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En quête d’un Montréal oublié

Grandes demeures, Montréal, 1974 témoigne d’un univers hors du commun.

Charle Gurd

L’architecture fait partie de ces arts souvent oubliés par le grand public. À tort, sûrement, puisqu’elle nous entoure et qu’elle structure nos vies de façon déterminante. D’où l’intérêt de s’y pencher d’un peu plus près. C’est ce que fait Charles Gurd (lui-même architecte, et photographe à ses moments perdus), dans sa série de photos intitulée Grandes Demeures, Montréal, 1974, exposée jusqu’au 6 novembre au Musée McCord. Pendant l’année 1974, Gurd a pris quelques 6000 clichés des habitations de l’ultra-bourgeoisie montréalaise. Conscient du fait que ce milieu social quasi-aristocratique était au bord de la disparition, il l’a immortalisé.

À la recherche du temps perdu 

L’exposition occupe une salle bleue, au troisième étage du musée. 39 photographies en noir et blanc accrochées aux murs témoignent d’une époque aujourd’hui révolue. Elles documentent des styles de vie, des rapports humains et une culture qui sont, pour la plupart, inconnus des étudiants montréalais. En se promenant le long des murs, nous revenons quatre décennies en arrière, pour voir ce qu’étaient, à l’époque, le 1336 Redpath Crescent, le 3630 promenade Sir-William-Osler, ou le 9095 Boulevard Groin West. Les maisons en question étaient alors d’un luxe inégalé. De grandes pièces lumineuses sont ornées de tapisseries, de tableaux et de bustes. Les bibliothèques sont emplies de livres de collection. On y distingue les grands classiques — Zola ou Shakespeare — ainsi que des écrits plus récents, comme une biographie de Churchill. Un grand confort y règne. Les colonnes en marbre , et les fauteuils profonds abondent. Dans un coin de l’exposition, un écran fait défiler des photos de l’extérieur des maisons. On y voit d’immenses propriétés clôturées, pleines de verdure, d’arbres et de sculptures.

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Charle Gurd

Autre particularité de ces habitations : la présence de domestiques. Sur une des photographies, une dame en tablier dans une grande cuisine sourit en regardant l’objectif. Sur une autre, un majordome, l’air sérieux, se tient droit comme un « i ». Cette relation maître/serviteur, mise en scène sur les photos, est frappante tant elle  renvoie à des rapports sociaux révolus. Ce voyeurisme dans l’univers d’une aristocratie inconnue est fascinant. On peine à concevoir la vie de ces gens et à imaginer leur richesse héritée. 

Des questions restées sans réponse

Toutefois par certains aspects, l’exposition nous laisse aussi un peu sur notre faim. Pour commencer, les 39 photos sont un peu insuffisantes pour témoigner pleinement d’un univers qui nous est inconnu. On aurait aimé pouvoir s’y plonger plus pleinement. On aurait aimé voir plus pour mieux comprendre. Ensuite, l’exposition est basée sur l’idée qu’elle nous offre une ouverture sur le passé, une entrée sur un monde qui n’existe plus. Mais qu’est-il devenu ? Où sont les gens qui habitaient jadis ces immenses demeures ? Que sont-elles devenues aujourd’hui ? On sort de l’exposition avec l’étrange impression d’avoir vu un documentaire-fiction. L’exposition se heurte à la valeur nécessairement diminuée d’un « avant » sans « après ». 

Dernier point, il faut le dire, c’est un peu cher. Même avec le rabais étudiant qui fait passer le billet de quinze à neuf dollars, pour une exposition dont on fait le tour en un quart d’heure (et ce, en lisant tous les panneaux explicatifs), on sort en se disant que l’on doit avoir raté quelque chose.

Une exposition à voir 

Gurd nous offre quand-même une expérience toute particulière. Rarement avons-nous l’opportunité d’admirer l’intérieur de ce genre de bâtiments. Si l’on peut se le permettre, il faut aller voir ces photographies. Elles nous donnent l’occasion d’entrevoir un univers lointain des 1 1/2 et des colocations étudiantes. Elle nous livre un bref aperçu de la vie d’une frange disparue de la population montréalaise. 

Disparue, mais pas forcément à jamais. Gurd a observé la fin d’une classe sociale, effacée par la croissance des « Trente Glorieuses » qui a favorisé l’apparition d’une classe moyenne forte, et la diminution des inégalités. Quarante ans après, que reste-t-il de cela ? Avec un monde caractérisé par une recrudescence de la polarisation des richesses, à quand une exposition sur les maisons des ultra-riches contemporains ? 

 


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