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La magie (noire) du cinéma

Retour sur le Festival du Film Black de Montréal.

Dior Sow | Le Délit

Du 28 septembre au 2 octobre derniers s’est déroulée la 12e édition du Festival du Film Black de Montréal. Pendant ces cinq jours, quarante films réalisés par la communauté noire à travers quatre continents ont été présentés au public. Cette initiative s’est  décidément inscrite cette année dans le contexte du mouvement Black Lives Matter et des controverses liées à la représentation des Noirs dans les médias. Ce festival a été l’occasion de revenir sur les accomplissements passés et à venir de la création artistique afro. 

Ça tourne et ça court 

Le court métrage est souvent un passage obligé pour le cinéaste débutant, l’occasion d’expérimenter sur le fond comme sur la forme ; de ce fait, aller à une projection telle que celle de Short Serie 1 est forcément pour le cinéphile un gage de découvertes. Malheureusement, ce premier octobre la salle était presque vide. 

La sélection de courts métrages du Festival du Film Black de Montréal est extrêmement variée : du drame au fantastique en passant par le documentaire, on oscille pendant deux heures d’un genre à l’autre. Les histoires varient, la qualité aussi. Certains films comme 1440 and counting ou encore Doors prennent le parti de représenter à l’écran des aspects clés du quotidien afro-américain : entre religion et violence, leurs réalisateurs ont fortement misé sur le réalisme. Mais alors que Doors — récit des désillusions d’une femme dont le mari est révérend — parvient à nous livrer une fin surprenante, l’abondance de larmes de 1440 and counting nous laisse, elle, sur notre faim. 

Plusieurs films présentés ont su briller par l’inventivité de leur scénario. Mais, étonnamment, c’est la simplicité du documentaire Escravos e Santos qui lui a permis de sortir aisément du lot. Ce dernier va à la rencontre des vieillards de la région de Bahia au Brésil et explore le double héritage qu’ils ont reçu de leurs ainés : des récits de l’esclavage et la Langa, une danse dédiée aux saints qui était pratiquée par les esclaves de la région. Ce film réussit à créer un équilibre entre le brut et le raffiné, ce qui lui donne une force inattendue. 

Le conteur et la caméra 

     Le Sénégalais Ousmane Sembene est reconnu — tout comme son compatriote et rival Djibril Diop Mambety — comme étant le prophète et le père du cinéma africain. Il était donc naturel que ce festival lui rende hommage en diffusant le maintes fois primé Sembene !, de Samba Gadjigo. Ce documentaire revient sur la vie et l’œuvre de celui qui a voulu faire du cinéaste africain un griot des temps modernes. Sembene est né et a passé son enfance en Casamance, une région au sud du Sénégal. En 1946, à l’âge de 23 ans, il décide d’embarquer pour Marseille où il devient docker ; c’est là-bas qu’il commence à prendre goût à la littérature et qu’il s’enrôle au sein du parti communiste, avant de s’envoler pour Moscou et     d’entamer des études de cinéma. De retour au Sénégal, il réalise ses premiers films dans les années soixante, alors que le continent est animé par la fièvre des indépendances. Son premier long-métrage La Noire de…est un succès international et fait de lui le premier africain membre du jury du Festival de Cannes. 

Alors que les années soixante-dix voient les rêves des indépendances s’effondrer en Afrique, Sembene commence à développer dans ses films un discours rebelle et politique qui deviendra sa signature. Certains de ces films seront censurés au Sénégal (Ceddo qui s’attaque à l’Islam) comme en France (Camp de Thiaroye qui revient sur le massacre des tirailleurs). Entre entrevues et images d’archives, Sambene ! nous fait voyager des dédales des rues de Dakar aux plus grandes universités américaines, au rythme des récits de l’excellent Samba Gadjigo. Avec Sembene !, ce dernier signe un film fascinant et essentiel à la compréhension des bases sur lesquelles s’appuie le futur du cinéma africain.


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