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Laisser mourir ?

Les chambres peinent à s’accorder sur le projet de loi C‑14.

Le projet de loi C‑14 sur l’aide médicale à mourir, déposé par le gouvernement libéral en avril dernier, est en cours d’évaluation au Sénat. Le regard des non-élus sur le projet de loi suscite un débat et des allers et retours entre les deux chambres fédérales. La question qui fâche est la restriction — ou non — du droit à l’aide à mourir aux personnes qui ne sont pas en fin de vie. En attendant que les deux organes législatifs tombent d’accord, il n’existe pas de restriction sur l’aide médicale à mourir au Canada depuis le 6 juin dernier.

Dangereuse politique

Au cours de sa révision du projet de loi le mercredi 8 juin, le Sénat a adopté un amendement qui vise à élargir les critères d’admissibilité. Il propose d’inclure les personnes qui ne sont pas en fin de vie, en supprimant la clause stipulant que la « mort naturelle » d’un patient doit être « raisonnablement prévisible » pour qu’il puisse bénéficier d’assistance.

L’amendement force le renvoi du projet de loi au Parlement, où il sera débattu une seconde fois, retardant encore la promulgation de sa forme finale. Les ministres de la Santé et de la Justice, Jane Philpott et Jody Wilson-Raybould, ont annoncé qu’elles s’opposeraient à l’amendement qui ne fait que revenir sur une question déjà débattue, et rejetée, par le Parlement.

Les réponses à la révision du projet de loi par le Sénat vont même bien plus loin politiquement : « c’est frustrant qu’un Sénat non élu qui ne rend de compte à personne [y] apporte des changements », a déclaré la chef conservatrice par intérim Rona Ambrose. Sauf que tant que le cœur du système politique canadien n’aura pas été réformé, et c’est encore une autre affaire, le Sénat dispose encore d’une légitimité et d’un devoir de législation. Dénoncer les retardements de la chambre haute alors qu’il n’existe pas de cadre légal à l’assistance médicale à la mort, c’est une chose. Nier son rôle, c’en est une autre.

Il va falloir s’attendre à d’autres modifications du texte, le Sénat ayant déjà approuvé trois amendements. Et le projet de loi dans son ensemble pourrait être mis en danger si la Chambre des communes décidait d’ignorer les propositions de la chambre haute.

Le droit de mourir, pour qui ?

Sortons un instant des matches de boxe entre nos représentants. Le débat sur la restriction du droit à l’aide à mourir repose sur la constitutionnalité de l’exclusion de certaines personnes. Selon certains, en restreignant ce droit aux personnes en fin de vie, le gouvernement va à l’encontre du verdict sur l’affaire Carter rendu par la Cour suprême en 2015. Selon Benoît Pelletier, professeur à la Faculté de droit d’Ottawa et ancien membre du comité fédéral externe sur l’aide médicale à mourir, l’interprétation la plus plausible de l’arrêt Carter est qu’il « s’applique à tout patient qui est affecté de problèmes de santé graves et irrémédiables lui causant des souffrances persistantes et intolérables ». Les principes utilisés pour justifier le projet de loi, tels que l’intégrité psychologique et la qualité de vie du patient, le droit à la vie, à la liberté et la sécurité de la personne humaine, reviennent de droit aux personnes qui ne sont pas en fin de vie. Il serait donc anticonstitutionnel et injustement rétroactif de le retirer. Pour d’autres, la Cour avait au travers de l’arrêt Carter signifié que ce droit s’appliquait aux gens malades. Le délaiement de la décision fédérale repose sur un désaccord quant à l’interprétation de la décision de la Cour suprême, et la question est pertinente. Toutefois, retarder encore l’adoption du texte, c’est accepter qu’il n’y ait pas encore de cadre légal à l’assistance à mourir. C’est mettre en danger l’éthique médicale, sous couvert de jeux politiques.


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