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Au cœur de Manawan

Discussion avec Chloé Leriche sur le long-métrage Avant les rues.

Sophie Deraspe

C’est dans la réserve amérindienne Manawan (Québec) que s’est déroulé le tournage d’Avant les rues. Retour sur une fiction en langue Atikamekw qui inclut ses acteurs autochtones dans son processus de création. 

Le Délit (LD): Avant les rues est, après une longue série de courts-métrages, votre premier long-métrage. Avez-vous dû adopter une approche très différente ?

Chloé Leriche (CL): J’ai fait mes courts-métrages avec beaucoup d’expérimentation et j’ai gardé cet aspect lorsque j’ai décidé de travailler sur un projet de long-métrage. Par contre, les efforts pour mettre en place le projet sont beaucoup plus grands. 

LD : Comment les habitants du village où s’est déroulé le tournage vous ont-ils accueilli ?

CL : Ils nous ont très bien accueillis. Il faut savoir que l’accueil, l’entraide, c’est une des affaires principales chez les peuples autochtones ; c’est en eux. Donc en ce sens on a eu un accueil hyper chaleureux, ouvert. C’était assez magnifique en fait.

LD : Les acteurs, autochtones pour la plupart, ont-ils beaucoup contribué à l’élaboration des scènes et des dialogues ?

CL : Oui, ils ont contribué à l’élaboration des dialogues en ce sens qu’ils traduisaient eux-mêmes leurs répliques. Ils étaient alors très participatifs, ce qui leur a permis non seulement d’être très authentiques, mais en plus de faire intervenir des notions typiquement autochtones qui n’étaient pas nécessairement dans mon scénario.

« Ils se sont sentis bien représentés, ils ont trouvé que le film était plein de lumière »

LD : Pendant toute la durée du projet et en particulier votre séjour sur les lieux du tournage, quels aspects de la culture autochtone vous ont le plus marquée ?

CL : Plein d’aspects. Premièrement leur rapport à la nature : ils ont un respect énorme de l’environnement dans lequel ils vivent. Leur lien avec le territoire est assez fascinant aussi, parce qu’ils le connaissent extrêmement bien. Quand ils se promènent dans les bois, même vraiment loin de la communauté, ils savent quels animaux s’y trouvent, quels poissons sont dans quels lacs… Le fait que quand ils tuent un animal, ils récupèrent toutes les parties de l’animal, que ce soit pour faire des vêtements d’artisanat ou autre. Ils mangent absolument tout aussi.

Sinon, au niveau des valeurs qui m’ont fascinée chez ces peuples c’est leur lien à la tradition, ils font énormément d’efforts pour la préserver. Cela se manifeste par le respect qu’ils ont pour les aînés. Les Québécois peuvent avoir des liens familiaux avec leurs parents et leurs grands-parents, mais chez les autochtones, on respecte la parole des aînés et on essaie d’en apprendre le plus possible. Je trouve magnifique ce respect-là des personnes âgées.

Leur rapport à la sexualité est également fascinant. Par exemple un homme ou une femme homosexuelle c’est quelqu’un qui a un équilibre entre sa partie féminine et sa partie masculine. Il y a beaucoup d’ouverture en ce sens-là. La liste est longue des choses que je trouve belles dans cette culture…

Glauco Bermudez

LD : Quelle a été la réaction du peuple de Manawan à la vue d’un film à leur image ? 

CL : J’ai montré le film en avant-première aux chefs des communautés autochtones Atikamekw et tous leurs conseillers, et ils ont adoré. Ils se sont sentis bien représentés, ils ont trouvé que le film était plein de lumière, et qu’il était équilibré. Ce qui m’importait le plus était que les Premières Nations puissent ressentir un attachement et porter le film avec moi. Davantage que la critique ou la reconnaissance de mes pairs. Je crois que le film reste une fiction, c’est le contexte autour qui semble les intéresser. Le fait qu’il y ait un retour à la tradition (dans le film le héros cherche à apaiser sa culpabilité par la pratique de rituels traditionnels, ndlr) les touche aussi beaucoup. 

Il y a un gros buzz autour du film en ce moment. Pour eux, c’est agréable car on parle des problématiques des Premières Nations partout dans les médias ; mais on parle rarement de réussites telles que des non-acteurs autochtones qui ont réussi à jouer un film dans lequel ils vivent des performances très fortes.

Sophie Deraspe

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