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L’après Ghomeshi

Quelles sont les leçons à retenir de ce procès ? 

Luce Engérant

C’est sans surprise et avec une très grande déception que le verdict du procès Ghomeshi a été reçu par la population. Déception pour le jugement, pour les victimes qui auraient négligé des détails importants lors de l’enquête et surtout pour les policiers, les enquêteurs et les procureurs qui sous la pression médiatique et publique ont omis certaines vérifications clés.

Décerner le vrai du faux 

Face à ce gâchis, il est important de reconnaitre les différents facteurs qui l’ont causé afin de mettre le doigt sur les failles. Parmi celles-ci, on évoque le très lourd fardeau de prouver « hors de tout doute raisonnable » la véracité des dires de la victime. Comme piste de solution, certains ont avancé l’idée qu’il faudrait redéfinir le concept de présomption d’innocence afin de diminuer le fardeau de la preuve dans l’espoir que ceci permettrait un verdict plus « juste ». Cette idée est dangereuse et doit à tout prix être rejetée. Le droit d’être innocent garantit à l’accusé un procès juste et équitable qui permet d’éviter l’utilisation arbitraire et excessive de la détention provisoire. Selon l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (UNODC), malgré que la présomption d’innocence soit universelle, de nombreux Etats remettent en question ce principe, ce qui constitue une forme massive de violation des droits de l’Homme. Selon les estimations de la UNODC, plus de 3,3 millions de personnes sont en détention provisoire dans le monde avant même d’avoir subi leur procès, tous crimes confondus. La lutte contre les agressions sexuelles ne doit pas se faire au détriment de notre système de justice.

Luce Engérant

Une justice imparfaite, mais équitable

En entrevue avec CBC, Marie Henein, l’avocate de Ghomeshi, a déclaré que le principe même d’avoir un juge qui puisse s’asseoir et entendre les deux parties sans aucune influence externe démontre justement la réussite de notre système de justice. Certes ce système n’est pas parfait et il ne cesse de progresser, toutefois, il est important de reconnaitre, que même en justice, il n’existe pas de rétribution parfaite. Les années de prison ne feront jamais disparaitre les souvenirs de l’agression et n’effaceront jamais la souillure. Accepter une diminution de nos standards de justice et ouvrir la porte à un précédent dangereux n’aidera aucunement la cause des femmes. Car bien qu’important, le cas Ghomeshi n’est pas représentatif des cas d’agressions sexuelles qui arrivent au Canada. Le premier enjeu demeure avant tout la dénonciation. Présentement, selon les données du gouvernement du Québec, plus de 90% des agressions sexuelles ne sont pas dénoncées. Suites aux accusations d’agressions sexuelles contre Ghomeshi, Sue Montgomery avait lancé le mouvement #AgressionNonDénoncée qui avait permis de mettre en lumière ce problème et de créer un espace sécuritaire et publique où les victimes pouvaient discuter de cet enjeu. 

Ce qu’il faut retenir 

Selon le Centre d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS), les motifs qui font en sorte que les femmes ne dénoncent pas leurs victimes sont d’abord psychologiques : la honte, la gêne, la peur, les réactions de l’entourage et surtout la difficulté à reconnaitre et à nommer les situations comme étant une agression sexuelle. À la lumière de ces faits, ce n’est donc pas le système de justice qu’il faut blâmer, mais plutôt le manque de ressources disponibles aux victimes qui sont disproportionnellement des femmes. Par conséquent, il faut concerter nos efforts pour enrayer ce fléau plutôt que de décrédibiliser notre justice et l’accuser de tous les maux.  Ces efforts passent par une plus grande sensibilisation ainsi qu’une meilleure éducation sexuelle dans les écoles. La prévention des agressions sexuelles doit demeurer la lutte principale et constituent la meilleure défense qu’il puisse exister pour mettre fin à cette problématique. 


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