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Fais l’amour à la caméra

The lovers and the despot, épopée romantique au pays de Kim Jong-il. 

Mahaut Engérant | Le Délit
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Mahaut Engérant | Le Délit

Le 15 septembre, le Festival international du film Fantasia présentait au cinéma du Parc le documentaire The lovers and the despot de Ross Adam et Robert Cannan. Le film revient sur la destinée singulière de deux stars du cinéma sud-coréen, toutes deux enlevées en 1978 par le dictateur nord-coréen Kim Jong-il. 

Qui a peur du grand méchant Kim ?

Hong Kong, 1978. Récemment divorcée du réalisateur Shin Sang-ok, l’actrice Choi Eun-hee disparaît sans laisser de traces au cours d’un voyage professionnel. Parti à la recherche de son ex-femme, Shin Sang-ok se volatilise également quelques mois plus tard dans le plus grand mystère. Après être passé par la prison et la torture, Shin Sang-ok retrouve finalement Choi Eung-hee à Pyongyang. Leur talent a en effet fait d’eux les objets de la convoitise de Kim Jong-il, cinéphile inattendu bien déterminé à développer le cinéma nord-coréen afin d’accroître le rayonnement international de son régime.

Pendant près de huit ans, les ex-amants retenus en Corée du Nord seront en effet encouragés à écrire et réaliser des films pour le bon-plaisir du dictateur. Disposant du secours financier de Kim Jong-il, ils révolutionneront le cinéma nord-coréen. Ce surprenant mécène leur laissa en effet carte blanche, les autorisant même à produire des films dénués de visée propagandiste. Ils furent ainsi libres de transformer la trame narrative traditionnelle des films nord-coréens de l’époque, glorifiant le travail et la loyauté politique. Ensemble, ils réalisèrent le premier film romantique du cinéma nord-coréen, représentant pour la première fois l’être humain comme un individu à part entière. 

Perçus comme des traîtres dans leur pays natal, leurs films furent cependant largement diffusés et ovationnés dans le bloc de l’Est. Dissimulant leurs aspirations à la liberté et prônant publiquement les mérites du régime, ils furent même autorisés à quitter la Corée du Nord afin d’assister aux festivals auxquels leurs films étaient primés. Pour ne jamais revenir : en 1986, à l’occasion d’une rencontre cinématographique à Vienne, le couple nouvellement reformé file à l’anglaise et rejoint l’ambassade des États-Unis pour y demander l’asile politique. 

Dans l’enfer de la dictature

« C’était une dictature physique et émotionnelle », explique un ancien poète officiel du régime. « Nos émotions étaient faussées, tout était organisé autour de la dynastie ». Outre l’histoire d’amour atypique de Shin Sang-ok et de Choi Eun-hee, le documentaire propose également d’explorer les rouages de la dictature nord-coréenne. Entre effarement et stupéfaction, on devient spectateur des célébrations nationales savamment orchestrées, faisant l’apologie du régime et rythmant le quotidien de millions de nord-coréens. 

The lovers and the despot nous permet également de pénétrer dans l’intimité de Kim Jong-il. Grâce aux enregistrements secrets de Shin Sang-ok et de Choi Eun-hee, on découvre la voix, le rire, mais aussi les projets de domination politique du dictateur décédé en 2011. Cependant, si le documentaire dispose d’une intrigue palpitante, il pêche par sa structure conventionnelle et son manque d’audace artistique. L’enchaînement attendu d’images d’archives et d’interventions de spécialistes sur fond de musique d’ascenseur dessert en effet l’ambition des réalisateurs de conter l’une des aventures les plus rocambolesques de l’histoire du cinéma. 

Séparés, enlevés, instrumentalisés, réconciliés… La romance de Shin Sang-ok et de Choi Eun-hee est pour le moins originale. Si sa narration l’est moins, elle nous permet cependant de découvrir l’un des régimes les plus méconnus au monde, pour le plus grand plaisir de notre curiosité. 


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