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Dossier spécial Homa Hoodfar

Après 112 jours de détention, ce 26 septembre, elle a été libérée. 

Mahaut Engérant | Le Délit

Retour sur les événements

Homa Hoodfar. Ce nom ne vous dit peut-être rien, et pourtant un véritable mouvement citoyen se forme autour de lui depuis plusieurs mois. Homa Hoodfar est professeure à Concordia depuis presque trente ans. Cette iranienne d’origine est spécialiste du rôle de la femme dans les sociétés musulmanes. Elle a construit au Canada une vie, une carrière, une famille et un entourage amical. Tout cela a cependant brusquement basculé en mars, lorsqu’elle a été arrêtée puis emprisonnée alors qu’elle rendait visite à sa famille en Iran.

Des motifs de détention flous

Les raisons de son emprisonnement ne sont pas évidentes. Officiellement, elle n’est coupable d’aucun crime. Les conditions de sa captivité ne sont pas plus clairs. Elle était détenue à la prison d’Evin à Téhéran — connue pour avoir hébergé des opposants du régime iranien — avant d’être hospitalisée. Il faut en effet préciser que prof. Hoodfar souffre de myasthénie, une maladie auto-immune qui affaiblit la musculature. D’une santé fragile, elle n’a pas accès à ses médicaments.

Rassemblement solidaire

Le 21 septembre, une manifestation a été organisée place Norman-Bethune (Montréal, ndlr) pour la soutenir et pour demander au gouvernement canadien d’intervenir en sa faveur. Parmi ceux qui ont répondu présent, des amis, des collègues, des élèves de prof. Hoodfar, des personnalités publiques, mais aussi beaucoup de personnes touchées par la tragédie que vit cette montréalaise.

L’événement était coordonné par Hayley Lewis, ancienne élève de la détenue, habitant aujourd’hui au Vermont. Elle est venue avec le Bread and Puppet Theater qui jouait une pièce liant désespoir humain et néolibéralisme thatchérien. Pendant le rassemblement, des personnes ont pris la parole pour partager histoires, souvenirs et sentiments. La plupart sont des collègues de prof. Hoodfar, mais Alex Tyrrell, chef du Parti vert du Québec, a aussi fait le déplacement.

« Homa savait organiser de superbes soirées, explique une de ses amies et collègues, lorsqu’on allait chez elle, on ne savait jamais sur qui on allait tomber. La porte était toujours ouverte, c’était vraiment super. » Le portrait présenté par les proches de la détenue est flatteur. Une femme qui incarnait la joie de vivre, un humour débordant, passionnée par sa recherche, et toujours à l’écoute de ses étudiants.

La manifestation s’est déroulée sur fond de musique dansante. Certains parlaient, riaient, d’autres pleuraient, mais tous avaient une seule envie : revoir Homa Hoodfar parmi eux.

D’autres avant Homa

Le 26 septembre, une nouvelle inattendue apparaît dans la presse : « Homa Hoodfar recouvre sa liberté » publie Radio-Canada. Dans un communiqué, Justin Trudeau explique avoir travaillé « en étroite coopération » avec l’Oman, l’Italie, et la Suisse pour faire pression sur les autorités iraniennes. Même sans préciser son état de santé, ni quand elle reviendrait sur le territoire national, la nouvelle a été reçue avec joie sur les réseaux sociaux. Amnesty International a par exemple partagé la « bonne nouvelle » sur Twitter.

Homa n’est pas la première canadienne à avoir été détenue injustement en Iran. Le 23 juin 2003, Zahra Kazemi, photojournaliste indépendante, avait été arrêtée et emprisonnée dans la prison d’Evin. Le gouvernement iranien avait annoncé son décès « accidentel » le 12 juillet suivant. C’est donc en connaissance de cause que de nombreuses personnes se sont inquiétées pour Homa Hoodfar. Pendant sa détention, la pétition « académique » est montée jusqu’à 5547 signatures. Certaines personnalités importantes comme Noam Chomsky, ou le prix Nobel de littérature Orhan Pamuk avaient d’ailleurs apporté leur soutien.

Le 21 septembre marquait le 107e jour de détention de professeur Hoodfar. – Jacques Simon

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Mahaut Engérant | Le Délit

Dialogue : deux perspectives

Les moyens de pression occidentaux ne sont pas exportables en Iran.

La nouvelle indignation trendy sur les réseaux sociaux en ce moment, c’est # freehoma. On écrit, s’écrie, on signe, on partage, on manifeste. Seulement, je refuse d’y prendre part, d’où l’espace entre mon hashtag et « freehoma ».

Je ne suis pas allé à la manifestation ce 21 septembre, volontairement. Une amie y est allée et a confirmé mes doutes : la manifestation était composée essentiellement de personnes qui n’étaient vraisemblablement pas de nationalité ou d’origine iranienne, tentant de représenter ses conditions de vie dans la tristement célèbre prison Evin. Les Iraniens étaient absents d’après moi pour deux raisons. D’abord, beaucoup admettent tristement que ce n’est pas ainsi que le gouvernement pliera : l’indignation parfumée au buzz qui est si populaire ici est loin d’être monnaie courante là bas. De plus, les accusations occidentales ne font que rajouter une goutte dans un océan de reproches bien connus. Aussi, les Iraniens sont souvent dépolitisés, et pour cause, en Iran, la politique est un sujet tabou en public : les gens ont peur de la répression et de l’emprisonnement qui visent plus spécifiquement les personnes impliquées dans ces activités. En dehors de l’Iran, les Iraniens craignent que la porte leur claque dans le dos, ou pire, qu’une fois rentrés en famille, la porte se ferme sur leur cellule. C’est aussi pourquoi je ne signerai pas cet article.

