quelques références substantielles. Mais pourquoi rejoindre une société si ce n’est pas pour l’embrasser !

LD : C’est vendredi soir, le moral de votre équipe est à plat, quelle chanson est-ce que vous mettez pour remonter le moral ?

MBC : Oh mon dieu ! Je ne serais pas original, je mettrais Eye of the Tiger ou encore Training Montage qui est la chanson d’entraînement dans Rocky 4 ! Alors là je suis marqué ici par ma génération (rires). Pour moi la trame sonore de Rocky 4 demeure un instrument fondamental pour mobiliser les troupes. Je suis désolé de vous décevoir je n’ai pas de chansons québécoise, mais je vous en trouve une néanmoins pour le plaisir de la chose, La bitt à Tibi de Raôul Duguay, elle serait très efficace elle aussi ! 


Articles en lien