On sait que l’on enferme arbitrairement, on sait que le témoignage d’un homme vaut celui de deux femmes, on sait aussi que la loi, c’est le juge, c’est à dire le mollah, qui la fait, et rien n’y est à redire. L’Iran n’est pas l’Amérique, ni l’Europe : là-bas la loi y est virtuelle. Homa n’est pas aux mains de l’opinion publique iranienne que vous croyez à tort alerter, elle est entre les doigts de nulle autre personne que le Guide Suprême, l’Ayatollah Khamenei, le même qui entonne marg bar âmrikâ ! (mort à l’Amérique !) à la fin de chacune de ses interventions publiques. 

L’indignation est dangereuse, elle donne un argument de plus pour les fondamentalistes de s’écrier « voyez comme ils nous détestent ! » et diffuser leurs messages de haine et de violence. Elle n’ouvre pas au débat, ne met aucune pression sur le régime iranien, et alourdit la tâche du Canada, qui n’a d’ailleurs plus d’ambassade avec l’Iran depuis 2012.

L’intention est louable, mais la méthode est selon moi erronée, voire même contre-productive et dangereuse. Fondée sur une connaissance limitée mais malheureusement partagée du fonctionnement de la société iranienne, l’indignation est ici inutile, redondante et fait le jeu des personnes qui emprisonnent Homa Hoodfar. L’Iran n’est pas une démocratie libérale occidentale, et les leçons occidentales ont trop  goût de la dictature renversée à l’origine du régime actuel. Je ne condamne pas toutes ces personnes pour avoir essayé d’aider, au contraire, mais s’i il y a bien quelque chose à comprendre en Iran, c’est que parfois, en Iran, il vaut mieux se taire. – Clayton Lapomme


Le Canada doit rétablir des relations diplomatiques avec l’Iran.

Homa Hoodfar a certes été libérée, mais cela ne signifie pas que nous sommes à l’abri d’une autre crise diplomatique à l’avenir. Si le gouvernement Trudeau soutient qu’il veut rétablir les relations avec  l’Iran, cette volonté ne se concrétise pas en actions. Les répercussions de cette tension diplomatique sont donc très prononcées, surtout lorsqu’il s’agit de situation de détenus en Iran. Le Canada doit donc se précipiter pour rétablir ses relations avec l’Iran, dans le but d’empêcher la détention injustifiée et inhumaine de citoyens canadiens dans ce pays.

Récemment, le mouvement #FreeHoma a gagné en popularité et plus d’une centaine de professeur(es) et d’étudiant(es) se sont ralliés à la cause, en dénonçant cette arrestation injuste et en réclamant la libération de Homa Hoodfar. Évidemment, ce mouvement était sans doute bénéfique à la cause de Homa Hoodfar, puisque à travers ce mouvement qui s’est également répandu via les réseaux sociaux, le gouvernement iranien, mais surtout canadien, ont ressenti la pression augmenter. Cependant, dans ce cas là, le pouvoir ne se trouve pas dans les mains des citoyens mais de ceux qui nous gouvernent, les vraies questions sont : qu’est-ce que le gouvernement canadien aurait dû faire pour libérer Homa Hoodfar plus rapidement et quels étaient les réels motifs du gouvernement iranien ?

Certains émettent l’hypothèse que le gouvernement iranien s’est servi de la prisonnière comme « monnaie d’échange ». Thomas Juneau et Jabeur Fathally, tous deux professeurs à l’Université d’Ottawa, soutiennent que l’Iran a besoin d’une plus grande ouverture sur le monde et que la détention de Homa Hoodfar aurait signalé au Canada que l’Iran souhaite la normalisation des liens diplomatiques entre Ottawa et Téhéran. Il est à noter que quelques semaines après la visite du premier ministre Justin Trudeau en Chine ce mois-ci, Kevin Garratt, qui était prisonnier en Chine sous prétexte qu’il travaillait pour une compagnie d’espionnage canadienne, a été libéré. Le gouvernement canadien se trouve dans une situation difficile concernant la libération de prisonniers canadiens en Iran, surtout depuis la fermeture de l’ambassade canadienne à Téhéran. Mohamed  Fahmy, lui aussi ex-détenu en tant que journaliste anglophone de Al-Jazeera, soutient que le Canada doit absolument rétablir ses relations avec l’Iran et stipule que l’envoi de diplomates canadiens sur les lieux faciliterait la procédure pour la libération de futurs détenus canadiens en Iran. De bons conseils, si l’on considère qu’il s’agit d’un problème récurrent. Surtout, avec l’absence d’ambassade canadienne à Téhéran, la capture de Canadiens est plus facile pour l’Iran : le gouvernement iranien en profite surtout quand le prisonnier en question détient la citoyenneté iranienne, comme Homa Hoodfar. Le cas échéant„ la personne est soumise aux autorités iraniennes en tant que citoyenne iranienne. 

Professeur Hoodfar est reconnue dans son domaine, ainsi que par ses étudiants, comme étant une académicienne qui incite ses élèves à remettre en question notre société. Elle porte aussi une attention particulière aux groupes marginalisés. Le Canada, en tant que pays libéral qui veut l’égalité et l’équité pour chacun de ses citoyens doit faire les premiers pas vers des relations pacifiques avec l’Iran en coopérant. Après tout, le gouvernement du Canada a le devoir de s’assurer que ses citoyens ne se retrouvent jamais derrière les barreaux. – Catherine Tajmir


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